Interview de M. François Hollande, premier secrétaire délégué du PS, à RTL le 8 septembre 1997, sur le refus du gouvernement de privatiser Air France et la privatisation partielle de France Télécom.

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Circonstance : Annonce, par M. Christian Blanc le 5 septembre 1997, au lendemain d'un entretien avec le Premier ministre, de son départ d'Air France au terme de son mandat en fin septembre

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

O. Mazerolle : Concernant Air France et le départ de Christian Blanc : qui est le mieux placé pour apprécier la stratégie d’une entreprise, le patron qui a empêché cette entreprise de tomber en faillite ou bien le gouvernement ?

F. Hollande : L’actionnaire, qui n’est quand même pas le plus mal placé pour savoir quel est le bon avenir pour une entreprise qu’il contrôle aujourd’hui, qu’il veut contrôler demain. C’est-à-dire qu’il aurait été normal que Christian Blanc fasse valoir son point de vue aussi longtemps qu’il n’était pas au courant de la volonté de l’État actionnaire à la fois bien sûr d’ouvrir et de faire des alliances mais en même temps de maîtriser ce processus dans un environnement que chacun connaît, qui est extrêmement difficile, qui est l’environnement du marché aérien. Donc je crois que, dans cette affaire, l’État a joué son rôle, c’est-à-dire le rôle de l’État actionnaire.

O. Mazerolle : C’est une décision politique ?

F. Hollande : Non, c’est une décision industrielle, je dirais. C’est-à-dire qu’il était bon qu’on soit d’accord au gouvernement, et on l’a été sur la nécessité d’alliance. Cela n’allait pas de soi pour tous les partenaires mais en même temps, tout le monde a compris qu’il fallait ouvrir cette entreprise, lui permettre d’assurer son développement et je pense qu’une fois que cette décision a été prise, l’État actionnaire était en droit de faire prévaloir son point de vue.

O. Mazerolle : Les alliances internationales sont absolument indispensables pour Air France dans ce cadre de compétition que vous évoquiez. Or Édith Cresson, qui est socialiste, dit que les Anglo-saxons vont être satisfaits de voir la France s’affaiblir ?

F. Hollande : Je pense qu’effectivement, au niveau européen, puisque Édith Cresson et surtout commissaire de la Communauté européenne…

O. Mazerolle : Et membre du PS aussi.

F. Hollande : Et membre du Parti socialiste, mais surtout agissant en tant que commissaire européen. La communauté européenne veut la libéralisation totale du marché aérien, veut l’ouverture totale des entreprises européennes par rapport au marché mondial. Cela, c’est une volonté. Nous, il est normal qu’on essaie de protéger aussi ce que l’on appelle le pavillon français, en l’occurrence Air France, c’est-à-dire jouer bien entendu la compétition – il n’y a pas d’autre alternative – mais en même temps essayer de conduire ce processus. Si Air France avait été une entreprise extrêmement prospère, extrêmement dynamique, sortie depuis longtemps de ce que l’on appelle son redressement, alors peut-être toutes les hypothèses auraient été possibles. Mais aujourd’hui, on n’est pas sûr qu’Air France soit sortie complètement de ce redressement.

O. Mazerolle : Et quand Michel Rocard recommandait de ne pas suivre les communistes au nom du dogmatisme ou de la doctrine ?

F. Hollande : Je crois que là, il a fait une erreur d’interprétation, je ne pense pas de tout qu’il y ait eu de marchandage quelconque. Ce qui a vraiment été le point fondamental pour le gouvernement, ça a été : quel est le bon avenir pour Air France ? Et, en l’occurrence, je trouve quand même assez salutaire pour le pays que des communistes, des socialistes, enfin bref, qu’au-delà de toute idéologie, on se soit mis sur ce seul créneau-là : qu’est-ce que l’on peut faire pour Air France ? Et ce que l’on devait faire pour Air France, c’était assurer son développement à travers des alliances – et personne n’a contredit de ce point de vue-là le ministre de l’Équipement – et en même temps, assurer une maîtrise du processus à travers la présence de l’État.

O. Mazerolle : Les socialistes sont vraiment honnêtes sur les privatisations ? Il y a eu tellement de déclarations contradictoires depuis six mois de la part du PS, y compris de vous-même ailleurs ?

F. Hollande : Je crois qu’il faut sortir de l’idéologie, dans ces histoires-là et essayer de savoir ce qui est le mieux pour les entreprises publiques, ce qui est le mieux pour le contribuable, ce qui est le mieux pour l’État français, c’est-à-dire au sens de celui qui protège les intérêts du pays. Et je crois que, à partir de là, quand on pose ces principes-là, quand on fixe cette perspective-là, alors les décisions pour Air France, les décisions de France Télécom s’expliquent beaucoup mieux.

O. Mazerolle : Vous-même, précisément, pendant la campagne électorale, avec Dominique Strauss-Kahn, Pierre Moscovici, vous aviez expliqué qu’il n’était pas possible d’envisager la privatisation, même partielle, de France Télécom parce que ça serait renier les principes mêmes du service public. Alors donc, finalement, sur France Télécom, le gouvernement fait le contraire, il privatise partiellement. C’est parce qu’il fait le contraire sur France Télécom que vous ne pouvez pas aller plus loin sur Air France ?

F. Hollande : Non, je crois que les deux dossiers n’ont pas grand-chose à voir. Pour Air France, il s’agit d’assurer le développement d’une société qui n’est pas encore sortie du noir et pour France Télécom, il s’agit d’une société extrêmement prospère qui a besoin absolument d’un développement international.

O. Mazerolle : Pourquoi avoir dit le contraire pendant la campagne ?

F. Hollande : Pour l’ouverture du capital de France Télécom – puisque c’est cela le sujet –, je reste convaincu que cette ouverture doit être très limitée et ne peut être acceptée – vous voyez que j’essaie de trouver là une cohérence par rapport à ce que l’on disait hier – que si le service public non seulement est préservé mais est développé. Et je pense que les socialistes feront prévaloir ce point de vue. Pourquoi pas une ouverture du capital, mais elle doit être très limitée, il faut que le service soit développé, il faut qu’il y ait une modification de la loi sur la régulation des télécommunications parce qu’elle a mis à mal l’opérateur principal qui est France Télécom. Et enfin, il faut que le dialogue social dans l’entreprise soit retrouvé. Donc, si ces conditions-là sont respectées, pourquoi pas une ouverture très partielle du capital de France Télécom, à la seule condition que cela permette une stratégie industrielle, des alliances, un renforcement de France Télécom. C’est cela l’idée, ce n’est pas d’aller chercher de l’argent sur le marché financier.

O. Mazerolle : Sur Air France, la victoire est d’avoir amené les communistes à accepter une ouverture partielle du capital ?

F. Hollande : Non, je pense que la victoire, ça va être d’assurer l’épanouissement d’Air France dans un environnement très concurrentiel. Et vous savez, je crois que, quand on a voulu laisser penser qu’il y a eu des marchandages, qu’on comprenne bien ce qui s’est produit au gouvernement : un ministre de l’Équipement communiste a dit : oui, moi je suis pour les alliances, pour l’ouverture par le statu quo. Je crois qu’on ne pouvait pas lui faire le moindre procès d’idéologie pour ce qu’il a dit dans cette affaire et c’est en ce sens que monsieur Blanc complètement trompé.

O. Mazerolle : C’est une révolution culturelle, un communiste qui dit oui, même à l’ouverture partielle ?

F. Hollande : Oui, mais en même temps, il y a aussi de la cohérence chez nos amis communistes, comme chez nous, de faire que l’État reste présent dans ce processus-là, de ne pas désengager l’État. Je suis très frappé quand on entend des gens comme monsieur Léotard qui veulent tout privatiser – il n’est pas le seul, monsieur Balladur aussi. Je crois qu’il faut qu’ils comprennent que la privatisation pour la privatisation, c’est du dogmatisme et de l’idéologie.

O. Mazerolle : L’ouverture du capital jusqu’à 49 % pour Air France, c’est possible ?

F. Hollande : Je crois que c’est possible.

O. Mazerolle : Y compris avec des alliances internationales ?

F. Hollande : Oui, je pense que, d’abord, il va y avoir une part qui va être effectivement ouverte pour les alliances internationales, aussi une part pour le personnel. Donc, je crois qu’on est capable d’assurer cette transition-là et je pense qu’il est très important – et le ministre de l’Équipement a eu raison – que l’État dans cette phase-là garde la maîtrise du processus.

O. Mazerolle : Et la privatisation ultérieurement, ce n’est pas un tabou impossible ?

F. Hollande : Non, je crois qu’aujourd’hui, il n’en est pas question.

O. Mazerolle : Mais ultérieurement ?

F. Hollande : Aujourd’hui, il n’en est pas question et je ne vois pas pourquoi ce qu’il aurait été possible de faire à travers le redressement de l’entreprise, son développement international, des alliances, il faudrait nécessairement le faire dans un cadre privé.

O. Mazerolle : Jacques Chirac, le président de la République, a manifesté ses regrets après le départ de Christian Blanc. Il ne va pas lâcher le gouvernement, il fera des commentaires à chaque occasion. On peut gouverner dans la sérénité ?

F. Hollande : On peut gouverner dans le commentaire, le président de la République a décidé de parler autant qu’il lui plaira. Tant qu’il n’empêche pas le gouvernement de gouverner, je crois que cette liberté-là doit lui être gardée, et préservée même.