Interviews de M. Jack Lang, ministre de la culture et de la communication, à TF1 le 23 et Antenne 2 le 25 mars 1992, sur les résultats des élections régionales de 1992 et l'avenir de La Cinq.

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Média : TF1 - Antenne 2

Texte intégral

TF1  : 23 mars 1992

P. Poivre d'Arvor : Que doit faire le Président de la République ?

J. Lang : Je veux d'abord dire à quel point je suis heureux et fier de ma ville, Blois, et remercier les électeurs qui ont ainsi mis Blois à l'honneur. Ce que doit faire tout haut responsable politique, c'est d'abord examiner la situation, et de le faire avec calme, sans se dissimuler la réalité. Une érosion électorale importante s'est produite à l'égard du parti au pouvoir. Ce n'est pas un fait inhabituel. Dans toute élection locale intermédiaire sans enjeu directement national, les électeurs, ce n'est pas la première fois, exprime un certain nombre de choses. Rappelez-vous, en 1976, la présidence de M. Giscard d'Estaing, quand J. Chirac était Premier ministre, son parti a eu 10 % des voix. En tout cas les difficultés des uns, et en particulier les difficultés que connaît l'UPF qui n'a pas réussi à séduire les électeurs, alors qu'elle est un mouvement d'opposition, les présidents sortants ont réuni seulement un Français sur trois en faveur de leur gestion. Ce que je crois, c'est que dans une situation comme celle-là, si on a l'esprit constructif, il faut rebondir. Et je suis de ceux à vouloir dans Une situation donnée capter les ondes positives plutôt que les ondes négatives. J'aime construire, bâtir, et on ne construit rien de bon en regardant en arrière et en gémissant.

P. Poivre d'Arvor : Là il y a plus d'ondes négatives que positives.

J. Lang : Regardons-les. G. Carreyrou a observé ce formidable civisme des Français, bravo les Français. Deuxièmement : l'aspiration aux réformes. Notre pays est traversé par deux grandes sensibilité : conservatrice, incarnée par l'UPF, 34 % des voix, et la sensibilité réformatrice. Au-delà des appareils, ce que l'on peut observer, c'est qu'une majorité assez large des électeurs, environ 43 % ont exprimé chacun à leur manière, écologistes de diverses tendances, socialistes, communistes ou autres, une volonté d'innovation et de transformation.

P. Poivre d'Arvor : Faut-il changer de Premier ministre ?

J. Lang : La question n'est pas à l'ordre du jour. Le gouvernement actuel mène avec beaucoup de courage une action de transformation que je voudrais saluer.

P. Poivre d'Arvor : Si le Président vous proposait ce poste ?

J. Lang : La question ne se pose pas. La question qui se pose est de savoir comment le Président de la République peut interpréter ce message, cette invitation qui d'une certaine manière me réjouit, à innover, transformer, à donner à notre politique nationale un souffle supplémentaire d'idées généreuses. Je crois que ce que beaucoup d'électeurs ont exprimé aussi, c'est un désir de proximité. Ils attendent de nous que nous soyons plus proches, plus concrets, plus humains. Au-delà des personnes, ce que je voudrais dire aux personnes qui ont voté diversement hier, 43 % qui souhaitent des actions de réforme et de transformation, je voudrais leur dire que nous le voulons aussi. Nous sommes nombreux à vouloir donner foi à ceux qui ont envie de lutter pour que les choses bougent dans ce sens.

P. Poivre d'Arvor : Faut-il la proportionnelle ?

J. Lang : Ce n'est pas le sujet du moment. Si cette majorité d'action et de transformation qui aujourd'hui se trouve dans plusieurs conseils régionaux s'exprime avec force, vendredi prochain de nombreux présidents conservateurs seront battus, ils l'ont été par le suffrage universel ; et des équipes de combat pour améliorer la vie de leur région seront élues. Il suffit de le vouloir. Ce n'est pas une question de mode de scrutin, c'est une question d'énergie, de volonté, d'enthousiasme, de combativité. Et je suis un de ceux, parmi beaucoup d'autres, qui n'ont pas mis au placard ni leur enthousiasme, ni leur volonté, ni leur pugnacité.


Antenne 2 : 25 mars 1992

Antenne 2 : Vous avez tout aujourd'hui du premier ministrable ?

J. Lang : C'est vous qui le dite, pour l'heure je suis très fier de ma ville de Blois, qui a bien voulu m'accorder cette confiance, et qui me donne beaucoup d'énergie et d'envie de me battre encore plus pour cette belle ville de Blois et pour notre pays.

Antenne 2 : Que pense aujourd'hui F. Mitterrand ?

J. Lang : Je pense que le Président de la République doit se dire à partir de l'expression publique de ce qui s'est produit dimanche dernier, que contrairement à ce qui a été écrit ici ou là depuis des mois, que nos concitoyens n'expriment pas cette morosité qu'on leur prête. Et puis si vous analyser les résultats, non pas seulement formation par formation, mais à travers ce que les électeurs, ont souhaité. D'un côté vous avez une minorité conservatrice, 33,34 % des voix, celle des présidents sortants de région. De l'autre, vous avez mis tout à bout, les électeurs communistes, socialistes, écologistes de diverses tendances, qui constituent une majorité...

Antenne 2 : Qui ne pactiseront pas forcément avec vous.

J. Lang : Je veux dire des citoyens français qui ont exprimé autour de 43,44 % des voix la volonté de, réforme, la volonté que notre pays, et en particulier les régions aient une gestion plus moderne, plus audacieuse, plus imaginative. Et c'est ça qui me paraît important. Il faut dans la situation actuelle, capter plutôt les ondes positives que les ondes négatives.

Antenne 2 : Quand on est contesté comme aujourd'hui comment on fonctionne dans cette volonté de renouveau exprimé par les électeurs, s'il faut des majorités de progrès, avec qui et comment ?

J. Lang : Ce vendredi prochain, si l'on veut être fidèle à la volonté des électeurs qui ont exprimé ce désir d'audace et de changement, que région par région se constituent des coalitions de volonté pour substituer à des minorités conservatrices, des majorités d'action et de réforme. Et puis, il y a aussi dimanche prochain, les élections cantonales, on veut que tous ceux qui dans ce pays ont envie que les choses bougent ou ont envie que la politique se rénovent, se modernisent, se regroupent pour faire élire des candidats qui veulent cette transformation.

Antenne 2 : Le troisième tour des élections, le gouvernement change, est-ce que ça va vers l'ouverture, E. Cresson déclarait aujourd'hui, il y aura des changements dans le gouvernement ?

J. Lang : Je l'ignore, et au-delà du gouvernement, ce qui importe, c'est que les pouvoirs publics quels que soient leurs hauts responsables ressentent pleinement cette urgence de l'audace. Dans ce pays, contrairement à tout ce qui a été dit, il y a cette volonté de réforme, et moi je souhaite qu'avec ce gouvernement tel qu'il est, éventuellement si le Premier ministre le souhaite et le Président de la République, transformer, je l'ignore. L'essentiel, c'est que la politique déjà engagée soit une politique encore plus audacieuse, encore plus réformatrice. C'est je crois le vœu du pays.

Antenne 2 : Si F. Mitterrand vous demande d'être le Premier ministre de la réforme, vous dites oui ?

J. Lang : Ce n'est pas une question qui se pose. Nous avons un Premier ministre. Il est un temps pour toute chose sous le ciel, comme le dit la Bible. Aujourd'hui c'est le temps d'agir pour que vendredi prochain il y ait des changements positifs dans la gestion des régions et dans les départements, c'est aussi le temps de la réflexion, ensuite c'est le Président de la République qui décide.

Antenne 2 : On vous reproche la mort de La Cinq ?

J. Lang : Ça n'a pas de sens. Cette situation que vit le personnel de La Cinq me touche et m'émeut. Et c'est dur de voir une équipe, une entreprise qui souffre et je me sens personnellement en pleine sympathie avec ceux qui ont essayé de construire cette chaîne. Mais je crois qu'il faut avoir les idées claires et simples et ne pas tout mélanger. Première idée simple, c'est l'échec d'une gestion privée: dépenses annuelles : deux milliards, recettes annuelles : un milliard, trou : un milliard. D'où l'appel à d'autres financiers, et nous constatons d'après ce que j'entends que M. Berlusconi sollicité et d'autres banquiers ou repreneurs privés n'acceptent pas d'injecter chaque année un milliard supplémentaire. Alors le processus est engagé, il y a un tribunal de commerce qui en toute indépendance prendra une décision. Les créanciers n'ont pas accepté, les actionnaires n'ont pas accepté non plus d'augmenter leur participation à l'augmentation du capital. C'est une affaire privée, et c'est un échec d'une entreprise privée. La deuxième idée, pas question que les pouvoirs publics, CSA ou autorité gouvernementale acceptent que le réseau Cinq disparaisse.

Antenne 2 : Que met-on à la place de l'écran noir ?

J. Lang : C'est une question qui se posera le moment venu. Selon moi, je n'ai pas d'idée précise. D'abord un repreneur privé peut apparaître au court des prochains jours. Si aucune solution privée n'apparaît à ce moment-là, il appartiendra au CSA de faire appel à l'imagination, de solliciter les idées, je crois qu'elles ne manquent pas en France. Mais encore une fois, le réseau Cinq continuera à vivre. Il n'est pas honnête de dire qu'un bouton disparaîtra.