Texte intégral
LE FIG-ECO. – Considérez-vous qu'il y a un déficit social dans la construction de l'Europe ?
Jean-Louis GIRAL. – Si on compare en termes de directives ce qui se fait en Europe au plan économique et au plan social, on arrive à la conclusion qu'il existe un déficit social. Mais si l'on tient compte des diversités de culture en matière sociale, je pense qu'il n'est pas souhaitable que tous les problèmes soient traités au niveau européen. L'échelon européen est celui de l'économie, le social, compte tenu des réalités et des pratiques nationales, doit être le plus souvent traité au niveau de chaque pays, ce qui relativise la notion de déficit social européen. A ce niveau, en revanche, doivent être arrêtées les mesures nécessaires de cohésion et de compatibilité.
LE FIG-ECO. - Pensez-vous qu'il est préférable en ce domaine d'agir par voie de directives ou par la négociation ?
- L'approche contractuelle, qui tient compte de la situation réelle des uns et des autres, a bien sûr notre préférence. La négociation se fait au plus près du terrain. La disparité économique entre les pays de la CEE est tellement grande qu'il serait maladroit de vouloir imposer par directives des règles trop contraignantes qui ne tiennent pas compte des différences entre les pays.
LE FIG-ECO. - Comment négocier au niveau de l'Europe ?
- Il suffit que l'Unice (le patronat européen), le Centre européen des entreprises publiques (CEEP) et la Confédération européenne des syndicats (CES) aient un mandat. Mais on ne peut pas à la fois suivre la voie des négociations et celles des directives. Il faudrait que la commission déclare clairement qu'elle laissera la négociation se dérouler sans interférer. Cette voie est la meilleure : elle permet aux partenaires sociaux qui sont les plus à même de choisir les sujets de trouver des solutions. Pour nous, le bipartisme est largement supérieur au tripartisme.
LE FIG-ECO. - Quels sont les problèmes qui pourraient donner lieu à une négociation dans l'immédiat ?
- D'abord la formation professionnelle. Ensuite la mobilité, et notamment l'étude des moyens permettant à un salarié de faire une carrière européenne dans différents pays sans être désavantagé par rapport à celui qui aura fait un parcours similaire uniquement en France.
LE FIG-ECO. - Vous excluez donc du champ de négociation la protection sociale collective ?
- C'est un problème qu'il ne faut pas forcément traiter au niveau européen. Des règles existent dans chaque pays. Pourquoi vouloir imposer une règle unique ? Le problème n'est pas d'harmoniser, mais de rechercher une compatibilité entre les différents systèmes. Il faut faire la différence ente les problèmes nationaux qui ont une incidence sur la vie des salariés en Europe et les autres. La protection des femmes enceintes, qui est différente en France, en Grèce ou aux Pays-Bas, ne conduit pas globalement à de fortes distorsions de concurrence dans la CEE. On ne va pas obliger tous les pays à s'aligner sur les mêmes dispositions. Il faut définir le principe de subsidiarité, et ne négocier au niveau de la CEE que ce qui ne peut pas être traité au plan national.
Certains pays sont plus ouverts à la politique contractuelle que d'autres. D'aucuns, comme la Grèce, la redoutent en craignant que leur situation économique interne ne leur impose des règles par trop contraignantes. Il faut donc adopter une attitude souple et pragmatique, et se saisir en priorité des problèmes qui engendrent une distorsion de concurrence.
LE FIG-ECO. - Quelle est la position du patronat français vis-à-vis de la constitution de comités de groupe dans les entreprises européennes ?
- Les groupes français avaient initié une expérimentation portant sur l'information du personnel. Je regrette que la commission n'ait pas poussé cette expérience pour en tirer un bilan. Au contraire, la directive sur les comités de groupe va beaucoup plus loin et dans une autre direction, d'où un refus de la plupart des pays. On arrive au paradoxe suivant : un groupe européen serait assujetti à plus de contraintes qu'un groupe national.