Texte intégral
L’Humanité - 22 août 1997
L’Humanité : Dans quelle mesure le secteur du tourisme peut-il permettre le développement d'emplois pour les jeunes ?
Michelle Demessine : C'est un secteur en pleine croissance. Cette année en est une illustration agréable puisque les excédents de la balance commerciale vont encore augmenter. Potentiellement, on s'accorde à dire que 30 000 emplois pourraient être créés dans le tourisme. C'est pourquoi, dès ma nomination au gouvernement, j'ai voulu m'inscrire dans la perspective du plan emploi-jeunes afin de lui permettre de bénéficier de cette expansion. Et avec l'idée de promouvoir une nouvelle logique qui ne fasse plus de l'emploi trop souvent précaire, peu qualifié, aux conditions de travail difficiles, le parent pauvre du tourisme. Puisque c'est un secteur en croissance, il faut travailler à ce que les fruits de cette croissance servent l'emploi.
L’Humanité : Précisément, comment allez-vous offrir aux jeunes la perspective d'un travail durable et dans quels métiers ?
Michelle Demessine : Il y a des besoins énormes qui tiennent aux besoins de développement d'un tourisme de qualité corrigeant ses défauts ou ses insuffisances. On va vers la réduction du temps de travail. Ne faut-il pas d'ores et déjà l'anticiper à travers des activités nouvelles de temps libre ? On pourrait ainsi élargir la période de travail touristique à des activités de week-end ou de journée toute l'année. Les offices de tourisme manquent notoirement de personnel pour développer leurs projets. S'agissant des métiers, les pistes sont nombreuses. De l'accueil et la formation des touristes en général à la prise en compte de besoins spécifiques, par exemple des handicapés, des personnes âgées. De la mise en valeur des sites et des ressources, à la conception de circuits, et au développement de nouvelles formes de tourisme (industriel, vert, de randonnée, etc.). On a en France un problème de qualité, d'animation qui appelle la création de nouveaux métiers.
L’Humanité : Combien de jeunes seraient concernés ?
Michelle Demessine : Difficile pour le moment de donner un chiffre, car tous ces projets ne pourront prendre corps que localement, enrichis par l'intervention des acteurs et des professionnels, notamment les associations et municipalités. Elles vont pouvoir trouver dans le plan emploi des ressources financières qui leur manquent. Nous souhaitons les aider en favorisant des partenariats entre plusieurs communes, plusieurs « pays touristiques ». Notre intervention vise aussi à développer la formation des jeunes à ces nouveaux emplois en nous associant aux efforts des régions pour améliorer leur qualification professionnelle.
Le Journal du dimanche - 24 août 1997
Le Journal du dimanche : La météo, mauvaise en juillet, a-t-elle gâché la saison touristique 1997 ?
Michelle Demessine : Non, l'été a été très bon. Je suis assez contente, car les vacanciers ont été plus nombreux partout. Il semble y avoir eu chez les touristes un net regain de confiance. Malgré une météo défavorable, ils étaient bien là. Maintenant, il reste une chose à voir : ce sont les dépenses. Nous ne sommes que la troisième destination mondiale en terme de recettes. Le comportement des vacanciers a changé. Ils fractionnent leurs déplacements et modifient leurs dépenses, en, concentrant leurs achats sur des postes de consommation prioritaires comme le transport et l’hébergement.
Le Journal du dimanche : Les étrangers ont-ils renoué avec la France qu'ils boudaient les années précédentes ?
Michelle Demessine : La France reste le pays le plus visité au monde. Les perspectives pour les mois de juin, juillet et août 1997 mettent en évidence une progression de la fréquentation étrangère dans la plupart des régions françaises. Comme en Bretagne, où les Britanniques sont venus nombreux cette année. Les touristes belges, néerlandais et allemands sont revenus sur la côte atlantique, alors que les Italiens et les Espagnols sont de plus en plus présents sur le littoral méditerranéen. Sans, compter les clientèles américaine et japonaise qui sont en nette augmentation à Paris. Cette situation est essentiellement due à de bonnes conditions de change. Mais nous devons continuer à renforcer la position de la France au niveau mondial, en menant une politique plus forte vers l'étranger
Le Journal du dimanche : À l'approche de la fin de la saison, quelles sont vos priorités pour l'année prochaine ?
Michelle Demessine : Des vacances pour tous, c’est mon mot d'ordre ! Je souhaite pouvoir étendre l'accès aux chèques-vacances pour les salariés des petites et moyennes entreprises. L'inégalité face aux congés est un important facteur d'exclusion. Faute de moyens, 40 % des Français ne quittent jamais leur lieu de résidence. Il faut permettre à ces gens de partir. Les vacances sont un temps fort de vie collective qui consolide le tissu familial et social. Aujourd'hui, l'isolement, la précarité et le handicap écartent encore trop de nos concitoyens du droit au tourisme.
Le Journal du dimanche : Vous attachez aussi une grande importance à l'emploi. Pensez-vous que le tourisme, qui est réputé pour créer des embauches précaires, peut générer des emplois stables ?
Michelle Demessine : On n’échappera pas à la saisonnalité. Mais on peut améliorer la qualité des emplois dans le tourisme. En allongeant les saisons et en aménageant le temps de travail, pour créer de nouvelles activités. Le plan emploi-jeunes du ministère de l'emploi et de la solidarité peut s'inscrire dans une relance du tourisme. Avec Jean Vila, député en mission des Pyrénées-Orientales, nous mobilisons les associations et les collectivités qui peuvent, avec l'aide de l'État, créer de vrais emplois, durables et qualifiés. Je pense que 30 000 emplois supplémentaires par an pourraient être créés, si l'on met en avant des activités nouvelles.
Le Journal du dimanche : Plus précisément, quels types d'emplois ?
Michelle Demessine : Ces métiers iraient des agents d'accueil et d'accompagnement des personnes en difficultés, aux urbanistes et concepteurs de projet d'embellissement, d'aménagement et de réhabilitation des stations. Pour atteindre cet objectif, il nous faudra rompre avec des logiques de facilité et répandre une véritable dynamique de développement.
La Croix - 27 août 1997
La Croix : Pourquoi participez-vous, ce mardi, à la journée à la mer des « Oubliés des vacances », organisée à Houlgate (Calvados) par le Secours populaire français ?
Michelle Demessine : Mon engagement en faveur des vacances des enfants défavorisés ne date pas d'aujourd'hui. Bien avant d'être ministre, j'étais une militante associative soucieuse de ces questions. En 1994, j'avais contribué à faire venir en France des enfants algériens dont·un des parents avait été tué. Il me paraît essentiel que l’enfance reste l’enfance, avec sa part de rêve et d’insouciance. C’est un élément nécessaire à la constitution de la personnalité.
Je suis moi-même issue d’une famille ouvrière. Nous étions cinq enfants et je ne suis pas partie en vacances avant l’âge de 20 ans. Je peux vous assurer que les vacances sont un facteur d’émancipation humaine et qu’à ce titre, elles doivent être un droit pour tous.
Le voyage, l’évasion, la rencontre des autres, l’accès à des belles choses sont très importants pour des familles qui vivent dans des quartiers dégradés. Les vacances permettent de sortir de son environnement quotidien, et alors tout devient possible. Mais le but, ce n’est pas seulement d’être bien une journée, c’est de rendre possible une reconstruction de l’individu, un réapprentissage de la vie. Le moment que vivent ces enfants avec le Secours populaire leur permet ensuite de prendre un nouveau départ, car ils prennent conscience qu’un autre avenir est possible.
La Croix : Les Français sont-Ils égaux devant les vacances ?
Michelle Demessine : En 1996, 37 % des Français ne sont pas partis en vacances. Il s’agit souvent de familles à bas revenus, puisque ce taux culminait à 48 % chez les ouvriers, à 44 % chez les étudiants et à 57 % chez les agriculteurs. À l'inverse, 86 % des cadres supérieurs et des professions libérales ont pu partir.
La Croix : Quelles actions mènerez-vous pour aider les Français défavorisés ?
Michelle Demessine : Pour un gouvernement de gauche, permettre l'accès de tous aux vacances est un devoir. Ces dernières années, faute d'argent, les caisses d'allocations familiales ont eu tendance à privilégier le financement des centres aérés, au détriment des départs en vacances. Il me semble important de corriger cette évolution. Il faut que les CAF réalisent que le départ en famille est un événement essentiel dans la vie des enfants.
Pour ma part, je voudrais donner plus d’ampleur encore au chèque-vacances, qui est un outil formidable pour aider les familles manquant de moyens à partir en vacances. Malheureusement, aujourd’hui, seuls en bénéficient les salariés des grandes sociétés, dotées d’un comité d’entreprise. Ce n’est pas le cas des entreprises de moins de 50 salariés car, en l’absence de CE, le financement de l’employeur n’est pas exonéré de charges sociales, ce qui est dissuasif.
Mon objectif est donc d’exonérer de charges sociales les chèques-vacances pour les entreprises de moins de 50 salariés. Cette mesure constituera une aide puissante pour les salariés modestes des PME. C’est aussi une question de justice : il n’y a pas de raison de priver d’un avantage social important un salarié sous prétexte qu’il ne travaille pas dans une grande société. Il faudra également trouver le moyen d’ouvrir le droit aux vacances à ceux qui ne travaillent pas.
La Voix du Nord - Vendredi 29 août 1997
La Voix du Nord : Comment pourriez-vous favoriser le développement du tourisme dans le Nord - Pas-de-Calais ?
Michelle Demessine : L'initiative appartient aux acteurs locaux mais je peux favoriser l'intégration de la région dans la politique nationale. Parfois, le ministère peut apporter une aide et je porterai une attention particulière aux projets du Nord - Pas-de-Calais qui dispose d'énormément d'atouts. Beaucoup a déjà été fait et ce n'est pas toujours reconnu à l’intérieur de la région. Comme si le tourisme n'y était pas encore perçu comme une activité économique à part entière.
La Voix du Nord : Trop souvent, les vacanciers ne font-ils pas que traverser la région ?
Michelle Demessine : Il est vrai qu'annuellement, 32 millions de touristes traversent le Nord - Pas-de-Calais. Comment faire pour qu'ils s'y arrêtent un peu plus longtemps ? La région a aussi un potentiel de 50 millions de visiteurs du fait de sa position géographique. Pour ces raisons, elle a intérêt à jouer la carte des séjours courts et de ce qu'on appelle les deuxièmes ou troisièmes vacances. Le Nord - Pas-de-Calais peut très bien se situer dans ce tourisme des quatre saisons qui est en plein essor.
La Voix du Nord : Est-ce intéressant pour lutter contre le chômage ?
Michelle Demessine : La région souffre beaucoup avec un problème d'emplois très aigu. S'il y a des possibilités du côté du tourisme, il ne faut surtout pas les négliger. Porteur de développement durable, c'est une activité qui emploie beaucoup de main d'œuvre et qui n'est pas délocalisable. Avoir un ministre du Nord donne des idées aux acteurs sur le terrain. Une forme de dynamique peut se créer. On y a tous intérêt.
La Voix du Nord : Vous avez déclaré récemment que le tourisme peut créer 30 000 emplois en France par an. À quelles conditions ?
Michelle Demessine : Les études montrent que cet objectif est à notre portée si les fruits de la croissance vont bien à l'emploi. Pour l'instant, il se crée seulement 12 000 emplois souvent précaires, difficiles et saisonniers. Or, l'un des enjeux du développement touristique, c'est la qualité de l'accueil, des prestations… Il faut donc des emplois qualifiés. Au niveau mondial, l'activité touristique devrait être multipliée par trois dans les quinze prochaines années. Nous en avons eu un aperçu en France cet été avec la forte progression des touristes étrangers.
La Voix du Nord : Quel sera la part du tourisme dans le plan emploi-jeunes de Martine Aubry ?
Michelle demessine : Je n'ai pas de possibilité dans mon administration. Mais je vais encourager l'innovation en aidant des projets qui peuvent concourir à cette ambition. Il faut que les acteurs locaux se mobilisent. Nous travaillons avec les grandes fédérations du tourisme pour déterminer les besoins. Ils sont importants dans le secteur de l'information et de la promotion de l'offre touristique.
La Voix du Nord : Êtes-vous un ministre communiste qui a des états d'âme ?
Michelle Demessine : Par principe, je n'ai jamais d'état d'âme. J'ai conscience de faire partie d'une majorité plurielle et je m'inscris dans cette dynamique-là. Je connais les inquiétudes qui se manifestent. Il y a une impatience sur l'emploi qui est légitime. Quand je rentre chez moi, dans le Nord, on me demande « C'est quand ? » C'est cela que je traduis à Paris. Sur l'immigration comme sur le reste, le Gouvernement est attendu sur ses promesses.