Texte intégral
France-Soir : Les eurosceptiques se frottent les mains… La crise n'apporte-t-elle pas de l'eau à leur moulin ?
François BAYROU – Je pense exactement le contraire. Le 16 mars 1999, jour de la démission de la Commission, est un jour à marquer d'une pierre blanche : c'est le point de départ de la véritable démocratie en Europe. Le mouvement démocratique commencé ne s'arrêtera pas.
France-Soir : Les clés de l'Europe n'étaient donc pas dans les bonnes mains jusqu'à maintenant ?
François BAYROU – Jusqu'à hier, le pouvoir en Europe appartenais au gouvernement des États. C'est eux qui nommaient les commissaires, qui donnaient leur bénédiction à leur gestion et qui étaient responsables de toutes les décisions importantes. Et pour première fois, mardi, le Parlement européen a fait la preuve qu'il était capable, enfin, d'imposer un contrôle démocratique, même sur des faits qui peuvent paraître anodins, et d'imposer une démission à la Commission.
France-Soir : À vos yeux, Lionel Jospin et Jacques Chirac n'ont pas joué le jeu de la démocratie ?
François BAYROU – C'est le pouvoir public français, le gouvernement qui a refusé la démission d'Edith Cresson. Je ne veux pas multiplier les anathèmes. Mais je crois qu'ils se trompent et je ne les approuve pas. Je n'ai absolument pas compris pourquoi on ne demandait pas à Mme Cresson de tirer les conséquences de ses errements. Elle aurait démissionné… Cela prouve au moins que le commissaire ne dépendait pas du président de la Commission mais de son gouvernement. Et c'était un élément d'obscurité dans les institutions européennes.
France-Soir : Pourquoi cette exigence de démocratie éclate-t-elle 50 ans après le début de la construction européenne ?
François BAYROU – Parce qu'il a fallu longtemps pour que l'idée d'une démocratie fédérale s'impose. Il faut voir que le réflexe des gouvernements, les États, c'est toujours de considérer que l'Europe, c'est eux. En réalité, depuis hier, l'Europe c'est le contrôle par les citoyens des institutions européennes. Et je le redis : ce mouvement démocratique ne s'arrêtera pas.
France-Soir : Jusqu'à un président de l'Europe élu ?
François BAYROU – Oui. Jusqu'à l'élection du président de la Commission. Pour atteindre l'équilibre de toute démocratie un exécutif européen et un législatif européen qui pourront faire entendre l'expression des peuples sur les décisions européennes.
France-Soir : C'est pour quand ?
François BAYROU – Un « congrès européen » pourra élire un futur président de la Commission : j'entends, par congrès, la réunion du Parlement européens et d'une représentation des parlementaires nationaux, à égalité avec le nombre des parlementaires européens. On a 87 députés français à Strasbourg. Autant de parlementaires français rejoindraient ce congrès. En tout 1 500 environ, représentant les nations et les peuple, éliraient le président de l'Europe. Mais un jour, j'en suis certain, ce sera le suffrage universel qui s'imposera.
France-Soir : Le président de l'Europe, fera quoi ?
François BAYROU – Demain, le président élu devra être le visage de la politique étrangère de l'Europe. Il faut que le président des États-Unis, qui, pour l'instant, domine de toute sa puissance la scène du monde, ait un interlocuteur et il faut que cet interlocuteur soit l'élu des Européens. Pour moi, c'est très simple. Et c'est en même temps très fort.
France-Soir : Qui ferait un bon président ?
François BAYROU – Il y a évidemment des noms très souvent évoqués. On a parlé d'Helmut Kohl. Je ne sais pas si cela l'intéresse bien que je pense qu'il veuille s'occuper de l'Europe dans l'avenir. On aurait pu imaginer des personnalités comme Giscard. Une personnalité comme Prodi pour qui j'ai beaucoup d'estime. C'est un homme qui pourrait rallier les suffrages de tous, du centre gauche, et du centre droit.
France-Soir – Et la nation très en vogue en ce moment. Que deviendra-t-elle ?
François BAYROU – C'est une dimension essentielle. C'est l'identité, la culture, l'équipement, le social de proximité tout cela est gérer au niveau national et régional. Parce que l'Europe exige plus de proximité et pas moins de proximité. Il faut un double déplacement, un déplacement d'un certain nombre de compétences vers l'Europe parce que les grands débats économiques sont européens, les grands débats d'harmonisation sociale sont européens, et la politique étrangère et de sécurité, demain ce sera européen ; et puis il faut la proximité, c'est-à-dire la gestion au plus près du terrain. Donc la dimension nationale, non seulement elle demeure, mais l'Europe est la meilleure alliée d'une identité nationale forte. Sinon, c'est la World Company qui l'emportera.
France-Soir : Quel est le calendrier idéal pour régler la crise ?
François BAYROU – Il est inimaginable que la Commission reste en place pendant les neuf mois de la fin de son mandat. Les gens ne comprendraient pas. Je préférerais que l'on trouve tout de suite, dès le conseil de Berlin de la semaine prochaine, un grand européen indiscutable, et moralement irréprochable, qui ait la capacité de remettre de l'ordre dans les neuf mois.
France-Soir : Les partis qui voulaient recentrer leur campagne sur le plan national vont devoir, selon vous, parler de l'Europe…
François BAYROU – Ils vont être obligés de parler de l'Europe maintenant. On sait désormais à quoi servent les élections européennes. Les parlementaires européens écris, on sait désormais qu'ils contrôlent les institutions européennes et avec une rigueur extrême.
France-Soir : Avez-vous lu le rapport des Sages ?
François BAYROU – Je ne l'ai pas entièrement lu.
France-Soir – Justifiait-il la démission de la commission ?
François BAYROU – J'insiste sur cette idée : pour la plupart des faits évoqués dans le rapport, en France, il n'y aurait même pas une ligne dans les journaux. C'est la preuve des bienfaits que l'Europe va nous apporter. Nous allons bénéficier aussi de cette démarche rigoureuse qui est de par exemple celle de l'Europe du Nord, où nos facilités françaises ne sont acceptées par personne. Notre manière française d'être toujours un peu à la limite de l'entourloupe ne sera plus acceptée par personne ; ce qui nous apparaît comme une morale un peu rigide va faire beaucoup de bien à nos institutions. Désormais on ne jouera plus avec cela.
France-Soir : C'est donc la morale qui débarque en Europe ?
François BAYROU – Je suis sûr que derrière le mouvement démocratique qui ne s'arrêtera pas, il y aura aussi un mouvement moral. Je trouve que c'est très bien parce que les peuples ont besoin de respect. Ils savent qu'on leur applique des lois très rigoureuses, ils veulent que les gouvernants aient aussi le même type de loi.
France-Soir : Pourquoi le fossé n'a-t-il jamais été comblé entre l'Europe et les citoyens ?
François BAYROU – Parce que la lâcheté, et j'emploie le mot en le soulignant, des gouvernements français successifs a été de faire croire que ce qu'il y avait de désagréable à imposer aux citoyens c'était toujours la faute de Bruxelles. La vérité, et il faut que vos lecteurs le sachent, est simple : jamais une décision importante n'est prise à Bruxelles sans l'accord explicite du gouvernement français. Donc, chaque fois que l'on disait c'est la faute à Bruxelles, cela voulait dire que le gouvernement français se défilait.
France-Soir : Et vous, vous faites confiance, aux fonctionnaires de la Commission européenne ?
François BAYROU – Il est incroyable qu'on dise que les fonctionnaires sont nombreux à Bruxelles. Pour l'ensemble de tous les pays européens, il n'y a, à Bruxelles, pas même la moitié des fonctionnaires de la seule ville de Paris. C'est une administration incroyablement réduite et c'est d'ailleurs sans doute une des raisons des dérapages. Au lieu de faire assumer par les fonctionnaires un travail qui normalement relevait d'eux, on sous-traite à des agences incontrôlables.
France-Soir – Qui a intérêt à ce que l'Europe ne se fasse pas ?
François BAYROU – Il y a des forces politiques nombreuse, qui, explicitement ou implicitement, ne veulent pas que l'Europe existe parce qu'elles ont la nostalgie de l'État à la française, pas de la nation, de l'État à la française. Pour moi, l'État à la française c'est un État qui gouverne mal, parce qu'il est trop petit. Trop petit pour faire face aux États-Unis, aux multinationales ou aux grands intérêts financiers de la planète.
France-Soir – Faut-il désormais rédiger une constitution européenne !
François BAYROU – Pour moi, c'est essentiel. Pourquoi cette Europe est-elle obscure et opaque ? Parce que c'est une Europe pour spécialistes et de Traités. Il faut une constitution comme nous en avons une en France, c'est-à-dire un texte que tout le monde puisse lire pour savoir quels sont les dirigeants, comment ils sont choisis et comment le citoyen participe à ce choix. Si nous faisons cela, les choses auront changé.