Editorial de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, dans "Force ouvrière hebdo" du 25 juin 1997, sur les mesures gouvernementales en matière d' emploi et de salaires, la réduction du temps de travail, et la poursuite de la "fiscalisation" de la Sécurité sociale, intitulé : "Au milieu du gué".

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Média : FO Hebdo

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Au milieu du gué

Le discours de politique générale est l’occasion, pour un Premier ministre qui vient d’être nommé, d’exposer les grandes orientations qu’il entend imprimer à l’action du gouvernement.

Le 19 juin, Lionel Jospin s’est livré à l’exercice attendu devant les députés. Très clair sur l’appel aux valeurs républicaines, au rôle de la Nation, à la consolidation de la démocratie – ce dont nous nous félicitons – le discours a été moins précis en matière économique et sociale.

Dans l’attente du prochain collectif budgétaire, il est pour le moment assez difficile de savoir si le gouvernement s’accordera de réelles marges de manœuvre ou s’il essaiera, pour l’essentiel, de procéder à des redéploiements.

En clair, il s’agit de savoir si le pacte de stabilité avalisé à Amsterdam sera effectivement appliqué à la lettre, ce qui signifierait alors que l’économie française resterait dans un carcan, faisant perdurer l’économie restrictive. Dans la limite où les annonces concrètes ne permettent pas, pour l’instant, de trancher, il va falloir attendre les décisions du gouvernement à la suite de l’audit qui lui sera remis à la mi-juillet.

Et cela nous conduit à nous interroger sur les risques de plan de rigueur ou d’austérité.

Dans l’immédiat, si certaines dispositions vont dans le bon sens (logement – maintien des effectifs dans la fonction publique) d’autres sont timides ou demandent à être précisées.

C’est le cas en matière de salaires. L’augmentation de 4 % du SMIC est insuffisante, d’autant qu’un complément n’a pas été annoncé pour l’automne. Par ailleurs, rien n’a été dit sur la révision des dispositions dont bénéficient les entreprises en matière d’exonérations de cotisations sociales patronales (jusqu’à 1,33 SMIC).

Enfin, le gouvernement n’a pas indiqué qu’il inciterait les employeurs (par la convocation de réunions mixtes) à renégocier les minimas de branches.

Comme nous l’avons rappelé, la France est l’un des pays où, actuellement, la part des salaires dans la valeur ajoutée est la plus faible (celle-ci étant au niveau le plus bas depuis vingt-cinq ans).

En matière de réduction de la durée du travail, l’annonce des 35 heures sans perte de salaire va dans le bon sens. Mais il va falloir veiller à ce que cela ne se traduise pas par une flexibilité accrue et de nouvelles aides (de type loi Robien) aux entreprises.

En matière de Sécurité sociale, le fait de transférer la cotisation ouvrière maladie sur la CSG, sans annoncer conjointement une clarification des financements et responsabilités entre l’État et la Sécurité sociale, est inquiétant. C’est la poursuite de la fiscalisation de la Sécurité sociale, c’est-à-dire de sa fragilisation et de la remise en cause accentuée d’une forme essentielle de démocratie sociale.

Doit-on, comme le fait la CFDT, utiliser la Sécurité sociale pour tenter de répondre à un problème de pouvoir d’achat ? N’est-ce pas faire prendre des vessies pour des lanternes ? N’est-ce pas s’inscrire dans la nécessité de la compétitivité-prix à l’origine du chômage, des inégalités et de l’exclusion ?

De tout cela nous aurons l’occasion de reparler durant l’été, en préparation de la conférence de septembre et dans la préparation des états généraux de la santé dans lesquels Force ouvrière entend tenir activement sa place.

Renforcer la conception solidaire et égalitaire de la Sécurité sociale impose le réexamen du plan Juppé, la remise en selle de la démocratie sociale et d’adapter l’économie aux objectifs sociaux.

Aujourd’hui, on a un peu le sentiment d’être au milieu du gué. Pour Force ouvrière, il va falloir faire les interventions et pressions indispensables pour traverser le gué. Nous y sommes déterminés.