Texte intégral
Les Echos : Vendredi 7 mai 1997
Les Echos : Est-ce que vous regrettez, comme Philippe Séguin, que l’emploi n’ait pas la place qu’il mérite dans la campagne électorale ?
Nicole Notat : Je crois que, comme d’habitude, l’emploi a, dans les discours, une place tout à fait prépondérante. Mais les propositions ne dépassent pas les lieux communs ressassés depuis quinze ans et dont on connaît les limites : développement de la croissance, baisse des charges, interrogations sur la réduction du temps de travail, etc. Si la campagne intéresse aussi peu les Français, c’est parce qu’ils attendent des propositions pour que l’emploi progresse et que le chômage recule. Au lieu de cela, ils entendent les candidats se renvoyer les balles et dénoncer les propositions repoussoirs de leur adversaire.
Les Echos : Mais, précisément, que voudriez-vous voir proposer ?
Nicole Notat : Nos propositions ont le mérite de la constance, et je crains que ce qu’on dit aujourd’hui on ne doive le dire encore après l’élection. La réduction du temps de travail est un bon exemple. Certes, le sujet reste un peu tabou pour un certain nombre d’hommes politiques, mais il a fait un bond en avant ces derniers mois, au point de s’imposer comme une solution dont seules les modalités sont controversées. Le drame est que les politiques ne tirent pas les enseignements de la réalité qui est déjà sous leurs yeux. Pour le CFDT, il y a une bonne et une mauvaise façon de réduire le temps de travail. Une bonne réduction doit garantir les intérêts de l’entreprise, qui a besoin de s’adapter à des réalités mouvantes ; elle doit donner satisfaction aux salariés, qui cherchent de plus en plus à travailler à la carte et, enfin, permettre que le temps libéré profite aux chômeurs. Mais, pour cela, il faut parler vrai et ne pas hésiter à mettre sur la table les conditions de la compensation salariale.
Les Echos : En d’autres termes, une réduction du temps de travail ne doit pas se faire obligatoirement sans perte de salaire.
Nicole Notat : Je voudrais que les partis comprennent que deux écueils doivent être évités : décréter que la réduction s’applique à tout le monde partout et sans perte de salaire, ou, à l’inverse, faire contribuer tous les salariés de la même façon. Dans certaines entreprises, les salariés payés autour du SMIC doivent légitimement ne pas perdre de pouvoir.
Les Echos : Mais vous semblez actuellement préférer la poursuite de l’application de la loi Robien à une loi sur les 35 heures à l’horizon 2000.
Nicole Notat : La loi Robien n’est pas une potion miracle, mais un outil qui a permis de débloquer la réduction du temps de travail dans des conditions favorables. Il faut donc laisser se développer la dynamique en cours afin que la réduction du temps de travail ne soit pas seulement pour ceux qui ont un emploi, mais une munition antichômage. Quand le mouvement sera suffisamment puissant, il sera nécessaire de le généraliser en tirant les enseignements pour une efficacité maximale et vraisemblablement de créer, par la loi, l’obligation de négocier.
Les Echos : On vous a connue très réservée sur les allègements de charges patronales. L’êtes-vous toujours ?
Nicole Notat : Là encore, il y a une bonne et une mauvaise façon de réduire les charges. La CFDT est favorable à un allègement des charges et création d’emplois. En tout cas pas à une relation systématique. C’est pourquoi nous voulons créer cette relation par des négociations qui décideraient les affectations des allègements de charges au bénéfice de l’emploi. D’une certaine façon, la loi Robien est une loi qui allège le coût du travail avec une contrepartie immédiate en matière d’emploi.
Les Echos : Certains hommes politiques pensent qu’il y a encore des aides à l’emploi qui ne servent à rien. Est-ce votre avis ?
Nicole Notat : Le toilettage entrepris l’an dernier était nécessaire. Si je regrette la suppression de l’aide aux chômeurs créateurs d’entreprise (Accre), en revanche, je pense que l’Apej (aide pour l’embauche des jeunes) non seulement ne servait à rien, mais était pernicieuse. Aujourd’hui, je suis très radicale : à la CFDT, nous récusons toute prime systématique aux entreprises pour l’embauche des jeunes. Des précisions du PS sont nécessaire sur la façon dont il compte faire embaucher 350 000 jeunes dans les entreprises privées : revenir à une prime à l’embauche serait une erreur !
Les Echos : Et dans le secteur public ?
Nicole Notat : Les contrats emploi-solidarité existent et, pour une part, concernent les jeunes. Les contrats proposés par le PS ressemblent en quelque sorte aux CES consolidés. Ce n’est pas inutile. Mais force est de constater que ces dispositifs n’ont pas eu les vertus attendues en matière de révélation des besoins nouveaux et durables permettant de pérennise les emplois correspondants. Là aussi, il faut tirer les conclusions qui redonnent à ces contrats leur double vocation.
Les Echos : Vous êtes très critique à l’égard des entreprises au moment où le patronat affiche une certaine ambition. Pourquoi ?
Nicole Notat : Lors du dernier sommet sur les jeunes le 10 février, Jean Gandois avait annoncé que 100 à 150 grandes entreprises afficheraient d’ici à avril leur engagement réel et chiffré en faveur des jeunes accueillis, soit en formation soit en emploi. Or je n’ai rien vu venir, sinon quelques grandes opérations médiatiques. Il est urgent que le patronat passe des effets d’annonce aux actes concrets.
Ouest France : vendredi 9 mai 1997
Ouest France : La monnaie unique ?
Nicole Notat : Les jeunes, eux, ne se posent même pas la question. Ils veulent l’Europe à plus de 80 %… Si on ne fait pas la monnaie unique, l’Europe restera un simple espace de libre échange à l’intérieur duquel les pays peuvent se faire des concurrences déloyales en dévaluant leurs monnaies respectives. En fait, l’Euro n’est ni la formule magique, ni la potion amère qu’on nous annonce. Mais plus vite l’Euro sera fait, plus vite on s’occupera des questions sérieuses : le chômage, la protection sociale. Et plus vite on pourra construire une Europe conciliant une force économique et une conception sociale, pour montrer à la face du monde qu’il n’y a pas que le modèle américain.
Ouest France : Les services publics ?
Nicole Notat : Avant, on avait ce raisonnement : l’Etat est actionnaire à 100 % de telle entreprise, donc c’est une entreprise publique, donc c’est un bon service public. Mais l’Etat n’a pas fait la démonstration qu’il était le meilleur actionnaire qui soit ! Et ça nous a coûté cher. Aujourd’hui, il faut prendre la question dans le bon sens : que dois-je faire et à quelle condition, pour avoir un bon service public ? Ce qui compte c’est que la communication téléphonique, la lettre ou l’électricité soient au même tarif pour tous et partout en France. Il faut garantir ces missions. Mais est-ce qu’elles sont mieux assurées parce que l’Etat est actionnaire à 100 % ?
Ouest France : La protection sociale et le plan Juppé auquel vous ne vous êtes pas opposée ?
Nicole Notat : La cause (des problèmes de financement), c’est une série de bonnes nouvelles : les gens vivent plus longtemps, sont en meilleure santé et sont mieux couverts ! Pour garder ces acquis, nous disons qu’il faut réformer l’assurance maladie. Les gens se sont mis à contrer une réforme qui allait dans leur intérêt !
Ouest France : Les disparités entre les régimes de retraite ?
Nicole Notat : Prenons la retraite à 50 ans pour les roulants de la SNCF. Elle a été créée à une époque où il y avait de la suie. Aujourd’hui, conduire un TGV justifie-t-il automatiquement un départ à 50 ans ? Les cheminots disent oui, parce qu’ils l’ont. On peut les comprendre. Il n’y aurait pas de problème s’ils se la payaient. L’ennui, c’est que leur régime est déficitaire, donc c’est l’Etat qui paie, donc c’est nos impôts. Ce sont des choses dont on peut discuter. Evidemment, pas en les prenant d’entrée de jeu comme des boucs émissaires comme ça été fait. Prenons mon métier d’origine : les instituteurs avaient la retraite à 55 ans. Sous l’impulsion de Jospin, la profession a été revalorisée (salaire, formation). En échange, les nouveaux professeurs des écoles partiront à 60 ans. Mais cela ne s’est pas fait brutalement.