Texte intégral
La Provence :
Vous venez à Marseille installer la Commission d’accès à la citoyenneté. Quel est son rôle ? Que faut-il en attendre ?
Jean-Pierre Chevènement :
La France compte environ deux millions de jeunes nés d’au moins un parent étranger. Ils ont du mal à trouver leur place dans la société. C’est un devoir moral pour tout responsable public de tout faire pour qu’ils trouvent un emploi, qu’ils s’insèrent dans la vie professionnelle, dans la vie civique. Les CODAC ont pour rôle de mobiliser les services de l’État mais aussi les élus, les associations à cette grande tâche d’intérêt national : réussir l’accès à la citoyenneté de tous ces jeunes. Nous attendons d’eux qu’ils respectent la loi. L’égalité des devoirs va de pair avec l’égalité des droits. Encore faut-il qu’ils puissent exercer ces droits ! Les discriminations qu’ils subissent trop souvent, à l’emploi, dans les loisirs, pour le logement sont tout simplement contraires aux principes républicains. La CODAC aura aussi pour mission de lutter contre ces discriminations. Les jeunes Français nés de l’immigration portent une richesse de capacités qu’il faut aider à s’épanouir.
La Provence :
La délinquance juvénile est devenue la plaie des quartiers sensibles. On en revient à la police de proximité ? Comment la concevez-vous ? La police d’ordre reste-t-elle une priorité ?
Jean-Pierre Chevènement :
Nous devons évoluer progressivement d’une police d’ordre à une police de proximité. Naturellement l’ordre public continuera d’exiger des effectifs, de techniques, des matériels, c’est la mission traditionnelle de l’État : elle ne sera pas négligée. Mais l’amélioration de la sécurité, spécialement dans les villes, appelle un redéploiement vers la police de proximité. Ce n’est pas seulement l’îlotage, c’est aussi le travail en commun de plusieurs partenaires : la police, la gendarmerie, la justice, les communes, les services sociaux, l’éducation nationale et bien d’autres. Les contrats locaux de sécurité organisent cette coopération sur le terrain. Il faut aller, dans l’organisation de la police de proximité, vers un maillage précis des quartiers, avec des responsabilités bien définies pour ceux qui auront la charge de secteurs délimités. L’évolution de la délinquance exige une adaptation des méthodes de la police nationale. Celle-ci doit aller à la rencontre des citoyens qu’elle a la charge de protéger et qui gagneront beaucoup à la connaître mieux. Une politique de sûreté efficace ne va pas sans un rapport de confiance entre la police et la population.
La Provence :
Un colloque s’est tenu récemment sur la prévention de la délinquance. Un dossier géré par les ministères de l’Intérieur, de la Ville, de l’Éducation nationale, des Affaires sociales et de la Défense. Toutes ces articulations ne compliquent-elles pas le traitement de ce problème ?
Jean-Pierre Chevènement :
Sur le terrain, les différents services de l’État travaillent ensemble et, de mieux en mieux. Les contrats locaux de sécurité vont organiser ce traitement global qui allie prévention autant que possible et sanction nécessaire pour fixer les limites et rappeler les règles.
La lutte contre la délinquance, pour le droit de chacun à la sûreté, n’est pas seulement affaire de police : citoyenneté, efficacité, proximité, ces trois actes de travail retenus par le colloque de Villepinte supposent que les parents, les enseignants, les élus, les responsables s’impliquent dans la reconquête républicaine des banlieues.
La Provence :
On a l’impression que, pour l’État, garantir des biens et des personnes devient une mission quasi impossible.
Jean-Pierre Chevènement :
Non, c’est tout à fait inexact. Malgré un accroissement de la délinquance des mineurs, et des violences urbaines, je rappelle que la délinquance globale s’est accrue de 2 % en 1998, après une diminution de 1,9 % en 1997, elle est au niveau de 1996, c'est-à-dire celui de la deuxième meilleure année depuis le début des années 90. Je ne dis pas cela pour minimiser les difficultés. Mais il faut les affronter sans céder à la surenchère ni à la démagogie.
La Provence :
Vous entendra-t-on durant la campagne des Européennes ? On a l’impression que vous avez la dent dure contre Daniel Cohn-Bendit ?
Jean-Pierre Chevènement :
J’interviendrai activement pour soutenir la liste conduite par François Hollande où mon ami Sami Naïr est en troisième position, pour le Mouvement des Citoyens. Le MDC mènera une campagne offensive, tournée vers l’avenir, pour réorienter la construction européenne, pour une Europe politique et sociale, respectueuse des nations. Pour faire contrepoids à un libéralisme sans frein, je ne fais confiance à la tête de liste que se sont choisi les Verts ! Je préfère rencontrer le môle central de la Gauche. L’élection du 13 juin sera aussi l’occasion de donner au gouvernement de Lionel Jospin toutes ses chances pour influer efficacement en faveur de l’emploi et de la croissance. C’est l’enjeu principal. Il ne faut pas se laisser distraire par les jeux de miroir médiatiques.
La Provence :
Certains de vos amis redoutent que le Mouvement des Citoyens se dissolve dans le Parti socialiste. Partagez-vous cette crainte ?
Jean-Pierre Chevènement :
Nos convictions sont solides, et elles sont utiles à la Gauche et à la France. Nous avons soutenus Lionel Jospin dès 1995, nous avons conclu des accords, notamment avec le PS, pour les élections législatives de 1997 : l’autonomie du MDC n’est pas plus en cause aujourd’hui qu’elle ne l’était hier. Je n’ai jamais considéré qu’un parti politique était à lui seul un but, mais les tâches du Mouvement des Citoyens ne sont pas achevées et les militants ont parfaitement compris qu’une liste commune n’était pas pour autant une fusion avec le PS qui, d’ailleurs, ne le demande pas. En revanche, cet accord montre utilement qu’une page est tournée. Nous tournant vers l’avenir, nous avons ensemble le devoir d’infléchir la construction européenne. Les citoyens qui veulent faire vivre les valeurs républicaines chères à la France, souhaitent une nouvelle politique en Europe pour faire reculer le chômage. Je les appelle donc à soutenir la liste de François Hollande et Sami Naïr : elle seule pourra vraiment peser demain.
La Provence :
La politique menée en Corse par le gouvernement depuis un an maintenant semble avoir des effets inverses à ceux recherchés : les nationalistes se renforcent, les attentats reprennent et les assassins de Claude Erignac courent toujours. Par ailleurs, la situation économique de l’île ne s’améliore pas. N’est-ce pas là un constat d’échec ?
Jean-Pierre Chevènement :
La situation économique de la Corse s’améliore au contraire. Il y a certes quelques entreprises qui, ne disposant plus des crédits cachés qui leur étaient irrégulièrement accordés, ne résistent pas aux conditions normales du fonctionnement de l’économie. Les autres qui sont l’immense majorité, se portent bien. La situation de l’emploi en Corse, qui est en net progrès, en témoigne. La saison touristique de l’été 1998 a été excellente. Celle de l’année présente s’annonce encore meilleure.
Quant aux nationalistes, je distingue ceux qui défendent leurs idées dans le cadre de la République, qui usent de leurs droits démocratiques, et ceux qui s’expriment avec les armes à feu et les explosifs. Ceux-là sont une minorité. Les dernières élections ont montré que plus de 83 % des Corses ne se reconnaissent pas dans ceux qui recouvrent au terrorisme. C’est sur cette écrasante majorité que le gouvernement compte pour assurer l’avenir de la Corse.
Cet avenir qui est dans le développement, n’est pas concevable sans le respect de la loi, sans le rétablissement de l’ordre public. L’État en a la responsabilité éminente. C’est pourquoi le gouvernement poursuivra sa politique d’instauration de l’État de droit. D’autant que, de ce point de vue, nous avons enregistré d’incontestables succès : le nombre des attentats en 1998 n’a jamais été aussi bas depuis 1976. Les crimes de sang sont élucidés. Des terroristes sont découverts et remis entre les mains de la justice.
La politique du gouvernement en Corse est une action de longue haleine. Elle ne donnera ses fruits que dans la durée. Mais avec la persévérance, elle connaîtra, j’en suis convaincu, un heureux succès, pour le plus grand intérêt de la Corse et de la France.