Texte intégral
Un article sur une épidémie de listériose déclarée en 1992, paru le vendredi 19 mars et la lettre ouverte à mon intention publiée le lundi 22 mars 1999 dernier dans l'Humanité, ont mis en cause les services de mon ministère. Ceux-ci sont ainsi accusés d'avoir couvert une entreprise à l'origine d'une grave épidémie de listériose en 1992, de ne pas veiller à la lutte contre l'utilisation des substances anabolisantes en élevage bovin ou encore de vendre leur signature lors des contrôles à l'importation. Rien que cela…
Je voudrais dire ici ma répugnance devant laquelle il n'y aurait pas de vérité en dehors du dénigrement systématique de la fonction publique. Ma tendance naturelle, ma culture même, est plutôt de souligner la qualité exceptionnelle des agents de l'Etat et de m'ériger en faux contre cette “mode” que je croyais réservée aux libéraux qui consiste à faire croire que tout ce qui est “public” ou “d'Etat” serait mauvais par essence. Il me paraît en particulier dangereux de contribuer, par la perte de crédibilité des services de contrôle de l'Etat dans des domaines aussi sensibles que ceux de l'alimentation et de la protection de la santé publique, au développement d'une psychose des consommateurs. La protection de la santé publique est le souci de tous et, elle est ma priorité absolue en matière d'alimentation. Mais ce n'est pas servir cette cause que de diffuser des informations erronées dont je ne doute pas qu'elles relèvent d'une recherche de la vérité et d'une bonne foi, mais parce qu'elles sont erronées ou partielles ont pour seul effet de menacer des emplois dans les entreprises incriminées à la légère, ou de calomnier des fonctionnaires.
Au cours de ces quelques mois passés à la tête du ministère de l'Agriculture et de la Pêche, j'ai acquis la conviction du total engagement des agents des services vétérinaires dans l'accomplissement de leurs missions, de leur réactivité et de l'efficacité de leurs actions. Ceci ne doit pas empêcher pour autant de regarder sereinement la vérité en face lorsqu'un dysfonctionnement est suspecté, et de prendre toutes les mesures nécessaires à la préservation de l'intérêt des citoyens ou de l'intérêt général. Ainsi, j'ai demandé la réalisation d'une enquête administrative sur le fonctionnement des différents services concernés, dans la gestion des cas de listérioses humaines liés à la consommation de fromages d'époisses en février 1999. Le secrétaire d'Etat à la Santé s'est également associé à cette démarche. Tous les enseignements de ce rapport seront tirés.
Pour les événements ayant trait au passé, j'ai pris le temps de vérifier la véracité des informations avant de vous répondre et de rétablir les faits.
Pour l'épidémie de listériose de 1992, il est faux d'affirmer que l'importance de l'épidémie avait été cachée aux citoyens français. Les trois ministères concernés (Santé, Agriculture et Consommation) avaient mis en place une cellule de crise, lancé un vaste dispositif d'investigation et informé la presse. Les consommateurs ont été invités à prendre les mesures préventives pour se prémunir d'un éventuel risque. Après plusieurs mois d'enquêtes complexes, le produit soupçonné d'être responsable de l'épidémie, la langue de porc en gelée, a pu être identifié. Des recoupements de données statistiques (habitudes des consommateurs, volumes de production, distribution des produits) ont permis de déterminer, avec une forte probabilité, l'établissement d'origine de ces langues. Il est essentiel de rappeler que la preuve formelle (grâce à une certitude acquise par des analyses de laboratoire) de la responsabilité de cet établissement n'a pas pu être apportée. Celui-ci n'a donc pus été poursuivi. L'établissement concerné avait par ailleurs spontanément sécurisé sa production, avant les conclusions de l'enquête.
En ce qui concerne l'utilisation de substances anabolisantes, plus de 15 000 analyses sont effectuées chaque année afin de rechercher leur utilisation frauduleuse, pour un budget annuel de 15 millions de francs. Sur la base des résultats, il est possible d'affirmer qu'environ 1 % des animaux mis sur le marché en France, toutes origines confondues, ont fait l'objet de traitements illicites. L'examen des contrôles dans le seul département de l'Allier (0 résultat positif sur 142 prélèvements en 1997), malgré une pression de contrôle importante et variée, ne corrobore pas les affirmations de certains professionnels cités par l'Humanité qui estiment “à 80 % les bovins shootés aux hormones” dans ce département. Peu de résultats convaincants donc, mais quand ils le sont, des suites y sont données : sur le plan national, les services vétérinaires ont récemment transmis plus de vingt affaires aux autorités judiciaires.
De même en 1995, contrairement aux faits mentionnés dans l'article, les autorités belges n'ont pas communiqué d'informations alertant sur l'activité frauduleuse d'opérateurs belges sur le territoire français. Par contre le ministère de l'Agriculture a signalé à plusieurs reprises à ces mêmes autorités, les soupçons pesant sur des négociants belges en relation avec des éleveurs français. Une surveillance renforcée sur les animaux d'origine belge s'est d'ailleurs traduite par des poursuites judiciaires dont certaines ont abouti à des sanctions pénales.
S'agissant des accusations de “ventes” de signatures lors des contrôles à l'importation, il est exact que l'administration a dû recourir dans le passé aux services de vétérinaires privés pour ces contrôles, en l'absence d'agents de la Fonction publique en nombre suffisant au regard du nombre de bureaux de douanes ouverts. Certains vétérinaires privés facturaient leurs interventions, en complément des vacations allouées par l'Etat, en particulier lorsque les contrôles étaient effectués la nuit. Dès que cette pratique a été connue, les préfets ont reçu instruction d'y mettre fin. Le tribunal de grande instance de Mulhouse saisi de cette question en 1994 a jugé condamnable cette pratique mais n'a pas estimé qu'elle était accompagnée d'une intention frauduleuse, avec des conséquences pour la santé publique.
Tels sont les faits. Pour ma part, je ne dévierai pas de la ligne que je me suis fixé : priorité absolue à la santé des consommateurs, respect de la vérité qui ne s'accommode ni du laxisme ni de la psychose, confiance dans le travail des fonctionnaires qui assument les tâches difficiles de contrôle pour protéger le consommateur et, le cas échéant, adaptation des dispositions si des lacunes apparaissent.