Texte intégral
France 2 - Mardi 16 septembre 1997
France 2 : Qu’est-ce qu’on peut faire concrètement pour résister à l’invasion d’Hollywood, à la toute-puissance des compagnies américaines ? Très très concrètement ?
C. Trautmann : Très concrètement, d’abord constater que le cinéma est la première pratique culturelle, que donner l’accès à l’ensemble du public à un patrimoine cinématographique européen qui est le plus important aujourd’hui dans le monde, permettre le financement des films produits, permettre leur circulation, renforcer le marché européen, c’est à la fois servir la curiosité du public, mais c’est en même temps aussi engager l’industrie cinématographique dans un renforcement dont elle a besoin.
France 2 : C’est un combat qui a déjà été mené par J. Lang, avec notamment la mise en place de quotas. Est-ce que ce n’est pas un combat un petit peu défensif et d’un protectionnisme un petit peu désuet ?
C. Trautmann : Je pense que ce qui a été rendu possible par les quotas, par la responsabilité recherchée des télévisions sur la programmation de films a permis de soutenir l’industrie du cinéma. En effet, si nous avons en France un cinéma vivant, qui est en fait, après le cinéma américain, le plus vivant au monde, c’est parce qu’il y a plusieurs systèmes pour le soutenir : à la fois des fonds de soutien, la possibilité d’aider des jeunes créateurs, et en même temps aussi, bien évidemment la programmation à la télévision. Ce que nous souhaitons faire, c’est convaincre aussi les autres États européens de la nécessité de s’engager dans une politique européenne constante, stable, fiable qui, non pas cherche à augmenter par trop les réglementations, mais finance à la fois la création et la distribution des films. Je prends un exemple : si les Européens ont la possibilité de voir un film français, allemand, ou italien simultanément dans plusieurs salles de cinéma, dans plusieurs pays, ce film est connu. Il n’y a pas de raison que ce soit seulement les films américains qui disposent de cette possibilité.
France 2 : C. Deneuve, votre présence s’explique en partie par la défense que vous voudriez faire de certains producteurs européens qui prennent des risques en défendant des petits films.
C. Deneuve : J’aurai bien aimé être à Strasbourg, ce soir, mais je tournais hier, un film en Belgique.
France 2 : Qu’est-ce qu’on peut faire pour défendre le cinéma européen ? Qu’est-ce que vous attendez - puisque vous avez avec vous C. - précisément des pouvoirs publics ?
C. Deneuve : Je ne suis pas vraiment là pour parler à ce niveau-là. Je suis tout à fait d’accord avec ce qu’a dit C. Trautmann et sur les engagements qui ont été pris. Je pense qu’il y a déjà beaucoup de choses qui sont faites en France pour soutenir le cinéma français, et c’est vrai que si le cinéma français est en situation quand même encore (inaudible, ndlr), c’est vrai qu’il y a quand même des systèmes qui permettent aux films d’exister, de se tourner, à des auteurs et des réalisateurs de faire des films dans des conditions quand même assez formidables aujourd’hui. Mais c’est vrai que le problème se pose aussi au niveau de la distribution. C’est vrai que nous, on a un système qui fait que, de toute façon, les quotas sont tellement importants que beaucoup de films français passent à la télévision. Donc, il y a une demande, une nécessité. Mais c’est vrai qu’il y a aussi un problème au niveau de la diffusion des films, de la distribution. Je pense que c’est au niveau de la distribution qu’il faudrait qu’il y ait un effort de fait pour soutenir peut-être davantage les films français. Mais je ne pense pas qu’on puisse éviter le raz-de-marée américain. Quand je vais aux États-Unis, je suis sidérée de voir qu’il y ait si peu de films étrangers. Ils sont quand même très protectionnistes vis-à-vis de leur cinéma en Amérique ! Je trouve normal qu’on fasse un effort pour soutenir le cinéma européen.
France 2 : Est-ce que ce n’est pas une sorte de combat don quichottesque vu la puissance des grands majors américains et le poids de la langue anglaise dans le monde, ce n’est pas rien tout de même ?
C. Deneuve : Mais la langue française, les langues européennes - l’italien, le portugais, l’espagnol... Il faut penser aussi que toute l’Amérique du Sud parle l’espagnol ! L’Europe, c’est aussi l’espagnol et toute l’Amérique du sud, le Mexique. Tous ces pays sont concernés. Une partie du Canada, aussi. Vous êtes très injuste.
France 2 : C. Trautmann, vous non plus, vous n’avez pas l’impression de vous battre contre des moulins à vent ?
C. Trautmann : Non, je ne pense pas me battre contre un moulin à vent, d’autant plus que ce que je constate, c’est que le public, lorsqu’il a le choix, sait aussi apprécier les films de création. On le voit en ce moment dans le succès d’un certain nombre de films distribués en salle. Je voudrais en même temps, si vous me le permettez, saluer le travail que fait C. Deneuve auprès de l’Unesco, pour valoriser et engager l’ensemble des pays à protéger, restaurer et diffuser le patrimoine cinématographique. Je crois que c’est extrêmement important que l’ensemble du public ait accès à une connaissance du film, à une histoire. Ça peut lui permettre aussi de former son regard, de comprendre aujourd’hui la place que tient le film pour comprendre notre société, et la regarder peut-être avec un air plus humain. Je crois beaucoup que le cinéma peut apporter. Il est à la fois œuvre de création, il est en même temps aussi un regard sur le monde, et si la télévision a un peu supplanté les écrans en séance, je crois qu’aujourd’hui il a encore de beaux jours devant lui.
France 2 : Merci beaucoup C. Trautmann. Excusez-moi, j’étais troublé par votre présence, C. Deneuve, et j’ai oublié de rappeler aux téléspectateurs que vous travaillez effectivement pour une mission de l’Unesco.
C. Deneuve : Je trouve que c’est très important de le rappeler, parce que, quand on a fait l’anniversaire du cinéma, on a fêté les cent ans du cinéma - ça paraît très très vieux -, or, le septième art, c’est vraiment l’art le plus jeune qui existe, et le cinéma est vraiment l’art le plus populaire. Donc c’est vrai qu’il faut penser qu’il n’y aura pas d’art populaire qui restera s’il n’y a pas de mémoire, et s’il n’y a pas de souvenir, donc si on ne fait pas des efforts pour préserver le patrimoine qui est très fragile et très coûteux à conserver. Donc, je compte beaucoup sur la générosité des sponsors privés pour aider à la restauration du patrimoine.
RTL : Dimanche 21 septembre 1997
RTL : Madame le ministre, quels sont les résultats ?
C. Trautmann : Nous constatons que l’engouement des Français se poursuit et se développe. Nous sommes en augmentation, pour la fréquentation des sites, d’une dizaine de pour-cent Nous approchons, maintenant, les 10 millions de visites pour les monuments et les différents lieux d’accueil du public. Les Français ont donc marqué une nouvelle fois leur intérêt pour le patrimoine, qu’ils valorisent, mais en même temps aussi, un intérêt très important pour le patrimoine industriel. Nous pouvons vérifier que le choix de cette thématique a été particulièrement judicieux. Je vous donne quelques exemples. La chocolaterie de Noisiel a passé de 12 600 à 14 000, à 16 heures cette année. L’usine à chaux et ciment à (inaudible, ndlr) dans le Centre, a passé de 2 000 à 2 400, à 16 heures. La manufacture des Œillets, à Ivry a passé à 1 000 visiteurs, et ce bâtiment n’était pas ouvert l’an dernier. On voit que le public choisit aussi de découvrir des lieux inusités, et honore le patrimoine industriel. Je pense qu’on peut dire que, à la fois nos concitoyens sont la recherche de leur mémoire, mais qu’ils ont décidé aussi de s’approprier tous ces monuments.
RTL : C’est la première fois que cette opération se déroule sous votre ministère. Quelles impressions en garderez-vous ?
C. Trautmann : J’en garde une impression - en ayant circulé avec les visiteurs cet après-midi dans le Palais Royal, y compris dans la queue des visiteurs dans mon bureau - à la fois une très grande attention, une très grande attention aussi pour tous les lieux civiques de la République. Quand je vois que l’Assemblée nationale est à 15 000 visiteurs, à 16 heures, ou l’Élysée à 12 000, le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel étaient aussi très visités cet après-midi, on sent que les Français sont très attachés, ont besoin de comprendre ou de connaître, et je pense que cela confirme, pour nous, la mobilisation très forte du ministère de la direction du patrimoine qui, cette année, a montré son efficacité.
RTL : L’autre thème était : Fêtes et jeux. J’imagine que tous les lieux ouverts pour ce thème-là ont eu beaucoup de succès ?
C. Trautmann : Ils ont tous eu du succès. Ces lieux ont suscité l’intérêt à partir des projets qui ont été proposés par les directions régionales d’action culturelle. Il y a eu beaucoup d’animations qui ont été lancées, reprises. Je voudrais souligner aussi la forte mobilisation d’un certain nombre de propriétaires ou de personnes qui ont décidé pour la première fois d’ouvrir, exceptionnellement, les lieux dont ils ont la charge. On a, cette année, 1 445 lieux qui ont bénéficié d’une ouverture exceptionnelle. Je crois que, à la fois, l’engouement du public, mais en même temps, la forte mobilisation de tous montrent qu’il y a une véritable participation nationale à ces Journées du patrimoine.