Interviews de M. Edouard Balladur, député RPR, à TF1 le 2 juillet 1997, Europe 1 le 17, France 2 le 22, sur l'audit des finances publiques et le plan de redressement annoncé par le gouvernement, la cohabitation et la nouvelle direction au RPR.

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Média : Europe 1 - France 2 - Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

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TF1 : mercredi 2 juillet 1997

TF1 : Lionel Jospin a, plusieurs fois, répété qu’il demandait le droit à l’erreur. Est-ce que vous lui accordez, d’une part, et est-ce que vous lui accordez également le droit à l’inventaire : de regarder ce qu’il y a dedans ?

Édouard Balladur : Je n’ai rien à lui accorder. Mais enfin, puisque vous me posez la question, je lui accorde d’autant plus volontiers le droit à l’erreur qu’il l’a largement déjà utilisé. Il a changé d’avis sur Vilvorde. Il semble qu’il change d’avis sur les privatisations. Il a changé également d’avis sur le pacte de stabilité européen. Je ne lui en fais pas grief : gouverner, c’est compliqué, c’est difficile.

TF1 : En plus, sur des dossiers qui étaient déjà en cours. C’est difficile de déficeler quand on arrive soudainement au pouvoir ?

Édouard Balladur : Oui, mais alors il ne faut pas dire qu’on va les déficeler ! Il ne faut pas dire qu’on va faire différemment. Enfin, peu importe, le problème n’est pas là. Il a déclaré qu’il souhaitait que l’on fasse un audit des finances publiques. C’est très bien qu’on fasse un audit, c’est parfait. Il faut bien voir devant quel choix va se trouver le Gouvernement : si la situation de nos finances publiques permet à la France d’entrer dans la monnaie européenne… ce qui est indispensable, ce qui est notre intérêt de base. Si la France n’entre pas dans la monnaie européenne, elle sera humiliée, et elle sera marginalisée, et elle en souffrira dans son progrès. Donc c’est un objectif très ambitieux. Bon, si l’audit a pour objectif de dire : il faut qu’on fasse la monnaie européenne, pour la faire, nous n’allons pas tenir nos promesses – il semble qu’on s’achemine vers ça, puisqu’on nous explique déjà que les promesses, c’est dans un délai de cinq ans qu’on va les tenir – cet audit, nous verrons bien quel sera son contenu. Ç’aura été une opération politique, d’abord et avant tout, sans véritable signification. Car les déficits, on les connaît…

TF1 : Ils sont de quel ordre, à votre avis ? Parce qu’on a toujours dit qu’il fallait se contenir dans les 3 %, mais il semble qu’on soit dans une dérive largement supérieure.

Édouard Balladur : Dérive, je ne sais. Quand nous sommes arrivés au pouvoir, il y a quatre ans, les déficits cumulés étaient de l’ordre de 6 % de la richesse nationale annuelle. Au prix de beaucoup d’efforts, nous les avons ramenés autour de 4 %, un peu au-dessous. C’est pas assez, j’en suis d’accord, c’est pas assez. Enfin, il y a eu un progrès.

TF1 : Le traité de Maastricht demande 3 %, on va y arriver ?

Édouard Balladur : Alors justement, il faut faire des efforts supplémentaires et pour cela le choix est très simple : est-ce que l’on va encore faire des impôts nouveaux, comme je viens de l’entendre avec des contradictions, qui auront pour seuls résultats de diminuer encore la croissance et d’aggraver le chômage, ou est-ce que l’on va, enfin, se décider à faire comme tout le monde, comme tous les pays qui ont moins de chômage que nous – vous avez vu qu’il vient d’augmenter encore –, est-ce que l’on va se décider à baisser les impôts, les taxes et les prélèvements de toute nature ? C’est le choix. Ce qui me navre, je dois le dire, et ce qui doit décevoir cruellement les Français, c’est qu’avant les élections, on leur promet toujours monts et merveilles et puis, ensuite, on s’aperçoit que la réalité étant ce qu’elle est – on le sait d’ailleurs souvent avant les élections ce qu’elle est la réalité –, on ne tient pas ses promesses. C’est cela qui favorise, par exemple, le vote en faveur du Front national. Ce n’est pas la peine de gémir, ce n’est pas la peine de proférer des condamnations et des imprécations. Commençons, les uns et les autres, par balayer devant notre porte, par tenir nos engagements et la démocratie s’en portera mieux.

TF1 : Vous faisiez allusion à la hausse du chômage, celle-ci n’est pas imputable au nouveau Gouvernement ?

Édouard Balladur : Pas du tout et ce n’est pas ce que j’ai dit. Je constate que la société française est malade du chômage. Personne ne veut le contester et si on veut mettre fin à cette situation, il ne faut pas faire des impôts nouveaux et des dépenses nouvelles. Il faut baisser les dépenses et baisser les impôts. Et tous les pays autour de nous qui ont mieux réussi, l’ont fait. Alors je voudrais bien savoir pourquoi ce qui vaut pour tous les autres ne vaut pas pour la France.

TF1 : La semaine dernière, vous évoquiez les perspectives des cinq années de cohabitation. Votre idée n’est-elle pas d’aller vers un système de type présidentiel ?

Édouard Balladur : Je crois qu’on est conduit nécessairement à aller dans cette direction. Faisons un bilan rapide. Depuis une quinzaine d’années, il y a cinq ou six changements de majorité. Alternance. Il y a eu, je crois, neuf Premiers ministres et si cette cohabitation dure jusqu’à 2002, il y aura eu neuf ans de cohabitation sur seize ans. Nos institutions ne sont pas faites pour ça. J’ai moi-même préconisé la cohabitation, il y a un certain nombre d’années, comme expédient provisoire pour permettre d’éviter une crise de régime.

TF1 : Mais sur cinq ans, c’est trop long ?

Édouard Balladur : Je n’ai jamais pensé que ça pouvait être un système permanent. Si on ne peut pas en sortir autrement, je pense que la seule solution, c’est d’étudier comment on peut aménager un régime présidentiel avec un mandat du président qui serait ramené à cinq ans.

TF1 : Mais tout le monde le dit et on ne le fait jamais ?

Édouard Balladur : Oui, mais moi j’ai appartenu à une équipe qui l’a fait voter, mais ça n’a pas pu aller jusqu’au bout.

TF1 : Ça pourrait passer par référendum, par exemple ?

Édouard Balladur : Oui, par un référendum ou par un vote du congrès. Et il faudrait d’autre part rééquilibrer à ce moment-là nos institutions pour que le Parlement et le Gouvernement soient, si je puis dire, sur un pied d’égalité et que nous ne soyons pas soumis à ces changements perpétuels. On a changé en 1993, on a changé en 1995, on a changé en 1997, nous sommes le seul pays d’Europe où on change aussi souvent.

TF1 : Vous avez été sévère tout à l’heure avec la gauche, mais les Français ont été sévères avec la droite. Que va-t-il se passer aux assises du RPR ? Souhaitez-vous que Philippe Séguin ait à ses côtés un numéro deux qui soit Nicolas Sarkozy ?

Édouard Balladur : Un mot avant. Nous avons connu une défaite sévère. Il faut que nous en tirions la leçon. Si c’est pour continuer comme avant, ce n’est pas la peine. Qu’est-ce que ça veut dire en tirer la leçon ? D’abord savoir mieux nous organiser, nous rénover et faire preuve de tolérance et d’ouverture aux idées de tous et en second lieu, bâtir l’avenir autour d’un projet qui puisse mobiliser les Français. En ce qui me concerne, vous le savez, je suis attaché, je compte bien demeurer attaché aux idées de liberté, de construction de l’Europe et de dialogue. Je ne prétends pas que l’on soit les seuls. D’autres peuvent privilégier d’autres convictions, il faut que nous en débattions. Autrement dit, l’opposition ne se rénovera pas si on ne pratique pas davantage de tolérance, une meilleure organisation et une imagination plus active au service de l’avenir.

TF1 : Peut-être un peu plus d’unité aussi ?

Édouard Balladur : Tout à fait. Mais c’est lié. On est d’autant plus uni qu’on est tolérant. Il faut que tout le monde y mette du sien. Philippe Séguin va être élu vraisemblablement, on peut même dire certainement.

TF1 : Il n’est pas le seul candidat ?

Édouard Balladur : Non, il y en a d’autres. Il devrait être élu président du RPR. Il devra s’entourer d’une équipe et je souhaite que celle-ci soit la plus diverse possible et qu’elle fasse la place à toutes les sensibilités et parmi celles-ci, celle que se trouve représenter Nicolas Sarkozy doit naturellement avoir une place reconnue, pas privilégiée mais reconnue. Nous verrons tout cela dans les semaines qui viennent.

TF1 : On ne pourra pas parler d’axe Séguin-Balladur contre Juppé et les proches du chef de l’État ?

Édouard Balladur : Pas du tout. Il ne s’agit absolument pas de ça, mais de faire en sorte que l’opposition se reconstruise autour, je le répète, des idées d’ouverture, de réconciliation et de tolérance. C’est ce qui compte d’abord et avant tout. Car si nous ne savons pas tirer les leçons de la défaite que les électeurs nous ont infligée, ils ne sont pas prêts de revenir vers nous. Et qui leur donnerait tort ?


Europe 1: jeudi 17 juillet 1997

Europe 1 : La cohabitation, vous savez ce que c’est. Vous fûtes grand cohabitant à deux reprises sous François Mitterrand en 1986 et en 1993. Aujourd’hui, votre expérience fait de vous un grand témoin. On a dit hier passe d’armes, bisbilles, jeu de mains. Les frictions commencent tôt. Est-ce bon ?

Édouard Balladur : Il ne faut rien dramatiser, et il est assez normal qu’au début de cette expérience qui se répète un peu trop souvent – j’y reviendrai –. Il est normal que chacun marque bien quelles sont ses intentions, ses pouvoirs, et la façon dont il veut les exercer. De toute façon, la cohabitation, ce n’est pas un exercice facile. Comme j’ai eu l’occasion de le dire plusieurs fois lorsque je cohabitais moi-même avec Monsieur Mitterrand, ce n’est pas un lit de roses.

Europe 1 : Ce n’était pas doux ou feutré avec François Mitterrand ?

Édouard Balladur : Non. C’était fort clair. Les choses se réglaient de la façon finalement la plus rapide.

Europe 1 : Ça ne se réglait jamais en Conseil des ministres au vu et au su de tous sur place publique, comme hier.

Édouard Balladur : Oui, mais chacun a son style. Monsieur Mitterrand avait le sien ; Monsieur Chirac, Monsieur Jospin, moi-même avons le nôtre. Tout ça n’est pas très important Ce qui me paraît important, c’est la chose suivante : d’abord, on ne peut pas prétendre museler le président de la République. Il a le droit de s’exprimer. Il serait quand même un peu extraordinaire qu’il soit le seul Français qui n’ait le droit de dire ce qu’il pense de la politique du Gouvernement. C’est un premier point. La deuxième chose que je voudrais dire, c’est que la cohabitation consiste à faire vivre ensemble un président et un Premier ministre et une majorité qui n’ont pas la même tendance politique.

Europe 1 : Deux légitimités qui sont contradictoires.

Édouard Balladur : Voilà. Donc, c’est difficile. Ce peut être un moment exceptionnel dans la vie du pays. C’est pourquoi je l’avais préconisée, il y a de ça plus de dix ans. Mais lorsque ça devient une situation à répétition, puisque c’est la troisième cohabitation que nous connaissons en dix ans, on peut se poser la question de savoir si c’est vraiment durablement un bon système. C’est là où la question devient difficile, parce que certains disent : « On va préciser les institutions, on va préciser quels sont les pouvoirs du président d’un côté, du Premier ministre de l’autre ». On peut essayer de préciser, mais on n’ira pas très loin. Ce que prévoit la Constitution, c’est qu’ils doivent collaborer et que les décisions les plus importantes, bien souvent, c’est ensemble qu’ils doivent les prendre.

Europe 1 : Personne ne conteste au président de la République le droit de parler, pas plus que lui ne conteste au Gouvernement le droit de gouverner.

Édouard Balladur : Quel est le problème, alors ?

Europe 1 : Mais un Premier ministre peut-il agir s’il est en permanence marqué par le président de la République ?

Édouard Balladur : Il ne s’agit pas d’être en permanence marqué. Monsieur Chirac a rappelé un certain nombre de choses. C’est la première fois qu’il le faisait depuis le début de la cohabitation. Ce n’est pas ce qu’on appelle de la permanence !

Europe 1 : François Mitterrand s’occupait-il également de l’enseignement, de la recherche, des acquis sociaux, de la modernisation, etc. ?

Édouard Balladur : Il lui arrivait de me donner son avis. J’en tenais compte selon les cas, ou je n’en tenais pas compte selon ce que je pensais et selon ce qu’étaient mes propres convictions. Mais je reviens à notre problème institutionnel – c’est ça, le plus important : si on ne peut pas préciser davantage les pouvoirs respectifs de l’un et de l’autre, alors, il faut se demander s’il ne faut pas réformer plus fondamentalement nos institutions.

Europe 1 : C’est-à-dire ?

Édouard Balladur : En arriver au quinquennat d’une part, et étudier la possibilité d’instituer dans notre pays un régime présidentiel qui éviterait ces conflits entre deux – vous disiez tout à l’heure légitimités – orientations politiques.

Europe 1 : En 1986, vous aviez dit – il paraît que cela avait fait sourire François Mitterrand : « le premier qui dégaine est un homme mort. » Le répéteriez-vous aujourd’hui ? Nuanceriez-vous ou diriez-vous comme Alain Duhamel tout à l’heure « Le mieux placé le moment venu tirera le premier » ?

Édouard Balladur : On ne sait jamais si on est le mieux placé le moment venu. Il ne faut jamais perdre de vue l’intérêt de la France. L’intérêt de la France, c’est d’avoir un gouvernement stable, efficace, qui gouverne et un président de la République dont les prérogatives soient respectées. Monsieur Chirac a eu raison de rappeler que ses prérogatives devaient être respectées. Cela étant, si ce système de cohabitation doit se répéter trop souvent, ça pose le problème de la nature de nos institutions.

Europe 1 : Le Premier ministre prépare aujourd’hui à Matignon avec ses ministres des décisions pour corriger le dérapage que ferait apparaître l’audit. Messieurs Strauss-Kahn et Sautter ont révélé hier que l’audit se situerait au-delà de 3,5 % et ont parlé de 3,6, c’est-à-dire 48 milliards de dépassement. Vous sentez-vous en partie responsable ?

Édouard Balladur : "Non, je ne me sens pas en partie responsable, sinon que j’ai voté les budgets, mais qu’il apparaît que la croissance économique n’est pas suffisante pour apporter les recettes qui avaient été prévues.

Europe 1 : Le Gouvernement annoncerait lundi des hausses d’impôt. Les entreprises et les ménages les plus aisés seront en première ligne pour en arriver aux 3 % nécessaires pour Maastricht.

Édouard Balladur : Cela veut dire qu’on recommence toujours les mêmes erreurs, toujours les mêmes erreurs et qu’on se refuse à comprendre la réalité. La France est le pays d’Europe le plus imposé. Les Français sont ceux qui payent le plus d’impôts, de taxes et de cotisations. Moyennant quoi, la France est le pays qui a le plus de chômeurs en même temps.

Europe 1 : Alors, que fait-on ?

Édouard Balladur : Il faut faire des économies. Il faut s’arrêter d’augmenter les impôts sans arrêt. La démonstration a été faite que plus on augmente les impôts, plus on casse la croissance, et plus on augmente le chômage. Nous avons connu à plusieurs reprises des expériences de liberté dans notre pays, notamment en 1986-1988, puis de nouveau à partir de 1993. On s’est aperçu que lorsqu’on donne davantage de liberté, c’est-à-dire lorsqu’on essaye de commencer à réduire les impôts, la croissance revient et l’emploi revient, et le chômage recule. Alors, je ne comprends pas – je le dis comme je le pense – cette obstination à avoir sans cesse recours aux mauvaises méthodes qui ont fait la preuve de façon répétée dans le passé qu’elles conduisaient à une augmentation du chômage.

Europe 1 : Vous recommandez donc à Lionel Jospin de faire moins du Juppé que du Balladur ?

Édouard Balladur : Je lui conseillerais de diminuer les dépenses – enfin, je ne lui conseille rien, parce que je ne pense pas qu’il soit tenté de suivre mes conseils –. Dans ces conditions, je pense qu’une fois de plus que si on augmente les impôts, on va faire encore la même démonstration.

Europe 1 : Le Gouvernement pourrait ouvrir le capital de France Télécom et renoncer à la majorité dans le capital de Thomson-CSF. C’est du pragmatisme ?

Édouard Balladur : Oui, on peut appeler cela du pragmatisme. On peut appeler cela aussi l’oubli très rapide des propos tenus pendant la campagne électorale qui ne s’est terminée qu’il y a un mois et demi. Enfin, ce sont des choses qui arrivent. En tout cas, je dis que, si on ne privatise pas toutes nos entreprises concurrentielles, là aussi, nous serons fragilisés par rapport au monde extérieur.

Europe 1 : L’emprunt Balladur a été lancé, il y a quatre ans. Il est remboursé, 91 milliards. Il a permis de collecter un montant record de 110 milliards, au lieu de 40 milliards attendus, mais il a coûté à l’État plus de 3 milliards de francs, en plus des intérêts versés. Monsieur Emmanuelli disait hier soir que ça correspondait à des cadeaux fiscaux et que l’emprunt Balladur est une mauvaise affaire pour les finances de la France.

Édouard Balladur : Je rappelle en deux mots qu’en 1993, nous étions en récession, la plus grave depuis la guerre, qu’il y avait 360 milliards de déficit et que les chômeurs augmentaient de 20 ou 30 000 par mois. Bon. Il fallait rétablir la confiance. Grâce à cet emprunt, on l’a fait, et on a remboursé notamment plus de 50 milliards de dettes qu’avait l’État envers les petites entreprises. La croissance est revenue. Les déficits ont diminué. L’emploi s’est amélioré. Voilà le bilan de cet emprunt. J’ajoute deux choses : la première, c’est que je n’ai pas encore trouvé – si vous en trouvez un, dites-le-moi – d’épargnants – il y a eu quand même 1,5 million de souscripteurs – qui s’en soient plaint. Deuxième chose : contrairement à ce qui est dit, cet emprunt n’a pas été coûteux pour l’État parce qu’il a été émis au-dessous du taux d’intérêt du marché et qu’il a donc procuré à l’État sur quatre ans une économie de 5 milliards sur les taux d’intérêt.

Europe 1 : Hier, vous avez réuni pour un déjeuner quarante parlementaires. Vous avez plaidé pour que le RPR se rénove, se réconcilie. Philippe Séguin a-t-il commencé à le faire au RPR ?

Édouard Balladur : Je constate une chose : la nouvelle direction du RPR rassemble ce qu’il est convenu d’appeler les sensibilités les plus diverses. Le mouvement gaulliste a toujours été un mouvement divers dans lequel il y a des orientations différentes sur tel ou tel sujet.

Europe 1 : Vous êtes donc satisfait.

Édouard Balladur : Je trouve que, dans cette première étape, les choses démarrent bien. Alors, il nous reste deux choses à faire, qui sont des choses importantes : la première, c’est réfléchir et travailler au projet que nous allons soumettre aux Français et qui doit être fondé sur l’idée de la liberté plus grande dont tout le monde a besoin. La seconde, c’est qu’il faut que nous nous mettions à travailler avec l’ensemble de l’opposition justement pour préparer l’avenir.

Europe 1 : L’avenir commence quand ?

Édouard Balladur : L’avenir peut commencer plus tôt qu’on ne le croit. De toute façon, il faut toujours être prêt.

Europe 1 : Avant cinq ans ?

Édouard Balladur : Peut-être avant cinq ans, peut-être pour dans cinq ans. Nous verrons bien. Quoi qu’il en soit, la responsabilité de ceux qui sont dans la politique active, c’est d’avoir sans cesse à l’esprit les meilleures solutions pour l’avenir de notre pays. Il faut que nous nous mettions au travail pour cela.

Europe 1 : Il faut attacher la ceinture parce que ça va tanguer ?

Édouard Balladur : Mais non, je n’en sais rien. Ne dramatisons pas tout ce qui s’est passé. Chacun a rappelé ce qu’étaient ses prérogatives. C’est parfaitement normal. Maintenant, ce que je souhaite, c’est que notre pays puisse aller de l’avant. Mais je constate que, si aller de l’avant consiste à augmenter une nouvelle fois les impôts, nous ne prenons pas la bonne direction.


France 2 : mardi 22 juillet 1997

France 2 : On l’a vu, avec cette appréciation du président en exercice de l’Union européenne, tout le monde a l’air à peu près satisfait, aujourd’hui, du plan de redressement annoncé hier par le Gouvernement. Tout le monde, y compris les Allemands.

Édouard Balladur : Ce que vous appelez le plan de redressement annoncé hier, en fait, n’est pas un plan de redressement à long terme. C’est une addition de mesures à court terme. Quel est le problème de la France ? Il faut en revenir là finalement parce que c’est l’essentiel. Il est de son intérêt d’entrer dans la monnaie européenne pour préserver son activité et son emploi et il est donc de son intérêt de réduire les déficits publics. Or, ces déficits sont encore trop élevés. Je passe sur l’audit et le bilan du passé. Ils étaient très élevés, il y a quatre ans. Au bout de quatre années, ils sont beaucoup moins élevés, mais il reste encore une partie du chemin à faire.

France 2 : Comment avez-vous trouvé cet audit ?

Édouard Balladur : Je l’ai trouvé assez objectif.

France 2 : Ça n’a pas été toujours le cas par le passé ?

Édouard Balladur : Pas du tout. Les audits qui ont été faits précédemment, notamment celui que j’avais demandé, il y a quatre ans, étaient parfaitement objectifs. Que fait apparaître cet audit ? Il fait apparaître qu’il y a quatre ans, il y a, avait plus de 450 milliards de déficits et qu’aujourd’hui il y en a moins de 300. Je le répète, c’est encore trop, mais beaucoup a été fait. Alors comment faut-il le faire ? Comment doit-on réduire les déficits pour que nous retrouvions l’emploi ? Une chose d’abord, dont tous les Français doivent être bien convaincus, il n’y a pas assez de travail pour tous les Français ; il y a trop de chômage. Et pourquoi ? Parce que nous avons trop de dépenses publiques et trop d’impôts. Nous réussissons cette performance d’être l’un des pays au monde où le chômage est le plus important et où les déficits et les impôts sont les plus importants.

France 2 : Comment réduire les dépenses ? Est-ce que le chemin pris par le Gouvernement est un bon chemin ?

Édouard Balladur : Je pense que le chemin qui est pris ne fait pas une part suffisante aux baisses des dépenses. Je suis convaincu que si nous voulons retrouver l’emploi pour tous, il nous faut baisser des dépenses et baisser des impôts. Or, ce que je constate, c’est qu’on baisse peu les dépenses – on les a d’ailleurs augmentées la semaine dernière à peu près autant sinon même plus – et que l’on augmente les impôts. Eh bien, je dis que si l’on prend cette voie, l’on ne résoudra pas le problème. Alors, lorsque je disais tout à l’heure qu’il s’agit de mesures à court terme, la vérité c’est que nous verrons tout cela au moment du budget de 98, c’est-à-dire dans deux mois. Dans deux mois, nous verrons si le Gouvernement prend la mesure des efforts que doivent faire les Français et la France, et s’il s’oriente vers la baisse des dépenses ou vers la hausse des impôts. C’est un choix fondamental pour l’avenir du travail et de l’emploi en France.

France 2 : À votre avis, est-ce qu’une seule baisse des dépenses peut suffire directement dans la mesure où, on l’a vu avec l’ancien Gouvernement, l’option avait été plutôt d’augmenter les impôts, et cette fois pour les ménages, pas pour les entreprises ?

Édouard Balladur : Je voudrais quand même vous dire que, depuis quatre ans – je le répète pour la troisième fois – nous avons réduit de 200 milliards environ les déficits publics. Alors quelles dépenses faut-il diminuer ? Pour commencer, il ne faut pas les augmenter. Lorsque je j’entends les déclarations des uns et des autres, visant à recruter un nombre nouveau de fonctionnaires, je dis : faisons attention ! Depuis vingt ans, que s’est-il passé en France ? On n’a pratiquement pas créé d’emplois dans le secteur concurrentiel, ce que l’on appelle le secteur marchand – l’industrie, le commerce, les services – et les emplois qui ont été créés ont été, pour l’essentiel, créés dans le secteur public, c’est-à-dire financés par l’impôt. Le résultat, quel est-il ? C’est que nous avons le taux d’impôt le plus important de toute l’Union européenne.

France 2 : L’annonce des 350 000 emplois à la fois dans le public et dans le privé, ça continue à ne pas recueillir votre agrément ?

Édouard Balladur : Si c’est financé par des augmentations d’impôt, non ! Je crois que ce n’est pas la solution. La solution, c’est de réduire les dépenses et de réduire les impôts et nous verrons, dans deux mois, si le Gouvernement prend justement la mesure de ce qu’il faut faire pour l’avenir. Finalement, le problème fondamental de la France, quel est-il ? Ce n’est pas 3 % de critère de Maastricht, ce n’est pas tel pourcentage d’impôt ou de déficit, ou de dépense. Le problème fondamental c’est qu’il y a trop de chômage en France et qu’il n’y a pas assez de travail pour tous, voilà notre problème, et notamment pour les jeunes. Depuis vingt ans, la situation s’est considérablement dégradée. Que faut-il faire pour l’avenir ? Eh bien, moi, je dis que nous ne pouvons pas nous, Français, prétendre avoir raison contre tout le reste du inonde. Partout dans le monde, on abaisse les dépenses, on abaisse les impôts et on a une croissance et un emploi meilleurs que les nôtres. Alors est-ce que nous aurions raison contre tout le monde ? Non !

France 2 : Donc, il faut baisser les dépenses. Je reviens sur les 3 % parce que vous dites que ce n’est pas fondamental, pourtant on ne parle que de ça depuis pas mal de temps ?

Édouard Balladur : Ce que je veux dire, c’est que ce soit 2,8 % ou 5,2 %, ce n’est pas fondamental.

France 2 : Le fait que le Gouvernement ait dit qu’il s’engageait à parvenir au 3 % en 1998, c’est une bonne nouvelle pour vous ?

Édouard Balladur : Absolument, c’est une bonne nouvelle, mais je dis que tout dépend de la façon dont on va y arriver. Si c’est en augmentant les impôts, ce ne sera pas une bonne nouvelle, car, à terme, ça détruira l’emploi dans notre pays et ça aggravera le chômage.

France 2 : Est-ce qu’il faut renoncer à certains avantages fiscaux, comme par exemple les aides des emplois à domicile ?

Édouard Balladur : On ne peut pas entrer dans le détail des choses, on en reparlera peut-être dans le budget 98, mais ce que je veux vous dire, c’est qu’on ne peut plus augmenter les impôts et les cotisations en France. On ne peut plus, sauf à prendre des risques très graves pour l’avenir et notamment pour l’avenir de la jeunesse. Il faut réduire les dépenses. Vous me disiez tout à l’heure : quelles dépenses ? Par exemple, il y a 450 milliards d’intervention publique, c’est le tiers du budget ou presque le tiers. Personne ne croit qu’il n’y a pas matière à économie dans ce domaine, par exemple ne pas créer de nouveaux postes de fonctionnaires qui ne font qu’aggraver la situation. Je donne ces deux exemples, je pourrai en donner d’autres. C’est une question de volonté. Des pays ont fait cet effort, et même des pays socialistes, comme les Pays-Bas, qui sont aujourd’hui dans une meilleure situation que la nôtre, ou le Danemark. Pourquoi nous, Français, serions-nous incapables de réduire nos dépenses publiques, et serions-nous condamnés à augmenter perpétuellement les impôts. C’est une situation qui, à terme, n’est pas tenable. Le Gouvernement vient d’arriver, il y a un mois et demi…

France 2 : … Justement, un tout petit mot d’appréciation sur cette méthode du Gouvernement et de Monsieur Jospin ?

Édouard Balladur : Mais comment la qualifierez-vous cette méthode ?

France 2 : Mais c’est la question que je vous pose !

Édouard Balladur : Cette méthode n’a rien de particulier. Je ne vois rien qui mérite d’être relevé dans ce qui a été fait. Je disais à l’instant : le Gouvernement vient d’arriver, il est là depuis un mois et demi, laissons-lui le temps, jusqu’au mois de septembre, d’élaborer son budget. Mais si son budget 98 doit prendre le même chemin que celui qu’on prend depuis hier, c’est-à-dire augmenter les impôts et ne pas réduire les dépenses, je dis et je répète que nous ne résoudrons pas le problème fondamental de la France qui est de donner du travail pour tous alors que la France est celui des grands pays où il y a le taux de chômage le plus important. Voilà l’enjeu !