Texte intégral
Catherine Tasca : "Mes priorités pour 1992"
Extension de Canal France international en Europe de l'Est et en Asie, de TV5 en Afrique, de RFI sur la FM, mise en place de la Fondation Écrans du Sud : tels sont les principaux axes fixés par le ministre délégué à la Francophonie pour l'action audiovisuelle extérieure.
C'est la première fois, depuis son arrivée au ministère délégué à la Francophonie, en mai dernier, que Catherine Tasca s'exprime globalement sur sa politique en matière d'action audiovisuelle extérieure. À la tête de la direction de la communication du Quai d'Orsay, où elle coordonne désormais à la fois l'action télévisuelle extérieure, secteur précédemment dévolu à Alain Decaux, et l'action radiophonique extérieure, qui relevait auparavant de Thierry de Beaucé, l'ancien ministre délégué à la communication développe, en exclusivité pour Le Figaro, les priorités qui sont les siennes en cette année 1992. Et ce au lendemain du troisième Conseil audiovisuel extérieur de la France (Caef), qui s'est tenu mercredi, à Matignon, sous la présidence du Premier ministre. Les crédits publics consacrés, cette année, à cette politique sont fixés à 1,5 milliard de francs, dont 950 millions de francs pour la télévision (+ 17 % par rapport à 1991) et 560 millions de francs (+ 10 %) pour la radio.
Le Figaro : Quelles sont les priorités définies, en matière d'audiovisuel extérieur, par ce troisième Caef, qui s'est tenu mercredi ?
Catherine Tasca : Pour 1992, la Caef a confirmé la nécessité de bien situer et d'affirmer nos priorités géographiques. Ce qui n'est jamais simple, puisque toutes les parties du monde nous intéressent, du strict point de vue de nos intérêts de politique étrangère, en matière de rayonnement culturel et linguistique. Mais nos moyens ne sont pas inépuisables. Et un certain nombre de pays se trouvent aujourd'hui en première ligne, du fait même des évènements internationaux considérables qui se sont produits ces dernières années, sur les plans politiques et économique, et qui ont créé un véritable appel d'air. Je pense notamment à l'ensemble des pays d'Europe centrale et orientale, ainsi qu'aux pays du Maghreb et du continent africain. Sans oublier la réapparition, sur la scène internationale, du Vietnam, du Cambodge et du Laos. Ce qui n'exclue pas que nous cherchions aussi à agir dans d'autres parties du monde, en Amérique latine par exemple.
Le Figaro : Comment cela se traduit-il en termes de contenu ?
Catherine Tasca : En 1992, nous privilégions, pour Canal France international (CFI), la fonction de banque de programmes approvisionnant en images les diffuseurs publics nationaux, en dehors de sa première aire d'influence, qui est l'Afrique. Sur ce sujet, je travaille en collaboration étroite avec Edwige Avice, le ministre de la coopération et du développement, puisque nos ministères cofinancent CFI. L'Europe centrale et orientale et les pays d'Indochine constituent des zones nouvelles d'action pour la France, dans lesquelles CFI s'intercale très efficacement entre les situations antérieures de monopole de la télévision d'État et la gestation, lente et difficile, des audiovisuels nationaux, avec l'arrivée d'opérateurs privés et étrangers.
Le signal de CFI, diffusé par satellite, et dans lequel chaque radiodiffuseur local peut piocher selon son désir, se révèle être un excellent vecteur là où prévaut un manque flagrant de programmes, comme en Europe de l'Est et en Afrique. Il en va de même pour les pays de la péninsule indochinoise, où les années de guerre ont coupé les générations nouvelles de leur passé francophone. Il s'agit de les réalimenter en programmes dans notre langue. Je me rendrai d'ailleurs prochainement au Laos, au Vietnam, où, depuis mars 1991, le signal de CFI est disponible, ainsi qu'au Cambodge, ou j'inaugurerai une station de réception pour CFI.
Également tournée vers l'extérieur : la chaîne TV5. Elle a la particularité d'être le premier outil audiovisuel francophone multilatéral, puisqu'elle associe des diffuseurs québécois, belge, suisse et français. Le Caef a dressé un bilan très positif de l'évolution de TV5 depuis 1989. Et nous lui assignons une mission nouvelle très importante pour 1992, qui est la diffusion de son signal en Afrique. Celle-ci doit s'accompagner de la montée en puissance progressive de programmes originaux en provenance des pays du Sud au sein de la grille de TV5. Cette extension avait été proposée par la chaîne dès l'automne 1991, et elle a été consacrée, en novembre dernier, par le Sommet francophone de Chaillot. Ce qui n'exclut pas, toujours pour TV5, un projet d'extension vers l'Amérique latine, via TV5 Québec-Canada : des négociations en ce sens sont en cours avec les câblo-opérateurs de plusieurs pays latino-américains.
Autre opérateur dans ce paysage audiovisuel extérieur de 1992 : la chaîne culturelle franco-allemande, dont le pôle français est la Sept. Nous sommes là à une période charnière. Le dernier Caef a acté la reconduction, pour le premier semestre de cette année, des accords de partenariat passés depuis un an et demi avec différents opérateurs d'Europe de l'Est, tant en matière de diffusion qu'en matière de coproduction.
Le Figaro : Et où en est l'européanisation de la chaîne culturelle franco-allemande ?
Catherine Tasca : Si le gouvernement a soutenu, en particulier financièrement, ces contrats ad hoc avec des partenaires en Europe orientale, c'est précisément dans la perspective de planter les jalons d'une coopération qui doit déboucher, à terme, sur un élargissement de cette chaîne au-delà du binôme franco-allemand. La réflexion commune doit également s'ouvrir, avec les Espagnols, les Italiens, et bien d'autres, sur ce que pourrait être une chaîne culturelle réellement européenne. Pour terminer le panorama de nos actions en matière télévisuelle, je rappellerai, pour mémoire, la diffusion d'Antenne 2 en Italie et en Tunisie.
Dans ce pays, depuis décembre dernier, nous émettons de 9 heures du matin à minuit ou 1 heure du matin, et non plus seulement à partir de 14 heures. Nous y développons également des projets de programmation commune – il y aura une grande journée tunisienne sur Antenne 2 le 29 juin –, de coproductions et de formation des techniciens de la télévision tunisienne. Antenne 2 reste également présente aux États-Unis, ponctuellement, pour la diffusion de son journal de 20 heures à New York et à Chicago.
Le Figaro : Et quels sont les objectifs fixés par le Caef pour la radio extérieure en 1992 ?
Catherine Tasca : D'abord, je suis très heureuse de la décision du Premier ministre de regrouper enfin, après des années de tâtonnements, les deux secteurs de la télévision et de la radio, comme je le lui proposais. Car il est essentiel d'avoir une vision d'ensemble pour mener une politique audiovisuelle extérieure cohérente. Or la radio joue souvent un rôle moteur : d'une part, il est plus simple d'implanter des entreprises de télévision, et, d'autre part, l'impact de ce média est énorme auprès des populations, notamment en Afrique.
Du côté public, l'outil majeur est naturellement Radio France internationale (RFI). Je ne viens pas sur tout le travail effectué en Europe de l'Est, depuis la chute du Mur de Berlin, et au Proche-Orient, à l'occasion de la guerre du Golfe. Les faits nouveaux sont à la stratégie de RFI sur la FM, à la fois à Paris et à l'étranger, dans certaines capitales avec une fréquence à Dakar, au Sénégal, et plus récemment à Cotonou, au Bénin. Pour 1992, cette montée en charge sur la FM est très importante, ainsi que les extensions prévues en Asie, notamment à travers l'implantation, que j'espère prochaine, d'un centre de réémission en ondes courtes en Thaïlande, qui permettra de couvrir une zone allant de la côte est de l'Afrique à l'Asie en passant par le sous-continent indien.
Nous devons, en outre, faire une proposition aux Berlinois, d'ici à la fin mars, pour l'utilisation de la fréquence qui était affectée à la France et qui était destinée à nos forces armées stationnant sur place. Nous avons donc demandé à RFI et à Radio France, à travers ses diverses antennes que sont France Inter et France Culture, de concevoir ensemble un programme combiné, qui devrait être diffusé à Berlin dans le courant de cette année. Cela nous permettra de voir ce que peut être, dans une grande capitale européenne non francophone, un programme français. Et cela tout en testant des formes nouvelles de coopération entre des opérateurs…
L'exigence de réciprocité
Le Caef a, par ailleurs, confirmé les orientations de l'ensemble des radios dépendant de la Sofirad : Médi 1, Somera, Africa n° 1. Une filiale française de cette dernière, société gabonaise, devrait obtenir cette année une autorisation d'émettre sur Paris, qui prolongerait l'expérience menée pendant le sommet de Chaillot. C'est important en termes de réciprocité.
Le Figaro : Et peut-on imaginer que la Sofirad participe à des tours de table, à l'occasion de la privatisation de certaines chaînes de télévision en Europe de l'Est ?
Catherine Tasca : Pour le moment, la Sofirad répond à des sollicitations en termes d'études, de conseils et d'expertises technique. Et nous l'y encourageons, comme en Tchécoslovaquie actuellement. Mais nous n'en sommes pas à envisager des implications sous forme de participation en capital. D'abord parce que, pour être présent, il faut en avoir les moyens financiers. Mais aussi, et surtout, parce que, dans la plupart des cas, la nouvelle législation de l'audiovisuel est encore en pleine invention. Et personne ne sait encore très clairement sur quelle base les choses évolueront.
Sur le fond, un axe majeur de l'action que nous entendons développer est celui de la réciprocité : étant donné l'extrême concurrence à venir dans l'audiovisuel mondial, garantir durablement la diffusion de nos programmes à l'étranger suppose d'abord que nous tissions des rapports de partenariat avec les opérateurs étrangers. Mais cela suppose aussi qu'il y ait une remontée minimale, sur nos antennes de programmes étrangers. Mais cela suppose aussi qu'il y ait une remontée minimale, sur nos antennes, de programmes étrangers. Par ailleurs, le câble me semble être le bon vecteur pour diffuser, de manière très ciblée sur le plan local, ce genre de programmes à destination de communautés étrangères vivant en France.
Le Caef a, en outre, mis l'accent sur la nécessité d'aides à la production originale dans les pays du Sud. C'est à cette stratégie que participent des opérateurs privés tels que Canal Horizons, présent depuis l'an dernier au Sénégal et bientôt en Tunisie et en Côte-d'Ivoire. Et c'est aussi le sens de la fondation Écrans du Sud, qui doit être créée cette année en collaboration avec le ministère de la coopération et du développement et avec le Centre national de la cinématographie (CNC). Son objectif est de venir épauler les mécanismes d'aides financières directes existants, en intervenant à la fois en amont de la production, par des aides à l'écriture, au repérage, à l'équipement technique. Mais aussi en aval, par des aides à la distribution et à la diffusion. Autant de maillons de la chaîne qui font le plus souvent défaut, dans ces pays du Sud. Ce qui explique que de nombreux projets de production avortent en cours de route.
Propos recueillis par Thierry Deransart