Texte intégral
On parle constamment et partout de « mondialisation », de « globalisation » et chacun de nous est saisi de vertige : concurrence internationale, secteurs industriels sinistrés, chômage, croissance exponentielle des moyens de communication, informatique, télématique etc.
Que faire quand on est citoyen français devant ce « retournement du monde » (expression de Bertrand Badie et Marie-Claude Smouts, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1992) ?
Première remarque : la mondialisation n'a pas que des inconvénients. Elle est en train de permettre la diffusion de certaines idées qui nous sont chères. Exemple : les droits de la personne humaine, la démocratie pluraliste.
Cf. par exemple les opinions de Boutros Boutros Ghali, Secrétaire Général des Nations Unies, exprimées notamment devant le Parlement Européen en Novembre 1995 : « Là encore, je suis convaincu que le monde peut s'inspirer largement de l'exemple européen et des grandes valeurs philosophiques et politiques qui sont les vôtres pour tenter de démocratiser la société globale !
Il s'agit là d'un enjeu capital pour la Communauté internationale dans son ensemble ! Car je suis convaincu que le phénomène de mondialisation de l'économie doit aller de pair avec un mouvement de mondialisation de la démocratie !
Deuxième remarque : toutefois, en général, la mondialisation est perçue comme une menace pour un pays comme le nôtre.
Certes la France représente encore une force :
– quatrième exportateur mondial de biens manufacturés, souvent de très hautes technologies (Airbus, fusée Ariane, TGV, Télécommunications, Métro, Centrales nucléaires, armes sophistiquées, etc…) ;
– troisième importateur mondial avec 240,33 billions de dollars en décembre 1995 ;
– deuxième pays en matière de services ;
– le PNB français est le quatrième du monde en terme absolu et atteint en 1995 1 181,8 billions d'Écus.
Mais, dans son ensemble, la France et les Français se sentent en position fragile :
– sur le plan démographique, 58 millions d'habitants, c'est peu, d'autant plus que le taux de fécondité est faible : 1,65 % en 1995 ; Inde : 3,7 % ; Philippines : 3,9 %, Viêt-Nam : 3,9 %…
– sur le plan économique. Notre taux de croissance est médiocre : 2,5 % en 1994, il est tombé 2,2 % début 1996.
Nous sommes concurrencés non seulement par les grands pays industrialisés mais, de plus en plus, par les pays nouvellement développés, par exemple en Asie : Taux de croissance en chine et Malaisie : 9 % !
Sur le plan social. Notre modèle de protection sociale, grande conquête de la période contemporaine, est menacé par la concurrence des pays nouvellement développés qui disposent d'une main d'œuvre abondante, de mieux en mieux formée, sous-payée et sans protection sociale. D'où l'idée très importante d'introduire une clause sociale dans les contrats avec ces pays tiers.
Sur le plan culturel. La France plus que tout autre pays est sensible aux menaces qui pèsent sur sa culture et sur sa langue.
La mondialisation de l'anglais et de la culture anglo-saxonne, notamment dans sa version américaine, risque à terme, de faire disparaître notre patrimoine culturel, en tous cas son rayonnement dans le monde.
Exemple : Même en France, en 10 ans, les films français ont perdu plus de la moitié de leurs spectateurs, leur part de marché passant de 49,6 % en 1981 à 35 % en 1993. Certes il y a eu en 1995 un redressement dû au succès de certaines productions françaises. Il reste que les salles de cinéma et les chaînes de télévision, non seulement dans le monde, mais même en France, diffusent relativement peu de films français.
Récemment, Le Monde Diplomatique publiait une étude : « En clair, c'est pourri à tous les niveaux » nous confie Emmanuel Blairbaque, Secrétaire Général de l'Association française des producteurs de films. Les grands groupes se sont opposés à « l'invasion américaine » pour mieux dominer eux-mêmes le marché européen avec leurs films « de style américain ».
Sur le plan politique. La politique étrangère et de sécurité d'un pays comme la France est devenue, malgré les apparences d'un État souverain, héritier d'une grande tradition, une illusion.
En fait nos moyens d'action, politiques et militaires, sont relativement réduits. Seuls nous ne pouvons pas faire grand-chose.
Exemple : l'affaire de l'ex-Yougoslavie dans laquelle notre poids a été faible par rapport à celui des États-Unis.
Même remarque au Proche-Orient.
Même remarque en Extrême-Orient.
Même remarque dans l'Europe orientale.
Troisième remarque : Que faire ?
Face à la mondialisation la France seule est impuissante. L'affirmation de notre souveraineté, le repli de soi, les politiques protectionnistes, à l'échelle d'un pays comme le nôtre, tout cela n'a guère de sens.
Si nous voulons sauver notre identité, dans ses différentes facettes, nous ne pouvons le faire que dans le cadre européen, avec l'ensemble de nos partenaires. C'est d'ailleurs la raison d'être principale de la construction européenne.
Nous sommes attachés à la construction fédérale
Les socialistes évoquent une « perspective fédérale » un peu lointaine, c'est-à-dire une fédération d'États-Nations. Le terme est vague et accepte bien des interprétations … Nous, nous appelons de nos vœux – et c'est une finalité concrète – une fédération compétente dans quelques domaines bien délimités (monnaie, politique économique, diplomatie, défense, législation sociale, garantie des libertés publiques, aide au développement). Ceci implique un Parlement qui vote à la majorité simple les lois relevant de la compétence fédérale, un gouvernement fédéral qui exécute les lois et commande à l'administration, un président de l'Union dont l'élection aurait une grande puissance symbolique.
L'économie
Les quinze représentent aujourd'hui un marché de 370 millions de consommateurs et l'Union est la première puissance commerciale du monde. Son PNB a atteint en décembre 1995, 6 448 billions d'Écus (face aux 5 408 billions d'Écus aux États-Unis et 3 882 billions d'Écus au Japon).
Il est évident que ce vaste marché unifié et renforcé depuis le traité de Rome, a permis à nos différents secteurs économiques (agriculture, industries et services de se moderniser et de mieux affronter la concurrence internationale. Cela doit continuer.
Quant à la monnaie unique, c'est le corollaire indispensable du Marché Commun. Elle est seule capable de faire le poids face aux deux autres monnaies mondiales : le dollar et le yen.
En matière sociale, la concurrence mondiale oblige les européenne à agir ensemble.
Seul, notre poids peut imposer la fameuse « clause sociale » dans les contrats avec les PVD et faire évoluer ces derniers vers un modèle de salariats et de protection sociale comparable au nôtre.
Si nous arrivons à créer l'Europe sociale entre les quinze, nous créons, de ce fait, un vaste marché soumis aux mêmes contraintes. Or aujourd'hui la majorité de nos échanges se font entre pays membres de l'Union Européenne. Ces deux constatations combinées peuvent nous donner une forte capacité de résistance face à la concurrence mondiale.
Une politique de protection de notre espace économique et social européen ne peut être écartée. Le libre-échange à l'échelle mondiale est sans doute souhaitable, mais mortel si les règles du jeu ne sont pas les mêmes dans les différentes parties du monde.
Mais cette protection ne peut être négociée et appliquée que par l'Union Européenne tout entière. La France isolée n'a pas le poids suffisant pour le faire.
De façon générale, tous les grands enjeux économiques et sociaux, toutes les grandes transformations de la société (la contestation de la croissance pour la croissance, la contestation du travail valeur suprême de la vie humaine, le partage du travail, l'émergence de nouvelles activités …) tout cela ne peut s'imposer que si l'Europe tout entière y met son poids.
Le Service Public
En matière de politique étrangère et de sécurité, là encore l'Europe est le meilleur instrument dont nous disposons pour obtenir l'essentiel de ce à quoi nous tenons.
La PESC est encore embryonnaire et les Etats résistent et craignent de la renforcer. C'est un des enjeux de la CIG de 1996. Mais la lucidité oblige à dire que si la PESC reste ce qu'elle est aujourd'hui, on reverra le scénario yougoslave : les européens impuissants, et les américains arbitres.
Dans le domaine de la culture, c'est ensemble que les européens peuvent défendre leurs identités et leur identité :
D'abord les différentes cultures et langues qui composent la mosaïque culturelle européenne.
Au-delà, les valeurs humanistes qui sont nées en Europe et dont nous sommes les héritiers (pas toujours fidèles malheureusement …).
Nous voulons mettre en place une Europe de la Politique Etrangère et de la Défense.
C'est pourquoi, il faut avancer à un pas raisonnable vers un objectif fédéral : une politique étrangère commune où toutes les décisions sont prises à la majorité qualifiée par le Conseil et coordonnées par la Commission entre les États. Pour ce faire, l'Europe doit songer à se doter d'un représentant pour sa politique étrangère qui serait membre de la Commission.
Le Conseil doit également devenir l'instance politique qui décide de la politique de défense européenne, dans les mêmes conditions. L'UEO pourrait fusionner avec l'UE et le corps européen devenir l'armée européenne, où fusionnent une partie des différentes armées nationales, et qui passerait sous l'autorité du Conseil Européen.
Ce pilier européen de défense doit être articulé dans la complémentarité avec l'OTAN. Il devrait à terme devenir le pilier européen et central de l'Alliance.
Le couple franco-allemand doit montrer l'exemple et imprimer la dynamique en rapprochant de façon significative les deux diplomaties et les deux années.
Conclusion
La fin de ce siècle connaît de formidables bouleversements parmi lesquels les phénomènes de mondialisation.
Ceci nécessite de notre part de bons diagnostics et de bonnes capacités d'adaptation.
Ceci exige aussi, et plus que jamais, un renforcement de l'Europe.