Texte intégral
TF1 : Est-ce que vous ne donnez pas un peu d’eau au moulin de ceux qui disent justement : les enseignants ne travaillent pas assez, ils prennent trop de vacances ?
Claude Allègre : Non, mais attendez, une chose est claire : la très grande majorité des enseignants, plus de 90 % fait merveilleusement son travail. J’ai eu l’occasion de le dire qu’ils étaient parmi les meilleurs du monde et je me sens très solidaire. Ma famille est enseignante, je suis moi-même enseignant, je suis très proche des enseignants, mais…
TF1 : Ça veut dire quand même qu’il y en a 10 % qui font moins bien leur travail ?
Claude Allègre : Non, non ! Peut-être 1 %. Mais je vais vous dire le grand problème : c’est que dans l’éducation nationale, la masse est telle que lorsqu’il y a 1 % de défaut - ce n’est pas beaucoup, 99 % marchent bien -, ça fait 150 000 élèves qui sont atteints.
TF1 : Parce qu’il y en a 13 millions en tout.
Claude Allègre : Parce qu’il y en a 13 millions en tout. Par conséquent, nous avons à travailler avec l’idée du zéro défaut et je viens de proposer aux organisations syndicales enseignantes, qui ont accepté d’ailleurs, que nous commencions une table-ronde sur l’idée de faire la prochaine rentrée avec zéro défaut, pas de classe sans professeur.
TF1 : Ils ont accepté. Cela dit, ils ne vont peut-être pas très bien vous accueillir alors que, quand vous avez été nommé, il y a trois mois, ils étaient assez heureux ?
Claude Allègre : Non, mais je pense qu’on ne peut pas faire bouger les choses si on ne s’attaque pas… C’est un très difficile problème. C’est comme la justice : ça se passe bien dans 95 % des cas et il y a des cas où ça ne se passe pas très bien. Alors on dit, la justice… Non, ça se passe bien en général, sauf que la justice, il y a 6 000 magistrats et chez nous, nous avons 800 000 enseignants. Par conséquent, il faut arriver à cette perfection et c’est ce que je veux faire en donnant des moyens aux enseignants. Si la rentrée se passe bien, c’est qu’on a repris les 35 000 maîtres-auxiliaires dont 10 000 devaient être sur le carreau ; c’est qu’on a créé, réouvert près de 1 000 classes, c’est qu’on a créé des allocations-cantines et nous allons créer des emplois-jeunes qui sont la meilleure preuve de la confiance des enseignants. On va les faire former par ces enseignants. Donc la qualité de nos enseignants et le dévouement de nos enseignants, la grande majorité n’est pas en cause. Mais il faut que ce système soit parfait, absolument parfait et vous allez voir d’ailleurs qu’on va leur donner des moyens supplémentaires. On va annoncer le budget cette semaine et les moyens des enseignants, la croissance de l’éducation nationale qui va reprendre, on va donner des moyens nouveaux, y compris sur les nouvelles technologies sur lesquelles il faut se moderniser.
TF1 : Il y a les moyens et il y a les mots, les symboles, vous le savez bien. Votre collègue, président du groupe socialiste à l’Assemblée, Jean-Marc Ayrault a dit tout à l’heure que, de temps en temps, vous aviez une phrase qui allait un peu trop loin. Est-ce que vous les voulez ces phrases ? Est-ce que ce sont des dérapages contrôlés ? Est-ce que c’est une façon de donner un coup de pied dans la fourmilière ?
Claude Allègre : Je vais vous dire franchement, j’aime beaucoup les enseignants, j’ai vécu dans une école une partie importante de ma vie et je me sens très solidaire d’eux. Il faut savoir que je suis l’un des leurs…
TF1 : Oui, mais souvent ils disent que vous êtes dans votre tour de Babel. Vous êtes universitaire et qu’eux sont les sans-grades, non ?
Claude Allègre : Non, non pas du tout. J’ai enseigné dans d’autres niveaux que le niveau universitaire. Mais je vous répète quand on place l’élève au cœur du dispositif, tout change de dimension. Quand on parle, par exemple, de 4 % d’absentéisme et on dit : c’est pareil que la police ! Mais ça n’a rien à voir avec la police. Parce qu’en face, il y a ces millions d’élèves et moi, mon souhait, c’est que pas un élève, pas un élève ne souffre d’une carence du système dans lequel, encore une fois, la majorité des enseignants ne soit pas impliqué, dans lequel le système ne marche pas très bien, il y a quelques abus. Ils sont encore une fois peu nombreux, mais à cause du système, ils deviennent considérables en nombre. Et c’est pour cela que les parents d’élèves réagissent. Alors nous devons nous mettre autour d’une table. Moi je ne fais pas d’injonction. Parce que la concertation avec les syndicats, moi je la joue. Je n’ai pas fait de circulaire, je n’ai pas fait de texte, je n’ai pas fait de loi. Je leur propose une table-ronde et je dis : mettons-nous autour d’une table pour réussir cet extraordinaire pari : zéro défaut.
TF1 : Vous nous confirmez qu’il y a quand même trop d’absentéisme aujourd’hui au regard de ce qui passe dans le privé, par exemple ?
Claude Allègre : Je ne parlais pas de l’enseignement privé. Je parlais de l’industrie. L’objectif est : pas de classe sans professeur. Jamais ! À aucun moment. Deuxièmement, l’égalité des chances pour tous. L’égalité des chances pour tous, cela aussi est la grande transformation. Le deuxième point que je voulais dire est le suivant : naturellement, je ne veux surtout pas diminuer la formation continue des enseignants puisque la base de mon projet éducatif, c’est d’étendre la formation continue.
TF1 : Voulez-vous qu’elle se prenne sur les vacances ou sur les temps de repos ?
Claude Allègre : Je pense qu’il ne faut pas qu’elle se fasse, en tous les cas, aux dépens de l’élève. Il faut discuter de ce problème. Mais concernant la formation continue, je vais proposer que tous les enseignants aient la possibilité de venir se recycler, et tous les non-enseignants d’ailleurs. L’éducation nationale pour son propre personnel doit être à la pointe de ce sujet. Donc, il y a une partie probablement dans cela de rapidité de réaction des uns et des autres dans la société où nous vivons, où l’on coupe un certain nombre de choses et où quand on nuance une déclaration, c’est déjà trop tard. Il n’y a pas d’ambiguïté. Je crois que s’il y en avait, elles ont été levées par la discussion que j’ai eu avec les organisations syndicales.
TF1 : Pour que les enseignants soient plus motivés, peut-être faudrait-il les aider financièrement ? Retenez-vous l’idée d’un salaire au mérite parce que, pour l’instant, quand on est instituteur, on a du mal à devenir directeur d’école, ou quand on est professeur, on a du mal à devenir proviseur ?
Claude Allègre : D’abord, ce que nous allons faire c’est donner plus de chances de promotion aux enseignants de devenir directeur d’école, aux professeurs de devenir proviseur ou inspecteur. On met sur pied un système qui permettra aux professeurs de lycée qui veulent entreprendre des recherches d’être détachés au CNRS. Donc il faut leur donner des moyens, mais ce ne sont pas forcément des moyens financiers. Il y a une revalorisation qui a été faite par le Premier ministre actuel lorsqu’il était à ma place et qui a été tout à fait bonne. Il faut reprendre la revalorisation. Par exemple, faire passer les instituteurs dans le corps de ce que l’on appelle les professeurs d’école. Il faut installer des passerelles, donner de la souplesse. Mais il faut surtout, et c’est mon grand projet, permettre que les initiatives, partout, des enseignants - j’en ai vus encore ces jours-ci dans les visites que je fais dans les établissements scolaires - ne soient pas étouffées par une réglementation trop tatillonne. C’est pour ça que, pour moi, il n’y a pas d’opposition avec les enseignants de base. Il peut y avoir des réactions vives à telle ou telle chose mais, vous savez, moi je suis professeur d’université. Parfois j’entends telle ou telle critique sur les professeurs d’université. Je ne les prends jamais pour moi. Moi, je travaille énormément, j’ai toujours travaillé énormément. Je n’ai jamais manqué mes cours. Donc s’il y a des critiques sur tel et tel, je ne les prends pas pour moi et je crois que la majorité des enseignants ne doivent pas se sentir concernés par tel ou tel propos qui s’adresse à une toute petite minorité.
TF1 : Nous évoquions hier la création de 40 000 emplois-jeunes au sein de l’éducation nationale. Le dépôt de candidatures a commencé hier dans les rectorats et il rencontre déjà beaucoup de succès. Il s’agit essentiellement de postes d’aides-éducateurs. Quels vont être les critères pour les retenir ?
Claude Allègre : Les critères vont être d’abord les performances scolaires, mais aussi nous regarderons si les candidats ont déjà manifesté des aptitudes à l’enseignement ; s’ils ont fait des colonies de vacances, des stages éducatifs, etc. En tous les cas, le choix sera fait par les enseignants, et c’est bien une preuve de confiance. Ils vont eux-mêmes les encadrer. Et ces jeunes, c’est très important, recevront une formation continue qui leur permettra, à la fin des cinq ans, d’obtenir des emplois. Donc ce ne sont pas des petits boulots. À l’aide de ça, on va pouvoir faire deux choses dans les premières parties : changer les rythmes scolaires, c’est-à-dire donner une après-midi plus souple, toujours éducative, mais plus souple ; et, deuxièmement, lutter contre la violence dans les zones difficiles. Voilà le projet et ce projet est extraordinaire. Moi, il me mobilise complètement et je suis sûr que l’ensemble des enseignants va répondre à cet appel.
TF1 : Autre décision du Gouvernement : développer l’informatisation des établissements scolaires. Le conseil régional d’Île-de-France a d’ores-et-déjà annoncé que tous les lycées seraient connectés à Internet d’ici la fin de l’année. Alors Internet, est-ce bien ? Est-ce que ça ne va pas retirer des emplois aux enseignants ?
Claude Allègre : Non. Et au contraire. Mais vous savez, c’est un grand pari que nous allons faire, avec un support formidable de la plupart des industriels français : c’est réconcilier la culture de l’écrit avec la culture de l’image. Et faire la synthèse de cela. Et nous sommes mieux placés que les Américains pour faire cette synthèse, parce que nous avons une longue culture de l’écrit, et nous avons aussi une culture de l’image. Elles s’étaient opposées. Il va falloir faire la synthèse. Et ce sont les enfants et les enseignants qui la feront, cette synthèse. Et c’est là aussi une tâche extraordinaire, une opportunité fantastique que nous donne la technologie.