Interview de M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, à RTL le 8 juillet 1997, sur les premières mesures prises par le gouvernement notamment l'augmentation de l'allocation de rentrée scolaire, et sur les solutions envisageables pour réduire le déficit budgétaire.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J. P. DEFRAIN : Vos partenaires communistes demandent la suspension des plans sociaux et des licenciements pendant l’été. Le Gouvernement peut répondre favorablement à R. Hue ?

D. STRAUSS-KAHN  : On comprend bien la préoccupation de R. Hue mais la loi ne permet pas vraiment qu’on suspende les plans sociaux, c’est une procédure qui est encadrée par la loi. Simplement, beaucoup d’entreprises en effet, avant les congés d’été, suspendent spontanément ces plans. Et donc, je pense que c’est une bonne pratique qu’il faut essayer d’encourager. Mais la loi ne peut pas intervenir de ce point de vue puisqu’elle ne prévoit pas cette mesure.

J. P. DEFRAIN : Il n’empêche que, derrière cette demande, R. Hue estime que le Gouvernement ne va pas assez vite, ne va pas assez loin ?

D. STRAUSS-KAHN  : Oui, il a sans doute raison, on ne va jamais assez vite et dans ce gouvernement qui s’est mis sur pied juste avant l’été, nous sommes beaucoup – le Premier ministre L. Jospin lui-même – à considérer que l’on voudrait que les choses aillent plus vite. Il y a des choses qu’il faut préparer pour qu’elles ne fonctionnent pas trop mal. Par exemple, la Conférence salariale qui doit réunir le patronat, les syndicats et l’État autour des questions de salaire et de réduction du temps de travail...

J. P. DEFRAIN : Mais ça, c’est à l’automne.

D. STRAUSS-KAHN  : Mais justement, c’était très difficile de dire "on va l’organiser, commencer à l’ouvrir le 28 juin" alors que la plupart des acteurs, notamment syndicaux, allaient partir en congés. Et donc, elle a été repoussée en effet à l’automne.

J. P. DEFRAIN : Alors, qu’est-ce qui peut aller plus vite ?

D. STRAUSS-KAHN  : Dès le début de l’automne, elle se mettra en place. Ce qui va quand même vite – et d’ailleurs dont vous aurez des nouvelles dès demain – ce sont notamment les décisions financières que je viens de prendre sous l’autorité du Premier ministre pour financer un certain nombre de mesures qu’il avait annoncées dans sa déclaration de politique générale, vous vous en souvenez.

J. P. DEFRAIN : Alors, quelles décisions ?

D. STRAUSS-KAHN  : L’allocation de rentrée scolaire : elle était prévue à 420 francs, elle passe à 1 600 francs, multipliée par quatre. Cela fait beaucoup d’argent, 6,5 milliards, il fallait les trouver. On les a trouvés. De la même manière, ce qui a été dit sur les cantines ; de la même manière, ce qui a été dit sur le logement et notamment la revalorisation de l’allocation personnalisée au logement, l’APL, et enfin, les crédits pour les emplois jeunes. Tout ceci fait partie d’un décret qui sera signé demain ou après-demain et donc, les crédits sont désormais disponibles.

J. P. DEFRAIN : Oui, mais tout ça demande de l’argent, de l’argent dont le Gouvernement a besoin mais aussi, dans le même temps, vous dites qu’il faut réduire les déficits, tout ça est contradictoire ?

D. STRAUSS-KAHN  : Ce n’est pas que c’est contradictoire, c’est la réalité qui est comme ça. Mais vous avez raison, la majorité sortante a laissé un déficit beaucoup plus important que prévu. Vous savez que L. Jospin a demandé une évaluation à deux magistrats, elle sera connue précisément le 21 juillet. Donc, je n’ai pas les chiffres exacts mais on sait bien...

J. P. DEFRAIN : Vous avez une idée ?

D. STRAUSS-KAHN  : Oui, exactement On sait bien que le déficit est plus important que celui qui avait été voté par le Budget. Comment est-ce que la droite au pouvoir a laissé, dans les six premiers mois de l’année, son budget déraper comme ça, complètement ? Je n’en sais rien. Mais la réalité est là. Et donc vous avez raison de dire que c’est difficile. Et ça explique sans doute en partie l’impatience des uns et des autres, qui est bien légitime. C’est difficile à la fois de dire "attendez, le déficit est en train de partir complètement dans le mur, il faut faire un peu attention" et d’un autre côté, de mettre en œuvre l’ensemble des réformes qui étaient proposées. Il y a un chemin qui est étroit, c’est celui-là que le Gouvernement suit, je vous le disais. Par exemple, il y a une dizaine de milliards de dépenses nouvelles qui sont engagées et, dans le même temps, on ne peut pas aller aussi vite qu’on l’aurait voulu cause de ce déficit de M. Juppé.

J. P. DEFRAIN : Mais le 21 juillet, lorsque vous aurez connaissance de l’audit, c’est-à-dire de l’état des lieux, est-ce que vous annoncerez des mesures vous donnerez un calendrier ?

D. STRAUSS-KAHN  : Vous donnez vous-même un peu la réponse à la question : ça dépend du résultat de l’audit. Mais comme on sait, en effet – même si on n’en mesure pas exactement encore l’ampleur, c’est le travail de cette évaluation – que de toute façon il y a eu dérapage, il faudra faire un peu attention. Vous savez, lorsqu’il y a du déficit, qu’est-ce qui se passe ? On est obligé de s’endetter un peu plus. Cela veut dire d’abord que l’on fait reporter sur les générations futures, ensuite on limite ses marges de manœuvre parce que l’année d’après, il faut rembourser, donc on a d’autant moins d’argent. Et enfin, ça risque de faire monter les taux d’intérêt, ce qui n’est pas bon pour l’investissement et donc pour l’emploi. Donc, il faut essayer de limiter le déficit, tout le monde le comprend. Moi, je n’ai pas la religion du déficit zéro mais enfin, il ne faut pas non plus aller complètement à l’encontre d’une gestion correcte. Or, c’est ce qu’a fait le gouvernement précédent, en tout cas si l’évaluation est bien ce que l’on craint. Donc, comme vous le dites, à ce moment-là, il faudra corriger un peu. Il y a beaucoup de solutions pour le faire.

J. P. DEFRAIN : Lesquelles ?

D. STRAUSS-KAHN  : Elles n’ont pas encore été choisies par le Gouvernement, j’allais vous le dire. Vous savez, dans le principe, il y a trois solutions possibles, ce n’est pas bien malin : la première est de dire "on va dépenser moins, on va faire des économies" mais ce n’est pas très facile d’autant que, comme l’a dit L. Jospin, il ne veut pas mener une politique d’austérité. Et faire des économies, ça veut dire moins de service public – très bien, on le sait. La seconde est de dire "il faut demander un peu plus d’argent aux familles, aux ménages qui en ont le plus, les plus aisés", néanmoins, on ne peut pas aller au-delà de certaines limites non plus. Et la troisième est de dire "il faut demander un peu plus d’argent aux entreprises qui vont bien".

J. P. DEFRAIN : Alors précisément, les Français doivent-ils s’attendre à une augmentation de la pression fiscale, comme certains le laissent entendre ?

D. STRAUSS-KAHN  : Non, pas de la pression fiscale. Car, voyez-vous, si ce déficit est si important, si le Gouvernement de M. Juppé laisse un déficit bien plus important qu’il ne l’avait lui-même prévu sans doute d’ailleurs, ce n’est pas tellement parce que ses dépenses ont beaucoup augmenté – elles ont un peu augmenté au-delà du raisonnable mais ce n’est pas tellement à cause de ça – c’est surtout parce que les recettes ne sont pas là. Et donc s’il fallait – je n’en suis pas sûr encore aujourd’hui – prendre quelques mesures pour corriger, ça serait simplement corriger des recettes qui ne sont pas là. Donc, au total, la pression fiscale ne changerait pas.

J. P. DEFRAIN : Oui mais D. Vaillant déclare que l’on pourrait imposer un peu plus ceux qui gagnent beaucoup. Alors beaucoup, c’est combien et qui ?

D. STRAUSS-KAHN  : Oui, ceci n’a pas été décidé, je vous le disais à l’instant. Il est clair qu’il y a un certain nombre de cadeaux fiscaux qui existent, dont on peut penser que si le pays a besoin de faire un effort, c’est plutôt sur ceux-là qu’il faut revenir.

J. P. DEFRAIN : Vous allez toucher à l’ISF ?

D. STRAUSS-KAHN  : De toute façon, les socialistes, dans leur programme, ont annoncé qu’ils étaient d’avis de remonter légèrement l’ISF. Ce n’est même pas lié au déficit laissé par le gouvernement précédent. Non, simplement lorsque les élections ont lieu en milieu d’année, on prend les choses comme elles sont. On s’est beaucoup interrogé sur les raisons de la dissolution. Maintenant, on les comprend. À la façon dont dérivait le budget, le Gouvernement de M. Juppé s’est dit "il y a des mesures à prendre, il va falloir les prendre, nous n’allons pas être bien populaires, donc on préfère avoir les élections avant". Ils les ont perdues, d’accord, il reste que ça n’a pas changé le déficit.

J. P. DEFRAIN : Sur la pression fiscale, vous toucherez aussi aux entreprises ?

D. STRAUSS-KAHN  : S’il y a des mesures, je préconise qu’elles soient équilibrées entre tout le monde, c’est-à-dire les économies, les ménages, les entreprises, que tout le monde fasse un effort pour corriger ce dérapage que les six premiers mois de l’année 1997 laissent attendre.

J. P. DEFRAIN : Ce matin, le commissaire européen M. de Silguy met en garde la France après la déclaration de L. Jospin selon laquelle s’il y avait un choix à faire entre l’euro et l’emploi, il poserait la question aux Français. On ne sait pas sous quelle forme. L’euro sera à l’heure, dit-il, avec ou sans la France. La France, une nouvelle fois, semble hésiter ?

D. STRAUSS-KAHN  : Non. Non, L. Jospin l’a dit avec force : nous voulons faire l’euro et nous voulons le faire à la date prévue du 1er janvier 1999. Et dans ces conditions, je ne crois pas du tout que l’euro puisse se faire sans la France. D’ailleurs, je vais vous dire : sans la France, il n’y aura pas d’euro. Les Anglais ne veulent pas y venir. Bien, c’est leur affaire. Nous, nous voulons. Mais si la France n’y allait pas, qui resterait-il ? L’Allemagne et autour, une zone mark. Mais ça, ça existe déjà. Le grand changement, justement, c’est le fait que nous allons construire une monnaie qui ne sera pas le mark pour l’Europe, qui sera l’euro. Et c’est ce que nous voulons tous.

J. P. DEFRAIN : Mais un dérapage du déficit budgétaire entraînerait une disqualification de la France ou pas ?

D. STRAUSS-KAHN  : Non, il y aura une discussion au mois de mai prochain autour de cette question entre les chefs d’État et de gouvernement. D’ailleurs, nous ferons des efforts pour que la France puisse être en situation et je pense que lorsque la décision devra venir, les Français, les Allemands, tous ceux qui veulent que l’euro se construise... Parce que ce n’est pas un choix entre l’euro et l’emploi : lorsque l’euro existera, il servira l’emploi. Et c’est pour ça que nous devons le faire.

J. P. DEFRAIN : M. de Silguy pense l’inverse.

D. STRAUSS-KAHN  : Oui, mais M. de Silguy n’est pas le gouvernement français.

J. P. DEFRAIN : Une dernière question : l’ambiguïté demeure sur l’ouverture du capital de France Télécom. Y aura-t-il ou non une ouverture du capital et si oui, quand ?

D. STRAUSS-KAHN  : Le Premier ministre, là aussi, là-dessus, a été extrêmement précis. Il a dit "nous allons examiner cas par cas les situations et lorsque c’est nécessaire, dans l’intérêt national, ou dans l’intérêt des entreprises en question, que des alliances par exemple puissent se faire, il faudra y regarder de près". Donc on va regarder ce dossier-là comme d’autres d’ailleurs, il n’y a pas simplement le problème de France Télécom, il y a l’ensemble des dossiers qu’il faut regarder. Il se peut qu’il soit nécessaire pour certains de créer des alliances avec des grands partenaires pour ne pas être isolés dans le monde, comme le disait J.-Y. Hollinger tout à l’heure en parlant d’Internet qui est un sujet tout à fait majeur des années qui viennent, d’autres pour lesquels ça n’est pas nécessaire. La différence entre le gouvernement de L. Jospin et le précédent, c’est que le précédent, pour des raisons idéologiques, voulait privatiser à tout-va. L’entreprise publique, c’était mauvais en soi, il fallait la vendre à tout prix. Nous ne disons pas du tout ça, il y a de très bonnes entreprises publiques et il y a des situations dans lesquelles il faut pouvoir passer des alliances avec des partenaires.