Texte intégral
Q - Sur l'affaire de la paillote, considérez-vous, comme l'a dit hier M. Jospin, qu'il s'agit d'une « très grosse bêtise » - je reprends ses termes - ou bien d'une grave crise politique ?
- « Il s'agit d'une affaire qui est grave, pénible et je la ressens douloureusement. Pourquoi ? Deux institutions importantes de la République française, la préfectorale et la gendarmerie, sont en cause. Je ne peux pas, au moment où nous nous exprimons, ignorer qu'un préfet est en garde à vue ainsi qu'un colonel de gendarmerie. Ce sont deux institutions importantes pour le respect de la loi républicaine de notre pays. C'est grave et vous me permettez de ne pas en rajouter. Je crois qu'il faut qu'on tire un enseignement. Celui-ci consiste à dire qu'il faut toujours éviter de créer des unités spéciales. Ca conduit, et nous avons des exemples historiques, à des dérives, à des dérapages, comme celui que nous venons de constater. Et puis le second enseignement, je voudrais que le Gouvernement entende ou tire plutôt la leçon de ce qui vient de se passer et se garde, dans l'avenir, d'être moraliste, de se draper dans la vertu, condamnant par-là leurs interlocuteurs, considérant ceux-ci comme beaucoup moins vertueux qu'eux. »
Q - Approuvez-vous la décision de M. Jospin de ne pas penser à la démission pour une affaire de ce genre ?
- « C'est à lui qu'il appartient de prendre la décision qu'il croit devoir prendre en raison de la gravité de l'événement. Est-ce qu'il est directement impliqué dans l'affaire ? La justice le dira puisqu'elle a été saisie. Mais c'est une affaire très grave et par conséquent, il est Premier ministre, il ne peut pas ne pas, en la matière, avoir de responsabilité. »
Q - Hier, il a eu une phrase contre votre camp politique, l'opposition, en disant qu'il avait été blessé de son attitude à l'Assemblée nationale et que l'opposition avait dégradé le débat en le situant à un niveau dont elle savait très bien que ce n'était pas le cas.
- « Je crois que l'opposition fait son devoir. Elle cherche la vérité. D'ailleurs, les Français la demandent. Nous sommes dans un pays démocratique et par conséquent, nous interpellons le Gouvernement pour recevoir toutes les explications nécessaires concernant cette affaire. Permettez-moi de vous dire : imaginons le cas contraire. Vous pensez que l'opposition, si elle était socialiste et nos aux responsabilités, aurait une attitude vraiment sereine, calme, aimable dans une situation comparable ? Allons, allons. »
Q -
Sur le plan politique, peut-on être fautif pour ne pas être au courant ? Ou pour être fautif politique, faut-il appuyer sur le bouton et avoir donné l'ordre ?
- « Lorsqu'on a des responsabilités importantes, on doit savoir ce qui se passe dans tous les services dont on a la responsabilité. Je sais que c'est très difficile. Mais c'est la responsabilité qu'on a accepté. A fortiori, si on a donné des ordres qui conduisent à des situations comme celle que nous déplorons aujourd'hui, alors notre responsabilité est directement engagée. En la matière, je crois qu'il faut tout de même respecter, puisque la justice est saisie – j'y suis terriblement attaché et par conséquent, on ne peut pas avoir une attitude contraire -, la présomption d'innocence. L'enquête est en cours. Elle va nous donner la vérité. Par conséquent, nous verrons où se trouvent les responsabilités. »
Q - Vous parlez de responsabilités pénales, je parlais de responsabilités politiques dans la marche de l'Etat. Est-ce que, par exemple, dans une affaire de ce genre, le cordon ombilical peut s'arrêter au ministère de l'Intérieur ? C'est-à-dire que le ministère de l'Intérieur, finalement, n'a pas à démissionner dans une affaire qui concerne les gens dont il est responsable. ?
- « Nous avons connu une situation à peu près identique, sur un événement extérieur – je ne vais pas le nommer, tout le monde a cette affaire présente à l'esprit -, le ministre à l'époque, ministre de la Défense des Armées, en a tiré les conséquences, il a démissionné. Il appartient bien sûr à celui qui est aux responsabilités, Sachant quelle est sa part de faute dans cette affaire, à lui-même tirer les conséquences qui s'imposent avant que ne se prononce bien sûr la justice qui fait son enquête. »
Q - Que demandez-vous au Premier ministre ?
- « Simplement de rechercher la vérité et de nous dire la vérité. Et, en la circonstance, d'assumer ses responsabilités. Il y a eu là dérapage très fort dans le fonctionnement de la République. Il a tout de même pris - le Premier ministre – la responsabilité de créer cette unité spéciale à laquelle il a donné du pouvoir. Est-ce que cette unité spéciale était en prise directe, dans son fonctionnement, avec le ministère de l'Intérieur ? Ou en prise directe avec le cabinet du Premier ministre ? Pour ma part, je ne le sais pas, donc je ne porte pas de jugement. Peut-être que l'enquête qui est en cours donnera des précisions à ce sujet. Si cette unité spéciale était en prise directe avec Matignon, bien sûr, il faudra que, sur cette affaire, le Premier ministre donne d'avantage d'explications. »
Q - Peut-on réparer les dégâts et comment ? Car le doute va s'introduire dans l'esprit de tous les citoyens finalement.
- « Il est vrai que dans cette affaire, l'Etat a perdu en crédibilité, dans ses interventions. Pour ma part, mes pensées vont envers mes compatriotes corses. La majorité, la grande majorité d'entre eux souhaite – puisque j'ai l'occasion de les rencontrer souvent – travailler dans la paix et dans la sécurité républicaine. Et je crois qu'il ne faut pas… »
Q - Aucun gouvernement n'y a réussi depuis 25 ans.
- « Oui, c'est difficile. Mais il faut appréhender la Corse comme ayant une spécificité insulaire. C'est vrai que peut-être, il y a eu, ici ou là, quelques dérapages. Il ne faut pas arriver ici avec ostentation, un peu comme Tartarin, disant : « Vous allez voir ce que vous allez voir ! » Non, je crois que nos compatriotes corses méritent qu'on les traite comme on traite tout citoyen français. Il y a des fautes, eh bien on va les corriger, on va les sanctionner, mais il ne faut pas arriver là un peu en conquérant. »
Q - Est-ce que vous approuvez la politique menée au Kosovo par la France et les alliés, même si les résultats ne sont pas au rendez-vous. Je pense à une déclaration de l'OTAN disant que les massacres continuent et qu'ils sont même lus intenses que jamais, six semaines après que l'OTAN ait bombardé pour arrêter ces massacres.
- « Premier point, le couple exécutif – Président de la République et Premier ministre – est en harmonie. Ça m’apparaît indispensable dans une action comme celle-ci. Imaginez quelle serait la situation s'il y avait affrontement entre le Premier ministre et le Président de la République. Sur ce point, nous sommes bien sûr assurés d'une unité dans la démarche. »
Q - Il faut continuer les bombardements malgré les maigres résultats ?
- « Ces bombardements n'ont peut-être pas obtenu tous les résultats qu'on pouvait espérer mais ils ont obtenu des résultats. La meilleure preuve, c'est que nous voyons apparaître maintenant dans le pays une opposition qui s'exprime. Vous avez vu que M. Milosevic a limogé son vice-président, lequel a été suivi par trois ministres. Je pense que ces personnalités vont s'exprimer. Vous avez vu qu'il y a une certaine impatience. D'ailleurs, le fait que M. Milosevic ait été conduit à libérer rapidement ses prisonniers montre bien qu'il y a, parmi la population, une impatience légitime – elle cherche la paix. Cette affaire est douloureuse pour nous. Pourquoi ? Tout simplement parce que dans chaque Français, il y a un conflit interne. Permettez-moi de rappeler cette formule : le coeur a ses raisons que la raison ignore. C'est que nous avons une fraternité d'armes avec les Serbes. Nous avons combattu pour la liberté, contre le fascisme, c'est ça le coeur. Et la raison nous commande de ne pas laisser se poursuivre l'action conduite par M. Milosevic qui aujourd'hui, à la fin du XXème siècle, voudrait encore procéder à des épurations ethniques, condamner les hommes en raison de leurs origines, de leur race ou de leur religion. Ceci est inacceptable. Voilà le conflit en chaque Français. Mais je crois que la voie est dans la recherche d'une solution diplomatique et politique. Et je me réjouis que le Président de la République français aille à Moscou. C'est extrêmement important parce que la France et la Russie, pour différentes raisons que je n'ai pas la possibilité de développer, ont un rôle à jouer dans la solution de cette affaire. »