Texte intégral
Q - Cet après-midi, vous allez rencontrer L. Jospin à Matignon. S'il vous interroge sur sa stratégie de guerre contre l'insécurité, la délinquance juvénile, est-ce que vous le soutiendrez ? Qu'est-ce que vous critiquerez de ce plan?
– « Je lui dirais d'abord que les questions de sécurité, de violence et donc la nécessité de faire reculer ce phénomène de violence, d'agression, d'hostilité entre citoyens, aujourd'hui, c'est une vraie question pour notre société, qu'il faut donc la traiter sérieusement. »
Q - Est-ce qu'il le fait sérieusement ?
– « Je lui dirais que je suis déjà assez satisfaite qu'on ait échappé à ce duel fratricide entre les préventifs, les éducatifs et les répressifs. »
Q - C'est-à-dire Chevènement, Guigou, par exemple, pour simplifier ?
– « Il y a mieux à faire que de personnaliser des choses comme cela. Je crois que c'est une chose sérieuse. Il faut tout à la fois manier les conditions qui permettent à chacun de vivre en sécurité, de ne pas être agressé tous les matins. Je crois que quand il y a un délit, quand il y a une agression, bien évidemment qu'il doit y avoir sanction, mais ce n'est pas malheureusement seulement par la sanction qu'on peut faire reculer ce phénomène d'insécurité. »
Q - N'est-ce pas un besoin social de sanction, aujourd'hui, quand on voit le développement de cette jeune délinquance multirécidiviste ?
– « Oui, il y a fort normalement une idée répandue, une idée commune, que si on sait montrer du muscle, si on sait punir, enfermer quand il le faut, alors on va voir ce qu'on va voir et tout cela va disparaître. Non. Il faut, je crois, montrer que lorsqu'on franchit une ligne jaune – c'est comme le code de la route – quand on franchit une ligne, eh bien, oui, on a une sanction. Mais enfin le mieux est quand même d'apprendre les gens à bien conduire. »
Q - L'opposition, c'est son rôle, ironise sur la gauche plurielle à propos de ce plan. Elle dit que c'est une réponse politicienne à la violence J'entendais tout à l'heure P. Devedjian. Il dit que L Jospin. n'a pas calculé et prévu dans le budget 99 le financement des mesures annoncées. Ce n'est pas faux ?
– « Si ce n'est pas faux, j'imagine que le Gouvernement ne peut pas faire ces annonces qui impliquent effectivement de nouvelles créations de centres, qui impliquent des emplois nouveaux d'éducateurs, de policiers, de magistrats, ce qui, je crois, est nécessaire. Il est évident qu'à partir du moment où cette annonce est faite, il faudra trouver des moyens de financement. »
Q - D'abord l'urgence, c'était de définir le plan ? Mais les syndicats, est-ce qu'ils n'ont pas eux aussi leur part de responsabilité eux qui en majorité ont déserté les banlieues et les quartiers chauds ?
– « Ils ont sans doute une responsabilité. Ils sont en tout cas concernés, parce qu'ils sont de plus en plus concernés eux aussi par la violence et l'insécurité. Aujourd'hui, des salariés – je pense aux enseignants, aux personnels de l'Éducation nationale dans les établissements scolaires, je pense aux conducteurs de bus, je pense à des salariés dans des commerces ou de grande distribution – eh bien, c'est une volonté de notre part aussi que de regarder comment ces salariés vivent ces situations. Ils sont témoins de ces réalités. Il faut aussi qu'ils puissent les analyser, qu'ils puissent participer aux bonnes solutions à construire, des solutions de proximité, là où les problèmes se posent. Et vous savez, je pense que si justement on médiatise peut-être moins cette affaire, si on rapporte les problèmes qui se posent à leur vraie et leur juste réalité, si on diagnostique bien tout cela, alors on apportera des solutions plus adaptées. »
Q - La CFDT nouveau style de N. Notat, nouvelle réélue triomphalement, elle sera présente dans les quartiers où ça va mal ou pas ?
– « Elle sera présente où les salariés voudront pour prendre sa part de responsabilité pour le recul de l'agressivité, de la violence au quotidien. »
Q - Cet après-midi, vous allez être reçue par le Premier ministre, M Jospin. D'ailleurs, vous étiez allée chez M. Chirac il y a quelque temps. Quelles priorités, quelles urgences vous allez dire de votre part, et est-ce que vous les mettrez dans le même ordre qu'avec le Président de la République ?
– « Il n'y a pas d'ordre et de désordre dans ce que nous allons exposer à nos interlocuteurs naturels. Notre congrès a été un congrès qui a affirmé un certain nombre d'orientations, un congrès qui veut affirmer un rôle pour les syndicalismes français, qui veut le rendre plus fort, qui veut lui permettre de participer et de maîtriser les grandes mutations, les grandes réformes : les retraites... »
Q - Et puis d'aiguillonner, de chatouiller les politiques partout où ils sont, les chefs d'entreprise, les organisations syndicales patronales, etc. ?
– « Il s'agit tout simplement de jouer notre rôle. »
Q - Cette tournée, vous allez la continuer auprès des partis, auprès du Medef. Vous allez par exemple voir R. Hue, le PC. Vous avez déjà eu l'occasion, à la CFDT, de rencontrer le PC ?
– « La CFDT, je crois, dans l'histoire, sans doute. En tout cas, moi jamais. Donc, c'est une première. »
Q - À intervalles réguliers, on révèle que l'impôt sur le revenu va diminuer : On le disait hier dans Le Monde. Et on oublie. Est-ce que la CFDT préfère une baisse de l'impôt sur le revenu ou une réduction de la TVA ?
– « D'abord, avant de savoir ce qu'on préfère, je voudrais dire qu'il me semble bien irréaliste et bien démagogique que de continuer à annoncer des baisses d'impôts dans ce pays. On vient d'en parler : le Gouvernement annonce des dépenses supplémentaires nécessaires, qui sont de la responsabilité de l'État, dans l'Éducation nationale, pour effectuer les fonctions de sécurité, les fonctions d'éducation, pour la santé publique. Voilà des fonctions qui vont nécessiter que l'État ait des moyens supplémentaires, alors bien utilisés. La question est plutôt celle-là : comment mieux utiliser nos impôts, comment mieux les prélever pour qu'il y ait moins d'inégalités entre les uns et les autres, et, de ce point de vue, c'est vrai que la TVA est un impôt plus injuste que l'impôt sur le revenu. »
Q - Tout le monde estime que réformer aujourd'hui les retraites est urgent. Le commissaire au Plan organise aujourd'hui la 8e réunion sur le sujet. Dans quelques semaines, M. Charpin va remettre ses propositions à Matignon. Le Premier ministre va déclencher alors une grande concertation. Vous dites oui ?
– « À la concertation, oh oui ! Il est même urgent que cette concertation se poursuive et arrive sur des préconisations. »
Q - Est-ce que vous, vous accepterez qu'il y ait une sorte de régime uniformisé ? Je veux dire que les agents de la fonction publique soient d'une manière ou d'une autre, je ne sais pas si le mot est bon, alignés sur les salariés du privé ?
– « Non. N'agitons pas les chiffons rouges. Il ne s'agit pas de construire un système, ou je ne sais quelle usine à gaz, où tout le monde ressemblerait à tout le monde. Il s'agit de garantir pour tout le monde, que ce soit dans le régime général ou dans les régimes spéciaux, le paiement des retraites pour ceux qui arriveront en retraite à partir de 2005 et jusqu'à 2015. On sait que, là, il y a un gros cap difficile à passer. Il s'agit de franchir des étapes, et on sait que comme on aura un grand besoin de financement, il faut s'y prendre plus tôt en combinant plusieurs mesures sans doute, et en n'allant pas seulement à une seule mesure qui ne pourra pas à elle seule solutionner tous les problèmes. Donc, raison de plus pour démarrer tôt, parce que ce sera moins chirurgical. »
Q - Mais vous, vous seriez favorable, à certaines conditions, au recul de l'âge du départ à la retraite ?
– « Notre congrès a dit qu'on pouvait prendre en considération la durée de cotisation comme étant un élément qui d'ailleurs était peut-être plus juste qu'un âge de la retraite complètement couperet. Mais, il n'a pas dit que cela. Il y a tous les paramètres : le niveau de cotisation, le niveau de la pension, la manière dont on calcule la pension des retraités, et puis, ce fonds de réserve qui doit constituer effectivement un fonds d'amortissement pour que tout ne pèse pas sur les... »
Q - Aujourd'hui, il y a 2 petits milliards. Financés par quoi, le fonds de réserve ?
– « C'est insuffisant. Pourquoi pas, par des recettes de privatisation ? »
Q - Ou les fonds de pension, appelés autrement peut-être ?
– « Après, que l'État fasse de ce fonds de réserve un fonds qui fonctionne selon les règles des fonds de pension, peut-être, ça c'est son affaire. Mais en tout cas, accumuler de l'argent dont le but est de servir d'amortissement pour le choc démographique des retraites. »
Q - Les 35 heures. 1999 sera-t-elle l'année des négociations sociales, de changement d'état d'esprit, des mentalités ou des emplois vraiment créés ?
– « Les deux à la fois, je pense. C'est parti et tout va bien sur le plan de la négociation sociale sur le temps de travail. Qu'on arrête de s'affoler, qu'on arrête de voir à toutes fins des problèmes. Il y a des problèmes à résoudre dans les négociations. Mais enfin que l'on regarde ce mouvement qui est parti, alors qu'il y a un an, on aurait juré que cela allait être un blocage du dialogue social complet. Non, les négociations se déroulent dans les branches, dans les entreprises. Quand cela se passe dans une branche, il faut que ça descende dans les entreprises, et c'est là que les choses seront vérifiables. »
Q - Vous, vous partagez la confiance – légitime, là où elle est – de M. Aubry ?
– « Non, je continue à regarder les choses telles que la CFDT les regarde depuis maintenant plusieurs années. Cela fait au moins quatre ou cinq ans, à la CFDT, qu'on est engagé dans cette affaire Alors, on sait de quoi on parle. On a du savoir-faire, on a la volonté d'être réaliste et on fera un bilan, je vous l'assure, positif. »
Q - Au passage, autour de la deuxième loi, il y a une polémique, des divergences. Le Gouvernement veut la sortir à l'heure dite, cette deuxième loi. M. Seillière dit : il faut la devancer. Et vous ?
– « J'imagine qu'il faut qu'une deuxième loi soit une deuxième loi qui amplifie la dynamique actuelle et qui ne la bloque pas. Voilà, ce qui, moi est mon souci. Il faut qu'elle vienne à temps. »
Q - J'aurais d'autres questions à vous poser: Le temps tourne. Mais simplement, vous allez aller vendredi, au congrès, important, de la CGT Vous connaissez maintenant B. Thibault qui vous a été présenté par L. Viannet. Vous allez peut-être vous faire applaudir. Qu'est-ce que vous attendez de la CGT et vous croyez qu'il y a des actions communes, qu'il y a des solidarités nouvelles entre vous ?
– « Il se passe à l'évidence quelque chose à la CGT en ce moment. La CGT réfléchit aux conditions d'exercer une action syndicale plus efficace, faite plutôt plus de propositions et pas seulement de contestations. Cela nous intéresse, car il est grand temps que le syndicalisme français mette un terme à ses divisions, qu'il devienne plus fort dans justement la capacité à peser sur les changements, sur les retraites, sur le temps de travail, sur l'emploi. Si la CGT participe de ce mouvement, ce sera une bonne nouvelle pour le syndicalisme français. »
Il ne restera plus qu'a convaincre M. Blondel et FO. Mais ça c'est autre chose Merci.