Interviews de M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale de l'enseignement supérieur et de la recherche, à TF1 le 20 mars 1996, dans "Le Monde" du 23 et à RMC le 28 mars 1996, sur la lutte contre la violence à l'école et la réforme de l'enseignement supérieur.

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Texte intégral

Date : mercredi 20 mars 1996
Source : TF1/Édition du soir

J.-C. Narcy : C'est le retour du lycée caserne ?

F. Bayrou : Ce n'est pas la caserne, mais le retour à la discipline et à l'obéissance. C'est absolument indispensable. Pourquoi se cacher derrière son petit doigt ? Pourquoi faire semblant de croire que le laxisme, laisser aller les choses, cela peut encore durer ? Ça ne peut pas durer, et je vais vous dire pourquoi : ça ne peut pas durer parce que ce sont les élèves les plus fragiles qui sont les victimes. Les enseignants les plus fragiles sont attaqués. En réalité, on crée une très grande injustice. Alors, cessons de faire de l'idéalisme idéologique, comme on en a fait pendant des années. Acceptons de regarder avec les enseignants, avec les parents d'élèves et avec les élèves qui ont de l'école une vision généreuse les règles qu'il convient de suivre pour que ce soit un univers en sécurité.

J.-C. Narcy : Beaucoup plus de discipline, donc ?

F. Bayrou : Plus de discipline et plus de participation des élèves. Une des mesures qui me paraît très importante c'est celle qui fait désormais dès le premier jour de la rentée que les élèves vont commencer par étudier le règlement intérieur ensemble avec leurs enseignants, qu'ils soient précisément informés de leurs droits, de leurs devoirs, de leurs obligations qu'entraîne la vie en société. Au fond, d'une certaine manière, c'est de l'éducation civique appliquée à l'école, c'est-à-dire à peu près ce qu'il faut pour que ceux des élèves qui sont accessibles à ce type de raisonnement, ceux qui souvent ignorent ce qu'il convient de faire ou de ne pas faire puissent au moins en avoir connaissance.

J.-C. Narcy : Les racines de la violence sont ailleurs. Il faudrait un plan parallèle ?

F. Bayrou : C'est un plan très vaste, parce que c'est le plan naturellement de toute la société française. Une des raisons pour lesquelles il faut essayer de parler de cela en pensant aux enseignants qui sont en première ligne - ceux qui sont dans les banlieues les plus difficiles ou les établissements à risques - c'est qu'en effet, ce n'est pas de leur faute. La violence ne vient pas de l'école. Elle ne vient pas de la cour de récréation. Elle a ses racines dans la société dans laquelle nous vivons, c'est-à-dire dans la crise économique, mais aussi la crise des liens familiaux, dans la crise des relations qui existent dans les cités. On a besoin de comprendre que l'école est en première ligne, mais elle n'est pas responsable de la violence.

J.-C. Narcy : Les classes sas ne seront-elles pas des classes dépotoirs ?

F. Bayrou : Au contraire. Les classes sas, c'est un mot de journaliste, ce n'est pas le terme que nous avons employé. Tous les enseignants le disent : il y a dans un certain nombre de collèges un très petit nombre d'élèves qui sont en situation de rejet complet de l'école, de son système, de l'enseignement, en situation de refus brutal de ce qu'on y apprend et de la manière dont on l'apprend. Alors, vous avez deux attitudes possibles : ou bien vous vous fermez les yeux, et vous continuez à dire qu'il n'y a aucune différence entre ces élèves et les autres, et c'est une manière de les perdre. Si vous ne vous en occupez pas avec des méthodes particulières, ils ne réintègrent jamais le peloton. Ils sont perdus. Ils créent des situations, des incidents de violence que nous connaissons bien. La bonne démarche, me semble-t-il, est extrêmement difficile : c'est d'essayer de trouver pour cela des moyens de les réconcilier avec la connaissance, avec l'apprentissage, avec l'école ou la préparation d'une carrière professionnelle. Ça demande des pédagogies particulières Ces pédagogies peuvent très difficilement être trouvées dans le cadre des établissements scolaires comme ils sont. Tous les enseignants vous Je diront : ils sont en situation sans réponse possible, de désespoir presque devant des élèves qui ne veulent plus rien entendre. Alors, il faut leur proposer autre chose. C'est pourquoi il y a cette idée de classe différente pour des élèves différents, avec l'idée qu'on va les ramener vers le système scolaire ou la formation professionnelle normale quand ils seront apaisés.

 

Date : 23 mars 1996
Source : Le Monde

Le Monde : Après l'avertissement formulé en conseil des ministres à propos de la violence à l'école, votre entretien avec Jacques Chirac, jeudi 21 mars, a-t-il permis de clarifier vos positions respectives ?

François Bayrou : Le ministre de l'éducation nationale ne peut pas conduire d'action de réforme sans le soutien du chef de l'État. Une opération politique a tenté de faire croire en l'existence d'un antagonisme quelconque, alors qu'il n'existe aucune zone d'ombre entre nous.

Le Monde : L'intervention du chef de l'État succède à une série de prises de positions tranchées sur le référendum, les rythmes scolaires, l'urgence de la réforme, comme ce fut le cas récemment dans le Doubs...

François Bayrou : Depuis le premier jour, Jacques Chirac a souhaité que son septennat soit marqué par une action forte en matière d'éducation. C'est un soutien formidable quand on conduit, comme ministre, une réforme continue et en profondeur. Il y a longtemps qu'un Président de la République ne s'est pas engagé de cette manière sur les sujets d'éducation.

Le Monde : Le Président de la République a pourtant bien manifesté quelque impatience...

François Bayrou : Il dit aujourd'hui publiquement le soutien qu'il m'apporte sur la méthode que je suis. L'idée de réforme provoque chez tous les acteurs un sentiment d'urgence. Si l'on veut qu'elle ait une chance de réussite, il est nécessaire de la conduire avec patience. Cette gestion du temps est une dimension essentielle du succès. Elle permet l'association de tous les acteurs de terrain et entraîne leur participation.

Le Monde : La crise universitaire de l'automne a-t-elle modifié votre réflexion sur la réforme de l'enseignement supérieur et la conduite des états généraux ?

François Bayrou : Elle a renforcé ma détermination. Une nouvelle fois, la société a eu l'impression que l'université était un corps bloqué, sans perspectives, que tout progrès y était impossible. Il est donc capital qu'enfin nous sachions détromper ce pessimisme, qu'une réforme acceptée sache faire parler des réussites de l'université, pas seulement de ses difficultés et de ses échecs.

Le Monde : C'est aussi votre sentiment après la centaine d'entretiens que vous avez conduits en février et mars pour la préparation des états généraux ?

François Bayrou : Le socle du changement existe. Dans le kaléidoscope des opinions, de droite et de gauche, les esprits sont plus proches qu'on ne l'imagine. Personne ne soutient l'idée qu'il faut rien changer. Tout le monde s'accorde à reconnaître que les taux d'échecs sont insupportables. Cet accord large me rend optimiste. En revanche, j'ai aussi vérifié quelle est la profondeur du scepticisme sur la « faisabilité » concrète du changement. Toute ma mission sera de vaincre ce scepticisme.

Le Monde : Pour conduire les États généraux, vous comptez sur l'appui des présidents d'université. Est-ce suffisant pour mener le débat « jusque dans les amphis », comme vous l'avez annoncé ?

François Bayrou : Les présidents ne seront pas seuls, avec les associations, les syndicats, les mutuelles, les élus universitaires. Pour conduire le changement en dehors des périodes de crise, il faut des interlocuteurs légitimes. Qui, dans les établissements, a plus de légitimité que les présidents élus ? Je présente aujourd'hui le même cahier des charges de ce débat en formulant les dix principales questions, celles que se posent les Français, les universitaires, les gestionnaires. Elles touchent à tous les secteurs des missions et de la vie de l'enseignement supérieur.

Le Monde : Allez-vous aborder les questions sensibles, telles que la sélection et la loi Savary de 1984 ?

François Bayrou : Je n'ai aucun doute sur le fait que certains vont s'employer à faire ressortir la question de la sélection. Il faudra bien trancher sur le fond. Ceux qui rêvent d'une université dont on refermerait les portes font, à mes yeux, une erreur sociale très grave. Ils ignorent à la fois l'attente de la majorité des jeunes et l'exigence de formation d'un pays développé. Aux yeux du gouvernement, la vraie question est celle de l'orientation. Quant à la loi Savary, rien n'est tabou. J'ai même l'impression que bien des évolutions sont possibles à partir de la loi existante. Mais si la conclusion des États-généraux était qu'il faut la changer, rien n'est fermé.

Le Monde : Le premier ministre vous a assigné des priorités : le statut de l'étudiant, la filière technologique, les premiers cycles. Ces questions bénéficieront-elles d'une attention particulière ?

François Bayrou : Évidemment oui. Ce sont les urgences que nous avons définies. Mais tous les problèmes se tiennent. Il faudra aussi que nous répondions au problème du calendrier d'application. Une réforme de l'ampleur de celle que nous engageons prend forcément plusieurs années pour se mettre en place.

Le Monde : Envisagez-vous un grand débat national après les discussions dans les universités ?

François Bayrou : Lorsque la réflexion se sera développée dans les établissements - j'estime qu'il faut pour cela au moins un bon mois -, je disposerai des réponses des établissements. J'associerai à ce débat le Parlement, le Conseil économique et social, l'institut. II faudra ensuite conclure. Je souhaite que nous écrivions, noir sur blanc, les principes qui orienteront nos réponses techniques, qu'il n'y ait aucune ambiguïté possible sur les choix que la nation adopte pour l'organisation, les missions et les moyens de son enseignement supérieur. Le temps des décisions, du calendrier et de la programmation pourra intervenir ensuite, avant la fin de l'année universitaire.

Le Monde : La loi de programmation est-elle toujours d'actualité ?

François Bayrou : Elle a été promise par le Premier ministre. Et elle est de bon sens. Une réforme comme celle-là ne peut que s'étaler dans le temps. Il faut donc la programmer pour se donner des rendez-vous précis et vérifier l'entrée dans la réalité des changements annoncés. C'est aussi la seule manière d'apporter des réponses concrètes en un temps de forte contrainte budgétaire.

Le Monde : Comment comptez-vous intégrer le rapport de la commission Fauroux qui sera publié à la mi-juin ?

François Bayrou : Je l'ai déjà dit et je le répète : cette commission est un des acteurs de ce débat. Elle formulera des propositions qui nourriront le débat. Mais elle n'engage pas a priori les choix du gouvernement.


Date : jeudi 28 mars 1996
Source : RMC/Édition du matin

P. Lapousterle : Le gouvernement vient de décider de faire de la Corse et de ses deux départements, une zone franche pour y relancer l'économie. Mesure exceptionnelle et irréversible. N'est-ce pas une petite entorse à l'unité, à l'égalité des citoyens dans la République ? N'y-a-t-il pas un petit risque ?

F. Bayrou : Vous voyez bien ce que le Premier ministre cherche. Il cherche à apporter à la Corse le développement économique en même temps qu'on cherchera à y rétablir l'ordre et la paix. Je crois que les deux doivent aller ensemble. C'est un effort majeur, exceptionnel. C'est un signe de ce que le gouvernement souhaite à la fois : la paix et une économie saine et prospère.

P. Lapousterle : J. CHIRAC a manifesté des impatiences devant la nécessité d'aller assez vite dans les réformes de l’enseignement général et supérieur surtout. Cela est aussi partagé par l'ensemble des Français.

F. Bayrou : Et par le ministre de l'éducation nationale.

P. Lapousterle : Quelles solutions comptez-vous apporter autour de l'échec insupportable des étudiants dans les universités françaises ? Y-a-t-il une solution quand vous refusez la sélection ?

F. Bayrou : La sélection c'est pour accroître l'échec et non pas pour le réduire. La sélection ferme encore plus les portes. Il me semble que le problème n'est pas qu'il y ait trop d'étudiants, mais qu'il y ait trop d'étudiants qui ne sont pas à leur place, il y a trop d'étudiants qui échouent, qui rencontrent des problèmes. Il me semble que la bonne réponse c'est au contraire celle qui permet d'offrir à chaque étudiant, à sa famille, à ses proches, à ceux qui le conseillent, à ses maîtres, de lui offrir les moyens de savoir où il n'échouera pas, où il ne perdra pas son temps. Jusqu'à maintenant, ces informations n'étaient pas disponibles. Vous savez bien quelles sont les vagues annuelles, les modes annuelles : la sociologie une année, la psychologie l'année suivant, l'histoire et la géographie ou l'éducation physique, qui font que, parce qu'ils n'ont pas les éléments du choix, les étudiants se dirigent, de manière erratique, vers telle ou telle filière sans beaucoup d'avenir. Nous avons déjà commencé cette année, puisque pour la première fois tous les lycéens des terminales et ce sera bientôt le cas de ceux de seconde et de première, ont reçu un dossier leur disant : « Avec la filière que vous avez suivie, voilà quelles sont vos chances et voilà quels sont vos risques ». C'est un premier pas, très important, puisqu'on a distribué 800 000 dossiers, le premier pas très important d'une nouvelle politique qui est celle de l'orientation. Un pays comme le nôtre, dans la compétition internationale, ne peut pas fermer les portes de son université en disant : « Nous voulons moins d'étudiants ». Tous les pays au monde font un très gros effort pour en avoir un très grand nombre à de très rares exceptions près. Notre effort doit être que les études soient utiles, que les étudiants n'y perdent pas leur temps. Le premier effort c'est donc l'orientation et le deuxième effort c'est une réflexion pédagogique sur ce que sont les premiers cycles, ce qu’ils apportent aux jeunes et la manière dont les étudiants peuvent rencontrer la transition entre le lycée et l'université.

P. Lapousterle : Ce que vous dites, c'est un problème que tout le monde se pose depuis 25 ans et sans succès !

F. Bayrou : Il y a 25 ans qu'en effet on n'ose pas affronter les problèmes de l'université et de l'enseignement supérieur. Non pas que rien n'ait été fait - les établissements se sont adaptés - mais en réalité, du point de vue des structures et de l'organisation, rien n'a été fait. Pourquoi ? Parce que c'est le milieu le plus réactif qu'on puisse rencontrer. Chaque fois qu'une réforme est proposée par les ministres successifs depuis 25 ans, chaque fois cette réforme provoque des réactions et naturellement on abandonne cette réforme. Cette année, pour la première fois, nous allons essayer une méthode nouvelle qui consiste à demander aux acteurs eux-mêmes, d'être partie-prenante de cette réforme. J'ai reçu plus de cent organisations, toutes celles qui existent dans l'enseignement supérieur. J'ai établi un cahier des charges, j'ai posé les dix questions majeures et la question de l'échec étant la première. Les dix questions majeures qui se posent à propos de l'enseignement supérieur. Nous allons maintenant faire descendre la réflexion sur le terrain, dans les universités, dans les écoles, de façon à ce que chacun puisse mesurer la dimension du défi qu'il a en face de lui. Ainsi, j'ai bon espoir que pour la première fois, depuis 25 ans, une réforme de grande ampleur soit acceptée.

P. Lapousterle : La promesse de J. CHIRAC du statut de l'étudiant c'est pour quand ?

F. Bayrou : En même temps, c'est-à-dire avant la fin du mois de juin.

P. Lapousterle : Élection du président de l'UDF dimanche. Le candidat que vous soutenez sera-t-il élu au premier tour et bien élu ?

F. Bayrou : Les pronostics sur les victoires assurées avant que les matchs n'aient eu lieu ce n'est pas mon genre. Je dis seulement que Force démocrate et le PR, les deux forces majeures qui font l'UDF, sur le terrain, qui sont les militants de l'UDF, sont d'accord autour d'une candidature et d'un principe de réforme de cette UDF. Je crois que cela devrait convaincre la majorité des militants et c'est ce à quoi je travaille.

P. Lapousterle : Qu'avez pensé du sondage IPSOS qui dit que « les sympathisants de l'UDF préfèrent MADELIN à LÉOTARD - ce qui est le cas de l'ensemble des Français - car ils avaient le sentiment que l'imagination, l'énergie et la nouveauté sont du côté de MADELIN dans cette affaire contre la coalition que vous représentez avec LÉOTARD, les poids lourds de la politique ?

F. Bayrou : C'est une vision médiatique des choses.

P. Lapousterle : C'est un sondage...

F. Bayrou : Je signale que le résultat était très équilibré : 38 contre quarante environ. Dans une association, ce qui est important c'est que ceux qui en sont membres s'expriment. L'UDF a voté dans tous les départements français, les délégués de l'UDF voteront en congrès de Lyon. Nous verrons bien alors si ce sont les sondages qui font une décision. Pour ma part je ne le crois pas. Comme on l'a vu dans toutes les échéances politiques récentes en France et ailleurs.

P. Lapousterle : Et quand le Président sortant GISCARD, en coup de griffe, dit que « la division et la nomination des partis est le lot de l'UDF » ?

F. Bayrou : Je n'ai aucune polémique avec V. GISCARD D'ESTAING. Il est président de l'UDF, j'ai été secrétaire général de l'UDF auprès de lui, je n'ai que des liens d'amitié avec lui et je refuse d'entrer dans les polémiques.

P. Lapousterle : Qui peut croire que F. BAYROU et F. LÉOTARD, adversaires de toujours, deviennent d'un coup des alliés indéfectibles ?

F. Bayrou : Adversaires de toujours...

P. Lapousterle : Concurrents...

F. Bayrou : Je n'ai jamais eu aucune concurrence avec LÉOTARD. Les choix que nous avons faits au travers du temps sont les mêmes. Nos idées politiques sont très proches. Il est candidat et je le soutiens. Nous n'avons aucune compétition prévisible à l'horizon et il n'y a pas plus de concurrence entre nous qu'entre A. JUPPÉ, P. SEGUIN, N. SARKOZY ou bien L. FABIUS et M. AUBRY. Une force politique a besoin de responsables, d'animateurs, qui soient autant que possible forts et qui s'entendent. Nous essayons de construire une famille politique et des courants forts et nous nous entendons. Et nous nous entendons aujourd'hui et nous nous entendrons demain.