Interview de M. Dominique Perben, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, à France-Inter le 26 avril 1996, sur l'accord sur la titularisation des personnels auxiliaires et temporaires dans la fonction publique.

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Média : France Inter

Texte intégral

A. Ardisson : L'accord sur la titularisation semble être abouti : va-t-il être signé ?

D. Perben : On ne sait pas : l'usage veut que lorsque nous négocions avec les organisations syndicales de fonctionnaires, on travaille, on essaye de se mettre d'accord sur un texte et ensuite on donne une dizaine de jours à chaque organisation pour se retrouver et pour prendre la décision. Ce que je puis simplement dire, c'est que nous avons beaucoup travaillé toute la journée d'hier : la négociation a commencé à 9 h 30 du matin, on a fini à 20 h 30, pratiquement sans interruption, on a vraiment négocié. Je crois que le premier enseignement de cette journée est peut-être qu'il y a une volonté générale des sept organisations syndicales et du Gouvernement pour travailler ensemble, pour rechercher un accord et pour essayer de signer des accords. C'est le dialogue social.

A. Ardisson : Cet accord porte sur la titularisation de 30 000 auxiliaires et personnels temporaires ?

D. Perben : Ce qui est bizarre, je pense pour beaucoup d'observateurs, c'est que la fonction publique est faite de fonctionnaires mais aussi de gens qui sont payés dans de conditions parfois un peu bizarres et qui ne sont pas dans la fonction publique. Donc, ce sont des personnes qui souvent sont dans une situation précaire comme on dit, dans une grande incertitude quant à leur avenir et donc, il y avait depuis longtemps une forte pression du personnel et donc des syndicats pour régler les cas les plus anormaux. C'était le but de cette négociation que nous avons engagée au mois de janvier, après le sommet social de décembre à Matignon. Nous avons d'abord fait le recensement des différents cas et ensuite, nous avons mis au point, avec les syndicats, des processus pour faire rentrer ces personnes progressivement dans la fonction publique.

A. Ardisson : Est-ce que ça veut dire que tous les vacataires actuels vont trouver leur place de fonctionnaire ?

D. Perben : Je ne veux pas rentrer dans les détails. Pas tous, non, parce qu'il faut un minimum de présence sur des postes de travail depuis une durée minimum. Ça a été un des points Je discussions. Il faut avoir travaillé pendant au moins quatre ans au cours des huit dernières années. Voilà un peu la clef du dispositif. Mais ça devrait régler le problème d'environ 30 000 personnes qui verront leur situation se stabiliser. C'est un effort social significatif.

A. Ardisson : Mais comment allez-vous les reclasser ? Parce que, d'un autre côté, Bercy fait une pression formidable pour qu'on diminue le nombre des fonctionnaires. Et vous voulez en recruter 30 000 ?

D. Perben : Ce n'est pas un recrutement parce qu'ils sont payés aujourd'hui. C'est ce qu'il faut que les auditeurs comprennent bien. C'est à masse financière constante. Autrement, je n’aurais sans doute pas eu le feu vert pour mener cette négociation. Aujourd'hui, ils sont payés par des crédits d'État, des crédits un peu divers et ils vont être payés demain par l'administration.

A. Ardisson : Mais sur des emplois vacants, sur des départs en retraite ?

R : Ah non, sur des transformations de crédits qui aujourd'hui servent à autre chose théoriquement et qui, en fait, servent à payer des « fonctionnaires », et qui vont devenir des crédits pour des emplois. Donc ce qui est très important à retenir, c'est que ça se fait à masse financière constante et pas par augmentation de la masse salariale.

A. Ardisson : On a connu des plans de réduction de l'auxiliariat et il y a toujours le risque qu'on recrute des gens qui n'ont pas forcément le niveau ou les qualités nécessaires, s'agissant notamment des enseignants. Souvent, on dit que c'est des recrutements de nuls, c'est peut-être un peu dur.

D. Perben : Oui, c'est un peu dur. C'est la raison pour laquelle nous avons eu de longues discussions sur les modalités et j'ai fait accepter par mes partenaires que cela se fasse par concours. Des concours spécifiques bien sûr, c'est-à-dire qu'il n'y a pas d'intégration sur des listes comme cela avait pu se faire dans le passé. J'ai tenu que par respect pour celles et ceux qui rentrent dans la fonction publique par des concours difficiles, je pense qu'il fallait maintenir un minimum d'exigence en terme de qualité et donc l'intégration se fera par concours adapté aux populations concernées.

A. Ardisson : Ces plans de résorption reviennent régulièrement ?

D. Perben : Tout à fait, c'est d'ailleurs une des choses que j'ai un peu découvertes en arrivant à ce poste ministériel et donc nous avons discuté avec les organisations syndicales - ça a d'ailleurs été un point très long de discussion hier. Ce sont les moyens d'éviter que cela recommence. Ce n'est pas la peine que mon successeur dans une dizaine d'années et les syndicats soient obligés de recommencer. Nous avons prévu un certain nombre de verrous, soit à travers des mesures liées à la comptabilité publique, soit à travers des mécanismes de surveillance par les comités techniques paritaires par exemples, des recrutements de non-titulaires par les directions du personnel. Des verrous donc pour éviter que cela ne recommence, parce que, d'abord, ça n'est pas bon pour les personnes en question et ensuite, c'est une manière de contourner les autorisations données par le Parlement en terme de création d'emploi.

A. Ardisson : Vous allez pouvoir réduire le nombre de fonctionnaires comme le demande Bercy ?

D. Perben : La négociation d'aujourd'hui ne portait pas sur cet objet, c'était pour régler un problème social. On le fait à masse constante et je pense que ça ne pose pas de difficultés. Nous allons suivre attentivement, évidemment, le débat d'orientation budgétaire qui va se dérouler au milieu du mois de mai, au cours duquel, je pense, cette question sera, entre autres, évoquée : celle du nombre de fonctionnaires. Ce que je voudrais simplement dire, pour fixer les chiffres, parce que je pense que l'opinion française ne connaît pas nécessairement ces ordres de grandeur, c'est qu'il y a 45 000 recrutements par an dont près de 30 000 dans l'éducation nationale et environ 3 000 dans la police. Donc, en dehors, c'est environ 14 000 personnes qui sont recrutées chaque année.

A. Ardisson : Ça fait quand même un salarié sur cinq !

D. Perben : Donc c'est sur cette masse qu'éventuellement il peut y avoir des variations en plus ou en moins.

A. Ardisson : Cette négociation a été ouverte car votre prédécesseur avait dit qu'on ne pouvait pas augmenter les fonctionnaires. On a parlé de « gel des salaires », un terme que n'aime pas le gouvernement.

D. Perben : Il n'est pas exact puisque les salaires payés à la fonction publique, cette année, auront augmenté de 3,5 %. En tout cas, pour l'employeur, il n'y a pas eu de gel des salaires.

A. Ardisson : Rien de changé clans ce domaine ?

D. Perben : J'ai dit franchement aux organisations syndicales, que je vois très régulièrement, presque tous les jours, au moins une d'entre elles, que l'année 1996 ne peut pas permettre d'envisager quoi que ce soit en terme d'évolution de l'indice. D'autant plus que, comme je le disais il y a un instant, en citant un chiffre, les accords Durafour et des mesures catégorielles ont permis d'augmenter la feuille de paye d'un très grand nombre, voire de la quasi-totalité des fonctionnaires. Je crois que 1996 se terminera comme elle a été engagée. Ce qui compte, maintenant, c'est que nous réfléchissions, avec les partenaires sociaux, sur les années 1997 et 1998. Et c'est sur ces deux années que je souhaite ouvrir des discussions quand nous y verrons un peu plus clair sur les perspectives économiques.

A. Ardisson : Dans un entretien au Point, A. Juppé dit sa volonté de poursuivre des réformes engagées et en même temps une relative confiance. Sentez-vous un climat de paix sociale ?

D. Perben : Incontestablement, depuis décembre, l'ambiance a changé. Il y a certes des positions assez fermes de la part des partenaires sociaux, mais aussi une incontestable volonté de dialoguer et de signer des accords. Si l'accord sur l'emploi précaire dont nous parlions est effectivement signé par la plupart des organisations syndicales, ce sera le deuxième accord général dans la fonction publique que j'aurais signé depuis le début de l'année. Puisque nous avons abouti à un accord sur la formation professionnelle en février, qui a été signé par 6 organisations sur 7, sauf la CGT. Sur l'emploi précaire, je souhaite que l'on arrive à un résultat analogue. Ça veut dire qu'il y a une volonté de dialogue et une volonté de progresser par la voie contractuelle, ce qui me paraît très intéressant, et c'est aussi le souhait du gouvernement. Je crois que nous l'avons montré en menant une vraie négociation où chacun fait des concessions.