Interview de M. Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France, à RTL le 17 mars 1999, sur la démission de la Commission européenne, les institutions communautaires et la préparation des élections européennes, notamment le projet d'une alliance du Mouvement pour la France avec M. Charles Pasqua.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

O. Mazerolle
La totalité des commentaires, ce matin, au sujet de l’Europe, c’est plutôt : « La démocratie a fonctionné, et ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle. »

P. De Villiers
— « Quand j’entends ça, je trouve ça absolument extraordinaire ! C’est comme si on disait : voilà, la voiture est allée au fossé, ça prouve qu’elle roule ! Puisqu’en fait, la Commission s’effondre sur elle-même, grâce aux coups de boutoir du groupe Europe des nations — qui est le groupe que j’ai eu l’honneur de fonder, en 1994 — qui a déposé une motion de censure qui n’a été votée que par 232 députés sur 625, parce que les autres étaient “maqués“ avec la Commission et qu’ils avaient peur, parce qu’il y a des menaces là-bas de ne pas être réélu sur les listes, à la proportionnelle. Et ce qui s’est passé, c’est qu’il y a eu… »

O. Mazerolle
Grâce à ce débat, quand même, un rapport des sages…

P. De Villiers
— « Ce qui s’est passé, c’est que les groupes eurofédéralistes ont cru s’en tirer, et tirer la Commission de ce mauvais pas en inventant la solution Clémenceau : c’est-à-dire une commission. Et, pas de bol pour eux, c’est une commission d’experts indépendants, et qui a fait un rapport qui est accablant. Donc, en réalité, c’est la faillite de l’Europe, telle qu’on l’a construite. Ce n’est pas une crise ponctuelle avec simplement des défaillances personnelles. C’est une crise de régime européen. »

O. Mazerolle
Dans le rapport, il est écrit, notamment, qu’il faut accepter le principe de responsabilité, responsabilité politique en fait. Il a été respecté : ils ont démissionné.

P. De Villiers
— « Non justement, le problème de la Commission, c’est qu’elle a le monopole d’initiative législative. C’est-à-dire que, quand vous pensez à la négociation du Gatt, c’est la Commission ; le maïs trafiqué, la libre circulation en Europe, c’est la Commission ; la négociation de l’Agenda 2000, c’est un mec — au trentième étage d’un immeuble gris de Bruxelles qui en sait même pas la différence qu’il y a entre un navet et un radis — qui a pondu un texte de 500 pages, qui s’appelle l’Agenda 2000 : la réforme de la Politique agricole commune. C’est-à-dire que la Commission est toute puissante. »

O. Mazerolle
L’Agenda 2000, ce n’est pas seulement la Politique agricole.

P. De Villiers
— « Justement, c’est l’avenir de l’Europe. La Commission est toute puissante et personne ne la contrôle, c’est bien le problème. »

O. Mazerolle
Si, là quand même, ça s’est produit !

P. De Villiers
— « Non, mais non ! La Commission s’est effondrée sur elle-même ! Personne ne la contrôle. Le contrôle — la motion de censure — qui est une possibilité juridique pour le Parlement européen, intervient sur un tout petit domaine. Encore une fois, la Commission a le monopole de l’initiative. Je prends un exemple : avec le Traité d’Amsterdam, ratifié hier au Sénat, on donne des nouveaux pouvoirs en matière d’immigration et de sécurité. C’est-à-dire que tous nos pouvoirs en matière d’immigration et de sécurité sont maintenant entre les mains de la Commission de Bruxelles, en 2003. Monopole d’initiative. Ça veut dire que si, demain, la France veut rétablir un contrôle sur la frontière Nord pour éviter d’être envahie par la drogue en provenance des Pays-Bas, ou régler son problème d’immigration sur la frontière Sud, il faut passer par la Commission de Bruxelles, il faudra passer par la Commission de Bruxelles, dont on voit quelles pratiques laxistes elle a de l’Europe ! »

O. Mazerolle
La Commission de Bruxelles fait des propositions qui sont entérinées par le Conseil européen et où la France a un droit de vote comme tous les autres Etats.

P. De Villiers
— « Non, non, non, non M. Mazerolle ! Tout le monde croit ça, mais ce n’est pas exact ! La Commission a le monopole de l’initiative. »

P. De Villiers
Mais « initiative » ne veut pas dire que ça sera mis en œuvre. Il faut que le Conseil européen dise son accord.

P. De Villiers
— « Mais vous avez deux exemples récents : la “vache folle“ — la Commission a décidé de lever l’embargo sur “la vache folle“ — et… »

O. Mazerolle
Elle a proposé, mais pour l’instant ça n’est pas fait. Il faut un avis conforme du Conseil.

P. De Villiers
— « … et elle est arrivée à ses fins. Quand vous avez un désaccord au Conseil, il y a une règle dans le Traité de Maastricht et le Traité d’Amsterdam, qui dit qu’il faut l’unanimité au Conseil pour aller contre la Commission. Et on vient de le vivre avant-hier, avec l’affaire des Duty free. Donc, moi je… »

O. Mazerolle
Je peux vous donner un autre exemple : la fameuse directive sur la chasse, dans le domaine de l’écologie. Le Parlement peut dire non à des propositions de la Commission ; et il n’a pas voté contre puisque beaucoup de députés étaient absents. Donc finalement, il y a un équilibre des pouvoirs quand même au Parlement.

P. De Villiers
— « Sur l’affaire de la chasse, c’est quand même extraordinaire ! Vous avez une directive de 1979 de la Commission, une directive est votée par le Conseil ; et puis vous avez une loi votée par le Parlement français qui… »

O. Mazerolle
Oui, mais le Parlement européen pouvait dire non ! Seulement, beaucoup de députés étaient absents ce jour-là.

P. De Villiers
— « Et qu’est-ce qui se passe pour la chasse ? Et qu’est-ce qui se passe pour la chasse ? On applique. Les tribunaux administratifs pour la moitié d’entre eux appliquent la directive de Bruxelles plutôt que la loi du Parlement français. »

O. Mazerolle
Mais beaucoup de députés étaient absents ce jour-là !

P. De Villiers
— « Parce que c’est comme au Parlement, les députés n’ont pas… »

O. Mazerolle
Il y en avait des vôtres qui étaient absents ce jour-là.

P. De Villiers
— « Oui, tout à fait. »

O. Mazerolle
Et pourquoi protester, après ? La Commission n’a pas tous les pouvoirs. Il faut la changer, la Commission, alors ?

P. De Villiers
— « Ça ne sert à rien de changer les hommes ou les femmes. Il faut changer le système de cette technocratie arrogante, et il faut réformer ses pouvoirs. Comment changer le système ? Il faut lui ôter son monopole d’initiative, à la Commission ; et il faut que la Commission, qui est finalement un collège de fonctionnaires, soit sous les ordres du Conseil. Ça repasse sous le contrôle du Conseil des ministres qui représente les nations. C’est-à-dire que l’administration passe sous le contrôle du politique. »

O. Mazerolle
Oui, mais les nations expriment aussi leurs intérêts particuliers. Il faut bien que quelqu’un mette un lien à tout ça. La Commission est là, justement, comme garantie de l’intérêt commun.

P. De Villiers
— « La Commission ça doit être, ça aurait dû toujours être, et ça doit devenir, un secrétariat administratif. Parce que, moi, je n’accepterai jamais — la France payant 95 milliards d’impôts chaque année pour l’Europe ! — de ne pas savoir où va cet argent. Parce qu’à chaque fois — c’est le bon sens ce que je dis, et peut-être que dans les milieux de l’eurocrate intellectuelle c’est difficile à comprendre —, vous avez un pouvoir lointain, avec beaucoup de pouvoir, beaucoup d’argent à distribuer, et pas de contrôle. Alors vous avez la fraude et la corruption. Et moi ça fait des années… »

O. Mazerolle
Le rapport ne dit pas « corruption », il dit qu’il n’y a pas eu d’actes frauduleux, pas d’enrichissement personnel. Il y a un dysfonctionnement, mais il ne dit pas « corruption ».

P. De Villiers
— « La dernière phrase du rapport, il faut que les auditeurs de RTL l’entendent ! Je cite : “Il devient difficile de trouver quelqu’un qui ait le moindre sentiment d’être responsable. Or ce sentiment de responsabilité est essentiel.“ Et la dernière, dernière phrase : “Cette notion constitue la manifestation ultime de la démocratie.“ En d’autres termes… »

O. Mazerolle
Ça ne dit pas qu’il y a corruption, ça.

P. De Villiers— « En d’autres termes, la fin du rapport — qui s’intitule “Premier rapport“ ; ça veut dire qu’il y en a d’autres en préparation, et qu’on va découvrir bien d’autres choses —, c’est que c’est l’irresponsabilité. »

O. Mazerolle
C’est bon pour votre campagne, cette affaire ?

P. De Villiers
— « Moi, je suis à la fois conforté et consterné. Consterné, comme tous les Français, par ce qu’on découvre. Et c’est quand même affolant, c’est dramatique ! On paye des impôts. Un homme politique est responsable de la gestion des deniers publics. Et, en même temps, je suis conforté, parce que c’est la démonstration que tout ce que j’annonce, que tout ce que je dis, que tout ce que je dénonce, que tout ce que je propose, eh bien s’avère juste ! »

O. Mazerolle
On entend dire : P. de Villiers n’irait pas au bout dans cette campagne, il n’a pas assez d’argent pour financer sa campagne ; il ne peut pas faire ça sans Pasqua qui n’est pas pressé de le rencontrer ?

P. De Villiers
— « C’est vrai que je n’ai pas beaucoup d’argent pour faire cette campagne. Mais quand on fait plus de 5 % on est remboursé par l’Etat. Et je pense que, avec tout ce qui se passe en ce moment, il y a beaucoup de Français qui se disent — et tout à l’heure dans la rue, en arrivant — et qui m’on dit… »

O. Mazerolle
Vous irez séparément de C. Pasqua ?

P. De Villiers
— « … qui m’ont dit : “Continuez, au moins vous avez…“. »

O. Mazerolle
Là, tout de suite ?

— « Oui, dans la rue ! RTL est cernée par le bon sens O. Mazerolle ! »

O. Mazerolle
Et vous irez sans Pasqua ?

P. De Villiers
— « Ecoutez, C. Pasqua et moi nous avons la même analyse sur la question. J’ai lu son discours au Sénat, hier, qui était excellent. Et je pense qu’il faut absolument que se rassemblent tous ceux qui pense la même chose. Pour ce qui me concerne, je veux une Europe qui soit celle du futur, et non pas l’Europe du passé. L’Europe du futur c’est, un : la proximité, c’est-à-dire la démocratie et non plus une Europe lointaine de technocrates sans visage. Deux : une Europe de la protection, une Europe qui protège notre sécurité. »

O. Mazerolle
Et vous irez tout seul, sans Pasqua ?

P. De Villiers
— « Attendez, mais ce n’est pas la question ! Donc, une Europe de la protection, une Europe de la proximité et une Europe de la coopération et non pas une Europe de la main forcée. Car l’Europe telle qu’elle est celle du passé, c’est l’Europe d’avant la chute du Mur de Berlin. Et il faut faire l’Europe du siècle suivant qui consiste à réintroduire le contrôle démocratique. »