Texte intégral
Q – En présentant le projet de loi sur la CSG, le gouvernement a défini celui-ci comme une réforme de « justice sociale ». Contrairement à cette affirmation, la CGT considère que la CSG est « la mesure la plus grave prise contre la protection sociale depuis ces dernières décennies ». Vos propos ne sont-ils pas par trop dramatiques et excessifs ?
– Sûrement pas, hélas ! Car sur le fond, la CSG vise bel et bien à bouleverser dans sa conception et ses fondements le système de protection sociale. La CSG est un impôt nouveau, M. Rocard ne peut même pas le nier. Or cet impôt va être essentiellement supporté par les salariés actifs, retraités ou chômeurs. Les revenus du capital ne sont pas frappés, ils sont tout juste caressés, leur contribution est inférieure à 3 milliards, alors que leur alignement sur la contribution des salariés représenterait 40 milliards comme nous le demandons.
Le « bombardement » du gouvernement sur un prétendu soulagement des bas et moyens salaires vise à biaiser le débat, car cela va marcher la première année, mais la première année seulement. Les besoins de financement restent entiers. Dès lors, il est certain que la CSG va jouer le rôle de pompe aspirante et frapper toujours plus lourdement salariés, retraités ou chômeurs.
Autrement dit, l'allégement dérisoire et momentané des petits et moyens salaires joue le rôle de chiffon rouge utilisé pour attirer l'attention et masquer ainsi l'essentiel. Et l'essentiel est que la CSG est une machine infernale qui conduit tout droit au financement de la protection sociale par l'impôt. Les entreprises, les patrons, paieront de moins en moins, les salariés, retraités et les chômeurs, de plus en plus. La protection sociale sera de plus en plus sous la houlette de l'État, la pression pour réduire la consommation de médicaments, les soins, les remboursements, sera plus forte. La porte est grande ouverte pour l'intervention des assurances privées. Seuls ceux et celles qui pourront payer pourront véritablement se soigner.
Q – À l'exception des seuls dirigeants de la CFDT, se dessine un front commun des syndicats, associations, personnalités contre la CSG. L'union dans la contestation n'a cependant pas encore franchi le cap de l'union dans l'action. Que proposez-vous pour que l'opposition à la CSG se manifeste concrètement ?
– Le fait que la majorité des organisations syndicales (CGT, FO, CFTC, CGC) condamne l'initiative gouvernementale dans des termes semblables est très important ; d'autant que le soutien est loin d'être unanime à la CFDT, et encore moins à la FEN. C'est là le reflet de l'inquiétude que suscite le projet du gouvernement, et sans doute aussi d'un mécontentement plus général lié au pouvoir d'achat, à l'emploi, à la remise en question des acquis sociaux. Mais cela ouvre des perspectives bien réelles pour une riposte large et unitaire. Car c'est bien de cela que tout dépend.
Soyons clair ! Aussi fermes soient-elles, les déclarations ne peuvent suffire pour modifier les choix du gouvernement. Les salariés le vérifient chaque jour. Dès lors, pour peu que nous y aidions, l'idée que ce rapprochement dans le jugement doit conduire au rapprochement pour l'action gagne forcément du terrain. Nous sommes fermement décidés à agir en ce sens. À un moment où la pression du patronat et du gouvernement est si forte, la division syndicale est dramatique. Ce sont les patrons qui en profitent et les salariés qui en font les frais. De plus, cette situation nourrit forcément une désaffection vis-à-vis du syndicalisme ; personne n'y échappe, l'affaiblissement frappe tout le monde.
L'idée de construire quelque chose de différent sur la dépouille des uns des autres et notamment du syndicalisme de lutte de classes, idée qui pèse actuellement dans la vie sociale, est irréaliste et suicidaire. Pour défendre les intérêts des salariés, la voix de la raison est la voix de l'unité d'action. C'est en tout cas la démarche de la CGT. Nous ferons tout pour faciliter les possibilités d'actions unitaires et rassembleuses. Ensemble, si possible, en même temps, si cela doit faciliter la chose. Nous voulons vraiment favoriser ce processus. C'est dans cet esprit que nous voulons construire la riposte contre la CSG.
Q – À l'issue des réunions de la commission exécutive de la CGT et du bureau confédéral vous avez lancé un appel à « barrer sans attendre la route à la CSG ». De son côté, le président de la CGC, Paul Marchelli, hostile lui aussi à l'impôt Sécu, dit qu'il faut que chaque député qui vote le projet de loi au Parlement « soit battu aux prochaines élections ». Entre ces deux prises de position peut-il y avoir convergence pour une riposte commune ?
– Nous proposons de faire du 25 octobre une grande journée de lutte avec arrêts de travail, rassemblements, manifestations. Dans les jours qui viennent toutes les forces de la CGT vont donc se concentrer dans un immense effort d'information des salariés, de débats, de mobilisation, et aussi multiplier dans les départements, et surtout dans les entreprises, les initiatives susceptibles de faciliter les prises de position des syndicats, sections, voir militants des autres organisations. Ce qui se passe parmi les personnels des caisses de sécurité sociale ou récemment chez Bull ou dans les centres de transfusion sanguine avec des actions rassemblant toutes les organisations syndicales témoigne d'une prise de conscience nouvelle parmi les salariés et notamment parmi les syndiqués de la nécessité d'agir ensemble. Ce n'est pas rien.
Cela ne nous dispense surtout pas de l'effort à déployer pour poursuivre mobilisation, débats, consultation, jouer en grand la carte de la démocratie, mais nous le ferons d'autant mieux si nous avons la conviction que cela peut déboucher sur un rassemblement d'envergure, facilité par les positions des organisations syndicales et renforcé par l'apport de nombreuses associations sociales, familiales ou mutualistes, par les positions de personnalités diverses qui, sans être forcément en accord sur tout, veulent comme nous faire barrage à ce dispositif. C'est avec cet esprit offensif, conquérant que nous appelons nos militantes et nos militants à préparer le 25 octobre, mais il faut s'y mettre vite et partout. L'enjeu est de taille, en précipitant la discussion à l'Assemblée nationale, le gouvernement confirme qu'il est décidé à passer en force. Or les moyens de bloquer ce nouveau coup existent ; nous pouvons gagner, et cela, c'est vraiment sur le lieu de travail, dans les entreprises que cela va se jouer.