Texte intégral
Q. : Tout va-t-il se jouer sur la flexibilité, c’est-à-dire l’annualisation du temps de travail et la modération des salaires s’agissant du passage aux 35 heures hebdomadaires de travail au 1er janvier 2000 ? Commencent cinq, à six mois de négociations entre les partenaires sociaux avant le vote, vers le mois de mars au Parlement, de la première loi-cadre, celle consistant à impulser les 35 heures. Dans leur majorité, les Français sont favorables aux 35 heures : 63 % les approuvent selon un sondage Ifop pour Le Journal du Dimanche publié hier, mais ils sont aussi 56 % à douter de l’efficacité de cette mesure pour lutter contre le chômage. C’est dire s’ils mesurent l’étroitesse de la marge de négociations. Le patronat, qui tient aujourd’hui son conseil exécutif; est sur le sentier de la guerre. Les syndicats sont satisfaits, pour certains, tels FO très mesuré : M. Blondel n’est pas pour les 35 heures payées 39, disait-il hier soir sur TF1. Une réforme sociale réussira-t-elle qui singulariserait le pays dans l’espace européen qui nous observe, ce matin, avec scepticisme. En ligne à Luxembourg le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Serait-ce une loi-cadre, qui fait hurler le patronat, contre la flexibilité que l’on va négocier dans les six mois ?
R. : « Le schéma que L. Jospin a proposé est un schéma dans lequel il y a une loi d’orientation et d’incitation qui sera votée dans les premiers mois de 1998 et qui dira : notre objectif, c’est les 35 heures au 1er janvier 2000 et voilà les différentes incitations financières que nous mettons en place pour aider les entreprises à faire ce passage. Et puis, une deuxième loi, qu’on a appelé un peu une loi-balai qui interviendrait vers la fin de 1999 et qui définira les conditions réelles de passage selon la situation économique et L. Jospin a été très clair : si la situation économique n’est pas bonne, si les entreprises ne vont pas bien, évidemment il faudra trouver des modalités qui seront un peu différentes de celles que si la situation est parfaite. »
Q. : Pour parler clair : ces modalités, est-ce, oui ou non, de la flexibilité ?
R. : « J’avais l’impression que c’était très clair : non, ce n’est pas de la flexibilité mais c’est, par exemple, le taux des heures supplémentaires. Selon que les heures supplémentaires sont plus ou moins chères, la contrainte est plus ou moins forte. En réalité, ce que L. Jospin a voulu, c’est que la situation soit la plus pragmatique possible, la plus économique possible, tenant le plus compte possible des problèmes de compétitivité des entreprises et c’est pour cela qu’il dit dans son discours : c’est à la fin 1999, quand il y aura des accords de signes, c’est-à-dire maintenant dans deux ans, deux ans et demi, que l’on verra les conditions exactes du passage à la durée légale de 35 heures. »
Q. : Mais va-t-on parler dans les mois qui viennent de l’annualisation du travail ? Va-t-on parler de la modération salariale ?
R. : « L. Jospin en a parlé directement de la modération salariale. Il dit : les conditions de réussite des 35 heures pour que cela crée des emplois, il faut qu’il y ait une progression maîtrisée des salaires. Il l’avait déjà dit plusieurs fois. En effet, personne ne dit qu’il faut, demain matin, 35 heures payées 39. Cela n’a pas de sens. Si l’on veut que la réduction du temps de travail ait des effets, il faut cette progression maîtrisée du travail, mais il faut que chacun garde bien à l’esprit le fait que même après le 1er janvier 2000, c’est la durée légale qui change. Les entreprises et leurs salariés dans leurs discussions syndicales régulières restent libres de fixer la durée effective du travail. C’est la durée légale qui est en cause et je pense que la voie qui a été choisie est la voie, je vous le disais, la plus pragmatique. Je crois que vraiment les Français ne comprendraient pas que le patronat privilégie une ligne dogmatique, un peu idéologique alors que ce que propose le Gouvernement c’est ce qu’il y a, aujourd’hui, de plus pragmatique, de plus concret possible. »
Q. : On a quand même l’impression que le mot, décidément, de flexibilité continue soit de faire peur soit de déranger. Néanmoins, sans flexibilité, est-ce qu’on pourra avec les 35 heures réduire le chômage ?
R. : « Le mot de flexibilité, parlons-en, dans notre pays a acquis des caractéristiques défavorables. C’est-à-dire qu’on y voit le moyen de traiter les salariés dans de mauvaises situations. Si on veut dire par là qu’il faut dans l’organisation du travail plus de souplesse, nous le disons nous-mêmes. D’ailleurs, tous ceux qui ont travaillé sur la réduction du temps de travail disent clairement, les économistes disent : pour que cela permette des emplois, il faut permettre une réorganisation du travail, il faut que cela conduise dans l’entreprise à une organisation différente qui fait apparaître des gains de productivité et c’est grâce à cela que la réduction du temps de travail permet de créer des emplois. Donc, je suis absolument de cet avis : il faut plus de souplesse. Et c’est pour cela que cela doit se faire entreprise par entreprise. C’est une négociation qui doit être très décentralisée et qui permet de fixer un équilibre qui dépend des caractéristiques de l’entreprise. L. Jospin le dit lui-même. Et c’est en ce sens que ce qui est vraiment important maintenant c’est la négociation entre les partenaires sociaux dans chaque entreprise quelle que soit la position des appareils.
Ce qu’il faut que le pays voit, c’est que s’il veut s’engager dans cette direction, certains dans certaines entreprises le voudront, d’autres ne le voudront pas mais que ceux qui le veulent et qui veulent bénéficier des aides que le Gouvernement met en place pour les y inciter négocient entreprise par entreprise. »
Q. : Est-ce que comme pour le budget, nous en parlions ensemble, il n’y a pas si longtemps, la marge de manœuvre a été très étroite. Car au fond, il y a d’un côté les engagements politiques – ceux qui avaient été pris pendant la campagne par M Jospin – et puis il y a ce réalisme dit de gauche que vous défendez aujourd’hui ?
R. : « Oui, la marge était étroite mais pas simplement pour les raisons que vous dites. La marge était étroite parce que nous sommes convaincus que dans notre pays il faut remettre en marche la baisse du temps de travail. On citait l’autre jour, sur vos antennes les Pays-Bas, l’Allemagne qui ont un temps de travail plus faible que le nôtre et la question qui se pose est : est-ce qu’on peut le faire seul ? Bien sûr que non. On doit le faire avec les partenaires et ce sont les syndicats et le patronat qui doivent négocier. Mais comme le dit L. Jospin dans Le Parisien, ce matin le CNPF n’a pas laissé beaucoup de choix puisque depuis plusieurs semaines il est parti un peu en guerre sur l’idée même avant la négociation, si bien, qu’en effet, la voie était étroite. Je crois très sincèrement que le texte de L. Jospin, celui qu’il a lu devant les partenaires sociaux après une journée entière de négociations qui s’étaient plutôt bien passées, est un texte qui, à la fois, affirme nos principes – nous voulons aller dans cette direction – mais qui le fait de la manière la plus souple possible puisqu’il dit : c’est en cette fin 1999 qu’on en fixera les conditions effective en fonction de la situation des entreprises à ce moment-là. »
Q. : C’est sur le terrain politique que cela a bloqué parce que c’est quand il a entendu « loi-cadre » que M. Gandois a dit : on est en guerre.
R. : « M. Gandois ne peut pas avoir entendu « loi-cadre », puisque L. Jospin a parlé d’une loi d’orientation et d’incitation ce qui d’ailleurs est la formule même que M. Gandois souhaitait. Et de toutes façons, des discussions qui avaient eu lieu pendant les semaines précédentes, car vous pensez bien qu’une négociation de ce genre cela se prépare, cela se discute, on n’arrive pas le matin en ne sachant pas ce que les autres vont dire, il y a eu des semaines de discussions qui ont été menées et donc personne ne pouvait ignorer quel était le cadre général dans lequel on se fixait. Mais si, comme vous le dites, la réaction a été de nature politique, alors il faut s’interroger sur les raisons pour lesquelles les entreprises feraient de la politique. Je ne crois pas pour ma part. Je crois qu’il faut continuer à expliquer que sans doute il y a eu quelques malentendus dans la compréhension, il faut continuer à expliquer que ce dispositif est un dispositif qui concilie notre objectif – aller vers les 35 heures pour le 1er janvier 2000 – et la compétitivité des entreprises et que ceci, j’en suis sûr, se réglera dans la discussion entreprise par entreprise. Ce qu’il faut pour que cela réussisse c’est une mesure qui soit aussi décentralisée que possible, qui soit aussi proche du terrain que possible. Parfois c’est atelier par atelier que la réduction du temps de travail peut se faire. Certainement pas au niveau national, globalement. Et c’est pour cela que nous disons : c’est un objectif pour dans deux ans et demi et puis on verra encore à ce moment-là la façon dont on le fera. Ce qu’il faut, c’est que, dès maintenant, pour créer des emplois, vous vous engagiez dans cette négociation et c’est pour cela qu’un dispositif financier, d’appui, de soutien est mis en place. »
Q. : Alors, on a bien entendu la souplesse. Un mot tout de même : on parle des entreprises privées. S’agissant du public, demain s’ouvre le Conseil supérieur de la fonction publique. Pour les 35 heures, l’État-patron ne donne pas l’exemple.
R. : « On parle d’entreprises privées et on ne parle pas vraiment de toutes puisque, comme vous l’avez noté, cela ne concerne pas les petites entreprises. L. Jospin a dit : au moins celles qui ont moins de 10 salariés ne devront pas être concernées. Peut-être qu’une autre borne plus élevée est à négocier avec les partenaires sociaux. Reste la fonction publique dans laquelle vous l’avez dit une discussion va s’engager sur les conditions de travail, les salaires et je pense, en effet, que cette question du temps de travail sera aussi abordée. Mais c’est évidemment un problème qui est de nature différente dans la fonction publique et dans les entreprises privées et c’est pour cela que nous avons tenu à distinguer les deux objectifs. »
Q. : Je voudrais préciser; tout de même, s’agissant de M. Blondel : il est pour les 35 heures payées 39 mais cela n’est pas sa priorité. C’est une nuance importante. Il vient de me faire passer un petit mot. C’est vrai qu’il était précis hier soir sur TF1. Il fallait lui rendre la précision de ses propos.