Interviews de M. Nicolas Sarkozy, député et porte-parole du RPR, à Europe 1 les 4 et 21 juillet 1997, à France Inter et France 3 le 22, sur l'audit sur les finances publiques, la politique fiscale et les privatisations, et le débat au sein du RPR et de son équipe de transition depuis le 10 juillet.

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Média : Europe 1 - France 3 - France Inter - Télévision

Texte intégral

Europe 1 : vendredi 4 juillet 1997

Europe 1 : Lionel Jospin, Premier ministre, vous avez noté qu’il associe les Français à sa démarche, qu’il explique et qu’il leur dit sa vérité. Comment l’avez-vous trouvé ?

Nicolas Sarkozy : Franchement, je l’ai trouvé sans surprise, d’un classicisme étonnant. Lionel Jospin nous dit de le juger sur ses actes ; d’accord ! Le problème, c’est qu’on n’en voit pas beaucoup d’actes ! Cinq semaines après rien n’est engagé et on nous annonce des décisions extrêmement importantes pour l’automne. On ne sait pas si c’est le début, le milieu ou la fin de l’automne. Jamais démarrage, me semble-t-il, ne fut si poussif. Pour le reste qu’a-t-il dit ? Donnez-moi du temps. Très bien, on a compris, il le répète depuis cinq semaines avec une constance à laquelle je tiens à rendre hommage. Il nous a également indiqué qu’il allait faire le coup du bilan. Ça aussi, c’est classique, c’est attendu.

Europe 1 : Il faut reconnaître honnêtement qu’il hérite – c’est d’ailleurs le mot qui est revenu le plus souvent.

Nicolas Sarkozy : Vous m’avez demandé mes réactions, donc j’essaie de vous les donner. En matière d’héritage, je sais ce que c’est parce que j’ai eu le privilège d’être le Premier ministre du budget qui a succédé au gouvernement socialiste de Monsieur Bérégovoy. Je voudrais rappeler qu’entre 1991 et 1993, les socialistes avaient triplé le déficit. Bref, dernier point, Lionel Jospin – et là je crains qu’il ne tienne fortement ses promesses – a annoncé des impôts nouveaux, mais naturellement, ces impôts nouveaux – là encore classicisme absolu ! – ne seront payés que par ceux qui auront les moyens de les payer. Vous avez rarement entendu un Premier ministre dire que les impôts nouveaux qu’il allait faire payer seraient payés par ceux qui, par définition, ne peuvent pas les payer. C’est la faute aux prédécesseurs ; il y aura des impôts nouveaux ; et il faut du temps.

Europe 1 : Il faut reconnaître qu’il choisit la justice sociale contre les allégements fiscaux ?

Nicolas Sarkozy : Franchement, si on veut se goberger de mots, j’accepte parfaitement mais, enfin, qu’est-ce que veut dire la justice sociale, alors que partout dans le monde le chômage recule et la croissance repart. La vraie justice sociale, celle à laquelle nous sommes tous attachés, c’est de donner un emploi à ceux qui n’en ont pas. Nulle part dans le monde – dans aucun pays, on ne crée des emplois, on ne retrouve la croissance en augmentant les impôts, en augmentant les dépenses. C’est le système inverse et, légitimement, il me semble que sans faire de procès d’intention ni à Monsieur Jospin ni à ses amis, on peut être inquiets, comme je l’ai été lorsque j’ai entendu son discours de politique générale, qui consistait à expliquer que sa stratégie économique, son alpha et son oméga en la matière, consistait à dire aux Français : surtout, à partir d’aujourd’hui, travaillez moins. Vous gagnerez plus et on créera des emplois pour vos enfants. Dans cinq ans, les 35 heures seront payées 39.

Europe 1 : Je pense que vous avez noté que Lionel Jospin affirme que « seul l’intérêt national me guidera… »

Nicolas Sarkozy : Il a raison.

Europe 1 : « L’État n’a pas à renflouer des entreprises qui ne marchent pas », « il ne faut pas nier les réalités, y compris industrielles. » Est-ce que ça ne s’appelle pas du pragmatisme ?

Nicolas Sarkozy : De ce point de vue, « Lionel la Palice », je veux bien accepter de dire qu’il a parfaitement raison. Mais prenez l’affaire des privatisations, je crains que dans cette affaire on ait tous les inconvénients et aucun des avantages. Pourquoi ? Parce que moi, je crois à la privatisation comme un système de gestion efficace de grandes entreprises. Vous prenez France Télécom, cette entreprise a besoin d’être privatisée pour compter dans le concert international. La preuve que les privatisations fonctionnent, regardez ce que fait le Gouvernement socialiste anglais. Les privatisations de Margaret Thatcher et John Major ont tellement bien fonctionné que, Tony Blair, Premier ministre socialiste, vient de décider de taxer les profits exceptionnels des entreprises privatisées, tellement ça marche. Dans le même temps, en France, Monsieur Jospin entend, essaie de nous faire comprendre qu’il va revenir sur le dogme du refus des privatisations, non pas du tout parce qu’il croit aux privatisations comme un système de gestion économique, mais parce qu’il a besoin de l’argent des entreprises privatisées. Ce n’est pas ça le problème. Le problème, c’est que l’État est un mauvais actionnaire.

Europe 1 : Monsieur Sarkozy…

Nicolas Sarkozy : Oui, Monsieur Elkabbach.

Europe 1 : … Vous ne croyez pas qu’il fallait que ces dossiers industriels et financiers soient réglés avant l’arrivée des socialistes ? Le problème aurait été tranché.

Nicolas Sarkozy : Je suis parfaitement de votre avis. Si le Crédit lyonnais avait été privatisé avant, ça aurait évité aux contribuables français bien des déboires, mais permettez-moi de poser la question : combien faudra-t-il de Crédit lyonnais pour que l’on comprenne que la propriété par l’État d’un certain nombre d’entreprises aujourd’hui publiques et pourtant en secteur concurrentiel, n’est pas la bonne solution. Voilà ce que j’ai voulu dire. Donc il ne s’agit pas, pour Monsieur Jospin, de préparer son électorat à un nouveau retournement sur la privatisation, il s’agit de comprendre que la privatisation est un système moderne pour gérer des entreprises.

Europe 1 : Vous êtes fidèle à vous-même, vous êtes plutôt libéral ?

Nicolas Sarkozy : Je crois aux idées de liberté, mais il ne s’agit pas d’être fidèle à moi-même ou d’être en accord avec moi-même, ce que j’essaie surtout, c’est de convaincre que ce qui se passe et ce qui réussit partout dans le monde peut réussir en France. Je suis au moins aussi attaché à la justice sociale, à l’équité et à l’égalité que Monsieur Jospin. Je dis simplement qu’il n’y a aucune raison que nous restions le dernier pays à avoir un nombre de chômeurs qui augmente parce qu’on ne libère pas assez l’économie.

Europe 1 : Les Français, il ne faut pas l’oublier, lui ont donné la majorité le mois dernier. Ils ont estimé que l’ancienne majorité ne la méritait pas. C’est encore trop tôt pour montrer les dents. J’ai envie de dire : laissez-le vivre un peu, laissez-le gouverner puis vous jugerez après 100 jours.

Nicolas Sarkozy : Jean-Pierre Elkabbach, il m’est assez difficile de répondre à votre invitation – extrêmement sympathique – et d’en tirer la conclusion que parce que Monsieur Jospin est là depuis cinq semaines, je n’aurais rien à dire, et parce qu’il est là depuis cinq semaines, il faudrait absolument que je sois d’accord. J’ajoute que je n’ai pas oublié que nous avons été battus. Je voudrais même dire que nous avons été sanctionnés. De mon point de vue, ce ne sont pas les socialistes qui ont gagné, c’est nous qui avons perdu. Ce n’est pas dans le socialisme que les Français ont cru, mais dans la façon que nous avions de ne pas assez défendre nos idées. C’est donc une chose parfaitement différente, et il n’y a, pour l’opposition d’aujourd’hui, rien de plus urgent que de préparer la reconquête, en… en prenant le temps, et en se disant que cette reconquête ne pourra pas se faire uniquement parce que les socialistes, à leur tour, auront déçu.

Europe 1 : La reconquête de qui ? De Jacques Chirac ou de quelqu’un d’autre ? Je veux dire que le RPR va avoir un nouveau président dimanche, une équipe. Le nouveau RPR, est-il le parti du président ?

Nicolas Sarkozy : Mais le président de la République est le président de tous les Français et comme il est l’un des nôtres, le devoir de chaque élu, de chaque militant, de chaque électeur du Rassemblement pour la République est de le soutenir. Je le dis d’autant mieux et d’autant plus simplement que de mon point de vue, l’analyse que je fais de la cohabitation, c’est qu’elle sera moins facile qu’on ne l’imagine. Parce que oui, Lionel Jospin, dans ses premières déclarations, fait montre d’un socialisme pur et dur.

Europe 1 : Dans quelques jours, le nouveau président du RPR va former un comité provisoire pour préparer les assises de décembre. Vous en serez, a dit François Fillon, le secrétaire général. Est-ce que c’est un retour en grâce de Nicolas Sarkozy, qui retrouverait une sorte de légitimité chez les gaullistes ?

Nicolas Sarkozy : Mais, écoutez, dans la dernière campagne pour les élections législatives, j’ai participé à soixante-dix-huit réunions, à l’invitation de soixante-dix-huit députés du RPR et je n’ai pas eu le sentiment d’être le moins actif dans la dernière campagne des élections législatives. Mais ce qui m’intéresse est tout autre : je voudrais, avec bien d’autres, faire en sorte que le RPR de nouveau rencontre l’adhésion de ceux qui nous ont soutenus. Est-ce que vous savez qu’il y a 1,3 million de Français qui se sont déplacés aux urnes au deuxième tour de l’élection législative pour déchirer leur bulletin de vote ? C’est un sujet qui m’interpelle, que nous avons perdu plus de 4,3 millions de suffrages par rapport au deuxième tour des présidentielles qui avait vu la…

Europe 1 : Et beaucoup sont allés au Front national, si vous me permettez de le dire. Qu’est-ce que vous ferez ? Sans eux, vous perdrez encore ?

Nicolas Sarkozy : C’est un problème parfaitement essentiel et je considère que ceux qui nous ont quitté pour aller au Front national ne sont pas allés au Front national parce qu’ils croient dans les idées du Front national, mais pour manifester leur déception à notre endroit. La seule solution, la seule, pour retrouver leur confiance, c’est de bâtir et de refonder un projet politique qui ait un sens. Je suis de ceux qui pensent que quand la droite républicaine n’est pas la droite, c’est l’extrême-droite qui en profite.

Europe 1 : Et ça, ça commence dimanche ?

Nicolas Sarkozy : Ça commence dimanche. Ça sera un processus qui peut être long. Notre durée dans l’opposition dépendra étroitement de notre capacité à la rénovation.


Europe 1 : lundi 21 juillet 1997

Nicolas Sarkozy : Un mot sur cette opération audit qui apparaît aujourd’hui très clairement pour ce qu’elle est, c’est-à-dire une petite opération de politique. Vous savez, en matière de réduction des déficits, les socialistes ont plus de leçons à recevoir qu’à donner. Je voudrais rappeler qu’entre 1988 et 1993, les socialistes ont multiplié le déficit de la France par trois par rapport au PIB. Monsieur Strauss-Kahn et Monsieur Jospin étaient membres de ces gouvernements. En ce qui nous concerne, depuis 1993, nous les avons divisés par deux. J’ajoute que pour que la France puisse respecter les critères de Maastricht et être bien gérée, il me semble indispensable que nous réduisions les dépenses. C’est le problème de la dépense publique qui est aujourd’hui posé. Or, qui croire ? Monsieur Jospin qui, la semaine dernière, a annoncé en année pleine 40 milliards de dépenses publiques supplémentaires, ou Monsieur Strauss-Kahn qui, ce matin, annonce dix petits milliards d’économies ? On se demande quelle est la cohérence de la politique qui est suivie. Et puis, enfin, dernier mot, je ne crois pas qu’on résoudra le problème réel du montant des recettes fiscales trop faible en continuant continûment à augmenter les impôts. Compte tenu du niveau des prélèvements obligatoires dans notre pays, la seule solution, c’est la baisse des impôts.

Europe 1 : Le choix qui a été fait est d’augmenter la pression fiscale sur les entreprises plutôt que sur les particuliers. Y avait-il une autre alternative ?

Nicolas Sarkozy : Oui : l’autre alternative consistait à diminuer la dépense plutôt qu’à l’augmenter. C’était une première alternative. L’autre alternative consistait à croire que la baisse des impôts, comme partout ailleurs dans le monde lorsqu’elle a été mise en œuvre, augmente la recette fiscale. J’ajoute que sur l’augmentation de l’impôt sur les sociétés, on aurait pu tout aussi bien, plutôt qu’augmenter les prélèvements obligatoires, dire à ces entreprises : « dépensez plus pour investir, engagez plus, embauchez plus, augmentez les salaires. » C’eût été une autre formule beaucoup plus dynamique. En ce qui me concerne, je ne crois pas que l’augmentation des impôts, quelle qu’elle soit, augmente les recettes fiscales. J’ajoute que le seul chemin pour la France, compte tenu du niveau de nos dépenses publiques – je vous rappelle que nous sommes de tous les pays développés celui qui a la part de dépenses publiques la plus importante dans sa richesse nationale – ne peut être que le chemin des économies.

Europe 1 : Quels vous semblent être les inconvénients d’une pression fiscale accrue sur les sociétés ?

Nicolas Sarkozy : C’est très simple : les inconvénients d’un refus de baisser les dépenses publiques et d’une augmentation des prélèvements obligatoires ne peuvent pas résoudre le problème lancinant de la faiblesse de la croissance dans notre pays. Sans croissance, il n’y aura pas d’amélioration de l’emploi.

Europe 1 : Au bout du compte, le choix qui a été fait est celui de l’euro. La marge des politiques, qu’elles soient de droite ou de gauche, est très étroite.

Nicolas Sarkozy : Dans les mots, elle est étroite. Mais dans les faits, la réduction des dépenses et la baisse des impôts ne sont pas des chemins qui ont été choisis par le Gouvernement. Regardez le plan de réduction de l’impôt sur le revenu : qu’en sera-t-il ? Il y a tout lieu de penser qu’il sera interrompu. Regardez la politique de réduction des effectifs publics afin d’alléger la dépense publique, d’alléger les charges et d’alléger les impôts : Lionel Jospin nous a dit que ce sera terminé. Donc, la marge, elle existe. Il y a les mots, et puis, il y a les faits. Vous me permettrez de préférer les faits aux mots.


France Inter : mardi 22 juillet 1997

France Inter : Ce n’est pas évident d’être dans l’opposition, ce matin ?

Nicolas Sarkozy : Pourquoi ? Si vous voulez me poser la question de savoir si j’aurais préféré que nous gagnions les élections, la réponse est oui.

France Inter : Vous m’étonnez !

Nicolas Sarkozy : Mais, finalement, avec le beau temps.

France Inter : Les réactions au plan du Gouvernement pour redresser les finances publiques, elles sont plutôt bien accueillies, ce matin : les ménages épargnés, les grosses entreprises taxées… en gros, il n’y a guère que le CNPF et aussi Julien Dray pour grimacer. Quel est votre argument fort pour convaincre qu’il fallait faire autre chose ?

Nicolas Sarkozy : Eh bien, je voudrais dire calmement et simplement deux ou trois petites choses. Premièrement, on nous a annoncé à grands sons de trompette cet audit ; on allait voir ce que l’on allait voir. Et on nous annonçait déjà un certain nombre de choses croustillantes. Qu’est-ce que l’on a vu ? On a vu qu’en matière de déficit, les socialistes n’avaient aucune leçon à donner. Entre 1988 et 1993, le déficit de la France par rapport au PIB a été multiplié par trois. Si on compare en masse, il a été multiplié par quatre. Depuis 1995, c’est une autre majorité qui a succédé aux gouvernements d’Édouard Balladur et d’Alain Juppé, eh bien, le même déficit qui avait été multiplié par quatre par les socialistes, a été divisé par deux.

France Inter : Oui, mais enfin, ce n’est pas brillant non plus, les résultats publiés hier, puisque l’on est loin en tout cas des critères de Maastricht. Il faudrait être autour de 3 % de déficit par rapport au PIB. Là, on est entre 3,5 et 3,7 : il n’y a pas de quoi crier victoire, non plus.

Nicolas Sarkozy : Franchement, je préfère quand même ceux qui ont divisé par deux le déficit que ceux qui l’ont multiplié par quatre.

France Inter : Oui, enfin le coût de l’héritage…

Nicolas Sarkozy : Non, ce n’est pas le coût de l’héritage, ce sont des faits et les faits, même dans la vie politique, ça a une importance. Mais admettons que ce point soit un point acquis. À partir de ce moment-là, effectivement, il fallait donner un coup de reins supplémentaire pour être dans les clous, en quelque sorte. Ce coup de reins, comment peut-on le donner ? La première obligation, c’est de réduire les dépenses publiques – de tous les pays développés, la France est celui qui compte le plus fort pourcentage de dépenses publiques par rapport à sa richesse nationale. Aujourd’hui, on nous dit : on va faire dix milliards d’économies. Très bien.

France Inter : Ce n’est pas assez ?

Nicolas Sarkozy : Je soutiens cet effort. Le problème, c’est que la semaine dernière, on nous a annoncé, en année pleine, 40 milliards de dépenses supplémentaires. Donc je pose une question : quel est le gouvernement de Monsieur Jospin qu’il faut écouter, entendre ou croire ? Celui qui dépense 40 milliards de plus en année pleine la semaine dernière ou celui qui nous annonce dix petits milliards d’économies d’un côté ? Car vous l’avez bien noté, si on augmente les dépenses, eh bien demain, on devra augmenter les impôts. J’ajoute que Lionel Jospin, lui-même, avait annoncé que désormais, c’était fini la politique qui consistait à réduire les effectifs dans la fonction publique. Eh bien, préparons-nous à avoir une sacrée augmentation des dépenses ! Troisième élément : les augmentations d’impôts, l’affaire de l’IS : eh bien, je vais d’abord faire remarquer que ça va peser sur une entreprise sur cinq. Ce n’est pas rien. Et j’ajoute que je ne crois plus…

France Inter : Sur le profit des entreprises.

Nicolas Sarkozy : Oui, vous savez, il est assez difficile de taxer les entreprises qui sont en faillite. Par définition, ceux que l’on taxe, c’est les entreprises qui gagnent de l’argent. Parce que si l’on ne gagne pas d’argent, si l’entreprise ne gagne pas d’argent, voyez-vous, eh bien, il n’y a pas de possibilités de prendre de l’impôt sur les bénéfices. Donc on ne peut augmenter l’impôt sur les bénéfices que sur celles qui en font, et tant mieux. Mais notre préoccupation ne devrait pas être, en France, d’augmenter les impôts sur les bénéfices, mais d’augmenter le nombre d’entreprises qui font des bénéfices pour pouvoir créer des emplois, dépenser plus pour l’investissement, voire augmenter les salaires pour renforcer le pouvoir d’achat.

France Inter : En gros, il y avait 40 milliards de francs à trouver, qu’auriez-vous fait ?

Nicolas Sarkozy : Eh bien, je vous dis deux pistes. Pour moi, la première des priorités, c’est la réduction de la dépense et la deuxième des priorités, mais j’admets que c’est un problème très difficile, qui se pose à nous aussi dans l’opposition, je ne crois plus, compte tenu du montant des impôts dans notre pays que la moindre augmentation du moindre impôt, quel qu’il soit, produira une augmentation des recettes. Il est venu le temps de faire autre chose, d’imaginer autre chose, comme le font nos principaux partenaires : c’est par la baisse des impôts que l’on augmentera la recette fiscale. J’ajoute un point si vous me le permettez, je ne voudrais pas faire de procès d’intention, mais nous avons entendu dans votre journal, il y a quelques minutes, Monsieur Hollande, le premier secrétaire du PS : je crains que cette augmentation de 15 % de l’impôt sur les bénéfices des sociétés ne soit que le hors-d’œuvre et que le plat de résistance soit à venir. Quand on entend ce qu’a dit François Hollande sur l’impôt sur le revenu et sur les cotisations, vous savez, je crains que vous ne soyez amenée à me réinviter en septembre pour commenter les prochaines augmentations d’impôts socialistes, ce qui est parfaitement normal. S’ils dépensent plus, eh bien, ils devront trouver plus d’impôts.

France Inter : Cela vous laisse un peu de temps pour affûter vos arguments. Vous savez qu’il y a une thèse qui circule en ce moment : on n’a pas encore très bien compris pourquoi Jacques Chirac avait décidé la dissolution de l’Assemblée nationale. La thèse qui circule consiste à dire que les déficits publics étaient tels qu’il aurait fallu un nouveau plan de rigueur pour l’ancienne majorité, pour l’actuelle majorité présidentielle, et du coup, c’est pour cela que Jacques Chirac avait dissous cette assemblée afin d’avoir une nouvelle majorité. Qu’en pensez-vous ?

Nicolas Sarkozy : Cette thèse est parfaitement ridicule pour la raison simple – et l’audit l’a montré : que s’est-il passé ? Il manque dix à quinze milliards de recettes et il y avait dix à quinze milliards de dépenses en trop. Sur un budget qui est de l’ordre de 1 500 milliards, c’est de l’ordre de l’épaisseur du trait. J’ajoute qu’un plan de rigueur aurait été d’autant plus inutile que les plans de rigueur tarissent la recette fiscale en même temps qu’ils tarissent la dépense. Donc ça ne sert à rien. Ce qu’il faut, c’est retrouver de la croissance et on retrouve de la croissance par la création de richesses, par le dynamisme, par la liberté, par la capacité d’initiative.

France Inter : Je reviens un instant à la note qu’Alain Juppé avait transmis à Lionel Jospin, lors de la passation des pouvoirs, il y a eu des fuites puisque tout cela a filtré dans la presse. Vous avez une idée d’où venait la fuite en question ?

Nicolas Sarkozy : Non, je n’ai aucune idée d’où venait la fuite en question. Vous savez, je suis assez peu introduit dans l’entourage de Lionel Jospin.

France inter : Vous êtes depuis le 10 juillet coordonnateur et porte-parole de l’équipe de transition à la tête du RPR. Soyons clairs, est-ce que ça veut dire « numéro deux du RPR » ?

Nicolas Sarkozy : Vous le demanderez à Philippe Séguin. Ça veut dire qu’avec d’autres, je joue un rôle au RPR, avec Philippe Séguin, pour moderniser cette famille politique. Que voulons-nous faire ensemble, tous ensemble ? Nous voulons d’abord la réconcilier parce qu’il n’y aura pas de succès demain sans réconciliation aujourd’hui. Nous n’avons pas les moyens de nous diviser entre nous. Nous voulons également la rénover, démocratiser cette formation politique. Il faut rendre une utilité, une efficacité à l’acte militant. Il faut que chaque personne qui nous rejoigne, se dise : ça sert à quelque chose d’aller militer, je vais peser sur la stratégie politique. Et il faut enfin refonder notre projet politique en y faisant une plus grande place à la liberté parce qu’il me semble que dans le débat politique, il y a quelques semaines, il n’y avait pas assez de différences entre le discours des hommes politiques de l’ex-majorité et celui de ceux de l’ex-opposition, en quelque sorte. Quand il n’y a pas de différences entre la gauche et la droite, voyez-vous, celui qui en profite, c’est l’extrémisme.

France Inter : Vous avez des nouvelles d’Alain Juppé ?

Nicolas Sarkozy : Oui, j’ai eu des nouvelles d’Alain Juppé.

France Inter : Comment va-t-il ?

Nicolas Sarkozy : Eh bien, c’est même lui qui m’a téléphoné pour prendre des nouvelles de mon fils, voyez-vous.

France Inter : À part ça, politiquement ?

Nicolas Sarkozy : Je crois qu’il a décidé de prendre des vacances.

France Inter : Philippe Séguin, ça va bien avec lui ?

Nicolas Sarkozy : Philippe Séguin, ça va très bien. Nous avons notamment confronté nos idées sur l’étape superbe de l’Alpe-d’Huez l’autre jour.

France Inter : Alors, on n’est pas très inquiets. Je voudrais que l’on revienne au 7 juillet dernier, c’était aux assises du RPR à Vincennes, pourquoi avez-vous été sifflé par les militants du RPR ?

Nicolas Sarkozy : D’abord, je crois qu’il ne faut pas dire cela des militants du RPR. C’était des assises qui avaient lieu dans un cadre bien particulier, à la suite d’une histoire bien particulière et si justement Philippe Séguin et toute l’équipe qui assure aujourd’hui la direction du RPR ont voulu tourner la page, c’est parce que cette image était une image qui est détestable, celle de la division qui nous renvoyait à un passé douloureux de notre famille politique.

France Inter : Ça fait mal tout de même quand vous entendez votre nom sifflé, quand vous voyez des pancartes « Sarko traître », « Sarko dehors », « Sarko petit salaud » ?

Nicolas Sarkozy : Vous savez, je ne suis pas persuadé que tout était parfaitement spontané et en ce qui me concerne, il ne s’agit pas pour moi, dans le cadre du combat politique que je mène, de donner des considérations d’ordre psychologique. Ce qui fait mal…

France Inter : Si ce n’était pas spontané, qui organisait ?

Nicolas Sarkozy : Ce qui fait mal, c’est d’avoir été battus non pas parce que nos idées sont minoritaires en France, mais parce que nous n’avons pas eu le courage, la force de les défendre, c’est ça qui fait mal. Tout le reste, c’est de l’anecdote. Mais pour autant, je crois que le travail qui, autour de Philippe Séguin, nous attend, est un travail immense : rénover une formation politique. C’est difficile, ça sera, me semble-t-il, long, mais l’ambition que nous avons, c’est de faire du mouvement gaulliste la grande formation politique moderne dont la France a besoin. Partout dans le monde, les idées de liberté triomphent, il n’y a aucune raison pour qu’il n’en soit pas ainsi en France.


France 3 : mardi 22 juillet 1997

France 3 : On a eu le sentiment qu’hier l’opposition était très sévère à l’égard de ce plan. Or, aujourd’hui, les partenaires européens de la France sont plutôt satisfaits et la bourse n’a pas bougé. Vous n’avez pas été trop durs ?

Nicolas Sarkozy : Non. Bien sûr, il ne s’agit pas, parce qu’on est dans l’opposition, d’être dur, et quant à nos partenaires, ils n’ont pas à juger de la pertinence de telle ou telle mesure prise par un gouvernement. Nous avons dit deux choses très simples : c’est que de tous les pays développés, la France est celui qui compte, par rapport à sa richesse nationale, la dépense publique la plus importante. L’urgence est donc de réduire la dépense publique. Or, nous avons vu, la semaine dernière, le Gouvernement annoncer 40 milliards, en année pleine, de dépenses de plus.

France 3 : Là, il y a 10 milliards d’économies, tout de même ?

Nicolas Sarkozy : Oui, mais ça fait quand même 30 milliards de dépenses de plus. J’ajoute que, m’en tenant aux multiples déclarations du ministre de l’éducation nationale, Claude Allègre, on nous annonce des créations de postes tous les jours alors que le problème des effectifs de la fonction publique et de la réduction de ces effectifs est posé. La deuxième remarque que nous avions faite me semble être de bon sens : c’est que compte tenu du niveau des impôts dans notre pays – l’un des plus élevés d’Europe –, ce n’est pas en augmentant encore les impôts, fût-ce les impôts sur les entreprises – dont je rappelle qu’elles créent des emplois, donc de la richesse – que l’on augmentera les recettes fiscales.

France 3 : Pourtant, 78 % des Français dans un sondage Paris Match-BVA, approuve Lionel Jospin quand il a demandé un audit sur l’état réel des finances publiques.

Nicolas Sarkozy : Vous observerez d’abord que l’audit, ce ne sont pas les mesures qui ont été prises. Quant à l’audit, moi, je suis très serein face à lui. Les socialistes, de 1988 à 1993, ont multiplié le déficit de la France par quatre. Moi, j’ai été le ministre du budget de Monsieur Balladur qui ai eu, le premier, à gérer le budget après les deux septennats socialistes. Ce qu’ils avaient multiplié par quatre – le déficit – nous, nous l’avons divisé par deux. Je crois que le moment n’est pas encore venu de nous donner des leçons en la matière. Pour le reste, je crains que ce qu’a annoncé le Gouvernement ne soit que les apéritifs et qu’au mois de septembre, on parle du reste des augmentations. D’ailleurs, Monsieur Hollande, le premier secrétaire du Parti socialiste, qui est sans doute mieux informé que vous et moi – ce n’est pas un reproche, mais une constatation –, nous a déjà annoncé que nous allions reparler de l’impôt sur le revenu, que la baisse qui avait été programmée sur plusieurs années par le précédent Gouvernement était remise en cause et qu’on allait également reparler des cotisations. Donc peut-être, me réinviterez-vous au mois de septembre et là nous verrons s’il y a toujours 70 % des Français qui sont contents de l’audit et de ses conséquences.

France 3 : Vous êtes le nouveau porte-parole du RPR. Comment se passent l’ambiance et la nouvelle organisation avec la nouvelle équipe ?

Nicolas Sarkozy : L’ambiance autour de Philippe Séguin est très bonne. Cela pour une raison simple : c’est que les électeurs, les militants, les sympathisants, voulaient l’unité du mouvement. Ils le voulaient en profondeur. Pourquoi le voulaient-ils ? Parce qu’on ne peut pas se permettre la division face à la situation politique nouvelle de notre pays. Ensuite, on nous a demandé la rénovation du mouvement. Cette rénovation passe par plus de démocratie, plus d’écoute, plus de dialogue. Mais nous avons une ambition formidable. Nous voudrions rendre une utilité, une efficacité, une dignité à l’acte militant ; que chaque personne qui nous regarde et qui se dit : j’ai envie de participer au combat politique, considère que le choix de militer, eh bien, c’est un choix qui est utile. Enfin, dernier point, nous voulons refonder notre projet politique parce que, dans une démocratie, il faut que le discours de la gauche et celui de la droite ne soit pas le même parce que, quand il y a confusion des genres, c’est l’extrémisme qui en profite. Vous voyez que le pain sur la planche ne nous manque pas et, finalement, mieux vaut faire ce travail dans une bonne ambiance.