Texte intégral
RMC - lundi 2 juin 1997
RMC : Bravo d’abord pour cette victoire en Corrèze, ce n’était pas facile ?
F. Hollande : Ce n’était pas facile mais, là-bas comme ailleurs, on voulait le changement et on l’a traduit.
RMC : Est-ce que vous êtes surpris vous-même, F. Hollande, ce matin par la victoire, je dirais l’étendue de la victoire obtenue hier par votre camp ?
F. Hollande : À vrai dire oui, mais on est dans l’inédit dans cette campagne, depuis le départ : une dissolution dont on n’a toujours pas compris la raison. En tout cas, si la raison c’était de gouverner cinq ans de plus avec Alain Juppé, je crois que c’est raté. Une campagne, donc, qui est partie sur une base qui était faussée et ensuite qui s’est déroulée dans l’inattendu et qui se finit dans l’inédit.
RMC : Je vais vous poser une question très franche, est-ce que vous êtes prêts à gouverner, à gauche ?
F. Hollande : Oui, nous sommes prêts, on n’est jamais tout à fait prêt. C’est comme pour les examens, même si on attend le jour J, on n’est pas sûr d’être prêt quand même. Donc, il faut prendre les choses telles qu’elles se présentent et il faut être à la hauteur de l’aspiration qui est maintenant dirigée vers nous.
RMC : Je ne sais pas si vous avez entendu cette phrase de Philippe Séguin hier, l’ancien président de l’Assemblée nationale disant : « on ne sait pas qui il faut plaindre ce soir, les vainqueurs ou les vaincus », pour définir la difficulté de la tâche qui vous attend.
F. Hollande : Oui, encore que je crois qu’il aurait voulu plutôt être du côté des vainqueurs. Donc, je comprends bien qu’on veuille trouver des satisfactions à être perdant mais dans les élections, je crois qu’on n’a pas le choix. On se présente à des élections, c’est pour être élu, donc pour gouverner le pays. C’est vrai que c’est difficile, c’est vrai que c’est dur, c’est vrai qu’on vit sans doute le meilleur moment et qu’ensuite, commencent les difficultés. Mais à ce moment-là, c’est l’enjeu même de la politique. Si on ne veut pas gouverner ce pays, on ne se présente pas aux élections législatives.
RMC : 754 jours après son élection, Jacques Chirac va donc cohabiter avec la gauche, êtes-vous optimiste sur le bon déroulement de la cohabitation ? Je sais bien que tant que vous étiez dans l’opposition, vous disiez « ça va marcher », mais maintenant que vous allez rentrer en vraie cohabitation, est-ce que vous êtes optimiste sur son déroulement harmonieux ?
F. Hollande : Si nous respectons la Constitution, il n’y a pas de raison de ne pas trouver cet équilibre que chacun d’ailleurs souhaite, aussi bien les électeurs de gauche que les électeurs de droite. Maintenant, je vous le disais, on est dans l’inédit. Jamais, on n’a connu une cohabitation sur ces bases-là, c’est-à-dire après une dissolution et pour cette durée-là, c’est-à-dire normalement cinq ans. Alors, essayons d’inventer un nouveau système puisqu’on connaît la cohabitation mais on ne connaît pas la cohabitation dans ce cadre-là. Je crois que c’est de la responsabilité de chacun. On n’a pas intérêt, et les uns et les autres, à vouloir anticiper quoi que ce soit. Il faut respecter les échéances. Qu’on nous laisse gouverner cinq ans et je crois que chacun aura fait son devoir.
RMC : Mais même si chacun des camps tient à respecter l’autre, est-ce qu’il ne va pas y avoir un problème rapidement, par exemple sur l’Europe, est-ce que le président de la République ne sera pas tenté de considérer que l’Europe, c’est du domaine de sa compétence par exemple, est-ce qu’il n’y aura pas là une difficulté majeure dès le début ? Puisque votre camp a posé des conditions, est-ce qu’il ne va pas y avoir un problème dès le début sur ce point important ?
F. Hollande : Là, il y a un problème de forme et un problème de fond. Et je vais tout de suite aller au problème de fond. On avait posé des conditions, on a posé des conditions pour le passage à la monnaie unique et il est extrêmement frappant de voir que, dans la campagne électorale, tout le monde, de près ou de loin, s’est rapproché de nos positions, a considéré que nos conditions étaient les bonnes. Donc, je veux croire que ce qu’ont approuvé les Français, ce qu’ont finalement accepté les différents protagonistes au cours de cette campagne électorale, sera la règle commune. Il faut poser des conditions pour le passage à la monnaie unique. Le problème de forme, c’est ce que vous indiquez, c’est-à-dire le partage des compétences. Je crois qu’en matière européenne, ces compétences sont justement partagées, c’est-à-dire que le président de la République a son mot à dire et le Gouvernement applique une politique qui est celle du Gouvernement et qui est celle des Français. Donc, je crois que là, il va falloir travailler avec le sens de l’intérêt général et le sens du bien commun. Et je crois qu’on peut s’y retrouver, justement sur la base de nos conditions.
RMC : Quant à l’autre cohabitation, celle qui vous lie au Parti communiste, les chiffres ont décidé que vous aviez besoin du Parti communiste pour disposer de la majorité. Est-ce que la déclaration commune que vous avez signée avec le Parti communiste est une base suffisante pour assurer une bonne entente entre vos deux partis, Parti socialiste et Parti communiste ?
F. Hollande : Oui, d’ailleurs on l’avait signée avant le premier tour. Ce n’était pas un accord électoral de préparation de second tour, ce n’était pas un texte bâclé à la hâte. Non, c’était une volonté de changement que nous précisions les uns et les autres. Ce que je veux dire, c’est que même si on avait eu la majorité absolue, ce qui n’était pas le cas à quelques sièges près, on aurait eu le même état d’esprit. C’est-à-dire que nous avons gagné ensemble, toutes les sensibilités de la gauche, socialistes, communistes, verts, mouvement des citoyens, radicaux. Il faut maintenant gouverner ensemble. Et c’est, là encore, sur la base des orientations du Parti socialiste qui ont été ratifiées par les électeurs qu’il faut se retrouver. Et je pense que nos différents partenaires l’ont bien compris. Ils vont donner leur réponse d’ailleurs ces jours prochains, je crois, assez rapidement.
RMC : Mais j’ai entendu hier M. Hue s’interroger sur la nécessité de ministres communistes, dire qu’il va consulter. J’ai entendu aussi : il faut un choix de politique radicalement nouvelle. Est-ce que ce ne sont des termes qui vont un peu plus loin que ce que vous ne voudriez ? Radicalement nouvelle on n’a pas entendu ça chez M. Jospin par exemple ?
F. Hollande : Non mais parce que ce n’est pas notre vocabulaire. On n’est pas radical, donc on fait attention.
RMC : Vous pensez que c’est une question de mots seulement ?
F. Hollande : En tout cas, il faut une autre politique sinon, ça ne servirai à rien. Donc, je pense qu’il est assez normal que chacun essaie de tirer au maximum ce qu’il peut espérer du changement. Mais une fois que le gouvernement aura été constitué, c’est sur une ligne et sur une seule. Il ne s’agit pas de négocier quoi que ce soit une fois que le gouvernement a été formé. Je pense qu’à ce moment-là, il faut gouverner pour les seuls intérêts de la France et pas pour les intérêts de tel ou tel parti.
RMC : Autre politique, avez-vous dit, c’est donc ce que vous allez essayer de mettre en œuvre dans les jours qui viennent. Lionel Jospin a estimé hier que les Français ne voudraient pas tout, tout de suite. Est-ce qu’à votre avis, c’est un souhait qu’il a exprimé que les Français ne veuillent pas tout, tout de suite et est-ce qu’il n’y a pas à craindre une certaine impatience de ceux qui ont voté hier pour la gauche ?
F. Hollande : Justement, il faut faire de la pédagogie. On a deux solutions : soit prendre notre temps et considérer que finalement, cinq ans : donnons du temps au temps.
RMC : C’est quelqu’un de votre camp qui a dit ça.
F. Hollande : Oui, et je crois que ça nous a, à l’expérience, plutôt nui que réussi. C’est-à-dire que lorsqu’on veut prendre trop notre temps, on finit par oublier qu’on est là pour peu de temps. On est toujours là pour un temps bref. Et donc il faut toujours gouverner avec ce souci de l’urgence, même si – c’est la deuxième attitude qu’il faut proscrire – il ne faut pas essayer de faire tout, tout de suite. On n’est pas là, j’allais dire, pour 40 jours. On est là pour cinq ans et donc il faut échelonner nos réformes tout au long de la période qui nous a été confiée pour l’action gouvernementale. Donc, éviter la précipitation, éviter l’indolence.
RMC : Pour prendre un exemple précis : quand on a promis, comme vous, qu’il y aurait 700 000 emplois créés, quel est le bon rythme pour que les Français ne soient pas déçus, parce que ça, c’est un chiffre qui a fait tilt, si j’ose dire, et à votre avis, quel est le bon rythme pour qu’on ne pense pas que vous ayez failli à une promesse ?
F. Hollande : Je crois qu’il va falloir, dès la correction du budget pour 1997 – ça va être sans doute au mois de juillet – prévoir les ouvertures de crédit indispensables pour commencer à offrir aux jeunes, notamment dans les sphères locales, communales, associatives, les emplois que nous avons promis. Nous avons parlé de 350 000 emplois pour les jeunes, on ne va pas le faire tout de suite, ça. Mais une partie de ces emplois devra être créée dès l’automne prochain.
RMC : Une bonne partie ?
F. Hollande : Il va falloir échelonner mais en tout cas, une dizaine ou deux dizaines de milliers d’entre eux devront être créés très rapidement de façon à ce que la sensibilité apparaisse très vite que c’est sur l’emploi que nous avons été élus, c’est sur l’emploi que nous devrons réussir.
RMC : Vous avez toujours dit, pendant la campagne, que vous alliez procéder à un audit pour savoir quel est l’état exact des finances publiques. Si l’audit était mauvais, où allez-vous trouver le grain à moudre pour donner emploi, hausse de salaire, tout ce que les électeurs ont compris ?
F. Hollande : D’abord l’audit ne prendra pas beaucoup de temps. On ne va pas, là encore, faire une espèce de commission du bilan qui, dans six mois, rendrait un rapport. Il s’agit de connaître tout de suite les chiffres ; si l’audit donne une situation dégradée des finances publiques, ce qui est tout à fait possible, à ce moment-là il faudra faire des économies pour engager des dépenses qui sont indispensables. Par exemple sur l’emploi, il va falloir tailler encore plus fort dans des dépenses qu’on estimait improductives pour financer tout de suite les programmes pour les jeunes. Je veux dire aussi qu’il y aura sans doute, sur la sécurité sociale, des dispositions à prendre puisqu’il y a un déficit accumulé de près de 70 milliards de francs. Écoutez, ça sera une décision sans doute délicate mais en tout cas, il ne peut pas être question d’augmenter les prélèvements des Français.
RMC : Et trouver l’argent où, alors ?
F. Hollande : Les économies, partout où c’est possible et la reprise de la croissance car plus la croissance sera forte, plus on aura de recettes fiscales et de recettes de cotisations sociales dans les caisses de l’État et de la sécurité sociale.
RMC : Une des recettes sur lesquelles vous comptez, c’est le barème de l’ISF, vous n’avez pas caché que vous alliez procéder à une hausse du barème de l’impôt sur la fortune : ça va être une grande hausse à votre avis, il faudra une grande hausse ?
F. Hollande : Vous ne voulez pas que je fasse peur dès à présent aux plus riches de vos auditeurs ! Je ne crois pas que ce soit là qu’on trouvera les gisements les plus importants. Vous savez que l’ISF, ça rapporte huit milliards de francs. Alors, il faut faire un effort de solidarité pour qu’il y ait deux, trois, quatre, cinq milliards, on verra. Mais ce n’est pas là-dessus que nous espérons tirer le maximum de recettes. Ça, c’est une mesure qui n’est pas symbolique, qui est une mesure de justice fiscale. Ce n’est pas une mesure qui nous permettra de financer notamment le programme d’emploi pour les jeunes.
RMC : La conférence nationale sur les salaires qui va être peut-être le premier grand rendez-vous de la gauche avec son programme, est-ce qu’il y a du grain à moudre, est-ce que vous pensez que les esprits sont prêts en France pour que patrons, salariés, Gouvernement s’entendent sur une nouvelle politique ?
F. Hollande : Depuis maintenant plusieurs années, plus que quatre ans d’ailleurs, soyons honnêtes, le dialogue social est interrompu dans ce pays. Donc, l’échec du Gouvernement, l’échec de la majorité sortante, c’est aussi l’échec de cette incapacité à engager des relations claires avec les citoyens, avec la société. Donc, à nous de prévoir une autre façon de gouverner et donc la conférence salariale, qui portera sur la réduction du temps de travail et aussi sur les créations d’emploi, aura précisément cet objet. En matière salariale, puisque c’est votre question, je crois qu’effectivement, sur les bas salaires, il y a un effort à faire.
RMC : Vous avez le sentiment d’avoir en face de vous une droite complètement déglinguée ou bien une droite qui sera en embuscade et ne vous fera pas de cadeau pendant les mois qui viennent ?
F. Hollande : Je crois qu’il ne faut jamais penser qu’il y a des situations acquises. Qui aurait dit que la gauche qui avait été, reprenons votre terme, déglinguée en 1993, serait capable quatre ans après de gagner les élections ? Donc, il ne faut jamais faire l’hypothèse que l’on a en face de nous le camp le plus bête du monde.
RMC : Un mot sur le futur gouvernement, est-ce qu’il y aura beaucoup de têtes nouvelles, à votre avis, ou est-ce que ce sera le retour de tous ceux qu’on connaît ?
F. Hollande : À mon avis, ça sera un heureux mélange. C’est-à-dire qu’il faut qu’il y ait une expérience gouvernementale, ça ne s’apprend pas comme cela. Et puis, en même temps, il faut qu’il y ait du renouvellement. Donc, il faudra faire la part des choses.
RMC : Vous avez acquis vos barrettes de porte-parole avec brio. Merci François Hollande.
France Inter - lundi 2 juin 1997
J.-L. Hees : Avez-vous bien dormi ?
F. Hollande : Dans le train.
J.-L. Hees : Dans vos rêves les plus fous, il y a un mois, vous vous imaginiez une telle victoire de la gauche aujourd’hui ?
F. Hollande : À vrai dire non. Je crois qu’on est dans l’inédit. On n’avait pas d’abord imaginé qu’il pouvait y avoir une dissolution. On ne pouvait pas imaginer qu’elle pouvait conduire à une campagne aussi médiocre des ténors de la majorité. On ne pouvait pas imaginer qu’ils allaient même changer de chef entre les deux tours. On ne pouvait pas imaginer faire le résultat que l’on a fait au premier tour et on ne pouvait même pas imaginer, après les résultats du premier tour, qu’on allait faire ce résultat au second tour. Donc, vous voyez, on a intérêt à être à la hauteur maintenant pour imaginer que l’on pourrait réussir dans les années qui viennent.
J.-L. Hees : Cette victoire repose beaucoup sur l’équation personnelle de Lionel Jospin. Qu’est-ce qu’il a compris que ses adversaires n’avaient pas perçu ?
F. Hollande : Il a compris que les Français voulaient changer. Il a compris qu’ils voulaient changer sur la lutte contre le chômage c’est-à-dire en mettant l’essentiel des priorités d’un gouvernement futur là-dessus. Il a compris que l’honnêteté était peut-être la meilleure carte d’identité pour un candidat aux élections législatives. Il nous a donné à tous ce brevet-là. Donc, je crois que Lionel Jospin a été à la fois intuitif, convaincant et je crois crédible pour l’avenir.
P. Le Marc : Quels sont les risques de cette nouvelle accession au pouvoir pour le Parti socialiste et pour la gauche ?
F. Hollande : C’est vrai qu’il y a toujours un risque quand on gagne.
P. Le Marc : C’est une terrible responsabilité, notamment en raison de la pression du Front national ?
F. Hollande : Il y a énormément de contraintes sur nous, à la fois institutionnelles car il y a une cohabitation et on ne mesure pas peut-être les conséquences sur cinq ans, et il y a des contraintes parce que les Français sont exigeants et ils ont raison ; il y a des contraintes parce que nous avons un Parlement qui devra reprendre ses droits.
P. Le Marc : Parce que la confiance n’est pas totale envers la nouvelle équipe.
F. Hollande : La confiance ne peut pas être totale dès lors que les Français ont la mémoire longue. Je crois qu’on doit non seulement être à la hauteur de la responsabilité qui est la nôtre mais en même temps, se dire que si on a été candidats aux élections ce n’est pour avoir une belle défaite. Un moment, c’était imaginé dans les scénarios. On se disait que la droite allait continuer à gouverner le pays et puis que la gauche serait plus forte. Non, on a été candidats à ces élections pour gagner et donc pour gouverner. Il faut donc assumer tous les risques inhérents à l’acte de gouverner. Il faut, en même temps, minimiser les risques pour le pays.
P. Le Marc : Êtes-vous prêts ?
F. Hollande : C’est comme pour les examens, même quand ils sont prévus à l’heure dite, on n’est jamais tout à fait prêt mais quand ils sont anticipés, quelquefois c’est la meilleure façon de réussir ces examens.
A. Ardisson : Est-ce que vous regrettez de ne pas avoir la majorité à vous tous seuls et donc d’avoir besoin du complément du Parti communiste ? Cela aurait été plus simple sans ?
F. Hollande : Moi, je crois qu’il faut prendre les choses telles qu’elles sont. On souhaitait de toute façon gouverner avec tous nos partenaires. On ne voulait plus un parti qui gouverne ce pays à lui tout seul, c’est-à-dire avec 25 % des inscrits. Non, on souhaitait gouverner avec l’ensemble des partenaires qui avaient souhaité ce changement et qui l’avaient rendu possible, c’est-à-dire avec les Radicaux, avec Les Verts, avec le Mouvement des citoyens et le Parti communiste. Donc, majorité absolue ou pas, c’est notre souhait de toute façon. Maintenant, à chacun de se mettre devant sa propre responsabilité et de se dire « est-ce que j’y vais ou est-ce que je n’y vais pas ? C’est une vieille chanson.
J.-L. Hees : Pendant toute la campagne, Lionel Jospin a pris soin de dire qu’il n’y aurait pas a priori de conflit avec l’Élysée mais on sait que Jacques Chirac est un homme, disons, affectif. Donc, cela risque de lui sembler très, très long cinq ans. Quel souci voyez-vous de ce côté-là et sur quels sujets ?
F. Hollande : Je crois que chacun aura à cœur de respecter la Constitution. Cette Constitution n’est pas prévue pour des cohabitations de deux ans ou de cinq ans. Elle est prévue pour tous les citoyens. Je crois qu’affectif ou pas, le président de la République est d’abord le gardien de la Constitution et je crois qu’il se comportera comme un chef de l’État. À nous aussi d’aller jusqu’au bout de nos engagements sans rien renier et en même temps, de respecter ce qu’est l’équilibre de nos institutions. Donc, je crois que cela suppose de la diplomatie ; cela suppose un grand sens de l’État ; cela suppose aussi que, vis-à-vis de l’extérieur, on apparaisse comme un pays uni et pas divisé. Je pense que l’on est dans cet état d’esprit.
J.-L. Hees : Certains commentateurs avaient une approche psychanalytique de cette élection en disant qu’au fond, Jacques Chirac avait envie qu’on vote à gauche.
F. Hollande : Si c’est un acte manqué, vous avez raison, il est parfaitement réussi.
P. Le Marc : Il y a deux domaines au moins où l’on peut avoir des sujets de frictions, c’est d’une part l’Europe mais aussi les institutions, parce que Lionel Jospin a un programme de réforme des institutions.
F. Hollande : Oui, mais vous avez dû remarquer que, dans cette campagne électorale, nous avons été à peu près les seuls à faire des propositions. Cela a dû jouer sur le comportement des électeurs. Sur l’Europe, on a fixé, comme vous le savez, des conditions pour le passage à la monnaie unique et c’était assez intéressant de regarder l’ensemble des acteurs de notre vie politique, à droite notamment, venir petit à petit se rallier à ces positions-là. Notamment Philippe Séguin, dans les derniers jours de la campagne électorale, même s’il n’était qu’un Premier ministre virtuel, était d’accord en définitive sur la nécessité d’avoir des conditions pour le passage à la monnaie unique. Je ne doute pas qu’aujourd’hui, alors que le peuple a parlé, ce soit la position de tous ceux qui ont vocation à s’exprimer au nom de la France.
P. Le Marc : Le problème est de savoir jusqu’où aller dans l’exigence de ces conditions ? Jusqu’à la crise ? Je ne pense pas que le Président soit d’accord sur cette position.
F. Hollande : Je ne suis pas le porte-parole du Président, je rassure ici les auditeurs, mais je crois que le Président a à cœur, comme tous les Français, d’avoir la meilleure négociation possible pour la France et pour l’Europe au moment du passage à la monnaie unique. Et on a tous avantage à ce que l’Italie et l’Espagne soient dans l’Union monétaire. On a tous avantage à ce qu’il y ait un gouvernement politique en face de la Banque centrale européenne. Et on a tous avantage à ce que l’Europe ne signifie plus austérité.
A. Ardisson : Imaginons qu’un jour, vous vous trouviez devant le dilemme : tenir vos promesses ou respecter l’échéancier de la monnaie unique, à savoir 1998 ?
F. Hollande : On n’a jamais mis la monnaie unique en contradiction avec nos promesses. On peut faire la monnaie unique sans pour autant faire une politique de restriction des dépenses publiques, sans pour autant privatiser, sans pour autant augmenter les impôts. C’est ce que nous avons fixé comme cap en disant « oui, il faut faire la monnaie unique qui est un élément de stabilité nécessaire mais pas n’importe comment. »
A. Ardisson : Si, sur le plan budgétaire encore une fois, vous vous trouvez face à ce dilemme ?
F. Hollande : Si nous n’arrivons pas à convaincre nos partenaires du bien fondé de nos positions, c’est vrai qu’on sera légitimement interrogés puisqu’on a fixé nous-mêmes des conditions. Et il faut donc se mettre, dans la situation où nous arrivons, à être le plus convaincants possible. C’est vrai que si je vous disais aujourd’hui qu’on va nécessairement à la crise, je ne crois pas que ce serait la meilleure façon d’engager la négociation. Et si je vous disais que, de toute façon, on va abandonner nos conditions en chemin, je ne suis pas sûr qu’on se mettrait dans le meilleur rapport de forces.
J.-L. Hees : On a entendu hier, très fort, que les Français ne veulent pas être déçus, c’est-à-dire qu’ils veulent qu’on leur dise la vérité. Mais la politique autrement, cela peut être simplement un slogan ou va-t-on voir de nouvelles têtes ? Cela aussi apparaît fortement dans le souhait des électeurs.
F. Hollande : Tout à l’heure, P. Le Marc m’interrogeait aussi sur les réformes institutionnelles, précisément. Alors, il y a des choses que l’on peut faire sans changer les institutions. Les nouvelles têtes, ce n’est pas prévu dans la Constitution et donc il vaut mieux qu’il y en ait beaucoup. La féminisation aussi. Je crois que, de ce point de vue-là, on a marqué un point. Les électeurs ont voulu cette féminisation. On nous avait dit : vous présentez des femmes là où vous n’avez aucune chance. Je regrette mais la preuve, les femmes ont toujours une chance et les hommes peu finalement. Donc, on a gagné des circonscriptions qui a priori n’étaient pas faciles et c’est les femmes qui ont gagné. Il faut donc que cette participation féminine soit la plus forte possible. Après, il y a les institutions elles-mêmes et nous avons fait des promesses sur le cumul des mandats. Il faudra s’y tenir. C’était une proposition forte de Lionel Jospin à savoir que l’on veut des ministres à plein temps et pas des ministres qui passent trois jours à Paris et qui s’occupent, le reste du temps, de leur collectivité territoriale. C’est bien leur droit mais ce n’est pas forcément bon pour l’action gouvernementale. Sur le cumul des mandats, il faut être inflexible. On avait parlé aussi de raccourcissement même de la durée des mandats. Il faudra là aussi, là-dessus, être respectueux de nos engagements. C’est vrai que faire de la politique autrement est absolument indispensable parce que je crois que cela a été un élément de la campagne.
P. Le Marc : Pourrez-vous tenir vos engagements sachant que le Sénat est de droite et donc s’opposera à vos projets et qu’il est un verrou sur le plan constitutionnel ?
F. Hollande : À nous de mettre peut-être chacun, là encore, devant ses choix. Si les Français s’aperçoivent que le Sénat s’oppose à toute modernisation de la vie publique, ils se diront peut-être que le Sénat n’est pas une institution très moderne et se poseront des questions sur la réforme du Sénat. Ce qui serait peut-être légitime.
J.-L. Hees : Lionel Jospin nous avait parlé déjà d’un inventaire sous l’ère François Mitterrand, alors là comment cela se passe ? Comment fait-on un audit des finances publiques ?
F. Hollande : Je crois qu’il ne faut surtout pas que cela prenne trop de temps parce qu’au moment où sont publiés ces rapports d’audit, les Français considèrent que vous n’avez plus à parler de l’héritage. Donc, il faut que cela soit fait dans les quinze jours qui viennent.
J.-L. Hees : Avez-vous une idée tout de même de la situation des finances publiques en France ?
F. Hollande : Oui, on a une idée qui n’est pas, hélas, très encourageante mais il faut qu’on soit plus précis. Par exemple, sur le déficit de la sécurité sociale qui est notre plus gros sujet d’inquiétude, on voudrait savoir exactement si le déficit cumulé est de 60 à 70 milliards ou de 80 à 90 milliards. Cela compte quand même. Ce n’est pas pour faire le procès des prédécesseurs. Cela ne marche plus, de toute façon, mais pour dire « voilà, il y a cela à financer et comment il faut qu’on s’y prenne ».
P. Le Marc : Échapperez-vous à des mesures de rigueur compte tenu de vos inquiétudes ?
F. Hollande : Je crois que l’on a dit aux Français que la droite préparait un plan de rigueur alors, nous, on ne va pas en faire un de plus quand même.
P. Le Marc : Vous serez peut-être obligés de le faire quand même !
F. Hollande : On fera des économies partout où cela sera nécessaire et si on a des efforts à demander on ne les demandera pas aux plus modestes des Français.
A. Ardisson : Calendrier pour les heures et les jours à venir ?
F. Hollande : C’est le président de la République qui fixe le calendrier.
A. Ardisson : Le vôtre ?
F. Hollande : On répondra aux invitations du président de la République. Nomination d’un Premier ministre, on le dit aujourd’hui ou peut-être demain. Ensuite, constitution d’un gouvernement, cela sera le délai nécessaire. Il faut à la fois ne pas donner le sentiment de la précipitation car ce n’est pas nécessaire. Aujourd’hui, il y a une Constitution et il faut l’appliquer. Il y a des institutions, il faut les respecter. Il n’y a pas de délai particulier. Donc, pas de précipitation mais en même temps, on n’a pas beaucoup de temps. Donc, il faut travailler vite et notamment donner des premiers signes en matière d’emplois des jeunes. Ceci supposera une rectification du budget pour 1997 afin d’ouvrir les crédits nécessaires à ces nouvelles embauches.
P. Le Marc : Comment imaginez-vous la rencontre entre Jacques Chirac et Lionel Jospin aujourd’hui ?
F. Hollande : Sereine, je suppose. Nous n’avons jamais mis Jacques Chirac dans la campagne législative. Il s’y est mis tout seul. Nous sommes extrêmement respectueux des institutions et en même temps, de la parole des Français. Ils se sont prononcés et je crois que cela coûte.
J.-L. Hees : Ces deux-là s’apprécient ? Qu’est-ce que vous en savez ?
F. Hollande : Je n’en sais pas grand-chose. Tout le monde croit que, dans la vie politique, on se connaît bien mais on se croise beaucoup plus qu’on se parle. Je crois que Lionel Jospin, en tout cas, a fait la démonstration depuis plusieurs années qu’il savait d’abord faire le choix de la France. Je crois que ce sera son attitude. C’est quelqu’un de simple. Moi, je connais bien Lionel Jospin et c’est quelqu’un de franc, direct et sincère. Et donc, il ne biaisera pas.