Discours de M. Michel Delebarre, ministre de la ville et de l'aménagement du territoire, sur sa politique en 1991 notamment les mesures sociales, le développement des régions, l'activité du CIALA, la décentralisation et ses projets pour 1992, Paris le 14 janvier 1992.

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Circonstance : Vœux à la presse le 14 janvier 1992

Texte intégral

Mesdames, Messieurs

Je suis heureux de vous accueillir pour cette cérémonie aussi traditionnelle qu'agréable. Nous voici plus nombreux qu'il y a un an, en vertu du regroupement des politiques de la ville et de l'aménagement du territoire décidé en mai dernier par le Président de la République et le Premier ministre.

Meilleurs vœux donc, pour cette année nouvelle et d'abord pour vos vies personnelles, celles de vos familles et de tous ceux qui vous sont chers.

Quant à votre vie professionnelle, je pense que mes vœux rencontreront les vôtres pour souhaiter que 1992 soit une année aussi bien remplie qu'a pu l'être 1991.

L'année passée a été particulièrement dense à un double titre. Elle a été marquée – et vous y avez très largement contribué – par l'irruption des problèmes de la ville et de l'aménagement du territoire dans l'opinion et le débat public. Nous avons tous en mémoire le formidable impact de deux séries d'évènements qui ont ponctué 1991 les accès de fièvre des banlieues, au printemps, et les manifestations du monde rural à la fin de l'été et de l'automne, avec leur point d'orgue du 29 septembre. Ce retentissement a provoqué une double prise de conscience dans l'opinion : de même que le « malaise des banlieues » a servi de révélateur à l'ensemble des problèmes posés par la croissance urbaine et ses conséquences, on est passé, comme thème du débat public, de la situation des activités agricoles à une interrogation plus globale sur l'avenir du monde rural et ses perspectives de développement. À travers ces événements, les préoccupations d'aménagement du territoire, que celui-ci soit urbain ou rural, sont ainsi passées au premier plan du débat public le plus large.

Si 1991 a été l'année des questions, elle a été tout autant, en contrepoint, une année de réponses. Non que celles-ci soient définitives : une fois votées des réformes ou adoptées des mesures, il reste à accomplir ce qui est à bien des égards l'essentiel – faire vivre ces textes et ces mesures, leur donner toutes leur portée en tant qu'instruments de l'action publique et de la transformation sociale.

Mais constatons que ces instruments existent, au terme d'une année d'activité gouvernementale et parlementaire pour le moins soutenue.

1991 a vu parachevé l'édifice législatif commencé un an plus tôt à travers la loi Besson sur le droit au logement, avec les textes mettant en œuvre la solidarité financière entre les collectivités locales et le vote de la loi d'orientation sur la ville, traçant la perspective d'une évolution plus maîtrisée de notre espace urbain.

1991 a vu également l'État concentrer et accentuer ses efforts en faveur des zones urbaines les plus défavorisées, avec des moyens budgétaires accrus et déconcentrés, la désignation de treize sous-préfets à la ville, les avancements de carrière institués pour les fonctionnaires en poste dans ces quartiers, le développement de l'îlotage, la création de « maisons de justice » autant de signes illustrant une volonté d'évolution et d'adaptation de l'État à la réalité sociale dont a également témoigné la mobilisation des différents ministères pour les opérations d'été.

Comment ne pas évoquer encore le travail de sensibilisation des milieux économiques accompli dans la continuité du rapport Aubry-Praderie, avec la création de la Fondation entreprises et quartiers, désormais opérationnelle ?

En ce qui concerne l'aménagement du territoire, 1991 a été une d'année d'activité tout aussi intense. Première illustration : les données sur l'activité du Comité interministériel des aides à la localisation des activités – le CIALA – sont désormais connues pour 1991. Elles montrent que, dans un contraste économique difficile, le CIALA a connu une très forte activité en 1991, en primant 204 dossiers contre 186 en 1990 et 136 en 1989. Les 671 millions de francs de primes d'aménagement du territoire ainsi accordées ont permis d'aider 19 656 emplois l'an passé, contre 18 500 en 1990 et 13 500 en 1989. Sur ces 19 000 emplois aidés, 43 % résultent d'investissements étrangers en France. Vous n'ignorez pas l'importance que j'attache à ce dossier et je viens d'inaugurer le réseau Datar Europe et de me rendre aux États-Unis sur ce thème.

L'année 1991 a été en outre marquée par l'aboutissement de démarches essentielles pour l'organisation de l'espace national et le développement de nos régions, avec la révision du schéma routier national, l'adoption du schéma directeur des TGV, la mise en œuvre d'Universités 2000 par Lionel Jospin, l'élaboration des schémas régionaux de la recherche sous la conduite d'Hubert Curien, les programmes de restructuration de grands services publics, telle la Poste, ou d'autres secteurs de l'État, comme la Défense avec Armées 2000.

Point d'aboutissement, 1991 a été également un point de départ – ou du moins de renouveau – avec, d'une part, la politique de développement rural définie à l'automne en CIAT et, d'autre part l'adoption conjointe et corollaire d'un projet de schéma directeur pour l'Île-de-France et de nouvelles mesures de décentralisation d'activités.

Nous retrouverons bien sûr ces deux fils conducteurs de l'aménagement du territoire tout au long de l'année 1992, qui verra le gouvernement prendre de nouvelles décisions, ou poursuivre le travail et le débat déjà engagés, avec par exemple les assises du monde rural, tout en s'attachant à la mise en œuvre des choix déjà faits.

1991 a été une année d'impulsions, nouvelles ou renouvelées. 1992 nous verra poursuivre le travail en profondeur ainsi lancé, pour lui donner la continuité nécessaire et l'inscrire durablement dans les faits. Certaines réformes produisent par elles-mêmes leurs fruits, comme la solidarité financière entre les collectivités locales. D'autres chantiers supposent un suivi très vigilant, ou impliquent un approfondissement des orientations tracées, et des avancées nouvelles. Nous aurons l'occasion de nous entretenir dès les prochaines semaines, à l'occasion des prochains comités interministériels tenus sur l'aménagement du territoire, puis sur la ville. Sans anticiper à l'excès, je voudrais d'ores et déjà vous faire part des deux préoccupations de fond que m'inspirent tant l'expérience de l'année passée que les échéances des prochains mois.

La première concerne le rôle de l'État. Il peut paraître paradoxal que le partisan acharné de la décentralisation que je suis, élu local, candidat à la présidence d'une région, insiste là-dessus. Le paradoxe n'est qu'apparent. Jusques et y compris dans le cadre de la décentralisation, le rôle de l'État est essentiel, car lui seul peut arbitrer au nom de l'intérêt général, au-dessus des intérêts particuliers, assurer la cohésion sociale et garantir l'égalité des chances, qu'il s'agisse des individus, des groupes sociaux ou des collectivités locales.

Ce rôle, l'État va avoir l'occasion de l'assurer pleinement en 1992, dans la préparation des prochains contrats de Plan, en définissant ses priorités puis en les confrontant avec celles des collectivités territoriales, sans confondre le partenariat avec un quelconque suivisme.

Mais il doit aussi le traduire dans sa propre organisation, en modernisant son fonctionnement, en rapprochant les services publics dont il a la charge des populations et des zones géographiques qui en ont le plus besoin, qu'il s'agisse des quartiers défavorisés ou du monde rural ; mais aussi, en participant à un aménagement équilibré du territoire à travers la décentralisation en régions de ses activités et de ses services dont la présence au cœur de Paris ou en Île-de-France ne trouve pas d'autre explication que la tradition historique ou le conformisme administratif.

Ma deuxième préoccupation concerne la participation des habitants à la vie locale. Chacune voit bien que cette participation représente une des conditions de sortie de la crise urbaine, et chacun sait bien qu'elle est encore trop souvent insuffisante. L'État n'a pas, en cette matière, à se substituer aux élus : il lui revient, en revanche, de stimuler et de soutenir les initiatives d'animation et d'association des habitants à la vie locale.

J'ai donc décidé de proposer au gouvernement un ensemble de mesures destinées à conforter l'action engagée dans ce sens et à lui donner une dimension nouvelle dans plusieurs domaines.

Ces propositions concernent en premier lieu l'association des habitants aux opérations du développement social urbain, leur participation à l'élaboration de projets et à la dynamisation de la vie dans les quartiers.

Les habitants des quartiers n'ont pas aujourd'hui les moyens suffisants pour être parties prenantes de cette politique. C'est pourquoi je vais proposer au gouvernement que 1 % au moins des crédits consacrés à la politique de la ville soit dans chaque quartier attribué à ceux, associations de quartier, de locataires, sportives, culturelles, de jeunes... sans lesquelles cette politique ne peut réussir.

Il faut en second lieu soutenir les initiatives et les projets des associations, des habitants et des jeunes. D'où la nécessité de prendre les mesures nécessaires pour accélérer le versement des subventions, notamment en permettant aux préfets de faire l'avance des crédits de l'État sur de petits projets présentés localement. En cette matière nous avons pleinement tiré les leçons des opérations d'été de 1991, qui avaient permis à 5 000 jeunes de recevoir dans des délais très rapides les fonds nécessaires pour réaliser leurs projets.

Ainsi, avec Frédérique Bredin, ministre de la jeunesse et des sports, Jack Lang, ministre de la culture et de la communication, Jean-Louis Bianco, ministre des affaires sociales et de l'intégration et Martin Aubry, ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, nous avons décidé de mettre en commun nos moyens financiers. 70 milliards de francs environ seront consacrés par l'État au financement de petites projets émanant de jeunes, la coordination de cette action étant assurée par le ministre de la jeunesse et des sports, principal contributeur.

En troisième lieu, il faut faire en sorte que les locataires du logement social puissent disposer des moyens nécessaires pour étudier et discuter les propositions qui leur sont présentées par les organismes bailleurs. Dans le prolongement naturel des mesures contenues dans la loi d'orientation sur la ville, je souhaite sur ce sujet que la négociation en cours entre les fédérations d'organismes d'HLM et les associations de locataires puisse aboutir très rapidement.

Enfin, je le rappelle, le gouvernement a décidé de mettre 120 MF à la disposition des préfets pour renouveler en profondeur les services publics dans les quartiers. Il est clair que ces actions ne pourront avoir leur pleine dimension que si elles associent étroitement les usagers au fonctionnement de ces services.

Je le disais il y a quelques minutes, 1991 a vu l'irruption de la ville et de l'aménagement du territoire dans le débat public.

1992 va être une année à la fois électorale et pré-électorale – bref, une année de débat politique entre les Français. Mon ambition – et vous allez voir qu'elle est vaste ! – est que ces débats se rejoignent et se confondent, en une réflexion sur l'avenir de nos territoires, de nos villes, de nos campagnes, de nos régions, et sur la nature et le contenu du projet collectif que nous pouvons construire. Mon vœu est que la presse contribue à cette ambition par le témoignage et l'analyse, en montrant les réalités et les enjeux comme elle a su le faire en 1991.