Interviews de M. Guy Drut, ministre délégué à la jeunesse et aux sports, à Europe 1 le 21 mai 1996 et à France-Inter le 25 juin, sur les transferts des footballeurs, les déclarations de Jean-Marie Le Pen concernant l'origine des footballeurs français, la sélection des athlètes aux JO d'Atlanta, et sur ses rencontres avec des jeunes.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Guy Drut - ministre délégué à la jeunesse et aux sports

Média : Europe 1 - France Inter

Texte intégral

Date : mardi 21 mai 1996
Source : Europe 1 / Édition du matin

Europe 1 : La France pouvait-elle se passer de Cantona pour l'Euro 96 ?

G. Drut : Cela regarde A. Jacquet, je lui fais confiance jusqu'au bout. A priori, c'est un joueur de grande valeur, on peut l'imaginer sélectionnable et a posteriori, il faut faire confiance à celui qui a la charge de l'équipe. C'est un collectif, ce n'est pas une juxtaposition d'individualités.

Europe 1 : Il paraît que vous auriez préféré que Cantona soit dans les 22 ?

G. Drut : C’est parce que j’avais un jugement a priori.

Europe 1 : Faut-il s'inquiéter de cette vague d'émigration des meilleurs footballeurs français ?

G. Drut : Dans un premier temps, il faut s'en féliciter, parce que ça prouve la valeur exceptionnelle de nos joueurs. Cela prouve aussi que l'on oublie trop souvent de signaler la qualité du travail de la direction technique d'un garçon comme G. Houllier et le travail porte aujourd'hui ses fruits. Donc, dans un premier temps, je ne vois que des avantages à ce que les étrangers nous envient nos joueurs. Maintenant, il faut être quand même très vigilant, avoir à l'esprit la qualité de la représentation nationale. Il est hors de question de brader l'équipe de France. D'autre part, il faut aussi souligner le travail de formation qui est fait par certains clubs, comme Auxerre par exemple, qui a prouvé celle année que la bonne volonté, l'enthousiasme, la rigueur avaient souvent donné de meilleurs résultats que l'argent pur et simple.

Europe 1 : Alors comment faites-vous pour garder vos footballeurs ?

G. Drut : Je crois que, dans un premier temps, il faut regarder en petit peu comment se déroule le jeu. Nous assistons, beaucoup plus vite que prévu, à un grand chambardement du football international, du football professionnel. C’est la première saison que cela se passe. Il faut être attentif et prendre les dispositions nécessaires en relation et en collaboration avec les fédérations du football, avec tout le milieu du sport en général, pour faire en sorte que nous n’atteignions pas l’excès.

Europe 1 : Est-ce qu’il faut offrir aux footballeurs une fiscalité plus favorable, qui tienne davantage compte de la durée de leur carrière ?

G. Drut : C’est une piste qu’on peut et qu’on doit, de toute façon examiner.

Europe 1 : Est-ce qu’on peut imaginer une exception française autour de l’arrêt Bosman ou est-ce qu’il faut laisser la libre circulation des joueurs se faire ?

G. Drut : Je crois qu’il faut un peu des deux, ce n’est pas une exception française, ce serait une exception sportive à ce moment-là. Il aurait mieux valu y réfléchir il y a quelques années quand on a parlé de Maastricht, comme cela avait été fait pour l'exception culturelle. On a loupé le coche. Aujourd'hui, ce sera beaucoup plus difficile d'y revenir mais j'entends avoir une forte initiative, une forte action sur le plan européen pour que, quand même, on puisse retenir certains de ces éléments qui font la particularité sportive.

Europe 1 : Même pour le football, même pour le basket ?

G. Drut : Pour le football, pour le basket, pour le hockey sur glace, pour le rugby, pour tous les sports.

Europe 1 : Craignez-vous la yougoslavisation – on l’a appelée comme ça – du football français, qui pourrait compromettre la préparation de la Coupe du Monde 1998 en France ?

G. Drut : Non. Jusqu'à présent, la confiance n'exclut pas le contrôle. Il faut quand même faire preuve d’une certaine vigilance mais je n'irais pas jusque-là.

Europe 1 : Quel sera le club résident pour le Stade de France ?

G. Drut : On verra bien. J'ai confié une mission d'exploration à M. Gremeaux, il est en train de terminer tranquillement son travail et on va arriver à des conclusions dans les meilleurs délais.

Europe 1 : Il paraît que c'est la peau de chagrin, ce n'est pas le Paris-Saint-Germain, ce n’est pas le Red Star, ce n'est pas Aubervilliers. Vous allez jusqu'à Noisy-le-Sec ?

G. Drut : Non. On a eu des contacts avec tous les clubs que vous avez cités. Un club ne se fait pas du jour au lendemain. Il faudra au moins deux ans, trois ans, quatre ans, cinq ans, c'est un minimum, pour arriver au plus haut niveau.

Europe 1 : Peut-on imaginer une création ex-nihilo, un banlieue-football-club pour Paris ?

G. Drut : Je ne crois pas. Il faut partir d'un existant mais si on veut que le club soit fort et puissant et puisse durer, il faut que les bases soient saines et solides, et c'est la raison pour laquelle je passe du temps sur les bases.

Europe 1 : Qui donnerait les moyens financiers à la création d’un tel club ?

G. Drut : On verra bien. C'est en discussion.

Europe 1 : On a dit TF1.

G. Drut : On a dit TF1, on a parlé de tellement de choses, on dit tellement de choses, temps en temps.

Europe 1 : Le ministre des sports est-il prêt à défendre les petits clubs sur cet amendement buvette qu’on voit refleurir à chaque session parlementaire ?

G. Drut : Le ministre des sports est là pour défendre bien sûr, mais surtout aussi pour promouvoir tout l'associatif, les petits clubs qui ont moins de moyens. L'Assemblée nationale, les parlementaires ont fait leur travail, je suis en étroite relation avec eux et ce que je remarque c'est qu'au niveau des petits clubs, il n'y a que les parlementaires qu'on a entendus jusqu'à maintenant. Je préférerais, de temps en temps aussi, entendre le mouvement sportif.

Europe 1 : Mais sur le fond, ça ne vous semble pas aberrant qu'il y ait une buvette pour alimenter les finances d'un petit club ?

G. Drut : Sur le fond, il faut donner les moyens à ces petits clubs de pouvoir exister davantage que ce qui se passe aujourd'hui.

Europe 1 : Donc avec une buvette ?

G. Drut : Une buvette ou autre chose, mais il faut qu'ils puissent exister.

Europe 1 : Vous étiez dimanche au Grand Prix de Monaco : avec la victoire de Ligier, on se reprend à rêver d’écurie française en Formule 1 ?

G. Drut : Moi, j'aimerais bien avoir un jour ou l'autre une écurie française qui conforte la pérennité de la présence française au plus haut niveau dans le sport automobile.

Europe 1 : Est-ce que le ministre peut faire pression sur Renault, Peugeot... ?

G. Drut : Il ne s'agit pas de contraindre mais de convaincre, ce n'est pas du tout la même démarche. C'est Monsieur Chirac qui est Président de la République maintenant.

Europe 1 : Un mot sur les rythmes scolaires, puisque que vous avez plaidé pour une réforme audacieuse. Est-ce que M. Bayrou vous semble assez audacieux avec ses deux départements expérimentaux ?

G. Drut : Il y aura plus de 100 000 enfants qui vont avoir d'autres rythmes scolaires à la rentrée 1996. F. Bayrou s'est exprimé très ouvertement et très fortement samedi dernier à Angers en disant qu'après en avoir discuté, nous nous sommes mis d'accord sur l'extension de l'expérimentation à deux départements pour la rentrée 1997. Il est tout à fait normal que ce soit le ministre de l'éducation nationale qui puisse s'exprimer sur ce plan et nous sommes toujours en étroite relation. Le fait que nous ayons, l'un et l'autre, au même moment, parlé de la même chose et d'une même voix, prouve qu'il n'y a aucun problème.

Europe 1 : Est-ce que cela va assez vite ?

G. Drut : C'est une réforme vraiment très importante et c'est le Président de la République lui-même qui, dès le départ, l'a basée sur un septennat. Un septennat, plus ou moins deux, on arrive entre cinq et dix ans, cela me paraît normal.


Date : mardi 25 juin 1996
Source : France Inter / Édition du matin

France Inter : Les déclarations de J.-M. Le Pen sur la représentativité des joueurs de football français, puisqu'il récidive ce matin dans la presse, manifestement, ses déclarations ne sont pas un dérapage incontrôlé, mais elles sont voulues ?

G. Drut : Quand il s'agit de J.-M. Le Pen, ça frise toujours le ridicule mais c'est dangereux parce que ce n'est pas inoffensif. Une fois de plus, il essaye de s'en sortir mais il ne fait que s'enfoncer. Franchement, cette équipe de France, nous avons tout lieu d'en être très fier alors que J.-M. Le Pen, pour moi, c'est plutôt la honte. Il n'y a pas grand-chose à dire malheureusement, si ce n'est que cette équipe est supportée par l'ensemble de la nation. À lui, particulièrement, elle lui dit bien des choses et je crois que la meilleure preuve de l'homogénéité que cette équipe peut apporter à J.-M. Le Pen, c'est de remporter cette Euro. J'ai oublié de dire aussi que je suis moitié anglais - ma mère est anglaise. J'ai quand même été champion olympique, j'ai fait monter le drapeau français, j'ai fait jouer la Marseillaise dans le ciel canadien il y a 20 ans déjà, mais je n'ai pas chanté la Marseillaise, c'était à l'intérieur que ça se passait. Donc, je parle de la France, les Français, les sportifs français aiment la France, parlent de leur pays. Au niveau de la considération, ce n'est peut-être pas tout à fait la même que celle de J.-M. Le Pen, restrictive, négative. Nous sommes pour une France ouverte, positive, généreuse. Que ce soit bien entendu.

France Inter : Avez-vous déjà pensé à ce que vous ferez si cette équipe arrive en finale ?

G. Drut : Je suis un peu superstitieux. Je vais tout faire, bien que j'avais autre chose, pour y aller dès demain et puis j'y serai de toute façon dimanche, en finale, parce que je suis intimement persuadé que nous serons en finale et que cette équipe a tout ce qu'il faut pour remporter cet Euro.

France Inter : Est-ce que vous êtes tenté de suggérer au Président de la République de vous accompagner ?

G. Drut : Il le décidera lui-même.

France Inter : Vous présentez la sélection française pour Atlanta en athlétisme. On avait des doutes sur le nombre de champions.

G. Drut : Ça tournera autour d'une cinquantaine d'athlètes. L'athlétisme français n'est pas au mieux de sa forme. Surtout qu'on a malheureusement aujourd'hui entendu le forfait du français Diagana, qui est un garçon extraordinaire et qui doit être bien triste ce matin. On peut avoir une pensée pour lui, parce que c'est une valeur sûre.

France Inter : Justement, à propos de ce forfait, est-ce qu'on ne tire pas trop sur la corde, sur la santé de ces sportifs ?

G. Drut : Non, regardez M.-J. Pérec est en pleine forme. C. Jakson, l'athlète anglais sur 110 mètres haies, a eu aussi en début de saison, une fracture de fatigue. Il revient difficilement à sa meilleure forme. Je crois que ça fait partie du jeu. On n'en a pas plus que les autres, ni plus ni moins, c'est général. On fait peut-être un peu plus attention en France parce qu'on a un peu moins de champions. Donc, quand ils se blessent, le vide est plus important.

France Inter : Pouvez-vous levez un peu le voile sur cette sélection, pas sur les individus mais sur les épreuves ?

G. Drut : Dans les lancers, en sprint masculins, il y a manifestement beaucoup à faire, énormément Dans le demi-fond, c'est relativement correct. Dans les sauts aussi, en longueur on a eu une excellente surprise. Par contre, on peut remarquer que, qualitativement, les filles s'en tirent beaucoup mieux que les garçons. Ce n'est pas forcément un mal.

France Inter : À quoi ça tient ? À leur entraîneur ?

G. Drut : Non, pas forcément. Elles ont peut-être un caractère différent ou une attitude différente face à la compétition. Et puis, il y a aussi le fait que les contrôles antidopage étant ce qu'ils sont, la concurrence des pays de l'Est n'est quand même plus ce qu'elle était. Ce sont toutes des femmes maintenant !

France Inter : Vous êtes ministre de la jeunesse et des sports et c'est au titre de cette qualité que vous allez vous adressez à des jeunes, jeudi, publiquement. Quand on voit toutes ces annonces de suppressions d'emplois, qu'allez-vous pouvoir leur dire pour leur donner le moral ?

G. Drut : Je vais rencontrer une centaine de jeunes, je l'ai déjà fait la semaine dernière à Toulouse, et puis je compte dès la rentrée, entamer un peu un tour de France pour aller à la rencontre de ces jeunes, pour les mobiliser, les motiver, les écouter aussi essentiellement. Je suis pour leur faire confiance, les aider, non pas les assister mais les aider à prendre leurs responsabilités à arriver au stade de l'autonomie, à la citoyenneté. C'est très important Il faut les aider à acquérir leur premier boulot, leur premier logement, leur premier stage et puis, à mieux les informer également. Le ministère de la jeunesse et des sports bénéficie d'environ 1 300 points d'information jeunesse, ce qu'on appelle les PIJ, les BIJ, les CIJ, un centre, ou un point, ou un bureau selon l'importance, il faut s'en servir. Il y a environ cinq millions de passage par an, il faut se donner un objectif plus important.

France Inter : Est-ce que c'est de ça dont ils ont besoin ? Est-ce que ça n'est pas plutôt d'une représentation de l’avenir qui ressemble à quelque chose ?

G. Drut : Quand vous les écoutez - par exemple, lundi dernier, j'ai fêté le dixième anniversaire de Défi-jeunes. C'est une espèce de bourse proposée aux jeunes et qui leur est donnée sur un projet, mais un véritable projet où on est obligé d'avoir un partenariat avec une entreprise -, quand on voit la richesse, la diversité de ce qui nous est proposé, on se dit qu'ils ont une possibilité de créativité extraordinaire. Ils ont toujours la volonté de dire quelque chose, de faire quelque chose. Moi, j'en ai un peu marre d'avoir cette image, ce cliché un peu misérabiliste de la jeunesse d'une part, et d'autre part de leur dire systématiquement qu'il n'y a rien à faire. Il y a toujours quelque chose à faire. Il y a des droits mais aussi des devoirs.

France Inter : Est-ce que ce cliché n'est pas entretenu par les hommes politiques qui insistent trop sur ceux qui ratent ?

G. Drut : Ça, tout à fait. C'est un peu l'esprit français. Moi, je ne suis pas pour la défense de la jeunesse, je suis pour sa promotion. Pas pour la défense des droits des jeunes mais pour leur promotion, la promotion aussi de leurs devoirs. Je ne suis pas pour la défense du sport mais pour la promotion. C'est un état d'esprit peut-être un peu différent. Je crois qu'il faut positiver un maximum. Je ne veux pas non plus me prendre pour leur porte-parole parce que j'ai 45 ans aujourd'hui, ça serait un peu ridicule. Je n'ai pas envie de le faire. Ce n'est pas ce qu'ils attendent. Mais ce qu'ils attendent, c'est certainement d'avoir quelqu'un qui était davantage à leur écoute pour les aider dans leur volonté d'arriver à l'autonomie, à la citoyenneté.

France Inter : Mais allez-vous leur annoncer quelque chose ?

G. Drut : Je vais leur annoncer quelque chose, bien sûr, jeudi, notamment au niveau du logement, au niveau de l'emploi, au niveau des Défi-jeunes, au niveau de cette possibilité d'avoir un dialogue constructif. C'est au fur et à mesure de ces rencontres, de ces déplacements à travers tout l'Hexagone que je pourrai me faire une idée beaucoup plus précise de leurs besoins, de leurs attentes et de leurs propositions.