Déclaration de M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances, sur le calendrier et les exigences pour l'économie française du passage à la monnaie unique et la préparation des acteurs économiques au "basculement" dans l'Euro, Bruxelles le 6 mai 1996.

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Circonstance : Conférence sur "La France et la monnaie unique" organisée par la Fondation Konrad Adenauer et Force Démocrate à Bruxelles (Belgique) le 6 mai 1996

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,

Les pères fondateurs de l'Europe, comme Jean Monnet, Robert Schuman, le chancelier Adenauer ou le général de Gaulle, n'avaient sans doute pas à l'esprit qu'un jour leur grand dessein politique, construire l'Europe pour gager la prospérité et la paix, se focaliserait à ce point sur la monnaie. Et pourtant, ne nous y trompons pas, cette opération de passage à la monnaie unique, parfois présentée comme technique, constitue bien un acte politique majeur qui engage l'avenir.

L'évocation de la monnaie unique, il y a quelques mois, déclenchait au mieux un intérêt poli des auditoires. Le plus souvent, le scepticisme l'emportait : tout cela paraissait certes prometteur, mais tellement lointain et incertain !

Les choses évoluent. Ne voit-on pas les opérateurs des marchés intégrer progressivement dans leurs calculs les échéances inéluctables qui se rapprochent ? Ne voit-on pas le débat politique se déplacer progressivement du « pourquoi » vers le « comment » ? Ne voit-on pas enfin nos concitoyens commencer eux-mêmes à se préoccuper activement des conditions concrètes dans lesquelles se fera le passage à la monnaie unique ?

En quelques mois donc, la monnaie unique est devenue crédible aux yeux de nos propres opinions et du monde extérieur. Je ne peux que m'en réjouir, car j'ai la conviction qu'elle constitue, pour mon pays et pour l'ensemble de l'Europe, un élément fondamental de leur prospérité future.

Comment expliquer ce regain d'optimisme, cette crédibilité retrouvée ? Les signes politiques forts donnés à Cannes puis à Madrid par le conseil européen ont frappé les opinions. Le rappel solennel des échéances, le nom donné à la monnaie unique, la précision du scénario de passage arrêté à Madrid, ont convaincu les uns et les autres de la détermination des gouvernements à mener à bien ce grand projet.

Au-delà des signes et comme témoignage de leur valeur, les mesures internes concrètes arrêtées par les gouvernements pour respecter les échéances, le sérieux, la rapidité et la précision des travaux préparatoires menés par le conseil ECOFIN ont assis la crédibilité du processus.

Quelles sont aujourd'hui nos priorités ? Quels sont les domaines sur lesquels nous devons faire porter nos efforts ? Je vois cinq lignes directrices que je voudrais développer ce soir devant vous. Nous devons :

1. Tout d'abord nous mettre en situation de respecter les critères d'adhésion., dans les délais requis.

2. Garantir les conditions d'un respect durable des critères de Maastricht, c'est à dire garantir la stabilité budgétaire au sein de notre union monétaire.

3. Organiser la convergence vers l'euro des monnaies des États qui ne pourront pas entrer en troisième phase de l'union économique et monétaire dès le premier janvier 1999, c'est à dire garantir la stabilité monétaire au sein du marché unique et au-delà.

4. Assurer une bonne préparation des administrations publiques au passage à l'euro.

5. Prendre les dispositions nécessaires pour assurer, tout au long des six années qui nous séparent de la mise en circulation des nouvelles pièces et des nouveaux billets, une communication efficace qui permette à nos concitoyens de se préparer au mieux à cette échéance.

Je me propose de développer successivement ces cinq points.

I. – Première action : nous mettre en situation de respecter les critères d'adhésion dans les délais requis :

L'Union économique et monétaire est une discipline dont les règles sont clairement précisées dans le Traité : ceux qui souhaitent participer à cette union doivent les respecter. La France attache la plus grande importance au strict respect de tous les critères de convergence, conformément aux dispositions du Traité. Il n'est question ni de les remettre en cause, ni de les altérer.

Permettez-moi tout d'abord de relever trois convictions politiques fortes qui sont à l'évidence largement partagées en Europe, et qui fournissent le cadre de cet effort de convergence :

– la réduction du chômage, qui est au coeur de la stratégie de tous les gouvernements de notre continent, passe par la réduction des déficits publics ; la France est malheureusement bien placée pour savoir que l'accumulation des déficits publics ne sert pas la cause de l'emploi ; 
– l'avènement de la monnaie unique doit couronner le processus de convergence et non le précéder : nous pourrons faire la monnaie unique parce que nos économies auront acquis un degré de convergence qui justifiera l'adhésion à l'union monétaire. Ce n'est pas la monnaie unique qui doit créer la convergence, mais c'est la convergence qui permet la monnaie unique ; 
– parce qu'elle garantira la stabilité interne, par un contrôle effectif de l'inflation, et externe, par le rôle de monnaie de réserve que devrait s'arroger l'euro, la monnaie unique permettra à nos économies de bénéficier de taux d'intérêt faibles qui seront favorables à la croissance et donc à l'emploi.

Autrement dit, les efforts de réduction des déficits publics menés aujourd'hui par tous les pays européens, dans un mouvement remarquablement convergent, ne doivent pas être mal interprétés : les gouvernements ne sacrifient pas au « fétichisme des critères ». S'ils réduisent les déficits publics, c'est parce que ceci apparaît comme une nécessité au regard des objectifs fondamentaux qu'ils poursuivent, notamment pour la lutte contre le chômage. La monnaie unique est une résultante de ces efforts nécessaires par ailleurs. Mais la monnaie unique porte en elle l'espoir de conditions macroéconomiques futures favorables à l'emploi.

Ces prémisses étant posées, qu'en est-il pour la France ?

La France affiche aujourd'hui d'excellents résultats en matière de convergence :

– notre performance en matière d'inflation est tout à fait satisfaisante et traduit notre attachement à la stabilité monétaire ;
– notre endettement public rapporté au PIB est l'un des plus faibles de l'Union ; il est largement inférieur à 60 % ;
– la recherche constante de la stabilité monétaire et budgétaire permet très logiquement à la France d'avoir des taux d'intérêt à long terme inférieurs à la moyenne de l'Union ; la détente observée au cours des six derniers mois est, sur ce plan, remarquable ;
– la France respecte naturellement le critère de change du Traité et la bonne tenue actuelle du franc reflète la bonne perception, par les marchés, de nos performances en matière d'inflation et de nos efforts sur le plan budgétaire.

Au total, la stabilité macro-économique qui caractérise la France depuis longtemps nous permet aujourd'hui de respecter tous les critères de convergence à, l'exception du critère de déficit public.

Parce qu'il a mis l'emploi au coeur de ses préoccupations, le gouvernement auquel j'appartiens s'est engagé dans une politique résolue d'assainissement des finances publiques et sociales. Réaffirmée solennellement en octobre dernier par le Président de la République, et constamment rappelée par le Premier ministre, la détermination du gouvernement dans ce domaine est totale.

D'où venons-nous ? Malheureusement de loin. En 1994, le déficit des administrations publiques a atteint 5,8 % du PIB. Le gouvernement, dès qu'il est entré en fonction, s'est fixé un chemin exigeant mais crédible de réduction des déficits publics : 5 % en 1995, nous avons atteint cet objectif, puis 4 % en 1996 et 3 % en 1997.

Les prévisions décevantes de recettes m'ont conduit à geler 20 milliards de francs de crédit au début de cette année pour ne pas nous écarter du chemin souhaitable. Si nécessaire, d'autres mesures seront prises. Pour 1997, nous nous préparons à des arbitrages budgétaires difficiles, tant dans le domaine du budget de l'État que dans celui de la protection sociale. Conformément aux orientations fixées par le Président de la République, nous serons « draconiens » dans la diminution de la dépense. Ainsi, les objectifs seront tenus.

Certains ont objecté que cette stratégie serait périlleuse en période de relatif ralentissement de la croissance. La conviction qui anime le gouvernement est parfaitement opposée : une stratégie lisible et irréversible qui favorise à terme la consommation et l'investissement doit être clairement affichée. Le ralentissement, temporaire, que nous avons enregistré en France comme en Allemagne ne nous détournera pas de nos objectifs. La croissance en France revient, dès le courant de cette année, sur une pente de l'ordre de 2,5 % à 3 %.

II. – Deuxième action : garantir la stabilité budgétaire au sein de notre future union monétaire :

En présentant à l'automne dernier son « pacte de stabilité budgétaire » destiné à garantir un strict respect de la discipline budgétaire de la part des États membres passés à la monnaie unique, mon collègue Théo WAIGEL a lancé une intense et riche réflexion au sein de l'Union.

Je me suis aussitôt montré favorable au principe d'une consolidation de la discipline budgétaire en troisième phase de l'UEM. Pourquoi ? Parce que les Français, pas moins que les Allemands ou les autres citoyens de l'Union, veulent que leur monnaie soit une bonne monnaie, une monnaie reconnue, stable et inspirant la confiance. Personne n'a intérêt à ce qu'une politique laxiste dans un pays membre puisse mettre en péril la stabilité de la monnaie qui nous sera commune.

La proposition a fait son chemin : les objectifs d'un tel pacte de stabilité budgétaire en troisième phase ont encore été soutenus par l'ensemble des ministres des finances et des gouverneurs des banques centrales des États membres à Vérone où nous étions réunis les 12 et 13 avril derniers.

Il serait évidemment prématuré de présenter aujourd'hui des conclusions définitives alors que les débats sont en cours. Le respect du critère de déficit public prévu par le Traité plaide en effet à mon sens pour que tous les États visent des déficits publics substantiellement inférieurs à 3 % à moyen terme. Chacun doit toutefois bénéficier d'une flexibilité suffisante pour tenir compte des particularités nationales. Il faut, par exemple, une fois le respect du plafond de 3 % pleinement garanti, pouvoir réaliser les arbitrages souhaitables entre baisse du déficit public d'une part et baisse des prélèvements obligatoires d'autre part.

La mise en oeuvre pratique et institutionnelle des objectifs d'un pacte de stabilité budgétaire doit être examinée avec attention, dans le respect du Traité. Nos experts se penchent sur ces aspects. Il est clair qu'en troisième phase, où le respect de la discipline budgétaire est une véritable obligation imposée par le Traité, les sanctions doivent jouer un rôle dissuasif important. Elles doivent donc pouvoir être mises en oeuvre rapidement, dans le cadre défini par le Traité.

En ce qui concerne le rôle du Conseil de stabilité, je considère, comme mon collègue Théo WAIGEL, que c'est aux ministres des finances qu'il revient de mettre en oeuvre la coordination et la surveillance des politiques économiques des États membres. La France est la première à souhaiter, à cet égard, que les ministres de l'économie et des finances des États membres entrés en troisième phase coordonnent plus étroitement leurs politiques économiques.

Une telle coordination est nécessaire pour qu'il existe un pôle économique, à côté du pôle monétaire confié à la Banque Centrale Européenne. Le Traité confie d'ailleurs aux ministres le soin de définir les orientations de la politique économique et de suivre la situation des finances publiques.

Qu'on ne se méprenne pas : il n'est évidemment pas dans notre intention de contester en quoi que ce soit l'indépendance de la Banque Centrale Européenne. La France est indéfectiblement attachée à ce principe d'indépendance, qu'elle a inscrit dans ses propres lois au profit de la Banque de France. Il s'agit, par une coordination efficace des politiques économiques, d'instaurer un pôle économique, qui relève des autorités politiques, et qui puisse mettre en oeuvre une politique de stabilité cohérente avec le principe de la monnaie unique.

Ces réflexions sur le pacte de stabilité budgétaire doivent progresser. Un rapport d'étape sera fait au prochain conseil européen de Florence et les travaux se prolongeront au cours du deuxième semestre.

III. – Troisième action : garantir la stabilité monétaire au sein du marché unique et au-delà :

La stabilité des changes au sein de l'Union est, en effet, indispensable au bon fonctionnement du marché unique. Au-delà de l'Union Européenne, la monnaie unique, par le rôle de monnaie de réserve qu'elle s'arrogera naturellement au plan mondial, permettra de contribuer à la stabilité des changes entre l'euro et le dollar américain, l'euro et le yen.

Les fluctuations monétaires ont un impact défavorable sur l'économie. Cela a pu être constaté, une fois de plus, au cours des dernières années. Selon la Commission, les mouvements erratiques de change auraient conduit à un ralentissement de la croissance compris entre un quart et un demi-point de PIB. Ces fluctuations monétaires ont sûrement leur place parmi les facteurs à l'origine du ralentissement conjoncturel observé en Allemagne comme en France.

Le Conseil européen de Madrid a demandé au Conseil ECOFIN d'étudier les problèmes liés au fait que certains États membres n'entreront pas en troisième phase dès le 1er janvier 1999.

La France attache une grande priorité à cette question, parce que nous sommes persuadés que la stabilité monétaire au sein de l'Union européenne est une condition indispensable au bon fonctionnement du marché unique. Nous pensons également qu'il faut ménager, aux États qui ne pourront disposer de l'euro dès le premier janvier 1999, les conditions techniques et politiques d'une adhésion aussi rapide que possible.

J'ai été heureux, pour en avoir beaucoup parlé avec mon collègue Théo WAIGEL, de recueillir lorsqu'il est venu à Laval, en Mayenne, il y a quelques semaines le total soutien de l'Allemagne. J'ai été encore plus heureux de constater à Vérone que notre ambition était partagée par une très large, pour ne pas dire par une écrasante majorité d'États membres de l'Union.

On peut considérer qu'il y a aujourd'hui un large consensus sur la nécessité de créer un système de change en phase III de l'UEM, entre l'euro et les monnaies des États membres qui ne disposeront pas de la monnaie unique dès le premier janvier 1999. Ce système, ancré sur l'euro, s'inspirera du mécanisme de change actuel, sera fondé sur la convergence des économies et prévoira des interventions de la banque centrale européenne, dans le respect de l'objectif de stabilité des prix qui est le sien.

Il faut observer d'ailleurs que le Traité de Maastricht invite expressément à la mise en place d'un tel système. De nombreux États membres, dont la France et l'Allemagne, considèrent que l'appartenance au mécanisme actuel ou à son successeur pendant au moins deux ans sera nécessaire pour que les États membres qui ne seront pas dans la première vague participent ultérieurement à l'euro.

Les progrès ont été rapides au cours des dernières semaines sur cette question. Je souhaite que nous étudions maintenant précisément les modalités concrètes de fonctionnement d'un tel système afin que nous fassions rapport aux chefs d'État ou de gouvernement au prochain conseil européen de Florence. Les travaux se poursuivront certainement au second semestre de cette année.

Nous avons également mandaté la Commission à Vérone pour qu'elle propose d'autres initiatives destinées à prévenir les fluctuations monétaires et leurs effets au sein du marché unique : par le renforcement des procédures de convergence, par l'étude de la mise en place d'une conditionnalité à l'octroi des fonds structurels sur le modèle de ce qui existe aujourd'hui pour les fonds de cohésion., par la mise en place de mécanismes correcteurs dans le calcul des fonds structurels.

Stabilité budgétaire et stabilité monétaire me paraissent constituer les deux priorités au plan communautaire à ce stade. Mais nous devons aussi nous soucier des aspects pratiques de la mise en place de l'euro. Le succès en ce domaine conditionne l'acceptabilité du processus par les opérateurs économiques et les citoyens. C'est dire l'importance qu'il convient d'y attacher.

IV. – Quatrième action : assurer une bonne préparation des administrations publiques à l'euro.

Dans tous nos pays, les administrations publiques auront un rôle moteur à jouer dans la dynamique de basculement des économies dans la nouvelle monnaie.

Les contacts qu'elles entretiennent avec les différents secteurs professionnels leur confèrent un rôle d'entraînement naturel. Il faut également s'assurer qu'elles seront elles-mêmes effectivement prêtes, le moment venu, à basculer sans difficulté l'ensemble de leurs opérations dans la nouvelle monnaie.

En France, les administrations financières ont été les précurseurs et demeurent à la pointe des réflexions engagées sur les conditions du basculement des administrations publiques à l'euro. Un groupe de travail a en effet été constitué par mes prédécesseurs dès le mois d'avril 1995 sur ce thème au sein du ministère de l'économie et des finances : Ce groupe a permis un premier recensement des questions pratiques et juridiques que soulèvera le passage à la monnaie unique ainsi qu'une évaluation des coûts de ce passage (notamment pour l'adaptation des systèmes informatiques). Il a pour mission de proposer au gouvernement les mesures qui se révéleront nécessaires pour permettre un basculement organisé des administrations publiques compatible avec le calendrier arrêté à Madrid.

Il convenait, après Madrid, d'étendre cette réflexion à l'ensemble des administrations publiques. Une circulaire du Premier ministre, datée du 22 mars dernier, a demandé à tous les départements ministériels de définir leur stratégie de basculement à l'euro. Pour mener à bien cette tâche, il a été demandé à chaque ministère de créer rapidement en son sein un groupe de travail permanent spécialement chargé d'y suivre tous les aspects du passage à l'euro.

J'ai créé, au sein de mon administration, une mission chargée de dispenser information et conseils à ces correspondants. Cette mission coordonne, pour le compte du Premier ministre, la préparation du passage à l'euro de l'ensemble des administrations françaises.

Nous ne sommes qu'au début des travaux. En France, comme j'imagine dans de nombreux autres pays de l'Union Européenne, beaucoup d'administrations publiques sont encore loin d'avoir mesuré l'ampleur de la tâche qu'elles auront à accomplir.

Notre rôle est ici de sensibiliser tout d'abord, de diffuser les éléments d'information nécessaires ensuite, de coordonner enfin les travaux de préparation, afin que le basculement puisse se faire, le moment venu, de façon sûre et efficace, au moindre coût.

Je suis persuadé que dans un pays de tradition jacobine comme la France, une préparation précoce des administrations publiques constitue un excellent moyen de faciliter la mobilisation rapide de l'ensemble des opérateurs économiques. Notre détermination à atteindre cet objectif doit être sans faille.

V. – Cinquième action prioritaire enfin : la communication

Dès les conclusions du Conseil européen de Madrid, l'Allemagne s'est lancée dans une campagne d'information nationale sur l'euro. Elle a manifesté le souhait d'engager un véritable « dialogue national » sur l'euro dès l'été. Ceci peut constituer, je crois, un exemple de mobilisation rapide et efficace pour les autres États membres. Il est vrai que le débat s'est parfois ouvert plus tôt dans ceux-ci.

La Commission a justement attiré l'attention de l'opinion publique et des gouvernements sur l'importance de cette action de communication, en organisant une table ronde très fructueuse au cours du mois de janvier dernier.

Le gouvernement français est également particulièrement attentif à cette question. Il est indispensable que la monnaie unique sorte de la sphère des techniciens et devienne un véritable sujet pour l'ensemble de nos concitoyens. Elle doit devenir un objectif concret pour chacun d'entre eux. Nous avons besoin de la domestiquer pour mieux nous l'approprier et l'aimer.

Il convient donc de garantir une démarche cohérente dans la durée encore longue qui nous sépare de l'achèvement du basculement. Cette démarche doit tenir compte de l'état d'information initial de l'opinion, des différentes phases d'introduction de la nouvelle monnaie telles qu'elles sont prévues par le scénario de Madrid. Elle doit enfin s'attacher à répondre précisément aux questions très concrètes que se posent les gens, sans créer de confusion ou d'affolement qui seraient évidemment totalement contre-productifs.

La communication sur l'euro doit également tenir compte des réactions spontanées de l'opinion, qui diffèrent d'un pays à l'autre. C'est ainsi qu'à la question : « êtes-vous personnellement favorable ou opposé à la mise en place de la monnaie unique européenne ? », 57 % des Français répondent aujourd'hui spontanément être « très favorables » ou « plutôt favorables ».

C'est la raison pour laquelle, le gouvernement n'a pas jugé utile de procéder, dès maintenant, à une campagne lourde à destination du grand public en France. Il a souhaité en revanche prendre toutes les dispositions nécessaires pour aborder la question de la communication sur l'euro avec méthode et professionnalisme.

Un plan de communication sur six ans est en cours d'élaboration, avec le concours d'un cabinet-conseil. Il sera approuvé par le gouvernement d'ici la fin du premier semestre 1996. Ce plan a vocation à permettre une cohérence de la politique de communication dans le temps. Il sera bien évidemment adapté au fur et à mesure de l'avancement des travaux.

Le bon déroulement d'une campagne nationale de communication de cette ampleur nécessite un suivi précis de l'opinion, sur la base de réponse à des enquêtes périodiques. Un « observatoire de l'euro » a été mis en place à cette fin. Il poursuit un triple objectif : suivre l'état de l'opinion sur l'euro, évaluer la perception par le public des mesures prises par le gouvernement, enfin, mesurer l'impact des actions de communication conduites autour de la monnaie unique.

Le dispositif de communication et son calendrier d'exécution devront tenir compte de la spécificité des besoins d'information des différents publics concernés. Plusieurs cibles peuvent être identifiées, dont les besoins d'information varient bien entendu, en fonction des étapes du processus de basculement. Je pense en particulier :

– aux élus nationaux et locaux ;
– aux relais économiques et sociaux, qui jouent un rôle central dans la diffusion de l'information au sein de la société civile ; je participerai personnellement au mois de juin à une initiative en faveur de la monnaie unique dans le nord de la France, qui permettra de lancer une véritable mobilisation du réseau des chambres de commerce et d'industrie sur ce thème ;
– au secteur bancaire et financier et aux compagnies d'assurance, qui seront les premiers concernés par le basculement et également les premiers relais d'informations auprès de leurs clients, particuliers et investisseurs institutionnels ;
– aux agents des services publics, qui sont d'importants relais d'opinion et des acteurs de la mise en place de l'euro ;
– et enfin évidemment au grand public : il conviendra de rassurer les consommateurs et les épargnants sur les conséquences de cette mutation. Je veillerai à ce qu'une attention particulière soit accordée à certains publics plus fragiles comme les personnes âgées, certains milieux en difficulté ou les personnes handicapées dans le domaine de la vue par exemple.

Je suis certain que l'ensemble des moyens que nous mettons en oeuvre, tant au niveau communautaire que national, assurera le succès de l'euro : l'euro sera une monnaie unique assise sur des bases macro-économiques durablement stables, dont les rouages techniques auront fait l'objet d'une préparation pratique minutieuse et qui sera expliquée suffisamment à l'avance et clairement aux opérateurs économiques ainsi qu'aux citoyens des États membres de l'Union.

Nous devons être pleinement conscients de la mission dont nous sommes investis. L'Union monétaire est la pierre angulaire de cet édifice précieux qu'est l'Union européenne.

Nous ne pouvons sans doute aujourd'hui procéder qu'à une estimation des avantages que nous apportera la monnaie unique. Mais nous pouvons apprécier chaque jour ce que nous perdrions en tardant à la mettre en oeuvre. Nous devons redouter la véritable régression qui en résulterait pour la construction européenne.

La monnaie unique est un catalyseur de l'Europe. Elle ne saurait certes, conférer à elle seule une silhouette à l'Europe de demain mais, sans elle, c'est une véritable colonne vertébrale qui ferait défaut à l'Union.

Cette fin de siècle voit donc s'engager un processus exceptionnel qui aboutira, en 2002, à la totale introduction d'une monnaie nouvelle. Je crois très fermement que cette monnaie unique est l'expression d'un grand projet politique et qu'elle est une chance pour nos pays. Beaucoup d'efforts ont déjà été consentis, des progrès significatifs ont été accomplis. Mais les traces laissées par l'histoire, les sillons creusés par des cultures proches et malgré tout distinctes, expliquent sans doute qu'on ne puisse progresser dans la construction de l'Europe qu'en franchissant les étapes l'une après l'autre. L'Union monétaire constitue, dans cette progression, une étape absolument capitale.

Je voudrais donc, Mesdames, Messieurs, pour conclure, vous faire partager aujourd'hui ma confiance dans les capacités insoupçonnées de nos pays à triompher des difficultés. Je voudrais vous dire ma certitude que la France saura garder le cap fixé et contribuer à faire de l'Europe une grande puissance mondiale ; je voudrais vous exprimer enfin ma conviction aussi que la voie ouverte par la monnaie unique trace pour la France et pour ses partenaires la perspective d'un avenir des plus prometteurs.

Le passage à l'euro, acte majeur de notre fin de siècle en Europe, sera avant tout le témoignage de la forte volonté politique qui nous anime tous de construire ensemble cet avenir commun.

Mesdames, Messieurs, je vous remercie.