Déclaration de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, interviews à Radio France internationale et à Europe 1 et conférence de presse conjointe avec M. Charles Millon, ministre de la défense, sur le rôle de l'UEO dans la politique de défense européenne, Birmingham le 7 mai 1996.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Session ministérielle de l'UEO à Birmingham (Grande-Bretagne) le 7 mai 1996

Média : Radio France Internationale - Europe 1

Texte intégral

Intervention du ministre des affaires étrangères, M. Hervé de Charette (Birmingham, 7 mai 1996)

Les dispositifs au service des Européens pour la gestion des crises

Introduction française, éléments d'intervention

La question dont nous devrions débattre est de savoir quels sont les instruments dont les Européens devraient disposer dans les meilleurs délais pour intervenir efficacement en cas de crise avec des moyens militaires.

I. - L'UEO a des capacités encore insuffisantes pour intervenir dans le domaine de la gestion des crises.

La crise yougoslave a fourni la preuve que les Européens n'étaient pas encore en mesure d'intervenir de manière solidaire, cohérente et efficace.

Face à cette situation, notre objectif doit être que la politique étrangère de l'Europe soit celle d'une puissance respectée, capable d'agir militairement si elle le souhaite. La gestion des crises dans un cadre européen doit donc être l'une des priorités d'une politique européenne de défense commune.

Mais la gestion des crises est quelque chose de complexe. Elle suppose en fait la réunion de plusieurs conditions :

– une volonté politique commune s'appuyant sur une organisation dotée d'une forte légitimité politique ;
– la combinaison d'actions de nature diverse action militaire, moyens civils, aide humanitaire ;
– des ressources financières aisément mobilisables par des procédures simples.

Pour que les Européens puissent agir efficacement dans la gestion d'une crise, ils doivent donc s'appuyer sur l'Union européenne qui seule dispose des moyens nécessaires.

Dans le domaine plus proprement militaire, reconnaissons à l'UEO un atout majeur : c'est une instance politico-militaire ; elle a été structurée, au moment de sa réactivation, pour répondre précisément aux contraintes de la gestion des crises (Déclaration de Petersberg et décisions prises à la suite)

Mais cette instance manque encore de moyens. Ce qui fait le plus défaut à l'UEO :

– une politique et des capacités de renseignement ;
– des capacités de projection de forces ;
– un arrangement permanent avec l'OTAN pour l'utilisation des moyens et capacités de l'Alliance ;
– une liaison efficace avec l'Union européenne lorsque celle-ci, sur la base de l'article J4, s'adresse à l'UEO et lui demande de mettre en oeuvre une décision qui implique le recours à des moyens militaires ; 
– l'assurance que les différentes forces multinationales peuvent être utilisées ensemble de manière cohérente.

II. - D'où quelques propositions de recommandations qui pourraient contribuer à renforcer les moyens des Européens en matière de gestion des crises :

1. Améliorer l'articulation entre l'UEO et l'Union européenne. Il revient naturellement à la CIG d'en décider. Mais un certain nombre de points apparaissent d'ores et déjà clairement :

Reconnaître aux observateurs membres de l'Union une capacité accrue de participer aux opérations de Petersberg. Des procédures de type « opting out » et « opting in » pourraient être envisagées :

– « opting out » : un mécanisme d'abstention constructive permettrait à un État membre de l'Union qui ne souhaiterait pas s'engager dans la mise en oeuvre d'une décision de l'Union, notamment dans ses aspects militaires, de s'abstenir, sans bloquer l'adoption de la décision à l'Union ; 
– « opting in » : en sens inverse, un État membre de l'Union observateur à l'UEO qui soutiendrait la décision de l'Union et proposerait des forces dans le cadre de sa mise en oeuvre à l'UEO, prendrait part aux décisions de l'UEO sur la même base que les membres de plein droit de cette organisation.

Cette disposition rapprocherait les observateurs du statut des membres associés alliés et des associés partenaires d'Europe centrale et balte. Pour être opérationnelle dans la gestion des crises, l'UEO doit en effet disposer d'arrangements institutionnels simples. Désigner un Haut représentant de la PESC qui puisse participer aux réunions de l'UEO correspondant à des missions de l'Union. Cette proposition permettrait de renforcer la coopération entre l'Union européenne et l'UEO et donnerait plus de cohérence à l'action européenne dans la gestion des crises.

Mettre en place à l'Union européenne une Cellule de prévision et d'analyse. Les États membres, la Commission et le secrétariat de l'UEO devraient mettre à la disposition de cette cellule, rattachée au secrétariat du Conseil, les moyens appropriés.

Élaborer des procédures de financement des opérations au-delà des dispositions transitoires adoptées à Lisbonne il y a un an.

2. En dehors de la CIG il conviendrait que l'UEO progresse de son côté, ce qui signifie :

– doter en priorité l'UEO des instruments politico-militaires de décision, de commandement et d'intervention dans le domaine de la gestion des crises et arrêter un calendrier prévoyant la mise en oeuvre de telles mesures au cours des prochaines années ; 
– mettre au point un arrangement permanent de mise à disposition des moyens et capacités de l'Alliance au profit de l'UEO ; 
– étudier les moyens de mettre en cohérence les forces multinationales qui ont vocation à intervenir pour des missions de gestion des crises.


Entretien du ministre des affaires étrangères, M. Hervé de Charette, avec « RFI » et « Europe 1 » (Birmingham, 7 mai 1996)

Q. : Peut-on dire qu'aujourd'hui la France ne compte pas trop sur l'UEO ?

R. : Je crois qu'on ne peut pas dire cela. Il faut regarder comment sont les structures de défense dans lesquelles nous sommes impliqués aujourd'hui. Il y a d'abord l'Alliance atlantique. Elle reste naturellement un élément très important de la sécurité européenne, puisque c'est le lieu où sont associés à la fois les Américains et les pays européens concernés par leur propre sécurité en Europe.

L'Alliance atlantique doit être profondément rénovée pour une raison très simple d'ailleurs, c'est que notre environnement de sécurité a changé depuis la disparition de l'URSS qui constituait une menace très forte à notre porte et qui était ressentie comme telle. Donc, l'Alliance atlantique, si elle doit être utile demain, doit s'organiser pour autre chose. Dans cette autre chose, nous demandons que soit prise en considération l'identité européenne de défense, c'est-à-dire qu'il y ait la possibilité pour l'Alliance atlantique de décider d'une intervention militaire qui serait le fruit d'une volonté des Européens, sans participation américaine. On aurait d'ailleurs pu l'imaginer au moment de la crise yougoslave. Cela n'a pas été le cas parce qu'il n'y avait pas d'organisation, il n'y avait pas de volonté politique. Chacun y est allé de son côté mais c'eût été très souhaitable.

Q. : Est-ce dans ce cadre-là que l'UEO pourrait exister ?

R. : Alors, d'un autre côté, il y a l'Union européenne et au sein de l'Union européenne nous avons écrit dans le Traité de Maastricht que nous aurions à terme une politique européenne de défense. Alors, il faut essayer de concilier les deux. Comment cela marche ? Eh bien, cela marche aujourd'hui, me semble-t-il, grâce à l'UEO. C'est-à-dire que la volonté politique d'intervenir dans une zone de difficultés où nous voudrions une intervention militaire européenne, la décision politique et la volonté de le faire s'exprimeraient au sein de l'Union européenne, et que l'outil pour le faire, ce serait l'Union de l'Europe occidentale, qui utiliserait pour cela les moyens militaires de l'identité européenne de défense, c'est-à-dire de l'Alliance Atlantique, moyens européens séparés des moyens américains pour une intervention précise.

Q. : Alors, il y a des candidats à l'adhésion à l'Union de l'Europe occidentale, un certain nombre de pays de l'Europe de l'est. Comment voyez-vous l'élargissement de l'UEO, en parallèle à celui de l'OTAN ?

R. : Je crois que ce n'est pas la question déterminante. Vous savez, ce qui préoccupe le plus les pays d'Europe centrale et orientale, les anciens pays de l'Europe de l'est, en matière de sécurité, c'est d'entrer dans l'Alliance atlantique, c'est-à-dire d'avoir leur participation pleine et entière clans le saint des saints de la sécurité en Europe. Nous ne sommes pas contre. Nous sommes même favorables à cette idée. Simplement, il faut bien observer que nous avons d'autre part une attitude russe franchement hostile. Et qu'est-ce que disent les Russes ? Ils disent : nous ne sommes plus vos adversaires ; le système soviétique, c'était votre adversaire ; mais aujourd'hui, la Russie va progressivement vers la démocratie et l'économie de marché. Et pourquoi voudriez-vous organiser une structure militaire dans laquelle il y aurait la totalité de l'Europe contre nous ? Il faut donc prendre en considération - je crois que c'est l'intérêt de la France et l'intérêt de l'Europe - cette crainte russe d'être isolée dans une partie du continent, la partie orientale du continent, et ils nous disent, non sans raison, que cela pourrait créer des tensions inutiles entre nous.

Nous cherchons donc actuellement comment faire comprendre aux Russes que le fait de faire entrer la Pologne, la République tchèque et les pays d'Europe centrale et orientale dans l'Alliance atlantique n'est pas dirigé contre eux et, en même temps, il nous faut imaginer les modalités pratiques qui rendront cela acceptable par les Russes tout en maintenant l'intention qui est la nôtre de répondre à l'aspiration très forte de ces pays d'Europe centrale à s'accrocher à l'ouest de l'Europe.

Q. : Mais quand l'identité européenne de défense sera un peu mieux structurée, quel sera l'avenir de l'UEO ? L'Union de l'Europe occidentale est-elle appelée à disparaître ?

R. : Probablement. En tout cas, c'est plutôt l'idée française. L'idée française, c'est qu'à terme, on aura l'Union européenne qui organisera ce qu'on appelle l'identité européenne de défense au sein de l'Alliance atlantique. Les forces unies seront organisées de telle sorte qu'on puisse détacher les éléments militaires proprement européens pour une intervention militaire que l'Europe aurait décidé toute seule, sans les États-Unis, ou à laquelle les Américains ne voudraient pas participer, ce qui peut revenir au même, et l'Union de l'Europe occidentale sera probablement appelée à terme à disparaître. Mais je dis à terme, parce qu'il y a des pays qui sont hostiles à cette évolution et en particulier la Grande-Bretagne. Donc, il n'est pas nécessaire de soulever des problèmes théologiques. Comme cela n'est pas utile, l'on verra demain. Pour aujourd'hui, ayons un objectif simple : rénover l'Alliance atlantique pour faire qu'au sein de cette Alliance, l'Europe puisse organiser ses forces militaires de façon non pas détachée, mais éventuellement détachable pour des opérations déterminées, et mettons tout cela à la disposition de l'Union de l'Europe occidentale, si l'Union européenne veut politiquement intervenir un jour quelque part.

Q. : Une petite question sur la Bosnie : le commissaire Van den Broeck a imaginé qu'après le départ des Américains de l'IFOR, les Européens pourraient rester sur place et assurer une sorte de transition sous commandement européen. Quel est votre point de vue ?

R. : Le Commissaire européen qui s'est aventuré sur ce sujet s'est aventuré dans un domaine qui n'est pas de sa compétence ni de près, ni de loin. La question de savoir comment on fera le jour venu, cela relève du Conseil de l'Alliance atlantique puisque c'est le Conseil de l'Alliance atlantique qui a pris les décisions. L'IFOR, je vous le rappelle, est un élément de l'Alliance atlantique avec, certes, des contributions extérieures à l'Alliance, mais un élément de l'Alliance atlantique. C'est donc le Conseil de l'Alliance qui décidera.

Mais je vais aller plus loin pour rappeler de façon très précise que la politique et la décision françaises sont très claires : nous sommes arrivés avec les Américains au sein de l'lFOR, nous repartirons tous ensemble au même rythme. Cette décision n'est pas pour aujourd'hui, elle se prendra à la fin de l'année quand nous approcherons du terme du mandat de l'IFOR, qui va jusqu'au 1er décembre 1996.


Conférence de presse conjointe du ministre des affaires étrangères, M. Hervé de Charette, et du ministre de la défense, M. Charles Millon (Birmingham, 7 mai 1996)

Mesdames et Messieurs, merci de vous rendre de façon quasi impromptue, si je comprends bien, à ce point de presse que Charles Millon et moi nous faisons à mi-route de cette session ministérielle de Birmingham. Je voudrais commencer par saluer la réussite de cette session, remercier les autorités britanniques en particulier Malcom Rifkind et Michael Portillot pour l'excellente organisation. Aussi pour une présidence britannique qui s'est, je crois aussi, bien passée.

Cette session ministérielle est somme toute assez importante pour l'UEO, dans un contexte marqué par trois événements déterminants pour l'évolution de l'identité européenne de sécurité et de défense. Ces trois éléments qui conditionnent en effet nos travaux sont l'ouverture de la conférence intergouvernementale de l'Union européenne, au sein de laquelle les questions d'identité européenne de défense tiendront certainement une part significative, les travaux en cours sur l'adaptation des structures de l'Alliance Atlantique, la rénovation de l'Alliance, et enfin tout ce qui concerne les perspectives d'élargissement des institutions européennes et de l'Alliance Atlantique.

Je voudrais naturellement démentir ceux qui croiraient que la France, parce qu'elle se rapproche de l'OTAN, aurait abandonné la perspective d'un développement et d'un approfondissement de l'UEO, et s'éloignerait du projet que l'Europe puisse disposer à l'avenir, grâce à l'UEO, de capacités militaires efficaces. Bien au contraire, nous voulons que la politique étrangère de l'Europe soit celle d'une politique de puissance, respectée et capable d'agir militairement si cela est nécessaire. De ce point de vue, l'Union de l'Europe Occidentale a, de toute évidence, un rôle charnière à jouer comme composante de défense de l'Union européenne et comme moyens de renforcer le pilier européen de l'Alliance.

De ce point de vue, l'UEO doit et peut exploiter une double opportunité qui s'offre aujourd'hui à elle. La première vient de la rénovation en cours de l'Alliance Atlantique. Nous serons évidemment extrêmement attentifs à ce qui sera fait dans ce domaine ; nous avons marqué notre disponibilité à l'occasion des décisions que nous avons présentées au Conseil Atlantique le 5 décembre dernier, la disponibilité entière de la France pour participer pleinement à une Alliance atlantique rénovée à la condition naturellement qu'elle le soit et qu'elle le soit vraiment, c'est-à-dire que s'exprime en son sein l'identité européenne de défense.

Il y a là pour l'Union de l'Europe Occidentale des perspectives tout à fait importantes. La seconde opportunité vient de ce que l'Union européenne elle-même, par les hasards du calendrier, se trouve en réflexion au sein de la Conférence intergouvernementale qui devrait, me semble-t-il, et c'est l'impression que je retire de façon très sensible à l'issue des travaux de ce matin, qui devrait disais-je confirmer le rôle que l'UEO peut avoir comme moyen d'action de l'Union européenne dans le domaine de la sécurité et de la défense.

La présidence britannique a eu l'excellente idée de nous faire réfléchir et travailler ce matin sur une question intéressante et importante, et relier à ces travaux et à ces réflexions que j'évoquais devant vous, notre capacité à gérer les crises. La crise yougoslave a en effet montré combien dans ce domaine l'Europe avait de progrès à faire, c'est le moins que l'on puisse dire. Nous avons donc constaté que pour faire face à des crises de ce type qui peuvent surgir à l'avenir, il fallait que soient réunies plusieurs conditions. D'abord, il faut qu'il y ait une volonté politique commune, sinon ce n'est pas la peine de parler de gestion des crises. Nous continuerons à faire chacun à son idée. Mais il faut aussi la combinaison d'actions de nature diverse : actions militaires, actions civiles d'accompagnement, actions humanitaires, tout à fait d'ailleurs ce que vous pouvez observer dans la crise yougoslave, et troisièmement, il faut que des ressources financières soient mobilisables dans un délai assez rapide, selon des mécanismes prévus à l'avance, permettant effectivement de rendre efficace le dispositif. Il est clair que pour cela, il faut que les Européens s'appuient sur l'Union européenne. C'est elle qui peut fournir la volonté politique et les moyens financiers. Mais, dans le domaine proprement militaire, l'UEO présente un atout majeur, c'est une instance politico-militaire, structurée pour répondre précisément à la gestion des crises, notamment aux missions dites de Petersberg. Il est vrai que cette instance manque encore de moyens.

Ce qui fait défaut à l'UEO, ce sont des capacités de renseignement, de projection des forces, un arrangement permanent avec l'OTAN, qui lui permette d'utiliser les moyens et les capacités de l'Alliance, l'assurance que les différentes forces multinationales pourront être utilisé ensemble de manière cohérente. C'est donc à cela qu'il faut faire face. En d'autres termes, la position de la France vis-à-vis de l'UEO peut se résumer par la formule suivante : ni statu quo, ni fusion immédiate. Bien sûr qu'à terme, l'UEO devra se fondre dans l'Union européenne, c'est en tout cas l'idée que nous en avons mais nous n'en sommes pas là, et il faut faire progresser les choses pas à pas pour rendre l'UEO utile, efficace, comme moyens d'actions de l'Union européenne. Cela suppose que, au cours des présidences à venir, il y ait une continuité de nos travaux entrepris de très intéressante façon ici même à Birmingham. Je vous rappelle que les trois présidences à venir sont successivement la présidence belge, la présidence française et la présidence allemande, trois présidences qui je l'espère, et nous nous efforcerons d'y contribuer se coordonneront de façon à pleinement utiliser, ce moment extrêmement important, pour assurer ce progrès déterminant de nos structures de défense et de sécurité.

Dans cette perspective, la France travaillera dans deux directions. D'abord, faire en sorte que l'UEO se dote des instruments politico-militaires de décision, de commandement, et d'intervention, qu'ensuite elle dispose d'un arrangement permanent de mise à disposition des moyens et des capacités de l'Alliance, et qu'enfin l'on étudie les moyens de mettre en cohérence les forces multinationales qui auraient à intervenir. D'un autre côté, faire en sorte que, à l'occasion de la CIG, l'Union européenne s'organise de façon mieux structurée pour foire face notamment aux opérations de Petersberg, mais pas seulement, ce sera une partie des travaux qui ont d'ores et déjà commencé entre les quinze de l'Union européenne. Voilà les deux perspectives dans lesquelles nous voulons travailler dans les mois qui viennent pour faire en sorte que l'Alliance atlantique d'un côté, l'Union européenne de l'autre, l'UEO entre les deux comme moyens opérationnels d'action, parvenions finalement à un dispositif satisfaisant.

Q. : (inaudible)

M. Millon : Par nature, l'OTAN est une institution atlantique. Dans cette institution atlantique, il y a une représentation nord-américaine et une représentation européenne. C'est la raison pour laquelle on ne peut pas parler en effet de rénovation de l'Alliance atlantique sans s'intéresser à l'affirmation de l'identité européenne de défense, et on ne peut pas parler d'une affirmation de l'identité européenne de défense sans envisager la rénovation du lien transatlantique. C'est pourquoi, comme l'a souligné le ministre des affaires étrangères, la réunion d'aujourd'hui revêt un caractère particulier puisque nous en sommes à la rénovation de l'Alliance atlantique d'une part et à une interrogation sur la CIG d'autre part au niveau européen. De ce fait, l'UEO a un rôle charnière à jouer puisqu'elle sera composante de défense de l'Union européenne comme l'a rappelé le ministre des Affaires étrangères, et elle sera un moyen de renforcer ou plutôt de porter l'identité européenne de défense dans l'Alliance atlantique.

Q. : Avez-vous parlé de la Bosnie et de la possibilité qu'ont les Européens de succéder à l'OTAN en Bosnie l'an prochain ?

M. de Charrette : J'ai vu en effet la déclaration à laquelle vous faites allusion, qui relève de propos que je considère comme irresponsables. La position de la plupart des pays européens, m'a-t-il semblé, la position française en tout cas est très claire depuis le début nous sommes arrivés ensemble, nous partirons ensemble. Et, il n'y aura pas d'exception à cette règle, la France s'en tiendra à sa stricte application. Ensuite, il faut regarder le calendrier de mise en oeuvre des choses, je crois que c'est très prématuré. Nous sommes actuellement dans la période où le dispositif mis en place à la suite des accords de Paris se développe, s'organise, pour faire face aux différentes étapes de l'application de ces accords. Franchement, ce n'est pas le moment de parler du retrait de l'IFOR, nous avons devant nous un certain nombre d'échéances, notamment le calendrier des élections en Bosnie-Herzégovine, c'est cela qui nous occupe, il sera toujours temps le moment venu de parler, a fortiori sur la place publique de ce qu'il faudra faire à ce moment-là. En toute hypothèse, c'est pour cela que j'ai employé l'adjectif tout à l'heure, cela relève du Conseil atlantique et non de la Commission européenne. Si je puis employer cette référence rurale et agricole en Grande-Bretagne aujourd'hui, je dirais : « chacun son métier et les vaches seront bien gardées ».

Q. : (inaudible)

M. Millon : Si vous permettez je vais rappeler simplement les cinq hypothèses auxquelles un pays ou une alliance doit et peut faire face compte tenu des menaces ou des moyens à mettre en oeuvre aujourd'hui au niveau militaire. C'est ce que j'ai fait hier soir devant les ministres de la défense de l'UEO, et c'est ce que j'ai répété ce matin devant le conseil des ministres.

On s'aperçoit en analysant ces cinq hypothèses qu'il n'y a pas contradiction entre la démarche américaine et la démarche européenne mais qu'il y a en réalité complémentarité.

La première hypothèse : une menace s'exprime et en face de cette menace, une nation prend ses responsabilités.

La deuxième : une menace s'exprime et une coalition de nations prend ses responsabilités pour gérer la crise, cela a été le cas au début de l'affaire bosniaque entre la Hollande, la Grande-Bretagne et la France.

La troisième hypothèse : en face d'une crise qui s'affirme, il y a une expression de l'UEO de manière autonome, c'est le point abordé tout à l'heure par le ministre des affaires étrangères en parlant d'un renforcement nécessaire des moyens de commandement, de renseignement d'une opérabilité en matière d'armement.

Quatrième hypothèse : l'UEO qui prend ses responsabilités et s'appuie sur les moyens militaires de l'OTAN.

Et cinquième hypothèse, c'est l'OTAN qui prend ses responsabilités.

C'est la raison pour laquelle et ce sera ma conclusion, il n'y a pas en fait concurrence agressive entre les États-Unis et l'Europe, il y a simplement complémentarité en face des menaces, et compte tenu de leur nature, c'est la raison pour laquelle nous souhaitons que l'UEO puisse franchir les étapes supplémentaires, comme l'a énoncé tout à l'heure M. le ministre des affaires étrangères, en resserrant ses liens institutionnels et opérationnels avec l'Union européenne, en utilisant les moyens qui seront sans doute acceptés définitivement lors du Conseil de Berlin via les GFlM dans le cadre de l'OTAN, et enfin, en renforçant ses capacités opérationnelles, je l'ai dit tout à l'heure, renseignements, armements, commandement.

Q. : (inaudible)

M. de Charette : On ne peut pas dire cela ; l'Union européenne, après quelques jours de discussions et de débats, comme il est normal, a finalement adopté au Conseil Affaires générales du 21 avril un texte qui soutenait très clairement l'initiative de la France. Je voudrais vous redire à cette occasion que la France a une politique étrangère de portée mondiale. C'est ainsi que nous avons toujours agi. Nous avons un réseau diplomatique qui a été bâti en fonction de cet objectif et nous pensons qu'il y a, aujourd'hui plus que jamais, toutes les raisons, pour la France et pour l'Europe, pas seulement pour nous, l'expression d'une attente, que je ressens de façon très claire, exprimée par beaucoup de pays, que nous soyons présents et actifs. Nous le sommes et nous sommes décidés à l'être, de façon cordiale envers tous, amicale avec tous nos amis, mais nous sommes déterminés aussi à exprimer ce que nous pouvons apporter dans la vie internationale pour contribuer à la fois au développement et à la sécurité dans le monde. Le Président de la République a eu l'occasion d'exprimer à Beyrouth et au Caire la détermination française à avoir une politique arabe et méditerranéenne active. Les circonstances nous ont conduits à en apporter le témoignage plus rapidement que prévu naturellement nous continuerons dans cette voie, persuadés que nous sommes attendus et que nous sommes utiles.

Je crois que cette démarche intéresse l'Europe. Lorsque nous avons tenu à Bangkok le Sommet entre les chefs d'États et de gouvernement de l'Union européenne et des pays asiatiques, il était évident, sensible, je dirai palpable qu'il y avait, du point de vue asiatique, une véritable attente à l'égard de l'Europe. À cette attente, il nous appartenait à nous, Européens de répondre. Lorsque nous avons réuni la Conférence de Barcelone, nous avons pu voir de façon aussi forte qu'il y a de la part de nos partenaires du sud de la Méditerranée un appel vers l'Europe comme partenaire de la sécurité, du développement, du partage des cultures. Et je suis certain que l'Europe répondra à cet appel dans les années qui viennent. De ce point de vue, il y a une profonde harmonie entre la politique étrangère de la France telle qu'elle s'exprime et le mouvement historique auquel l'Europe est appelée.

Q. : (inaudible)

M. Millon : L'UEO a une démarche clairement affirmée aujourd'hui par la présidence britannique de l'UEO. Il y a une démarche chargée de garantir la sécurité, de demander à chaque pays de prendre des responsabilités, c'est ce qui a été exprimé d'une manière claire à ceux qui aujourd'hui sont nos observateurs. Je crois qu'il faudra que chacun accepte une discipline collective lorsqu'il y aura une menace à assumer pour pouvoir s'intégrer à l'UEO. Maintenant doit-on séparer UEO et Union européenne, je ne le crois pas, et comme l'a rappelé tout à l'heure le ministre des affaires étrangères, il conviendra durant les mois sinon les années qui viennent de réfléchir à l'UEO composante de défense de l'Union européenne. Nous savons qu'il y a un certain nombre de pays qui aujourd'hui demandent leur adhésion, immédiatement ou à terme, à l'Union européenne. À partir de ce moment-là se posera aussi la question de la dimension composante de défense.