Texte intégral
La Tribune : Le traité d’Amsterdam que vous signez aujourd’hui n’est-il pas une coquille vide ? L’auriez-vous signé si votre gouvernement l’avait négocié ?
Hubert Védrine : Tout traité européen est le résultat d'un compromis. Sauf à imaginer que l'on aurait pu mener très différemment dès l'origine la conférence inter-gouvernementale, il n'y a pas lieu de s'étonner du résultat. Le fait est, les Quinze n'étaient pas prêts à des avancées institutionnelles plus importantes. Résultat : lorsque nous sommes arrivés aux affaires, tout était joué. Au sommet européen d'Amsterdam, le nouveau gouvernement s'est alors concentré sur le problème du pacte de stabilité et a obtenu des engagements - à concrétiser - sur la future coordination des politiques et sur l'emploi. Dans le domaine institutionnel, nous voulions aller nettement plus loin, mais il faut reconnaitre que le traité d'Amsterdam comporte des points positifs, notamment les « coopérations renforcées », qui permettent aux pays qui le souhaitent d’avancer plus vite.
La Tribune : Reste que les institutions et les mécanismes décisionnels de l'Union n’ont pas été réformés et ne permettent donc pas d'accueillir dans de bonnes conditions de nouveaux membres…
Hubert Védrine : Pas encore. C’est la raison pour laquelle la France s’est associée, avec l’Italie, à la déclaration proposée par la Belgique qui pose comme préalable à la conclusion des premières négociations d’adhésion le renforcement des institutions et le perfectionnement des mécanismes décisionnels. Nous avons estimé que, compte tenu des attentes d'une partie de l'opinion française, il fallait expliquer qu'Amsterdam n'était qu'une étape : il faut à la fois, « engranger » les acquis de cette négociation et continuer à travailler sur les questions institutionnelles qui n'ont pu être encore réglées. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, et moi l'avons déjà dit plusieurs fois. Trois ou quatre autres pays - l'Espagne, l'Autriche, la Finlande et même le Royaume-Uni - partagent une partie de ces considérations mais n'ont pas voulu s'associer à cette déclaration pour différentes raisons. Quant aux Allemands, ils entendent pour le moment se concentrer sur l'euro. Mais, tout cela n'est pas que l'affaire des gouvernements parfois contraints à des prudences. Que tous ceux qui veulent une Europe forte, rayonnante, utile aux Européens et au monde se mobilisent.
La Tribune : Mais l'Allemagne n'est-elle pas tout simplement le seul pays à souhaiter vraiment un élargissement rapide de l'Union ?
Hubert Védrine : Non, elle n'est pas le seul. Il faut comprendre que l'élargissement est une question très importante pour les Allemands, pour des raisons géographiques et historiques. À Paris, nous mettons l'accent sur l’importance d’une bonne préparation de ces élargissements, pour que l’Union puisse continuer à fonctionner après, et parce qu’il est de l’intérêt des pays candidats aussi d’adhérer à une Europe qui marche. À partir de là, la discussion est ouverte, on doit en parler et s’expliquer. Non seulement avec les pays membres qui n’ont pas souhaité s’associer à cette démarche, mais aussi avec les pays candidats. Car, si pour cause d’élargissement mal préparé, l’Europe se retrouvait dans l’incapacité de prendre des décisions et d’avoir des politiques communes, les pays candidats auraient conclu un marché de dupes.
La Tribune : La proposition française d'une grande conférence européenne incluant tous les candidats à l'Union n'est-elle pas une façon de se démarquer de la Commission qui propose d'ouvrir les négociations avec six pays ?
Hubert Védrine : Non, puisque la Commission elle-même reprend à son compte cette idée de conférence. Elle a fait, par ailleurs, sur l'ouverture des nouvelles négociations d'élargissement, des propositions sur lesquelles le Conseil européen devra se prononcer en décembre. Sauf sur Chypre, où il y a déjà un engagement, il pourra reprendre la liste de la Commission (NDLR : Pologne, Hongrie, République Tchèque, Estonie, Slovénie) ou la modifier.
La Tribune : Il n’y a pas encore consensus sur cette liste ?
Hubert Védrine : Pas tout à fait, quoique l'étude de la Commission soit sérieuse. C'est pour ne pas créer de nouvelles fractures en Europe que nous souhaitons que l'ensemble des pays membres et l'ensemble des pays candidats – y compris la Turquie – soient réunis dans une conférence. Il ne s’agit pas de commencer à négocier avec tous ces pays candidats, rappelons-le, puisque, dans de nombreux cas, ils n’y sont prêts ni politiquement ni économiquement. Mais l'Union européenne est un pôle dont il faut préserver le pouvoir d'attraction et d'incitation à la modernisation. La France va faire des propositions à ses partenaires sur cette conférence. Nous souhaitons qu'elle ait lieu au début de 1998, avant le début des négociations d'élargissement avec les quelques pays retenus. Personne ne sait a priori combien de temps elles dureront ni à quel rythme elles avanceront. On peut tout imaginer, même le fait que les négociations avec certains pays s'avèrent si compliquées qu'avant leur conclusion, d'autres négociations s'ouvrent avec d'autres pays qui, entre-temps, se seraient assez préparés. Nous verrons. Le principal est que les négociations soient bien menées pour que l'ensemble soit réussi et que l'Europe se renforce.
La Tribune : Longtemps partisan d'une Europe fédérale, le gouvernement allemand semble, depuis Maastricht, se démarquer de plus en plus de cette approche. Comment l'expliquez-vous ?
Hubert Védrine : Vous trouvez ? De toute façon, l'Allemagne a prouvé à ses partenaires son adhésion sans équivoque à l'idée européenne. A-t-elle encore besoin d'en « rajouter » ? Personne ne peut plus mettre en doute ses sentiments pro-européens. L'Allemagne réunifiée est un grand pays qui défend ses intérêts comme les autres, sans complexe. Les Allemands font en outre l'acte de dépassement de souveraineté le plus frappant en acceptant le passage du mark à l'euro. Alors, pas de procès sur un plan institutionnel ! Ils ne sont pas européens à la mode des années 50 ? L’essentiel est d'avancer avec les pays tels qu'ils sont, nous comme les autres.
La Tribune : Pourquoi le gouvernement français a-t-il choisi d’irriter ses partenaires en fixant à 3,1 % du PIB – et non 3 % - son objectif de déficit public pour 1997 ?
Hubert Védrine : Puisque nos calculs donnent 3,1 %, pourquoi faudrait-il les truquer ? Je n'ai, d'ailleurs, perçu aucune « irritation » de nos partenaires vis-à-vis de ces prévisions - délibérément prudentes - faites dans l'état actuel de nos informations ! L’essentiel est l'engagement de la France d'être en 1998 au rendez-vous de l'euro dans les mêmes conditions que ses partenaires. L'euro se fera à la date et dans les conditions prévues par le traité. J’ai parlé à ce sujet de « choc fédérateur » et bien au-delà du domaine monétaire ; cet immense acte politique, dans le plus haut sens du terme, donnera un coup de fouet à l'Europe.