Interview de M. Michel Gillibert, secrétaire d'État chargé des handicapés et des accidentés de la vie, dans "Réadaptation" de mars 1992, sur les mesures prises pour la formation et l'intégration des handicapés, l'action de l'Agefiph et l'aide aux handicapés des pays de l'Est.

Prononcé le 1er mars 1992

Intervenant(s) : 

Média : Réadaptation

Texte intégral

"Les handicapés accidentés de la vie ne veulent pas être des reliques enfermées dans la chasse de 1975"

Par Jean Savy

Je ne révèlerai pas un secret – du moins pour ceux qui travaillent avec lui – que Michel Gillibert "un homme de la nuit" et qu'il lui suffit de trois heures de sommeil pour récupérer le travail de journées qui sont bien remplies et finissent souvent à deux heures du matin. C'était le cas pour cet entretien qu'il a accordé à notre Revue et qui nous a permis d'apprendre quelques traits moins connus de sa personnalité… Je pense à cette passion pour les oiseaux qui sont partout présents dans son appartement sous forme de statuettes, de tableaux, mais bien plus encore sur sa terrasse où vivent une bonne centaine d'oiseaux, dont deux faucons. Je pense également à une certaine liberté de ton qu'on retrouve dans cette interview et qui n'est généralement pas habituel chez les hommes politiques. Il est vrai que Michel Gillibert ne se considère pas comme un homme politique mais comme un homme de la société civile qui s'efforce de prendre les hommes tels qu'ils sont, tout en privilégiant dans sa vie l'action humanitaire. Autant d'aspects d'une personnalité attachante, aux facettes contrastée, qui nous ont permis derrière le ministre de mieux découvrir l'homme.

Réadaptation : Vous avez pris position récemment contre "le Téléthon". Pour quelles raisons ?

Michel Gillibert : Pas contre, mais pour un "Téléthon" qui ne soit pas le monopole d'une association. Moralement, le téléthon n'appartient à personne. Tout handicapé a sa douleur, mais tout handicapé a droit à l'espoir.

Ce n'est pas parce qu'un homme a eu l'idée d'importer cette émission des États-Unis qu'elle doit monopoliser tout l'élan de générosité des Français au dépit d'une seule cause. On compte selon l'INSEE, 5 130 000 handicapés en France, tous handicaps confondus.

Alors je dis bravo ! Mais il faut partager. C'est un mot de la vie, un de ceux que mon accident m'a appris. C'est pourquoi j'ai proposé qu'en concertation avec les associations et les professionnels concernés, nous réfléchissions au devenir de ce type d'émission dans le sens de l'ouverture au service de tous les handicapés.

Réadaptation : Les associations de personnes handicapées manquent généralement de moyens financiers et s'en plaignent. Ne pourrait-on pas, à l'exemple des États-Unis, pour les entreprises et les particuliers qui souhaitent financer des associations, augmenter le montant de la réduction fiscale ?

Michel Gillibert : Je vous répondrai d'abord que les comparaisons internationales dans ce domaine ne sont nullement au désavantage de la France, qui offre un dispositif assez unique d'allocations. On ne peut pour autant être satisfait de la situation actuelle. C'est pourquoi la question des ressources sera très présente dans la préparation du projet de loi que je compte présenter au gouvernement en vue de prolonger et moderniser la loi d'orientation de 1975 en faveur des personnes handicapées. Je souhaite notamment que l'on s'oriente vers un système tenant davantage compte des situations individuelles et des besoins forcément différents pour compenser plus justement les surcoûts dus au handicap et favoriser l'intégration.

D'ores et déjà, une première mesure très positive a été prise en faveur des familles ayant un enfant très lourdement handicapé, puisqu'elles peuvent, désormais, sous certaines conditions, bénéficier d'un troisième complément d'AES portant le montant total de l'allocation à 5 689 F, au lieu de 2 018 F.

Aux États-Unis comme dans l'ensemble des pays anglo-saxons, ce sont les Fondations privées qui prennent en charge une grande partie des actions en faveur des personnes handicapées. À cet effet, la législation de ces pays prévoit de consentir aux entreprises et aux particuliers des avantages importants.

À l'inverse en France, ce sont les pouvoirs publics qui prennent en charge le dossier. Ainsi, le ministère des affaires sociales y consacre plus de la moitié de son budget. Par ailleurs, il faut savoir que l'effort consenti dans le budget social de la Nation en faveur des personnes handicapées atteint 115 milliards de francs.

Réadaptation : Le budget 1992 est-il un budget qui vous satisfait ?

Michel Gillibert : Ce qui est important d'abord, c'est de pouvoir tenir les engagements déjà pris en disposant, ce qui est le cas, des crédits nécessaires aux programmes qui ont été annoncés : CAT, ateliers protégés et, sur les crédits de la sécurité sociale, poursuite du plan MAS.

Par ailleurs, j'ai obtenu une progression sensible des crédits d'équipement (près de 60 %) et des crédits destinés aux services d'auxiliaires de vie (25 %). Enfin, l'État veille à ce que tous les partenaires concernés tiennent également les engagements qu'ils ont pris en respectant les nouvelles règles qui s'imposent à eux, que ce soit en matière d'accessibilité, de transport, etc.

Sans prétention aucune, on peut dire que la France est le pays qui a le plus agi en faveur de l'intégration des personnes handicapées durant la dernière décennie. C'est à l'honneur de notre pays mais également des milieux associatifs et de tous les professionnels qui ont à cœur d'appuyer la politique d'intégration qui est la nôtre.

Le devenir de l'enfant handicapé passe par l'école

Réadaptation : Vous avez pris avec le ministère de l'éducation nationale des mesures en faveur de l'intégration des enfants handicapés. Pourriez-vous nous les rappeler ?

Michel Gillibert : Désormais si la famille d'un enfant handicapé souhaite qu'il bénéficie d'une scolarité en milieu ordinaire, elle peut s'adresser directement à l'établissement scolaire de son quartier qui a mission, a priori, d'accueillir les élèves handicapés.

Si l'accueil se révèle impossible, il revient à l'établissement scolaire de saisir la CDES. En aucun cas la famille ne doit être abandonnée à elle-même face à la responsabilité de rechercher une solution. Par ailleurs, on sort désormais du seul volontariat individuel des maîtres. C'est l'équipe pédagogique toute entière qui doit se prononcer. Enfin, dès le début de l'année 1991, des moyens supplémentaires ont été donnés pour le développement des services de soutien à l'intégration scolaire et des centres d'action médico-sociale précoce.

Je pars du principe que l'école est à la base du devenir de l'enfant handicapé, de son cursus universitaire éventuel et de sa réintégration professionnelle future.

Réadaptation : Toujours à propos de scolarité, vous avez apporté une attention particulière aux enfants lourdement handicapés (polyhandicapés, traumatisés crâniens, autistes, épileptiques…).

Michel Gillibert : Il m'est apparu urgent d'impulser une politique volontariste pour la prise en compte des besoins d'enfants très lourdement handicapés : autistes, traumatisés crâniens et épileptiques.

Pour répondre aux multiples questions posées par ces handicaps, j'ai décidé de réunir des groupes de travail composés des meilleurs experts en la matière et des associations en leur demandant de me faire des propositions concrètes pour remédier aux graves insuffisances constatées. Les groupes "autisme" et "traumatisme crânien" ont rendu leurs conclusions. Le groupe "épilepsie" a déjà des projets concrets et se réunira pour faire le point dès le début de cette année.

Pour faire avancer les choses, les lignes directrices de la politique à mettre en place sont les suivantes :
    – amélioration du dépistage ; 
    – développement des capacités d'accueil ; 
    – formation du personnel à ces handicaps ;
    – liaison entre les différents aspects de la prise en charge : éducation et soins ;
    – respect du droit des familles à être consultées et associées ;
    – multiplication des actions d'information.

Pour traduire dans les faits cette politique, des moyens financiers importants sont mobilisés. Depuis 1989, une enveloppe exceptionnelle de crédits pour l'enfance handicapée est dégagée. Elle est sensiblement augmentée chaque année. D'un montant de 65,7 millions de francs en 1991, elle a permis de financer 167 opérations. L'enveloppe sera bien entendu à nouveau disponible en 1992.

Réadaptation : Après un conflit qui l'a privée un temps de président et de Bureau, l'Agefiph vient d'élire un nouveau président. Que pensez-vous de cette élection ?

Michel Gillibert : Je ne reviendrai pas sur la réaction très nette qui avait été la mienne en apprenant que certains membres du CNPF proposaient de combler une partie du déficit de l'Unedic en utilisant des réserves constituées par I'Agefiph : l'argent de l'Agefiph revient aux handicapés et il était pour le moins malvenu de faire cette proposition sous prétexte de solidarité, alors que ce sont justement les handicapés qui ont besoin de la solidarité des Français.

Les choses sont maintenant rentrées dans l'ordre et j'ai été satisfait des premières déclarations du nouveau président de l'Agefiph, M. Bollée, dont tout me laisse à penser qu'il réunit les qualités humaines nécessaires pour présider un tel organisme.

Ceci dit, je suivrai, bien entendu, de très près les activités de l'Agefiph en recherchant avec elle comment rendre ses interventions toujours plus efficaces et totalement au service de l'intégration des handicapés et accidentés de la vie dans la formation et l'emploi.

Réadaptation : Le dernier conseil d'administration de l'Agefiph a voté un certain nombre de mesures pour étendre son champ d'action. Estimez-vous qu'il a été assez loin dans cette direction ?

Michel Gillibert : Je ne peux qu'approuver les récentes décisions d'élargissement prises par le conseil d'administration de I'Agefiph, d'autant qu'elles répondent aux attentes que le ministre du travail, Mme Aubry, et moi-même avions exprimées. Je relève notamment avec satisfaction des aides nouvelles accordées par l'Agefiph en matière d'accessibilité des lieux de travail, de transport des travailleurs handicapés vers l'entreprise, d'accompagnement social, d'aides techniques, éléments qui, avec bien sûr la formation, conditionnent la réussite de l'insertion professionnelle.

La décision d'accorder, non seulement à l'entreprise mais aussi à la personne handicapée accédant à un premier emploi, en passant du milieu de travail protégé au milieu ordinaire, une prime de 30 000 francs et la prime de 50 000 francs attribuée aux structures de travail protégé ayant favorisé le passage vont là aussi dans le sens que nous souhaitions.

Si nous voulons progresser sur le plan de l'emploi des handicapés, il ne faut plus être timides mais aller ensemble encore bien au-delà, comme nous l'avons décidé en adoptant au mois d'avril 1991 le premier plan pour l'emploi des handicapés.

C'est dans cet esprit que je souhaite inviter maintenant l'Agefiph à coopérer à nos efforts en vue d'ouvrir largement aux personnes handicapées les dispositifs de formation de droit commun tels que l'AFPA et de moderniser et de rapprocher des besoins des entreprises, les centres de rééducation professionnelle et les instituts médico-professionnels oui ne peuvent rester à l'écart de l'élan nouveau dont doit bénéficier l'apprentissage.

Il faut savoir ce que l'on veut. L'Agefiph dispose de moyens qui doivent permettre, dans le cadre d'une action concertée répondant à l'attente des personnes handicapées et des entreprises, d'accompagner efficacement la politique de l'emploi des handicapés, définie par le gouvernement. Cette politique ne commence pas à la porte de l'entreprise, car il est alors souvent trop tard, mais bien en amont dans la formation initiale, dès l'école même.

L'État, les collectivités locales, l'Agefiph doivent prendre leurs responsabilités et poursuivre l'objectif commun de préparer le maximum de personnes handicapées à un emploi. Je peux vous dire que Mme Aubry et moi-même serons très attentifs aux évolutions en cours et analyserons les résultats de toutes les actions initiées tant par les pouvoirs publics que par l'Agefiph pour orienter nos propres décisions ou les propositions que nous faisons à l'Agefiph et améliorer le dispositif né de la loi du 10 juillet 1987, afin de mobiliser davantage tous les décideurs et les inciter à de nouveaux comportements.

Améliorer le niveau de formation

Réadaptation : Dans quelle direction devrait-on orienter de nouvelles mesures ?

Michel Gillibert : Nous prendrons des mesures positives. Mme Aubry et moi-même sommes par exemple très soucieux d'améliorer le niveau de formation des personnes handicapées. Nous allons donc rechercher les moyens de rendre, tant pour les employeurs que pour les travailleurs handicapés, les dispositifs de formation plus incitatifs.

Réadaptation : Voulez-vous dire par là que vous allez prendre des mesures coercitives, augmenter les quotas ?

Michel Gillibert : En ce qui concerne les quotas, il n'y a pas lieu d'accorder davantage de facilités aux entreprises qui ne prennent pas leurs responsabilités à l'égard des handicapés. En revanche, je suis pour ma part très favorable à l'adoption de mesures destinées à encourager nettement les entreprises qui, même si elles n'atteignent pas leur quota, font un effort particulier d'embauche.

Réadaptation : Quelles conclusions pouvez-vous déjà tirer de l'application du programme pluriannuel de création de places de travail protégé ? La programmation est-elle respectée ? Pensez-vous donner également une place plus importante dans cette création de places aux personnes handicapées physiques, qui jusqu'ici ont été, semble-t-il, défavorisées ?

Michel Gillibert : Lorsque nous lançons un programme, je me refuse, a priori, à en exclure telle ou telle catégorie de personnes handicapées. Cela serait non seulement injuste, mais contraire à la politique globale que je préconise.

Tout en sachant qu'une mesure peut éventuellement concerner majoritairement telle ou telle catégorie de personnes handicapées (et encore je suis prudent sur les étiquettes qui ne recouvrent pas les aspirations très variées selon les individus, indépendamment du handicap), je veille chaque fois que possible à penser à la diversité des handicaps.

Néanmoins, il est évident que les handicapés moteurs ou sensoriels se sentent davantage concernés par le plan "60 mesures pour les transports" ou encore par la loi "accessibilité" que les handicapés mentaux.

À l'inverse, les associations de parents de handicapés mentaux, se sont fortement mobilisées au sujet des CAT qui constituent, encore dans la majorité des cas, la solution la mieux adaptée même si elle doit évoluer.

Mon devoir est, compte tenu des retards importants que j'ai eu à affronter, de fixer des priorités tenant compte de l'urgence et de la gravité de la situation (plan pluriannuel) de crédits pour adultes lourdement handicapés et de travail protégé, création de services pour enfants polyhandicapés) et de proposer parallèlement un éventail de mesures incitant les personnes handicapées, les associations et tous leurs partenaires, à privilégier chaque fois que possible le choix de l'intégration (crédits spécifiques pour le développement des services d'éducation spécialisée et de soins à domicile, plan pour J 'emploi des handicapés et mesures complémentaires décidées à notre , demande par l'Agefiph).

La distinction handicap moteur, sensoriel ou mental n'a pas dans ce cas beaucoup de sens. La question est plutôt de savoir quelles sont les personnes handicapées qui ont, plus ou moins durablement, besoin de structures d'accueil ou de soutien très spécialisées et celles dont on doit avec détermination appuyer les efforts d'intégration dans le monde ordinaire de l'école, de l'entreprise, du logement, etc.

Ceci dit, tout en sachant que le plan CAT devrait normalement concerner en majorité les handicapés mentaux, j'ai tenu à ce que les projets s'adressant à des publics tels que les infirmes moteurs-cérébraux, les sourds-aveugles, ou les traumatisés crâniens, bénéficient des moyens réservés en priorité pour les actions innovantes.

Par ailleurs, le plan de création de 4 800 places pour adultes lourdement handicapés concerne toutes les personnes gravement handicapées, que ce soit sur le plan mental, sensoriel ou moteur.

Enfin, on sait que l'effort supplémentaire qu'a décidé de consentir l'État, en ce qui concerne les soins d'auxiliaires de vie (augmentation de 25 % de crédit en 1992), profitera essentiellement aux handicapés moteurs.

Les nouveaux programmes à l'étude et l'actualisation en préparation de la loi de 1975 devront faire l'objet de cette même approche globale et donner lieu à nouveau à une véritable solidarité entre les associations.

Réadaptation : Qu'en est-il également des MAS, des foyers d'accueil ? Estimez-vous que le programme mis en place est de nature à répondre à des besoins dont vous savez qu'ils sont urgents ?

Michel Gillibert : Les programmes mis en place constituent un effort sans précédent et selon qu'il s'agit des CAT, des MAS, des foyers à double tarification ou des structures pour enfants lourdement handicapés, ils font appel au budget de l'État ou à l'assurance maladie, c'est-à-dire à la solidarité de tous.

À mi-chemin de l'application de ces programmes, tout le monde peut maintenant en apprécier les premiers résultats qui sont loin d'être négligeables, mais aussi mesurer l'effort encore à accomplir tant sur le plan quantitatif que qualitatif, compte tenu des retards accumulés et des besoins nouveaux.

C'est pourquoi sans attendre la fin des programmes en cours, j'ai fait mettre à l'étude des plans qui devraient leur succéder.

Réadaptation : Pouvez-vous prendre des dispositions particulières concernant les activités culturelles qui, depuis toujours, sont les "parents pauvres" de la réadaptation ?

Michel Gillibert : J'accorde aux activités culturelles une place privilégiée. Nous nous sommes aperçus à travers des exemples comme le Festival européen des artistes handicapés mentaux à Figeac et d'autres manifestations, dont la réussite est patente, qu'il nous fallait porter un nouveau regard sur la pratique de la culture par les personnes handicapées. Des notoriétés artistiques comme Peter Brook ou le mime Marceau se sont déplacés à Figeac. Ils en sont revenus avec le sentiment d'avoir eu affaire à des artistes à part entière et qu'il convenait de refuser les a priori qu'on pouvait avoir à l'encontre des possibilités artistiques des personnes handicapées. L'art est un formidable moyen de changer l'image du handicap tout en donnant une identité reconnue à la personne handicapée.

Des actions auprès des pays de l'Est

Réadaptation : Vous avez déjà entrepris des actions auprès des pays de l'Est ? Pourriez-vous préciser quels en sont les résultats ?

Michel Gillibert : Nous avons effectivement instauré une action auprès d'un certain nombre de pays, notamment d'Europe Orientale qui s'est traduite par une prise de conscience des "décideurs" et un espoir pour les associations de handicapés qui se sont créées après notre passage. Nous avons un devoir de solidarité à remplir à l'égard de ces pays très touchés. Mais les responsables politiques ont décidé de bouger. Depuis, la Russie a bénéficié de l'aide de la France en matière de formation des personnels médicaux et paramédicaux, dont ils ont fait une priorité. En Roumanie devant le Premier ministre, également en Russie devant le maire de Moscou, j'ai eu l'occasion de demander que les handicapés et les accidentés de la vie soient considérés comme des personnes à part entière. Longtemps en Roumanie les personnes handicapées ont été appelées "des irrécupérables", maintenant on les appelle "les accidentés de la vie".

Réadaptation : Vous avez associé certains de ces pays de l'Est à la première Conférence européenne des ministres responsables des politiques en faveur des personnes handicapées, organisée à votre initiative par le Conseil de l'Europe.

Michel Gillibert : À cette manifestation, qui a réuni 34 ministres responsables de la politique en faveur des personnes handicapées, des pays comme la Bulgarie, la Hongrie, la Tchécoslovaquie, la Roumanie, les pays Baltes, sont venus en observateurs.

Tous ces pays sont demandeur, et je leur dis souvent que leur chance est peut-être précisément que, partant de zéro, ils peuvent s'inspirer des expériences les plus réussies des autres pays, en tenant compte bien sûr de leurs spécificités propres.

Réadaptation : Vous avez à plusieurs reprises, témoignés de votre intérêt pour les problèmes que posent le vieillissement les personnes handicapées. Quelle est votre doctrine en la matière ?

Michel Gillibert : Il n'y a pas une solution mais des solutions. Je pense qu'il faut agir avec souplesse et donner à la personne handicapée la possibilité de choisir, en privilégiant les solutions qui la maintiennent dans son environnement habituel.

La personne handicapée doit aussi pouvoir modifier son choix si, à l'expérience, la solution retenue ne lui convenait plus. Une structure ne doit pas être une prison.

Je travaille par ailleurs, en liaison étroite avec Laurent Cathala, secrétaire d'État à la famille et aux personnes âgées, pour analyser les répercussions positives (notamment en matière d'allocation compensatrice) que pourrait avoir, comme je le souhaite, pour les handicapés la mise en œuvre de mécanismes plus spécifiques aux personnes âgées. D'ici quelques mois j'attends le rapport sur ce sujet que doit me remettre le Dr Lelay. Il permettra d'alimenter le débat que je compte entamer avec les associations.

Réadaptation : Tout au long de cette interview, vous avez évoqué la rénovation prochaine de la loi d'orientation de 1975 sur les personnes handicapées. D'ores et déjà avez-vous quelques pistes de réflexion à proposer ?

Michel Gillibert : La loi d'orientation du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées a été un point de départ et constitue un socle qui nous a permis de réaliser de grandes choses. Mais 17 années se sont écoulées depuis et les technologies nouvelles, les progrès de la médecine, les changements sociaux, économiques et humains ont entraîné des évolutions auxquelles les personnes handicapées ne doivent pas rester étrangères.

Je souhaite également qu'en concertation avec les associations, nous aboutissions à une conception nouvelle de la personne handicapée.

Nous, handicapés, accidentés de la vie, nous ne voulons pas être des reliques enfermées dans la chasse de la loi de 1975, jusqu'à la fin des temps.