Texte intégral
Cher(e)s camarades, cher(e)s ami(e)s,
Je suis très heureux de vous retrouver ici à La Rochelle, chez mon ami Michel Crépeau, afin de clore, à l’invitation d’Alain Bergougnioux et aux côtés de François Hollande, cette université d’été. Je suis plus heureux encore de le faire après une année politique passionnante qui a vu notre formation remporter un grand succès aux élections législatives et devenir ainsi le cœur de la majorité de gauche que les Français ont voulue. J’aurais aimé que Jean Poperen, qui vient de s’éteindre après un dernier combat, soit avec nous aujourd’hui pour prendre sa part de ce mouvement. Nous lui rendrons bientôt l’hommage qu’il mérite.
Nous pouvons être fiers de notre victoire. Fiers, parce qu’elle est la première en son genre sous la Ve République : en effet, nous avons su conquérir la confiance des Français et accéder aux responsabilités à l’occasion d’élections législatives et sans l’impulsion formidable que donne le succès préalable à une élection présidentielle. Fiers, pour la campagne que nous avons menée, nous, les socialistes, dans la cohésion, le débat, l’efficacité et un esprit de fraternité retrouvée. Je suis fier personnellement d’avoir accédé à la responsabilité de chef de gouvernement et d’être, comme je l’ai souhaité, à la tête d’une majorité rassemblant les principales composantes de la gauche et des écologistes.
Mesurons, et peut-être aussi savourons, ensemble, cher(e)s ami(e)s, le chemin parcouru depuis notre dernière rencontre, il y a un an, presque jour pour jour, ici même.
Il s’agit maintenant de traiter les problèmes au présent et de préparer l’avenir. Comme Premier ministre et m’adressant aujourd’hui aux socialistes, je voudrais vous proposer de travailler ensemble à :
- une conception rénovée de l’action publique ;
- un projet qui convienne à la France ;
- un bon usage de notre force politique.
1. Une conception rénovée de l’action publique
Les Français ont besoin de retrouver confiance – confiance dans leurs dirigeants politiques – mais aussi confiance en eux-mêmes. L’opinion est plus lucide et plus ferme que d’aucuns le prétendent. Les Français ont décidé consciemment de changer de majorité.
Ils nous ont conduits au gouvernement sans excès d’illusion, mais pas non plus sans espoir. Il sont loin d’avoir désapprouvé nos premiers pas – au sommet d’Amsterdam, dans la nouvelle donne budgétaire – alors qu’il nous fallait du temps et que nous en manquions. Ils sont sans indulgence excessive mais leurs exigences sont réfléchies. À ceux qui nous répètent : « vous n’avez pas le droit à l’erreur », je me demande parfois si l’opinion ne répond pas comme en écho et un peu lassée des échecs : « vous avez le droit au succès, nous aimerions bien que vous réussissiez ». C’est ce que nous allons nous efforcer de faire.
Cela suppose une autre façon de gouverner
J’ai voulu un gouvernement resserré. Regroupé autour des grandes fonctions de l’État, formé de vraies personnalités politiques – qui pensent et qui existent –, mais capables de s’inscrire dans une action collective et qui se consacrent pleinement à leur tâche.
Ce gouvernement est un gouvernement où l’on débat. Chacun a sa compétence, bien sûr, et sa responsabilité. On n’y débat pas seulement parce que la majorité est plurielle et que chacun doit se sentir associé à la définition des orientations d’ensemble. On y débat, notamment dans les réunions de ministres, parce que je suis convaincu depuis longtemps que l’échange des opinions, l’examen contradictoire des solutions possibles avant les prises de décision garantissent de faire de meilleurs choix.
Notre gouvernement est un gouvernement qui dialogue, pour agir. L’autorité ne s’affaiblit pas dans l’échange, dans l’écoute, elle s’y ressource, elle s’y exerce. Se couper des Français, c’est se condamner à coup sûr à l’échec. Nous traiterons les problèmes, certes, et sérieusement, mais pas sans eux, pas non plus sans leurs représentants, qu’ils soient syndicaux ou associatifs.
J’essaie d’être un Premier ministre qui laisse vivre ses ministres, qui n’absorbe pas leur énergie mais la diffuse. Le rôle d’un chef d’orchestre est aussi de laisser jouer ses solistes, surtout s’ils sont bons.
Cela implique d’affronter le réel pour le changer
J’ai déjà parlé, à propos de notre action, de « réalisme de gauche ». Ce n’est pas pour moi un minimalisme, ni l’absence de volontarisme. C’est une volonté politique inscrite dans le réel. Tenter de passer en force, au mépris des réalités et des résistances du moment, c’est le plus sûr moyen de se condamner à l’impuissance. Je veux partir des faits pour les transformer.
Le poids du chômage, le déficit budgétaire, le déséquilibre des comptes sociaux, l’insécurité dans certains quartiers, les menaces que font peser sur nos industries de pointe les grandes concentrations d’entreprises réalisées aux États-Unis, le problème du financement futur des retraites, les difficultés actuelles de l’Europe, les déstabilisations en Afrique sont des réalités incontournables. Ces problèmes appellent, quand on est au gouvernement, des réponses pratiques. On ne peut les éluder, ou les traiter par des proclamations. Nous les aborderons donc méthodiquement, sans en esquiver un seul, sans les repousser devant nous. Mais nous le ferons selon nos valeurs. La droite et la gauche sont face aux mêmes réalités. Elles n’ont pas pour autant vocation à apporter les mêmes solutions.
Nous avons commencé à le montrer dans nos choix budgétaires ou fiscaux, comme dans notre politique pour l’emploi ou notre approche de la question de l’immigration. Notre réalisme est un réalisme de gauche. Non seulement parce que tel est notre engagement. Mais aussi parce que je suis convaincu – et les élections de 1997 comme celles de 1995 l’ont montré – qu’il n’y a pas en France de majorité pour un libéralisme dur. Les Français attendent un « réformisme économique et social », qui modernise le pays, qui l’adapte à la compétition mondiale sans détruire la cohésion sociale mais en lui donnant des formes nouvelles, inspirées par des exigences de justice.
Pour illustrer ce réalisme de gauche – et pour mettre au clair un certain nombres d’approches ou de critiques qui me paraissent à la fois confuses et excessives – je prendrai l’exemple de notre démarche en matière d’immigration. Je m’adresserai moins à vous, qui savez nos engagements, qu’aux Français que pourrait troubler le travestissement de nos positions.
Là, comme ailleurs, partons de la réalité pour la changer
La réalité, c’est que les lois Méhaignerie-Pasqua-Debré ont généré des situations aussi absurdes qu’insupportables pour ceux qui les vivent.
La réalité, c’est que la loi Méhaignerie est revenue sur une vision républicaine de l’acquisition de la nationalité à laquelle de nombreux Français sont attachés.
La réalité, c’est aussi qu’il existe une immigration clandestine dont les premiers à pâtir sont les étrangers en situation régulière.
La réalité, c’est encore que la France doit maîtriser ses flux migratoires.
La réalité, c’est enfin que tout État décide naturellement dans quelles conditions les étrangers entrent et restent sur son territoire.
Je répète donc que nous voulons une politique d’immigration généreuse, mais ferme, qui renoue avec toute l’histoire de notre nation et avec notre tradition républicaine, qui respecte pleinement les droits de la personne et se refuse à toute discrimination xénophobe.
Les avant-projets de loi en cours d’élaboration me paraissent répondre à ces objectifs
C’est pourquoi nous ne devons pas accepter le procès instruit par certains et selon lequel nous ne respecterions pas nos engagements.
Je ne crois pas que le débat formel sur l’abrogation ou non des lois Pasqua-Debré ait concrètement un sens. Car celles-ci ne sont que des amendements dispersés dans l’ordonnance de 1945. C’est ce texte fondateur du droit des étrangers que nous devons à notre tour amender. Si nous devions réécrire totalement l’ordonnance, cela nous prendrait beaucoup de temps et je suis bien persuadé qu’on nous reprocherait alors de renvoyer à plus tard le respect de nos engagements.
Notre projet de loi changera profondément la législation et supprimera des dispositions essentielles des lois Méhaignerie-Pasqua-Debré. Même M. Debré finira par s’en apercevoir…
Et à ceux qui persistent à entretenir ce débat sur « l’abrogation », le moins qu’on puisse demander, c’est de le faire avec honnêteté intellectuelle et en rappelant précisément nos engagements.
Le 4 mars 1995, m’exprimant devant le MJS dans la campagne présidentielle, j’ai écarté la formule de l’abrogation pour dire que je reviendrais sur les dispositions des lois Méhaignerie-Pasqua qui étaient attentatoires au droit des gens. Le Monde rapporte ainsi mes propos : « Je ne dirai certainement pas que soient barrées ou biffées d’un trait de plume les lois Pasqua. Je souhaite les peigner afin de les rendre plus conformes à l’esprit de la République ».
Le texte adopté par la convention du PS, le 30 juin 1996, après avoir été débattu et voté par nos militants, ne parlait pas d’abrogation mais proposait, je cite : « le remplacement des lois Pasqua par une législation tout à la fois rigoureuse dans la maîtrise de l’accueil des étrangers et protectrice des droits fondamentaux. »
Il y a un an, ici même, évoquant la situation des sans-papiers, je vous avais dit :
« Parmi les « sans-papiers », certains ne peuvent être régularisés aujourd’hui. Demain, même si nous modifions la législation actuelle, tous ne pourraient prétendre à cette régularisation, sauf à contredire nos affirmations sur l’immigration clandestine, à bouleverser la conception française du droit d’asile, et à s’exposer à être gravement incompris des Français, y compris de nos électeurs.
En janvier 1997, dans le texte politique commun Verts-PS, nous ne parlions pas d’abrogation – contrairement à ce qui a été affirmé – mais écrivions : « une nouvelle législation se substituera aux lois Pasqua en réinstaurant notamment le droit de vivre en famille, le droit d’asile, le droit du sol ». C’est exactement ce que nous allons faire.
Le 29 avril 1997, dans la déclaration commune PC-PS, nous ne parlions pas d’abrogation mais affirmions : « Nous supprimerons les lois Pasqua-Debré. Nous rétablirons les droits fondamentaux au mariage, à la vie de famille et le droit d’asile, ainsi que le code de la nationalité dans sa vision républicaine ». C’est exactement ce que nous allons faire.
Alors, c’est vrai, une fois, dans un meeting parmi cinquante – même si c’était l’un des plus beaux –, celui du 15 mai 1997 au Zénith, j’ai repris le slogan que les jeunes proclamaient : « Nous abrogerons les lois Pasqua et Debré », mais j’ajoutais qu’elles seraient « remplacées par une nouvelle législation respectueuse du droit des gens. » C’est ce que nous faisons aujourd’hui.
Ainsi, pour certains, un mot de moi l’emporterait sur toutes mes autres déclarations et surtout sur tous les textes débattus collectivement, pensés et écrits, soit par les socialistes, soit avec nos partenaires !
En réalité, sur le fond, je suis resté constant dans mon approche et mes positions. Quant au gouvernement, il a bien l’intention de respecter ses engagements de campagne. Vous avez pu le vérifier dès les premières semaines par les régularisations qu’autorise la circulaire du ministre de l’Intérieur.
Peut-être me trouverez-vous insistant sur ces mises au point. Mais elles me paraissent nécessaires. Chacun a bien compris que ce qui est en jeu ici, c’est notre image, c’est l’idée de la fidélité à nos engagements, c’est la capacité à maintenir des positions cohérentes dans la durée – comme je me suis efforcé de le faire –, c’est le lien de confiance nouveau que nous avons peut-être réussi à nouer avec les Français. Vous comprendrez que tout cela, je veuille le défendre.
Je respecte les positions des associations qui défendent les immigrés. Mais je ne partage pas les opinions de plusieurs d’entre elles quand elles disent qu’il faudrait régulariser tous les clandestins et ouvrir les frontières à tous les étrangers qui le souhaitent. Cela ne peut être la position du gouvernement de la République, ni une position à laquelle puissent adhérer les Français. Cela n’a jamais été notre position.
Je suis confiant sur l’issue de ce débat et ses conclusions seront de toute façon positives pour notre pays. Ou seule la majorité vote ce texte et nous aurons fait scrupuleusement notre devoir. Ou d’autres s’y rallient, et ils le feront sur les positions qui sont les nôtres et qui peuvent permettre de restaurer un consensus républicain sur l’immigration. Si c’était le cas, les étrangers dans notre pays, mais aussi les Français, pourraient nous en savoir gré.
Il faut réhabiliter la réforme
Il nous faut réhabiliter l’idée même de la réforme.
D’abord parce qu’historiquement notre mouvement est un mouvement réformiste, comme tous ceux qui participent du socialisme démocratique. Surtout parce que c’est bien de réformes profondes qu’a besoin notre pays.
Je ne crois pas que l’idée réformiste et de transformation sociale soit épuisée sous prétexte que sont retombés par ailleurs les grands élans révolutionnaires. Il n’est pas vrai que seuls auraient droit de cité le conservatisme plat ou la réaction drapée d’oripeaux modernistes. La France ne veut pas cela.
Elle a aussi démystifié, me semble-t-il, le véritable détournement de l’idée de réforme opéré par la droite et qui consiste à dénommer réforme toute mise en cause d’un acquis historique. Pour nous, et je crois aussi pour les Français, le mot réforme reste synonyme de progrès.
Réapproprions-nous cette vision et cette ambition inscrites dans l’histoire du mouvement de la gauche et de la République. C’est la perspective collective à laquelle je vous appelle. Le Gouvernement y prendra résolument sa part. À vous de contribuer par votre réflexion, votre soutien et votre action, à cette entreprise.
Les premiers actes du Gouvernement
Vous le savez, je n’ai jamais été un partisan de « la théorie des 100 jours ». D’une part parce que la référence napoléonienne – surtout celle-ci – n’est pas ma spécialité, d’autre part parce qu’il est sage de se rappeler qu’un gouvernement se juge en démocratie au terme de son mandat et non à son début. Encore qu’il ne soit pas indispensable de rater ses débuts…
Mais puisque nous y sommes presque, à ces fameux 100 jours, pourquoi ne pas tracer le bilan des trois premiers mois de l’action gouvernementale ?
Nous avons commencé à rendre confiance aux Français. Cela n’était nullement évident compte tenu de notre échec de 1993, des déceptions qui ont suis l’élection présidentielle, de l’affaissement du gouvernement Juppé, du trouble produit par la dissolution de l’Assemblée nationale.
Confiance d’abord dans l’action politique.
Grâce à la collégialité retrouvée, grâce au sérieux de la préparation des décisions, grâce à l’impartialité dans la pratique des nominations individuelles, grâce à la simplicité du ton et au concret de l’action, l’image de la pratique politique est peut-être en train de se restaurer.
Confiance en la justice
Depuis la constitution du nouveau gouvernement et conformément à l’un des engagements les plus forts que nous ayons pris devant le pays, plus aucune instruction n’est donnée par le garde des Sceaux dans des affaires individuelles et la réforme en préparation garantira bientôt l’indépendance effective de tous les magistrats.
Confiance, enfin, des Français, en eux-mêmes et en leur pays.
Un certain nombre de signes permettent de la penser : un moral meilleur pour les entreprises comme pour les consommateurs, une croissance qui redémarre, une certaine forme de décrispation de notre vie intellectuelle et politique.
Nous avons commencé à renouer le pacte républicain.
Par la priorité redonnée à l’école, par le retour à une vision républicaine du droit de la nationalité et de la politique d’immigration ; par le retour à l’esprit de la République, qui doit concerner chacun, du fonctionnaire au ministre.
Nous avons engagé l’indispensable réforme de notre vie démocratique.
Grâce au projet de loi relatif à l’inscription automatique, dès leur majorité, des jeunes sur les listes électorales. Grâce à l’exemple donné par les membres du gouvernement, pleinement disponibles pour l’exercice de leur fonction, qui préfigure la limitation des mandats électifs, laquelle aura bientôt force de loi. Et si nous n’avons pu amorcer la réforme du scrutin régional faute de consensus, c’est aussi que je ne voulais pas – en changeant la règle du jeu unilatéralement à la veille de l’élection – mériter à mon tour les critiques que dans l’opposition nous adressions à la droite. Cette réforme sera engagée en son temps, je vous le confirme.
Nous avons également entamé le redressement des finances publiques.
Non seulement grâce à un effort supplémentaire demandé aux grosses entreprises, mais aussi grâce à une action très volontariste en matière de dépenses publiques.
Nous avons restauré les notions de solidarité et de justice sociale.
Comme j’en avais pris l’engagement lors de ma déclaration de politique générale, toutes les marges de manœuvres disponibles sont désormais affectées aux priorités que sont la recherche de la croissance, l’emploi et la réduction des inégalités. Les efforts à consentir sont plus équitablement répartis entre tous les Français. C’est dans cette perspective qu’il faut inscrire le plafonnement des allocations familiales, l’augmentation du Smic – la plus forte depuis quinze ans si l’on tient compte de la faiblesse de l’inflation –, le quadruplement de l’allocation de rentrée scolaire – qui permettra d’aider de nombreuses familles modestes –, ainsi que l’effort demandé aux grandes entreprises dans nos choix de fiscalité. L’objectif n’est pas seulement de respecter les nécessaires équilibres, mais de le faire en pilotant la politique économique de façon à rechercher la croissance.
Nous avons, enfin et surtout, donné la priorité à l’emploi – et en particulier à l’emploi des jeunes – en lançant le plan dont vous a parlé hier le ministre de l’emploi et de la solidarité, et qui représentera un des volets essentiels de notre action dans les mois qui viennent.
Les premiers pas du gouvernement, pour assurés qu’ils cherchent à être, n’ont de sens que s’ils ouvrent le chemin vers un horizon plus vaste. Il s’agit de dessiner un projet de société pour la France.
2. Un projet de société qui convienne à la France
Ce projet de société ne doit pas être un bouquet posé sur la table de la vie quotidienne, non plus qu’une référence rhétorique. Il doit éclairer notre démarche, sans doute, mais se déduire aussi des actes concrets que nous posons. Il ne saurait se concevoir hors de l’action pratique ni non plus s’y réduire.
Nous y travaillerons continûment ensemble à travers les années qui viennent. Et dès la fin de cette année, notre congrès contribuera à son enrichissement.
Je voudrais seulement ce matin esquisser quelques thèmes qu’un mot pourrait réunir : l’équilibre.
La France ne saurait rester en retrait des évolutions que connaît le monde. Mais j’ai la conviction profonde qu’elle les refuserait si on lui demandait de renoncer à elle-même, de nier une identité et des caractères qui lui viennent d’un grand passé. Elle bougera, elle accompagnera et vivra la modernité si on l’aide à réaliser la synthèse du temps entre hier et demain, si elle peut conjuguer ouverture et identité, efficacité et justice.
Rééquilibrer la construction européenne
La France a joué, dès son origine, un rôle essentiel dans la construction européenne.
Au cours des quinze dernières années, sous l’inspiration et l’impulsion du Parti socialiste – et grâce à la ténacité de François Mitterrand – elle a su entraîner les autres États membres vers une Europe plus forte, parce que plus unie. Aujourd’hui, notre responsabilité et notre projet sont de poursuivre cette œuvre en s’attelant résolument à quatre tâches :
– Faire vivre les dispositions déjà présentes dans les traités et prévoyant que les gouvernements des États membres coordonnent leurs politiques économiques. On ne peut imaginer que des pays partagent demain une même et unique monnaie sans que leurs responsables respectifs concertent les politiques qu’ils mènent sur le plan national. Y manquer serait courir délibérément un risque mortel à terme pour l’entreprise européenne, celui de renforcer chez les peuples le sentiment, déjà trop présent, que plus d’Europe signifie moins de responsabilité, moins de démocratie, moins de proximité entre ceux qui décident et ceux qui subissent. Il faut donc créer le cadre et les procédures d’une vraie coordination des politiques économiques. Je pense en particulier aux politiques fiscales. Dans un espace économique uni, il n’est pas concevable que subsistent des distorsions lourdes, quand ce ne sont pas de véritables paradis fiscaux.
– Traduire concrètement l’engagement pris à Amsterdam par l’ensemble des gouvernements de mettre l’emploi au premier plan des préoccupations politiques de l’Union. Même si les politiques de l’emploi relèvent d’abord de la responsabilité des gouvernements et des partenaires sociaux nationaux, l’Europe doit se tourner résolument vers cet objectif prioritaire. Il y va, là encore, de son avenir.
– Doter l’Europe d’une véritable puissance industrielle. L’énorme concentration née de la fusion de Boeing et de Mac Donnell Douglass a servi de révélateur du danger que nous courons. Dans les secteurs technologiques essentiels, nous devons faire émerger des pôles industriels européens suffisamment forts pour préserver les capacités européennes de production, d’investissement et de recherche dans ces secteurs. Le grand marché européen ne doit pas devenir la proie de nos concurrents. Ce sera un des axes essentiels de notre action.
– Renforcer enfin la capacité de l’Union à se gouverner. La situation actuelle n’est pas satisfaisante, mais elle deviendrait catastrophique si l’élargissement devait se réaliser sans une réforme institutionnelle préalable. Cela a été l’un des objets essentiels de mes conversations récentes avec le Premier ministre Tony Blair et le Chancelier Kohl.
La dynamique même de la construction entreprise il y a plus de quarante ans impose ces nouvelles avancées et ces nouveaux équilibres. Faute d’y parvenir, c’est la stabilité même de l’édifice qui se trouverait compromise. La France ne saurait s’y résoudre.
Trouver un nouvel équilibre entre l’État et le marché
Nous ne voulons pas d’un mélange hybride où le marché perd ses vertus et ne conserve que ses dangers et où l’État, tout en étant omniprésent, finit pas devenir inefficace.
Nous voulons un nouvel équilibre entre l’État et le marché.
L’État doit être là pour protéger les plus faibles, pour faire respecter la loi commune, pour sauvegarder la cohésion nationale, mais aussi pour donner les impulsions nécessaires, qu’elles soient sociales ou économiques. L’exemple, c’est le plan d’emploi pour les jeunes, qui montre que l’État ne se résigne pas à la désespérance qui règne trop souvent, qu’il prend ses responsabilités, dégage des moyens, propose une méthode et des contrats, – et j’espère trouver – des partenaires. L’État joue son rôle, donne de l’élan, déclenche les volontés.
Le marché garde ses fonctions, pour créer la richesse sans laquelle la redistribution perd son sens, pour garantir une économie forte, pour assurer notre place dans l’économie mondiale. Pour nous, le marché n’est pas la solution de substitution au contrat social : voilà pourquoi nous ne serons jamais des libéraux.
Pour nous, l’État n’a pas la vocation à régenter la société, ni à corseter l’économie, voilà pourquoi nous ne sommes plus des dirigistes, ni des étatistes. Pour nous, l’État et le marché doivent aller de pair, dans un nouvel équilibre.
Concilier justice sociale et efficacité économique
Longtemps, nous nous sommes surtout attachés à la redistribution de la richesse économique, en nous souciant, dans le fond, assez peu des conditions dans lesquelles celles-ci était produite. Quand nous avons mieux appréhendé la réalité de l’entreprise, à l’occasion de l’exercice prolongé du pouvoir, nous l’avons parfois fait avec le zèle des néophytes au point d’en négliger le reste. Aujourd’hui, nous devons revendiquer toute l’attention que nous portons au processus de création de richesse économique, c’est-à-dire, à l’entreprise. Mais cela ne retire rien à notre ambition de transformation sociale, ni à notre volonté de justice. Simplement, nous devons mener les deux tâches à la fois.
Mettre toujours davantage l’accent sur la redistribution en négligeant la production finirait, en effet, par condamner l’idée même de la redistribution. Il ne s’agit pas pour autant d’oublier la justice sociale.
La justice sociale, c’est d’abord rétablir l’égalité des chances devant l’école. Des travaux sociologiques récents viennent de confirmer ce que nous tous, militants et élus du Parti socialiste, savions déjà : l’école, dont la mission est par nature émancipatrice, ne corrige pas des inégalités sociales que creusent les différences culturelles. Nous refusons cette situation.
Nous voulons rétablir l’école dans son rôle de creuset de la République. Ce sera là une tâche prioritaire.
Un principe nous guidera : donner plus à ceux qui ont le plus besoin ; c’est ainsi que, dès cette rentrée, seront réouvertes 800 classes dans des zones rurales fragiles et dans les ZEP.
La justice sociale, c’est une fiscalité équitable. Nous traduirons, dans une première étape, cette exigence dans la loi de finances.
L’efficacité économique, c’est favoriser l’investissement productif, c’est stimuler la création et le développement des PME, qui sont au cœur de la bataille pour l’emploi.
L’efficacité économique regarde aussi l’État : c’est alors utiliser au mieux chaque franc d’argent public. Vous le savez, nous aurons, dans la préparation du budget 1998, réussi à redéployer des sommes importantes, à rationaliser la dépense publique et non à la rationner, à tourner toute entière l’énorme masse du budget de l’État vers l’emploi. Nous continuerons à le faire.
De même, nous favoriserons en France, à travers le développement de la recherche et de la technologie, par des mécanismes ou des choix fiscaux qui favorisent ceux qui créent, innovent, développent de nouveaux produits ou de nouvelles techniques, tous ceux qui assurent mieux ainsi l’avenir de la France.
Un tel projet ne pourra être mis en œuvre que si nous déployons, dans la durée et dans la cohérence, la force politique qui est la nôtre.
3. Un bon usage de notre force politique
La volte-face opérée par le pouvoir après l’élection de 1995, l’arrogance de la droite, sa distance à l’égard des citoyens, sa légèreté dans le traitement des problèmes, ses divisions jamais surmontées ont pesé dans sa défaite, même si l’intérêt de nos propositions, le renouvellement de notre image, notre capacité à rassembler ont été décisifs.
Le rôle des organisations politiques reste à mes yeux essentiel en démocratie, pour animer la vie publique et entraîner la décision. L’action politique ne peut se réduire au pouvoir exécutif, moins encore quand celui-ci est partagé. C’est dire si le rôle du Parti socialiste et la qualité des relations entre le gouvernement et lui sont importants.
Un Gouvernement à l’écoute d’un Parti socialiste solidaire
Je ne vais pas tenter ici une redéfinition du rôle du Parti socialiste quand le gouvernement est dirigé par l’un des siens. Si, seize ans après 1981, nous n’avions pas appris ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire, en ce qui concerne nos relations, ce serait à désespérer. Il me semble que pour avoir été premier secrétaire, ministre, être aujourd’hui Premier ministre et avoir tenté de tirer quelques leçons des deux derniers septennats, je sais comment aborder ces questions dans la pratique et dans le respect de chacun.
Je participe au Bureau national – aussi souvent que je le peux –. Les membres du Bureau national qui sont devenus ministres font de même.
Des entretiens réguliers ont lieu entre François Hollande t moi-même ; les principaux responsables du parti et des groupes socialistes sont associés à nos prises de décisions les plus importantes, les membres du gouvernement sont en contact constant avec nos élus au Parlement. Cette méthode de l’échange et de la concertation sera poursuivie.
Le congrès de Brest sera, j’en suis convaincu, un congrès de rassemblement et de débat. De rassemblement, car l’ampleur de la tâche qui nous attend et des responsabilités qui en découlent, proscrit à mes yeux toute forme de division ou de retour à des querelles dépassées. De débat politique, car celui-ci est indispensable à la démocratie et reste la condition première du rassemblement.
Au terme de ce congrès, je ne serai plus votre premier secrétaire et vous aurez élu votre nouvelle direction. François Hollande, qui m’a succédé à la tête du parti, sera candidat à l’élection par l’ensemble des militants. Il aura mon plein soutien. Je ne serai, pour autant, pas désintéressé de vos débats. Je les suivrai et sans doute j’y participerai. Je le ferai :
– à ma place, celle de chef du gouvernement ;
– avec mes convictions, qui sont bien connues ;
– avec l’espoir de voir le Parti socialiste poursuivre sa rénovation ;
– avec le souci de l’intérêt du pays.
L’engagement commun de notre majorité plurielle.
Depuis plusieurs années, j’ai travaillé à la construction d’une majorité réunissant les principaux courants de la gauche et les écologistes qui souhaitaient travailler avec nous. Nous y sommes parvenus et nous avons gagné ensemble.
C’est avec fierté que je dirige un gouvernement pluraliste appuyé sur cette majorité plurielle. Notre réussite suppose de respecter une double exigence : celle du respect de chacun, celle de rester rassemblés.
La solidarité sans la délibération, c’est la contrainte. Mais la délibération sans la solidarité, c’est l’inefficacité. Cette solidarité n’a pas fait défaut au gouvernement, ni dans la majorité. Sans doute parce qu’une majorité pleinement associée aux décisions sait que celles-ci sont les siennes.
Une attention vigilante aux évolutions de la droite et de l’extrême-droite.
Les partis conservateurs sont politiquement affaiblis aujourd’hui. Leur désarroi idéologique, leurs luttes internes, le fossé qui se creuse entre leurs jeux d’appareil et les aspirations de leur base témoignent d’une droite en crise. Faute de tirer les leçons de sa défaite, en termes d’organisation, de comportement à l’égard des citoyens, de style politique, de contenu programmatique, certains en ses rangs cherchent une issue dans un rapprochement avec l’extrême-droite.
Une telle orientation serait à l’évidence dangereuse pour la vie politique de notre pays. Et je mets en garde la droite contre une telle responsabilité historique. Mais cela ne constituerait en rien une solution pour celle-ci car cela aviverait ses contradictions.
Cher(e)s camarades, notre victoire a été celle d’une stratégie de rassemblement. Je souhaite faire vivre pleinement ce rassemblement, avec ambition et réalisme. C’est une des conditions de notre réussite.
La droite, paralysée par ses division internes, est en panne de projet et de stratégie.
C’est pourquoi, au-delà de celles et de ceux qui nous ont apporté leur soutien le 1er juin, nous devons être largement à l’écoute des Français qui veulent être entendus, respectés, et compris. Beaucoup sont intéressé par notre démarche.
Nous allons travailler dans la durée. Chacun à notre place, nous sommes comptables de la qualité du débat politique. Le pacte républicain que j’ai proposé suppose l’engagement des citoyens autant que l’action du gouvernement. C’est le rôle des socialistes que de faciliter l’un et l’autre.