Texte intégral
A2 : 22 janvier 1992
F. Ponchelet : E. Cresson a dit de vous que vous étiez la plus belle révélation de son gouvernement, et E. Balladur a dit que vous étiez compétente et avisée ?
M. Aubry : Je crains qu'E. Cresson n'ait pas dit cela, mais que les journalistes le lui aient fait dire. Par ailleurs, il vaut mieux être compétent dans son domaine et être reconnu comme tel ; mais le problème c'est d'avoir des résultats. C'est surtout cela qui me soucie.
F. Ponchelet : Comment vivez-vous les difficultés qu'E. Cresson rencontre ?
M. Aubry : Elle se bat, elle ne regarde pas trop ce qui se passe autour d'elle. Elle a raison. On verra les résultats de son action.
F. Ponchelet : La campagne en faveur des emplois familiaux. Il semble que cela marche fort ?
M. Aubry : Cela correspond aux besoins des Français, des familles, des personnes âgées, des personnes seules et pour lesquelles le coût d'une personne à domicile leur paraissait trop important jusqu'à présent. Le principe de fonctionnement est double. D'abord une aide fiscale, puisqu'on peut retirer des impôts la moitié des sommes que l'on dépense chaque année. Le second point, qui me paraissait essentiel, c'était que les formalités soient simples. Rien de pire que d'avoir à remplir toute une paperasserie pour avoir un employé de maison ! La sécurité sociale travaillera pour les ménages.
F. Ponchelet : Ce sont des vrais emplois ?
M. Aubry : Ce sont des vrais emplois, c'est pourquoi nous avons tenu au slogan : « les emplois familiaux, tout le monde y gagne » ; mais les salariés gagnent aussi, parce qu'ils vont être déclarés. Ils vont cotiser pour la maladie, la retraite. Ils ont droit à une formation que l'État paye. Les collectivités locales y gagnent car elles auront moins de frais de garde collective ou d'hospitalisation pour les personnes âgées. Les associations vont aussi bénéficier de tout cela, elles devront aider les familles à se mettre en contact avec leurs futurs employés.
F. Ponchelet : Cela va permettre de blanchir des emplois au noir ?
M. Aubry : Absolument, mais aussi d'embaucher. Avec cette aide, beaucoup de familles qui n'avaient pas recours à un employé de maison vont le faire dorénavant. Nous espérons entre 150 et 200 000 créations d'emplois sur les années à venir.
F. Ponchelet : C'est une goutte d'eau dans l'océan du chômage ?
M. Aubry : Le chômage ce n'est que des gouttes d'eau les unes à côté des autres. Il n'y a pas de recettes miracles qui nous permettraient de réduire spontanément le chômage de 100, 200 ou 300 000. Le chômage c'est des emplois familiaux, de la formation qui mène à un emploi, de l'insertion de jeunes en difficulté. Ce qui fait que tout le monde doit s'y mettre, en l'occurrence les familles.
F. Ponchelet : L'ouverture des magasins le dimanche créerait des emplois ?
M. Aubry : Ce problème est un problème d'organisation de la société. Je ne donnerai pas aujourd'hui une décision que le gouvernement n'a pas prise. Concernant la création d'emplois, il est clair que cela ne crée pas d'emplois, car quand on fait travailler les grandes surfaces le dimanche, elles prennent des parts de marché sur les petits commerçants, et ceux-ci risquent fort de fermer et de détruire des emplois. C'est un vrai problème de société. Des commerces dans les quartiers, c'est aussi important pour que la vie existe, des familles non-déstructurées, des enfants qui ne sont pas seuls le dimanche, c'est peut-être aussi important. Il faut se poser toutes ces questions.
F. Ponchelet : Les plans sociaux concernant les suppressions d'emplois chez Peugeot. Vous avez fait des déclarations très hostiles en disant que les patrons en profitaient pour dégraisser ?
M. Aubry : Je n'ai pas fait de déclarations hostiles au plan de licenciement. Les entreprises ne font pas cela par plaisir. J'ai fait des déclarations sur la façon dont les licenciements avaient lieu. Un certain nombre d'entreprises mettaient systématiquement les salariés de plus de 50 ou 55 ans sur le marché du travail – on sait la difficulté à cet âge de trouver un travail – et pour les autres de leur mettre un chèque dans la poche. Ce n'est pas une bonne façon de licencier et il vaut mieux aider les salariés à se former, se reconvertir et se reclasser. C'est ce que va faire Peugeot à Sochaux puisque nous en avons déjà discuté.
RMC : 23 janvier 1992
P. Lapousterle : Vous jouissez de la meilleure réputation du gouvernement, aucun membre de la majorité et de l'opposition ne manque à l'appel pour parler de votre compétence et de votre ardeur au travail. Cette réputation, c'est une charge ou une aide ?
M. Aubry : Franchement, je n'ai pas le temps de m'en occuper. J'essaie de travailler et d'avancer. Mais c'est plutôt une aide. Il vaut mieux être reconnu en sachant de quoi on parle que le contraire.
P. Lapousterle : Les chiffres du chômage sont pires chaque mois. Est-ce qu'il y a un espoir raisonnable de maîtriser la hausse du chômage dans les mois qui viennent ?
M. Aubry : Cet espoir tient évidemment au retour d'un taux de croissance accéléré. On a déjà un taux de croissance en France de l'ordre de 1,4 % qui est un des plus haut aujourd'hui parmi les pays industrialisés. Il faut bien sûr attendre une amélioration pour voir des effets significatifs sur l'emploi. Toutes les actions que nous menons parallèlement, à la fois pour créer des emplois nouveaux, pour mieux aider les demandeurs d'emplois qui ont actuellement des problèmes et qui fait que même si les emplois étaient là, ils ne seraient pas toujours à même de les remplir, tout ce que nous faisons en termes de formation, d'individualisation des problèmes, notamment des chômeurs de longue durée, des jeunes non qualifiés, va dans le sens d'un meilleur emploi pour demain.
P. Lapousterle : On va éviter cette barre des trois millions de chômeurs ?
M. Aubry : Je n'ai pas les yeux fixés sur une barre. Mon souci c'est d'éviter que le chômage augmente. Déjà avec 2,8 millions et un peu plus de chômeurs, c'est déjà beaucoup trop. Donc toute mon action vise à éviter des augmentations, quelle que soit la barre qui arrive.
P. Lapousterle : Ces emplois familiaux, c'est la possibilité pour les familles d'utiliser des aides à domicile avec des exonérations fiscales à la clé. Ça concerne toutes les catégories de travail à domicile ?
M. Aubry : Ça concerne toutes les catégories d'aides à la famille, d'aides aux ménages. À savoir, l'aide-ménagère, l'employée de maison traditionnelle, la garde d'enfants, la garde d'une personne âgée, les cours pour les enfants le soir, donc tout ce qui aide la famille à améliorer sa qualité de vie. Donc tout employé de maison embauché par un ménage, une famille, une personne seule.
P. Lapousterle : C'est un succès.
M. Aubry : Oui. On a lancé cette campagne de communication il y a maintenant huit jours. Nous avons fait des guides qui sont simples, à la hauteur de ces mesures, puisqu'elles visent à simplifier très largement pour les familles, la déclaration à la Sécurité sociale, les déclarations administratives, la fiche de paye. Tout cela maintenant sera fait par les URSAFF. Les familles n'auront besoin qu'une fois par trimestre d'envoyer le nombre d'heures travaillées et le taux de salaire net auquel ils paient leurs employés de maison. C'est le seul élément administratif qu'ils auront à remplir. L'URSAFF calcule les cotisations, peut les prélever directement sur le compte bancaire si la famille le souhaite et envoie des modèles de fiches de paye. Il n'y a plus de travail administratif à faire. Et puis il y a eu une sécurité puisqu'on un employé de maison qui est déclaré à la Sécurité sociale.
P. Lapousterle : Vous attendez combien d'emplois avec cette formule ?
M. Aubry : Comme vous le savez, on peut retirer, déduire de ses impôts jusqu'à 12 500 francs par an, donc un peu plus de 1 000 francs par mois. C'est quand même beaucoup, il y a beaucoup de familles qui aujourd'hui hésitaient à embaucher un employé de maison et qui vont se voir rembourser la moitié de leurs dépenses par l'État. Donc nous attendons aussi bien du blanchiment, – c'est la déclaration à la Sécurité sociale d'employés qui ne l'étaient pas –, que de créations d'emplois, entre 150 et 200 000 créations d'emplois dans les deux ans qui viennent.
P. Lapousterle : Ce n'est pas une aide qui est finalement réservée à ceux qui ont les moyens d'embaucher quelqu'un ?
M. Aubry : On ne crée pas d'emplois si on n'a pas les moyens de les créer. Donc évidemment, ça favorise d'abord ceux qui ont ces moyens-là. Mais il faut savoir que le gouvernement a pris des mesures pour accroître notamment les aides ménagères, pour les familles qui sont au contraire de l'autre côté de la distribution des revenus et qui ont besoin d'aides directes.
P. Lapousterle : Vous dites une phrase terrible : « on ne crée pas d'emplois »…
M. Aubry : On ne crée pas d'emplois, c'est vrai pour les entreprises, pour les ménages, quand on n'a pas les moyens de les créer. Ça me paraît le fonctionnement normal de l'économie. Donc si on peut aider à la solvabilisation, au financement par les ménages de ce type d'emploi qui finalement améliore la qualité de vie, améliore aussi le sort des enfants et des personnes âgées, on sait tous très bien que l'hospitalisation de ces dernières, ce n'est pas une bonne solution pour elles, elles en souffrent, elles veulent rester chez elles, donc si on peut aider par ce biais à ce qu'elles restent chez elles, c'est aussi moins de dépenses pour la collectivité, moins d'hospitalisation, moins de crèches à créer. Et sans doute encore une fois, une amélioration de la qualité de vie pour tous. C'est pour cela que notre slogan est : « Les emplois familiaux, tout le monde y gagne. »
P. Lapousterle : Le gouvernement n'a pas pris sa décision pour le travail le dimanche. Pourquoi ne prend-on pas la décision rapide d'ouvrir le dimanche puisque les Français sont pour dans leur majorité ? Et qu'ensuite tout le monde a l'impression que des emplois seraient créés immédiatement ?
M. Aubry : En effet, je ne vous dirai rien sur le fond de la décision puisqu'elle n'est pas encore prise au niveau gouvernemental. La seule chose sur laquelle j'ai une certitude absolue, c'est que ça ne crée pas d'emplois. La consommation des ménages existe, c'est un tout, elle ne s'accroît pas comme ça brutalement, parce qu'on ouvre le dimanche. Elle se transfert d'un jour vers l'autre, de la même manière, ceux qui pourront ouvrir le dimanche prendront la part de consommation à ceux qui ne pourront pas. Je pense notamment aux petits commerces. Donc, il y a peut-être des emplois qui seront créés dans certains établissements, il y en a d'autres qui seront détruits. J'ai une certitude, ça ne crée pas d'emplois.
P. Lapousterle : Donc la campagne de Séguéla est mensongère ?
M. Aubry : Je crois qu'elle est insuffisante et que hélas elle pose un problème qui est un problème de société qui nécessiterait un vrai débat. Sous forme de slogan, ce n'est pas très sérieux.
P. Lapousterle : On ne comprend pas comment on collectionne les prix d'excellence en France en matière économique et que le taux du chômage augmente ?
M. Aubry : Il faut dire qu'on a un bonnet d'âne parce que nous, nous essayons de connaître l'ensemble des demandeurs d'emplois. On ne peut pas comparer une situation comme celle de l'Angleterre, où les chômeurs n'ont pratiquement pas d'indemnisation, aucune aide de l'État et donc ils n'ont aucune raison d'aller s'inscrire à l'ANPE locale, ça c'est la première différence. Je ne la critique pas, car je préfère que nous connaissions les demandeurs d'emplois que nous avons besoin d'aider. Mais il faut voir que les comparaisons internationales ne signifient rien aujourd'hui. Le chiffre du BIT qui nous donne que 2,4 millions de chômeurs, approche mieux la vérité et il est encore au-delà de la différence qui nous sépare avec d'autres pays. Je suis convaincue qu'il y a plus de chômeurs dans beaucoup de pays que dans le nôtre. Il faut le dire. Autrement, il y a des vraies raisons : nous avons une population active qui s'accroît beaucoup plus que dans les autres pays. C'est une chance pour la France à moyen terme. Nous avons un taux d'activité féminine qui est le plus important en Europe. Nous avons encore beaucoup d'arrivées de jeunes sur le marché du travail, c'est une force à moyen terme. À court terme, c'est plus de chômeurs. Nous avons aussi moins d'emplois dans les services que dans d'autres pays. Peut-être parce que nous choisissons de plus consommer des biens de consommation que des services. Peut-être aussi parce que dans notre pays, les employés des services sont mieux payés que les employés de l'industrie. Les emplois familiaux y contribuent, puisque l'on vise à financer des emplois dans les services. Enfin, il y a des problèmes de liaisons entre les demandeurs d'emplois et les emplois disponibles. Nous nous y attaquons, nous faisons en sorte que les demandeurs d'emplois soient capables par une formation adaptée, de remplir les emplois disponibles.
P. Lapousterle : Il y a cependant de plus en plus d'ingénieurs et de cadres au chômage...
M. Aubry : C'est vrai. Cette année il y a eu une forme augmentation. Il faut une formation qui soit adaptée aux besoins et dans une période conjoncturelle difficile, toutes les catégories sont touchées, et cette année les cadres l'ont été particulièrement.
P. Lapousterle : La désaffection des Français vis-à-vis de la gauche et du gouvernement, selon vous c'est une injustice ou ils l'ont bien méritée ?
M. Aubry : Je crois qu'il y a une désaffection aujourd'hui des Français vis-à-vis de la politique en général. Et pas seulement vis-à-vis de la gauche. Cette dernière étant au pouvoir, c'est normal qu'on retienne cela de manière la plus directe. Je crois que les Français ont besoin de comprendre où l'on va et ont besoin de comprendre qu'on s'occupe d'eux, de leurs préoccupations. Je pense que c'est ce que fait le gouvernement et j'espère que les Français s'en rendront compte.
Le Figaro : 29 janvier 1992
Le Figaro : En 1991, près de 300 000 personnes sont venues grossir le nombre des demandeurs d'emploi. La menace des 3 millions de chômeurs, à la veille des échéances électorales, se précise. La craignez-vous ?
Martine Aubry : Je n'ai la hantise ni des échéances électorales ni du chiffre de 3 millions de chômeurs. Ma hantise, c'est l'exclusion. Mon seul objectif est de tout faire pour que le chômage ne s'accroisse pas, de tout faire pour éviter la marginalisation d'une partie de la population.
Le Figaro : Les statistiques du mois de décembre marquent elles, selon vous, un changement de tendance ?
Martine Aubry : Nous ressentons particulièrement ce mois-ci les effets des licenciements annoncés depuis l'été dernier dans un certain nombre de secteurs, et ceci va continuer dans les mois qui viennent. Malgré cela, et c'est le premier élément positif depuis plusieurs mois, le chômage stagne grâce à des embauches plus importantes de la part des entreprises, qui sont d'ailleurs confirmées par des offres d'emploi déposées à l'ANPE à un bon niveau pour un mois de décembre. Il faut encore attendre plusieurs semaines avant de savoir si ce mouvement se poursuit et s'il sera suffisant pour contrebalancer les licenciements annoncés.
Le Figaro : Les résultats obtenus par la France sont cependant bien moins bons que ceux de nos voisins de la CEE.
Martine Aubry : Il faut comparer ce qui est comparable et utiliser pour cela la définition donnée par le BIT et retenue dans les pays industrialisés. Nous avons alors en France aujourd'hui 2 400 000 chômeurs, soit 9,8 % de la population active. Nous devons chercher à l'expliquer. Il y a bien sûr des raisons structurelles qui font que la France souffre d'un chômage plus important que ses voisins. Tout d'abord, l'accroissement de la population active, qui est élevé, ce qui est un atout à moyen terme, mais accroît le chômage à court terme. La place du secteur tertiaire fortement créateur d'emplois est ensuite plus faible que chez nos voisins, d'où l'intérêt de développer par exemple les emplois familiaux ou les emplois dans le secteur de l'environnement. La France souffre enfin de problèmes d'inadéquation entre les offres et les demandes d'emploi ; mais cela, nous nous y attaquons en recherchant les emplois disponibles et en formant les personnes susceptibles de les remplir.
Au-delà de ces raisons de fond, il est bien évident que le système français d'aide aux chômeurs, que ce soit leur indemnisation ou le traitement social, c'est-à-dire les actions de formation et d'insertion que nous leur proposons, est d'un haut niveau par rapport à la plupart des pays industrialisés. Ceci crée, et c'est normal, un appel à l'inscription à l'ANPE. Ce qui explique aussi une partie de l'écart avec les autres pays. Nous devons bien sûr nous féliciter de l'aide que nous apportons aux demandeurs d'emploi et de sa solidarité dont fait preuve la collectivité à leur égard, ce qui est loin d'être le cas dans certains pays libéraux. Mais nous devons aussi leur demander en retour de faire, en ce qui les concerne, les efforts nécessaires. Nous devons nous assurer que la situation des demandeurs d'emploi justifie cet effort important de la collectivité.
Le Figaro : Vous pensez donc que le traitement social est une donnée indispensable d'une politique de l'emploi ?
Martine Aubry : Absolument, et ceci se comprend dans l'ensemble de l'action que le gouvernement mène en faveur de l'emploi. Au-delà de la politique économique, qui joue un rôle essentiel pour créer le climat propice au développement des entreprises, tout ce qui va dans le sens d'une meilleure compétitivité entraîne moins d'exclusions à court terme et plus d'emplois à moyen terme. Aider les entreprises à améliorer leur organisation du travail pour mieux répondre aux besoins de leurs clients, tout en permettant aux salariés d'être plus qualifiés et d'évoluer professionnellement, va dans cette direction. Il nous faut aussi connaître les emplois disponibles, c'est ce que nous faisons depuis le mois de juillet dans chaque bassin d'emplois, grâce à une étroite collaboration entre l'administration et les professions. Vous savez aussi que l'ANPE fait un effort sans précédent de rapprochement avec les entreprises, notamment avec les PME. Les résultats commencent à se faire sentir puisqu'une entreprise visitée sur deux apporte un emploi. Je souhaite pour ma part que les entreprises déposent de plus en plus leurs offres d'emploi à l'agence. Il y a un progrès en décembre qui doit être poursuivi.
Nous devons par ailleurs explorer tous les secteurs d'activité nouveaux créateurs d'emplois. C'est le cas avec les emplois familiaux, qui vont améliorer la qualité de vie des ménages. C'est sur quoi nous réfléchissons pour les emplois liés à l'environnement, qui peuvent aller de l'entretien des espaces verts ou des forêts, au ramassage, ou à la collecte des déchets…
À côté du traitement économique, il y a le traitement social, qui vise à aider chaque chômeur à être mieux préparé pour trouver un emploi. La politique définie dès le 3 juillet 1991, sous la responsabilité du Premier ministre, et poursuivie depuis, met en place un traitement individualisé des demandeurs d'emploi et crée un lien plus fort entre les actions proposées et l'emploi. Nous avons le souci de trouver pour chacun le meilleur parcours pour l'emploi. Pour les uns, il peut s'agir d'un simple stage d'adaptation de leurs connaissances, pour d'autres d'une véritable reconversion pour apprendre un nouveau métier, et pour les plus en difficulté, d'une insertion sociale et économique plus longue. Pour ce faire, il faut analyser la situation de chacun, ses difficultés, ses capacités, ses motivations : cela nécessite souvent un bilan de compétence ! Cela prend du temps et c'est coûteux. Mais j'affirme que c'est le seul moyen d'être réellement efficace.
Le Figaro : Certains vous accusent cependant de développer le traitement statistique à l'approche des échéances électorales.
Martine Aubry : Après ce que je vous ai dit, vous comprendrez bien que si on voulait faire du traitement statistique, on s'y prendrait autrement. La recette est connue : des stages peu coûteux, dans lesquels on place sans distinction des demandeurs d'emploi. Nous faisons exactement le contraire : un traitement individualisé, un allongement de la durée et du coût des stages ! Si d'autres gouvernements avaient la tentation de faire cela, j'ai la conviction qu'ils n'y arriveraient pas. Croyez-vous que les jeunes ou les chômeurs de longue durée qui ont déjà collectionné des petits boulots et des stages sans issue seraient aujourd'hui prêts à accepter autre chose qu'un parcours personnalisé vers l'emploi ?
Le Figaro : Vous avez commencé à faire du traitement social pour les jeunes, vous y venez maintenant pour les chômeurs de longue durée ?
Martine Aubry : Oui, tout à fait. Nous avons commencé par les jeunes sans qualification, en proposant à ceux qui le souhaitent une formation qualifiante, souvent par la voix de l'alternance et de l'apprentissage. C'est la mieux adaptée à leur situation. Pour ceux qui veulent avant tout un travail et une rémunération, nous avons incité les entreprises à les embaucher avec l'exo-jeunes (exonération de cotisation). Plus de 20 000 en ont déjà bénéficié. Nous mettons enfin ceux qui sont les plus fragiles dans des dispositifs d'insertion.
Nous allons faire de même avec les chômeurs de longue durée. Plus de 850 000 sont au chômage depuis plus d'un et 400 000 depuis plus de deux ans. Chaque chômeur de longue durée sera suivi individuellement et se verra proposer une solution répondant à son problème. Mais l'État ne peut pas tout faire seul.
Le Figaro : À qui comptez-vous faire appel ?
Martine Aubry : Le gouvernement a pris ses responsabilités et chacun doit apporter sa contribution. Les entreprises peuvent par exemple intégrer dans leurs stages de formation les demandeurs d'emploi que l'ANPE aura préalablement sélectionnés. Nous allons d'ailleurs signer les premières conventions dans les jours qui viennent. Les professions doivent participer à l'orientation et à la formation des jeunes et des demandeurs d'emploi.
Par ailleurs, les entreprises d'insertion qui accueillent les publics les plus en difficulté ont besoin de l'aide des entreprises qui peuvent mettre à disposition des cadres pour une partie de leur temps, des tuteurs pour la formation ou le suivi de ce public ou sous-traiter certaines de leurs activités. Les entreprises et les professions, regroupées dans la Fondation entreprise et insertion ont compris leur intérêt et celui de la collectivité à aller dans cette voie. Je ferai un bilan de l'ensemble de ces actions d'insertion à la fin février. Les élus sont bien sûr les mieux placés pour faire en sorte que dans chaque bassin d'emploi, chaque acteur prenne sa part des initiatives nécessaires à la lutte contre le chômage.
Le Figaro : Pensez-vous prendre des mesures spécifiques pour les cadres, particulièrement touchés par le chômage l'an dernier ?
Martine Aubry : Le chômage des cadres a malheureusement augmenté de près de 30 % en 1991. Ceci est directement lié au ralentissement économique, car les entreprises ne procèdent au licenciement des cadres qu'en dernier ressort. L'État s'attaque à ce problème prioritairement. À moyen terme, nous savons que l'encadrement des entreprises est encore appelé à se renforcer.
Le Figaro : Il se développe une campagne pour l'ouverture des magasins le dimanche. Pensez-vous que la libéralisation de la loi favoriserait l'emploi ?
Martine Aubry : C'est un problème difficile qui touche à l'organisation de la société, aux conditions de vie au travail, au partage entre la vie professionnelle et la vie familiale, au développement des villes, et à la concurrence entre les modes de consommation. L'équilibre n'est pas facile à trouver. On ne peut en tout cas pas résumer ce dossier par un slogan aussi simpliste que : « On lutte contre le chômage en ouvrant le dimanche ». J'ai d'autant plus cette certitude que l'ouverture des magasins le dimanche ne crée pas d'emplois.