Texte intégral
France 2 : Nous allons parler du nouveau dispositif concernant les expulsions, expulsions qui, selon la loi, reprennent le 15 mars, puisqu’elles ne peuvent pas avoir lieu l’hiver. Dans le cadre de la loi sur l’exclusion, les expulsions vont être modifiées. En quoi consiste la modification ?
Luc Besson : C’est un changement de logique. Aujourd’hui, les services de l’État, le préfet ne se trouvent saisis que tout à fait en fin de parcours, quand toutes les démarches devant la justice ont échoué, que même l’huissier n’a pas réussi à faire appliquer un jugement ; il se tourne vers le préfet et demande le concours de la force publique.
France 2 : Pour pratiquer l’expulsion, point.
Luc Besson : Voilà, pour pratiquer l’expulsion. Les préfets sont soucieux de leur public. Ils regardent s’il s’agit d’un cas socialement grave ou non, et ils accordent ou non le concours de la force publique. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que, souvent, les impayés ont commencé depuis douze mois, quinze mois, dix-huit mois, vingt-quatre mois… et on a des propriétaires exaspérés parce qu’ils n’ont pas perçu leur loyer – c’est légitime – et des locataires traumatisés à la perspective de ce que peut représenter l’intervention des forces de l’ordre vis à vis d’enfants…
France 2 : C’est cette logique-là que vous allez casser ?
Luc Besson : Absolument ! On inverse complètement le processus. La loi de lutte contre les exclusions crée un délai de deux mois, tout à fait à l’amont de la décision de justice. C’est-à-dire que, dès l’assignation en résiliation de bail, une copie doit être adressée au préfet à peine de nullité et, dans les deux mois, le préfet doit mobiliser les acteurs sociaux de manière à ce que, quand intervient le jugement, on sache si on a affaire à un cas social qui a été traité d’une manière préventive – auquel cas il n’y a plus de traumatisme à redouter – ou si on a affaire à une expulsion qui mérite de se concrétiser – c’est une sanction, ça n’est pas un cas social –. Voilà, le tri sera fait.
France 2 : L’objectif, c’est quoi ? C’est de faire en sorte que les propriétaires arrivent tout de même à récupérer une partie des loyers ? À éviter les expulsions ? À aider les familles qui sont réellement en difficultés ?
Luc Besson : L’objectif, c’est que la bonne foi et l’impécuniosité ne doivent pas subir une sanction, mais une aide sociale qui permette de rétablir beaucoup plus rapidement la solvabilité des locataires, et donc, éviter l’accumulation des retards de loyers pour les bailleurs.
France 2 : Quand on est propriétaire et qu’effectivement on n’arrive pas à se faire payer un loyer, dès qu’on va voir le juge, on sait en même temps que les services sociaux seront saisis et regarderont le cas.
Luc Besson : C’est comme cela que les choses vont effectivement se passer. Au lieu de saisir l’État pour lui demander le concours de la force publique, on le saisit beaucoup plus tôt pour lui demander la mobilisation des services sociaux.
France 2 : Et cela concerne tous les secteurs de l’habitat, privé… ?
Luc Besson : Absolument, avec des modalités un petit peu différentes pour le secteur HLM, mais l’ensemble des locataires sont concernés par ces dispositions.
France 2 : Ça touche à peu près combien de cas, les impayés de loyers ?
Luc Besson : Il y a en fait un peu plus de 110 000 assignations en résiliation de bail par an. La simple assignation fait qu’un certain nombre de locataires se mettent en ordre, et on se retrouve en fait avec 88 000 cas véritables où il y a effectivement résiliation du bail, et 48 000 – à peu près – commandements à quitter les lieux. Ces 48 000 commandements à quitter les lieux se traduisent en quelque 32 000 demandes du concours de la force publique ; les préfets en accordent 14-15 000 et effectivement, il y a 5 000 environ, en moyenne annuelle, interventions effectives des forces publiques.
France 2 : Est-ce que ce dispositif sera mis en place avant la date du 15 mars ? C’est trop tôt ?
Luc Besson : Le dispositif est déjà, dans son principe, dans la loi, quelque part pris en compte. Je verrai les préfets dès le mois prochain pour que nous ajustions les modalités pratiques de la mise en œuvre de la circulaire qui leur a été adressée.
France 2 : Deux questions sur les logements vacants. La taxe sur les logements vacants, est-ce que ça fonctionne ? Est-ce qu’elle produit ses effets ? Et deuxièmement, la réquisition : on en reparle beaucoup, sur les logements vides. Il y a un nouveau texte ? Est-ce que, là encore, on va y recourir ?
Luc Besson : Vous me faites parler là de tous les aspects un petit peu désagréables du secteur dont j’ai la charge ; j’en ai d’autres qui sont effectivement plus heureux. La vacance, c’est un vrai problème contemporain. Quand nous avions une crise du logement en 1954, nous manquions de logements. Aujourd’hui, il y a des situations critiques, mais plus de deux millions de logements déclarés vacants, dont sans doute quelques centaines de milliers récupérables. Donc dans les agglomérations de plus de 200 000 habitants où il y a une vacance à deux chiffres – c’est-à-dire 11,12 % – il y a effectivement la taxe sur la vacance, là où il y a de longues files d’attente. Ça a démarré au 1er janvier ; on en escompte une prise de conscience.
France 2 : Et la réquisition ?
Luc Besson : La réquisition, il y avait l’ordonnance de 45, un peu bête et méchante, brutale, peu utilisée, très peu utilisée. Il ne s’agit pas de réquisitionner des particuliers, même pas des SCI familiales…
France 2 : Il ne faut pas traumatiser non plus les propriétaires.
Luc Besson : Uniquement des institutionnels.
France 2 : Toute dernière question : un peu de prospective sur le logement. On dit : quand le bâtiment va, tout va. Est-ce que ça va mieux ? Est-ce que la crise du logement est passée ?
Luc Besson : Je suis heureux de cette question ! Oui, la crise la plus aiguë est dernière nous. La situation de l’emploi dans le bâtiment s’est stabilisée au cours de l’été 98. En 99, les professionnels attendent 10 000 créations d’emplois : ce serait l’illustration de ce que les préoccupations sociales, qui sont à prendre dans ce secteur fondamental pour la vie des gens, sont compatibles aussi avec l’efficacité économique que l’on peut souhaiter. On pourrait ne pas être loin des 300 000 logements par an au lieu de 270 000.