Interview de M. Jack Lang, membre du bureau national du PS, dans "L'Express" du 7 août 1997, sur la politique du gouvernement en matière de rénovation de la vie publique, notamment le contrat d'union sociale, l'inscription automatique sur les listes électorales et le cumul des mandats, ainsi que la réforme du mode de scrutin pour les élections régionales.

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L’Express : Pourquoi le gouvernement a-t-il ajourné la rénovation de la vie publique ?

Jack Lang : Je n’ai pas ce sentiment. Dans la déclaration de politique générale de Lionel Jospin, ce chantier était traité à parts égales avec les réformes économiques. La révolution civique est le corollaire, voire le préalable, à la remise en mouvement du pays. Chacun doit se sentir coauteur du destin collectif.

L’Express : Concrètement, que faut-il faire ?

Jack Lang : D’abord passer de la décision confisquée par une minorité à la décision partagée. C’est ici que le rééquilibrage des pouvoirs est essentiel. Notre loi fondamentale contient deux constitutions : l’une, hyperprésidentialiste, quand le président et l’Assemblée sont de même couleur politique ; l’autre, parlementariste, en cohabitation ? Notre volonté est de parlementariser franchement la Constitution, en commençant par restaurer la souveraineté législative du Parlement. Des signes ont été donnés : ainsi, les ministres se rendent plus souvent devant les commissions. Il faut aller plus loin, notamment dans la maîtrise de l’ordre du jour. Je propose qu’une journée par semaine soit consacrée à l’étude des lois d’origine parlementaire. Et je souhaite que, sur deux points, le gouvernement laisse faire l’Assemblée.

L’Express : Lesquels ?

Jack Lang : Tenir la promesse sur le contrat d’union sociale. Le Parlement n’en fera pas une affaire politique, mais humaine. Dès cet automne, la commission des lois devrait pouvoir proposer un texte. L’autre point, c’est la réforme du mode de scrutin pour les élections régionales. Que les citoyens élisent au suffrage direct les exécutifs qui piloteront les régions est une condition sine qua non pour leur donner une assise populaire, une majorité du gouvernement et les moyens de jouer leur rôle économique en Europe. Pour agir sur l’emploi, il faut que les présidents de région soient élus comme les maires.

L’Express : Sur ce point précis, le gouvernement souhaite attendre 1998.

Jack Lang : Si on ne le fait pas d’ici à quelques semaines, ce sera une occasion manquée de donner enfin de vrais moyens aux régions. Et de tenir une promesse de campagne.

L’Express : Du côté du Parlement, beaucoup de choses ont été promises pendant la campagne…

Jack Lang : Limiter le 49.3, supprimer le vote bloqué, augmenter le nombre de commissions et leurs moyens, tout cela doit être fait. De même la création d’un comité restreint, tenu au secret défense, pour contrôler les fonds spéciaux et les services secrets. On peut citer encore le contrôle de l’exécution des lois et du budget ou l’ouverture de la discussion en séance plénière sur la base du texte voté en commission et non plus sur la version gouvernementale. Enfin, avant tout grand rendez-vous international, il faut que l’exécutif vienne exposer son sentiment devant les députés. Et non plus après coup.

L’Express : Tout cela est loin des citoyens…

Jack Lang : L’inscription automatique sur les listes électorales, pour laquelle je me suis battu pendant quinze ans contre l’hostilité du ministère de l’Intérieur, et que nous allons enfin réaliser, c’est du concret. Aller plus loin dans la mise en œuvre de la parité homme-femme, aussi. Sur ce point, je note que le président de la République a donné son feu vert le 14 juillet : engageons donc la révision de la Constitution. De même pour la fin annoncée par Lionel Jospin du cumul des mandats, même s’il ne faut pas en minorer toutes les conséquences. En effet, il faudra donner des moyens aux parlementaires, s’ils le sont à temps plein, et sans doute renoncer au scrutin uninominal, qui les oblige à sacrifier leur fonction de législateur au profit de leur rôle d’assistance sociale.

L’Express : Premier signe, les ministres concernés ont quitté leur mairie.

Jack Lang : C’est une bonne chose. Mais certains ministres sont encore trop souvent dans leur ville du vendredi au lundi et se sont fait remplacer par des prête-noms. C’est un péché véniel, mais prenons garde. Autre excellente mesure : la réduction de tous les mandats à cinq ans.

L’Express : Bref, en matière de rénovation de la vie publique, le pouvoir peut mieux faire.

Jack Lang : Le cap est donné. Et n’oublions pas non plus la protection, aujourd’hui mal assurée, des droits des citoyens. La réforme de la justice est entre de bonnes mains, mais ne tardons pas à donner aux justiciables le droit de saisir directement le Conseil constitutionnel ou un super médiateur qui sanctionnerait les abus de droit ou les dénis de justice.