Article de M. Edouard Balladur, ancien Premier ministre et député RPR, dans "Le Figaro" du 15 janvier 1999, sur les huit objectifs à réaliser pour faire de l'Europe une puissance économique, politique et de défense, notamment la réforme des institutions européennes, la garantie de droits fondamentaux pour les nations, la mise en place d'une politique étrangère et de sécurité communes, intitulé "Un accord sur le projet européen reste possible".

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Un accord sur le projet européen reste possible

Cela suppose qu'on laisse de côté les formules toutes faites, les unes prétendant privilégier la survie de la nation, les autres, l'émergence de la fédération.

La prochaine grande échéance politique sera celle des élections européennes. Voici que pour l'opposition, elle est compliquée par les événements dont la région Rhône-Alpes a été le théâtre. A nouveau, la droite connaît une crise. Elle doit, elle peut la surmonter, si elle a la volonté de ne pas se perdre dans les débats passés, de regarder devant elle en privilégiant l'intérêt national et de tenir compte des préoccupations de ses électeurs.

L'Europe va changer, l'euro est entré en vigueur le 1er janvier, le traité d'Amsterdam suivra peu après. Dans les cinq années qui viennent, la situation économique mondiale demeurera instable, la globalisation s'accélérera ; aussi devons-nous être parmi les meilleurs et les plus forts. C'est possible grâce à l'Europe, pour peu qu'elle fasse la preuve de son unité sur les plans monétaire, commercial, économique, diplomatique et militaire.

Tel est l'enjeu des prochaines élections européennes. Je souhaite que ni les affrontements politiques internes, ni le désastreux système de la représentation proportionnelle nationale, ni les désaccords sur l'avenir de l'Europe ne dissimulent l'importance de cet enjeu.

Il faut à l'opposition prendre la mesure de ses responsabilités et aborder ce scrutin dans les meilleures conditions possibles. Il en est encore temps si on le veut vraiment. Voilà l'occasion pour elle de manifester que L'Alliance qu'elle a bâtie n'est pas un mot vide de sens. Ne nous laissons pas décourager. Pour une grande part, c'est sur l'Europe que nous jouons notre avenir en tant que nation, mais aussi notre crédibilité en tant qu'organisations, politiques. Ma conviction est qu'au sein de l'opposition, un accord sur le projet européen reste possible pour peu qu'on le veuille. Cela suppose qu'on laisse de côté les formules toutes faites, les unes prétendant privilégier la survie de la nation, les autres, l'émergence de la fédération. Nous devons poursuivre la construction européenne en préservant nos identités nationales, bâtir une oeuvre qui n'a pas de précédent et qui ne se coule pas dans le ·moule de formules juridiques existantes, dont l'invocation n'a pas d'autre effet que de crisper inutilement les positions.

Quelle est l'Europe qui nous est nécessaire en 2005 ? L'histoire a tranché : si elle veut simplement exister, l'Europe doit être une puissance. Toute la question est de savoir jusqu'où pousser les conséquences de ce choix.

1. L'Europe de 2005 aura une monnaie unique. L'union politique doit en résulter. Face à la Banque centrale européenne doit exister une autorité gouvernementale, le Conseil de l'euro, qui fixe les lignes générales de la politique économique et représente, avec la BCE, l'Europe à l'extérieur ; l'euro ne devra être ni sous-évalué ni surévalué par rapport au dollar, afin que le jeu économique mondial ne soit pas faussé à notre détriment.

Cette zone monétaire ne fonctionnera bien que si les États ne s'y livrent pas entre eux une compétition fiscale, salariale et sociale. Cela signifie la baisse globale des prélèvements dans la zone euro, la plus lourdement taxée au monde, et un début d'harmonisation entre les diverses législations fiscales. En cinq ans, la moyenne des prélèvements qui est de 42 % du PIB devrait être ramenée à 40 %, ce qui signifie pour la France, plus imposée que la moyenne, un effort considérable.

2. L'Europe de 2005 aura un contrôle aux frontières et une politique d'immigration communs. Pour éviter les mouvements désordonnés de population immigrée, il faudra un minimum d'harmonisation en matière de droits sociaux des étrangers, de régularité de leur séjour, d'intégration et d'acquisition de la nationalité.

3. Même si le monde est très compétitif, l'Europe de 2005 doit conserver une ambition sociale et préserve un modèle de société plus humaine tout en acceptant les changements indispensables.

Il ne peut être question d'une harmonisation générale des salaires, ni de l'adoption d'un même système de protection sociale identique. Il s'agit de préserver la croissance, d'améliorer la compétitivité de notre production et ainsi de reconquérir le plein emploi.

Pour cela, la Banque centrale européenne doit prendre en compte l'objectif de croissance et d'emploi, les systèmes de protection sociale et les modes d'évolution des rémunérations doivent être, le plus qu'il est possible, rapprochés, la négociation sociale organisée à l'échelon de l'union afin d'assouplir le droit du travail. Une conférence sociale annuelle permettrait de débattre de l'évolution de la compétitivité, des salaires et des prélèvements publics au sein de l'Europe, et par rapport au reste du monde.

4. Les institutions de l'Europe se caractérisent par une confusion et une lourdeur extrêmes.

Leur réforme doit y mettre bon ordre. L'Union, actuellement économique et monétaire, doit devenir une union politique et être dotée d'un président qui ne change plus tous les six mois par rotation, mais qui soit élu pour deux ans par ses pairs, membres du Conseil européen. Cela vaudrait mieux que de lier la désignation du président de la Commission aux résultats des élections au Parlement européen, chaque parti faisant connaître son candidat, ce qui aurait pour effet de faire du président de la Commission une sorte de chef de l'exécutif européen élu quasi directement par les peuples de l'Union.

Le Conseil des ministres doit, en effet, conserver le pouvoir exécutif et sa compétence législative en matière de règlements et de directives. Pour la prise de décision, dans le champ diplomatique et militaire, l'unanimité resterait la règle, tandis que, dans le champ économique et social, l'on passerait progressivement à la majorité qualifiée avec une modification de la pondération des voix pour la rendre plus juste. Chaque État devra garder la possibilité de s'opposer à une décision qui menacerait ses intérêts vitaux.

La Commission ne devrait pas, en tout état de cause, comporter plus de vingt membres, et consacrer l'essentiel de ses efforts aux missions de proposition, d'exécution et d'administration.

La Cour de justice, à la jurisprudence trop souvent maximaliste, doit voir ses missions mieux encadrées et les États comme les personnes doivent pouvoir la saisir directement de tout manquement au principe de subsidiarité, qui doit enfin devenir le principe de base de fonctionnement de l'Union.

5. L'Europe de 2005 devra garantir les droits fondamentaux des nations. Pour la France, cela suppose, pour l'élection au Parlement européen, l'abandon de la représentation proportionnelle nationale, source d'affaiblissement, au profit d'un scrutin régional avec une prime à la liste arrivée la première.

L'Europe est à l'origine de la moitié du droit nouveau élaboré chaque année. Pour y voir clair, il faut bâtir un code des réglementations qui précise ce qui est compétence européenne et ce qui demeure compétence nationale. C'est la meilleure façon de garantir l'application du principe de subsidiarité.

Il faut mettre en oeuvre un contrôle de constitutionnalité du droit communautaire grâce à l'« exception de subsidiarité » qu'on pourrait invoquer sur le plan national comme devant la cour de justice européenne à laquelle il appartiendrait d'harmoniser les jurisprudences.

Quant au Parlement, il faut l'associer plus étroitement à l'élaboration des normes européennes, grâce à une consultation plus fréquente et obligatoire par le gouvernement qui lui permette de délibérer de toutes les catégories d'actes communautaires affectant la législation nationale. Dans le même esprit, a été également évoquée l'institution d'un Sénat de l'Union européenne représentant les instances législatives nationales et qui serait nécessairement consulté avant toute décision définitive du Parlement européen.

6. L'Europe de 2005 devra être élargie à cinq, voire six pays qui y sont désormais prêts. Trois d'entre eux sont déjà décidés à entrer dans l'Alliance atlantique. L'élargissement doit être décidé le plus rapidement possible, par exemple à échéance du 1er janvier 2002, ce qui laisserait aux forces nucléaires qu'elles détiennent et la garantie qu'elles sont prêtes à apporter à leurs partenaires européens.

Enfin, le haut responsable de cette politique commune doit être placé sous l'autorité directe du Conseil européen.

8. L'Europe de 2005 devra avoir une politique budgétaire claire. La stabilisation des dépenses est indispensable, notamment dans la perspective de l'élargissement. On ne peut se plaindre que la compétitivité des pays européens soit mise à mal par la lourdeur de leurs dépenses publiques et accepter une augmentation des dépenses de l'Union. Chacun doit le comprendre.

Sur tous ces objectifs qui dessinent le visage d'une Europe puissante et sûre de son destin, je suis convaincu qu'il n'existe pas de vrai désaccord durable au sein de l'opposition. On peut, avec un peu de bonne volonté, bâtir un projet qui ne soit pas seulement le plus petit commun dénominateur. Il faut le faire dans les semaines qui viennent. Les discussions sur la nécessité d'une liste commune et sur sa composition qui, normalement,  ne devraient avoir lieu qu'une fois ce projet commun adopté, s'en trouveront grandement facilitées.

Ensemble, les formations politiques qui composent l'opposition croient à l'avenir de l'Europe, à la force de la liberté, à la pérennité des nations. Il est de leur responsabilité d'en prendra acte, d'éviter d'infliger à leurs électeurs une nouvelle déception et de proposer, ensemble, une ambition européenne nouvelle à la France.