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Q - Le projet de couverture maladie universelle pour les exclus de la Sécurité sociale semble en panne. Il vient encore d'être repoussé. Cela vous inquiète ?
Nicole Notat. : Je me demande si cela ne va pas devenir l'Arlésienne : plus on en parle, plus elle s'éloigne. La couverture maladie universelle (CMU) est une grande ambition, ce n'est pas seulement la cerise sur le gâteau de la réforme de l'assurance maladie. Il s'agit d'assurer à tous non seulement la couverture maladie de base, mais aussi la couverture complémentaire. Ce n'est pas créer un droit de seconde zone pour les plus démunis.
Q - Vaste programme d'un seul coup ?
Ne créons pas une obligation de rythme, mais de résultat. Ce projet est réalisable à condition que l'on ne confonde pas les responsabilités des uns et des autres. L'élargissement â tous du régime de base relève de l'État. Le développement de la couverture complémentaire doit se faire en partenariat avec tous les acteurs « naturels» (NDLR : partenaires sociaux, mutuelles...). Cela suppose la relance des négociations sur la prévoyance collective.
Q - Le patronat ne semble guère enclin à ouvrir des discussions sur le sujet...
La position du Medef n'est ni tenable ni crédible. La prévoyance collective est historiquement un objet de négociation dans les branches et les entreprises. L'évolution des contrats de travail justifie qu'elle le, reste et s'y développe. Vous savez, aujourd'hui, 31 % des salariés en CDD de moins de six mois, 39 % des intérimaires et 30 % des ouvriers non qualifiés n'ont pas de couverture complémentaire.
Q - Vous avez toujours soutenu la réforme de l'assurance maladie. Or le plan Juppé s'était fait censurer par le Conseil d'État et le plan Aubry vient d'être partiellement invalidé par le Conseil constitutionnel…
La situation est préoccupante. Les moyens permettant de mettre en oeuvre la responsabilité économique des médecins ont été récusés. Or le principe de cette responsabilité économique demeure valide. On ne maîtrisera pas les dépenses de santé sans une participation active et concrète des médecins à cet objectif. Alors, que faire ?
Le bureau national de la CFDT vient de décider de reprendre l'initiative, pour que la décision du Conseil constitutionnel ne menace pas l'architecture globale de la réforme engagée. Nous allons reprendre la discussion avec tous les partenaires qui ne sont pas disposés à lever le pied.
Q - Qui espérez-vous avoir à votre table ?
Tous ceux qui ont conscience que c'est le sauvetage de la Sécurité sociale qui est en jeu.
Q - Sur le problème des retraites, le Gouvernement donne le sentiment de vouloir temporiser. Vous vous êtes récemment déclarée favorable à la réforme. Que pensez-vous de ces atermoiements ?
Il est important que la réflexion engagée par le Commissariat au Plan aille jusqu'à son terme. Et que tout le monde, y compris l'opinion publique, prenne la mesure du problème qui nous attend à partir de 2005. Prendre de bonnes décisions suppose d'être bien au clair sur les problèmes posés et les solutions envisageables. Alors, on aura déjà réussi à 50 %. On aura fait comprendre que la réforme n'est pas une menace, mais au contraire la garantie de l'avenir des retraites.
Q - Les constats évoqués par le commissaire au Plan Jean-Michel Charpin étaient déjà connus. Ce qui « coince » ce sont les solutions !
C'est vrai qu'il y a déjà eu maints rapports sur le sujet ! Mais il fallait actualiser les données. Plus on tarde à prendre les décisions, plus elles seront dures à prendre. Mais je veux croire à la sincérité du Gouvernement : la concertation attendue est faite pour l'aider à décider dans les meilleurs délais.
Q - La CGT et FO ont d'ores et déjà indiqué qu'elles n'accepteraient pas la réforme des retraites du secteur public déjà refusée en 1995. Que leur répondez-vous ?
Les fonctionnaires ne doivent pas être confrontés dans quelques années à des décisions chirurgicales. La question ne se pose pas différemment pour le régime général des salariés, et pour celui des fonctions publiques. Parce que l'État employeur a la responsabilité de garantir aux salariés concernés leurs futures pensions, il doit réfléchir aux conditions dans lesquelles il peut le faire.
Q - Les régimes spéciaux ne sont donc pas une question taboue ?
Non. Les salariés qui en relèvent savent bien que leur régime est en cause si on ne change rien – il est inutile de faire la politique de l'autruche –, mais qui dit réforme ne dit pas forcément régression sociale.
Q - Certes, mais il y aura forcément des sacrifices. Tout le monde ne peut pas être gagnant !
Il n'est pas sûr que de définir un âge de départ en retraite pleine et entière soit automatiquement le meilleur des acquis. La durée de cotisation peut être plus pertinente dans certains cas. C'est l'avis de notre congrès. J'entends dire : « Il va falloir travailler jusqu'à 65 ans ». Mais beaucoup de salariés ont commencé à travailler tôt, et auront, en 2005-2010, des durées de cotisation supérieures à quarante ans. Va-t-on leur demander de travailler encore plus longtemps ? Ce serait injuste.
Q - Si on permet à certains de partir avant l'âge couperet, faudra-t-il cotiser plus de quarante ans pour bénéficier d'une retraite à taux plein ?
Je ne veux pas botter en touche, je dirai simplement que toutes les pistes possibles âge, durée et montant des cotisations doivent se combiner afin d'arrêter des décisions satisfaisantes offrant aux salariés des garanties sur le long terme.
Q - Les négociations sur les 35 heures s'accélèrent, mais les créations d'emploi restent marginales. Êtes-vous déçue ?
Non. Je comprends cette impatience sur l'emploi, mais il faut rapporter les chiffres au nombre d'entreprises qui ont à ce jour vraiment mis en oeuvre un accord. 1998 a été surtout l'année des accords de branche. Les négociations d'entreprise vont multiplier en 1999. Ce sont elles qui rendront effectives les créations d'emploi. Si certains ont rêvé qu'un chantier comme, la réduction du temps de travail puisse être réglé en deux coups de cuillère à pot, ils étalent naïfs ! Nous n'en faisons pas partie.
Q - Alors, tout va bien en matière de réduction du temps de travail…
Je ne dis pas cela. Il y a des risques de dérive si la deuxième loi n'était pas conforme à la logique de la première. Si la baisse de la durée légale devait conduire à ce que serait un comble et un contresens. Alors il serait difficile de parler de réduction du temps de travail... En tout cas, la CFDT n'apportera pas son soutien à une loi qui afficherait une augmentation des contingents d'heures supplémentaires. Ce serait alors un marché de dupes pour les salariés, pour l'emploi, et même pour les entreprises.
Q - Vous êtes sortie « superstar » de votre dernier congrès. Quel effet cela vous fait-il ?
(Rires). Cela prouve qu'il n'y a pas que la démagogie qui paie ! Certains ont une idée figée du syndicalisme à la française : il serait voué à être faible et divisé par ses querelles internes. C'est faux. Au dernier congrès, la CFDT a montré qu'il est possible d'augmenter le nombre de ses adhérents en étant à la tête, et non pas à la remorque, des changements sociaux.
Q - Cette victoire personnelle vous facilite-t-elle ou vous complique-t-elle les relations avec les autres confédérations ?
À partir du moment où la CFDT est solide, elle est assez forte pour ne pas être arrogante. Nous pouvons donc jeter des passerelles avec tous ceux qui aspirent à sortir de « l'exception française » caractérisée par la faiblesse des corps intermédiaires et des relations sociales, une situation qui nuit aussi à l'efficacité de l'État.
Q - À propos du rapprochement entre la CGT et la CFDT, allez-vous vraiment marcher main dans la main avec Bernard Thibaut le successeur de Louis Viannet ?
C'est trop tôt pour le dire ! Le fait que la CGT ait déjà signé des accords sur le temps de travail, et qu'elle fasse preuve de volonté de dialogue en bien des domaines, est un signe positif, mais des écarts demeurent dans notre conception respective du syndicalisme. Il faut donc se parler pour mieux se comprendre, mais la nouvelle donne syndicale, ce n'est pas seulement le rapprochement avec la CGT. Avec l'Unsa aussi, nous allons engager de nouvelles coopérations concrètes. À la veille de l'an 2000, j'y vois les prémices d'évolutions souhaitables et nécessaires.