Texte intégral
Discours du Lundi 30 juin 1997
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Comme l'a souligné le Ministre de l'Emploi et de la solidarité, nous attendons beaucoup de vos travaux.
Nos concitoyens, pour leur part, attendent une politique de santé qui leur apporte des réponses à des interrogations légitimes. Ils manquent singulièrement de repère, face à un débat qui est devenu de plus en plus technique, de moins en moins humain et qui s'éloigne de leurs préoccupations.
Ils ont entendu que l'on ne pouvait dépenser plus pour le système de soins mais Us ne savent pas pourquoi, lorsque les dépenses augmentent, les résultats sanitaires ne s'améliorent pas. Ils ont entendu dire que nous avions l'une des meilleure médecine du monde mais ils ont vécu douloureusement la faillite de la sécurité sanitaire, avec les drames que vous connaissez. Ils ont confiance dans les professionnels de santé, mais ceux-ci ont trop souvent, eux-mêmes, perdu la confiance et les prennent à témoin de leur propre malaise quand ils ne leur transmettent pas leur sentiment de culpabilisation.
Il est grand temps de remettre à l'honneur la santé publique. Il est urgent de redonner confiance dans le système de santé, aux patients comme aux professionnels.
Pour cela, il faut fixer des objectifs clairs et se donner les moyens de les atteindre.
La première condition est de parler, enfin, de santé et non pas seulement de soins. Efficacité du système de santé ne rime pas avec consommation de soins.
Il faut rompre avec une logique consumériste qui ne responsabilise ni les patients, ni les professionnels de santé et qui ne crée pas les conditions d'une prise en charge globale des besoins de santé. Je sais que les états l'esprit sont aujourd'hui propices à cette évolution. J’ai pu l'apprécier avec les contacts que j'ai déjà eus et que je continuerai d’avoir avec les associations de patients dont l’action remarquable mérite d’être soulignée. Elles constituent de plus en plus des partenaires indispensables et des forces de proposition. J'ai pu également mesurer que les professionnels sont prêts à s'engager dans une démarche privilégiant la qualité de leurs pratiques.
La deuxième condition : fixer des objectifs de santé. À cet égard, la démarche n'est qu'amorcée. Elle doit se poursuivre, s'approfondir. Il faut identifier les causes évitables de morbidité et de mortalité, les décliner au niveau régional. Vos travaux, au cours des conférences régionales comme lors de ces journées nationales y contribuent.
Troisième condition : à partir de ces objectifs, il faut être capable de définir une stratégie d'action. C'est certainement le plus difficile. Nos outils de connaissance, nos systèmes d'information ne sont pas suffisants. Nous ne savons pas encore - sauf dans certains domaines trop peu nombreux - orienter les dépenses en fonction des priorités de santé publique. C'est l'enjeu majeur des prochaines années.
Vous l'avez compris, cette démarche implique un profond changement d'état d'esprit. Il ne s'agit plus de constater a posteriori comment les dépenses sont effectuées mais d’envisager d'abord comment elles devraient l’être pour satisfaire aux besoins de santé.
Cette politique doit être fondée sur une volonté de réduction des risques. Elle dépasse, là encore, la seule politique de soins. Elle commence par la prévention et l'éducation. Elle doit être adaptée aux publics qu'elle vise, qu’il s'agisse de toxicomanie, de prévention des maladies transmissibles mais aussi de sécurité routière de prévention des accidents domestiques que l'on a trop souvent tendance à oublier. Les travaux du Haut Comité de santé publique sur la santé des enfants et des adolescents que vous allez examiner illustrent la nécessité d'une telle approche. De sa lecture, j'ai retenu plusieurs idées forces.
Tout d'abord, il ne faut pas se complaire dans des interprétations trop alarmistes sur l'état de notre jeunesse. Il n'est pas si mauvais et l'évolution de la mortalité chez les jeunes continue d'évoluer dans un sens favorable.
Certains comportements à la santé ont d'ailleurs évolué favorablement : diminution de l'usage du tabac, usage du préservatif, port de la ceinture de sécurité...
Cependant, il est vrai que si l'on compare la situation française à celle des autres pays européens, on ne peut qu'être frappé par l'importance dans notre pays des problèmes liés au mal-être psychologique et aux comportements à risque parmi les 15-25 ans, qu’il s'agisse des conséquences graves de la maltraitance, de la dépression et des tentatives de suicide, de la violence ou de l'usage du tabac, de l'alcool ou des drogues.
Bien des troubles du comportement tiennent de difficultés psycho-affectives de la petite enfance. Souvent des symptômes organiques, des crises violentes, masquent des difficultés psychologiques et d'adaptation. Ces réflexions doivent conduire à des évolutions profondes sur les objectifs même des institutions et des professionnels auxquels les parents, les enfants et les adolescents sont amenés à s'adresser.
Deuxième constat : le rôle essentiel pour la santé de l'environnement proche, qu'il s'agisse d'environnement physique et des problèmes liés à l'habitat.
Le saturnisme est une parfaite illustration de l'insuffisance du système de soins à résoudre à lui seul les problèmes de santé.
La médecine est capable de le dépister, elle est capable dans une certaine mesure de le soigner, mais quelle est l'efficacité de ces actions, si à la sortie de l'hôpital, l'enfant retourne dans un logement insalubre ?
Ce constat appelle à l'évidence une coordination de l'action des ministères concernés, mais aussi le développement des partenariats locaux dans les domaines de la santé, de l'éducation, du logement, des sports, de la vie associative.
Enfin, ces travaux le montrent : la santé de l'enfant et de l'adolescent est particulièrement révélatrice de dysfonctionnements de notre système de santé. La multiplicité des centres de décision, des dispositifs et des intervenants est un obstacle à une politique cohérente et ceci en dépit de la bonne volonté que manifestent les acteurs de terrain à coordonner leurs actions.
J'ai relevé, à la lecture d'un compte rendu d'une conférence régionale de santé, l'exemple de 14 intervenants différents, sanitaires, sociaux, judiciaires pour une famille ayant de graves difficultés. À ce stade de complexité, il ne suffit plus de coordonner, il faut mettre à plat et simplifier.
Si des jeunes vont mal, aujourd'hui en France, ce n'est pas une seule cause qu'il faut rechercher.
C'est le mérite des travaux du Haut Comité à la Santé Publique que d'avoir quantifié et mieux analysé les facteurs en cause. Il nous faudra travailler à partir de ces réflexions à des réponses appropriées
De nombreuses pistes doivent être explorées et concernent le renforcement des capacités des services d'urgence à l'accueil des suicidant et la mise en place de structures d'accueil plus spécifiquement dédiés aux adolescents oui ne sont pas nécessairement à implanter dans un hôpital.
Comment ne pas évoquer la lancinante question de la toxicomanie ?
Il faut aider à ce que les toxicomanes sortent de leur dépendance, sans être infectés par le VIH ou une hépatite, sans avoir été davantage marginalisés, sans trop de dégâts familiaux ou professionnels.
Je suis particulièrement inquiet du développement des consommations de nouvelles drogues (par exemple l'ecstasy). Je sais que cette région est très concernée par ce phénomène.
Je souhaite que l'on puisse développer un système de vigilance sur le type et le danger des produits qui circulent actuellement, à l'image de ce qui existe déjà aux Pays Bas et en Grande Bretagne, car nombre de complications, voire de décès, semblent être liés à la diffusion des produits qui contiennent de véritables poisons.
Une approche globale de réductions des risques en matière de dépendance doit être conduite, quels que soient les produits. Il existe un véritable continuum de l'abus de drogues : le tabac, l'alcool, les drogues illicites, les psychotropes...
Dans ces domaines, mettre en œuvre une politique de santé publique nécessite une volonté ferme, y compris lorsqu'il faut aller à l’encontre d'intérêts particuliers. Ceci est notamment vrai dans le domaine de la lutte contre les deux fléaux que sont l'alcool et le tabac. Une loi existe depuis 1991 : elle doit être appliquée et une évaluation sera menée pour déterminer sur quels points elle doit être renforcée. D'ores et déjà, je vous confirme que la Coupe du Monde de Football de 1998 ne donnera lieu à aucune entorse à cette loi. Il ne serait pas tolérable que cette manifestation sportive, qui sera largement suivie par la jeunesse de notre pays, dans les stades comme à la télévision, serve de vitrine à une marque d'alcool. Tel ne sera pas le cas.
Je vous annonce également que je prendrai dans les prochains jours, un arrêté sur l'étiquetage des paquets de cigarettes, améliorant la lisibilité des messages de prévention. J'ai été, comme vous certainement, particulièrement choqué des tentatives, d'ailleurs condamnées par les tribunaux de détournement de ces messages. Ceux-ci doivent être moins ambigus et plus lisibles.
Je tenais, à travers ces deux exemples, à vous dire notre détermination à Martine Aubry et moi-même à conduire une politique de santé offensive. Les réflexions que vous allez conduire nous seront très précieuses. La manière dont vous vous emploierez à ce qu'il n'y ait pas de parenthèse entre deux conférences me paraît essentielle pour que l'activité des pouvoirs publics soit relayée sur le terrain, dans les régions, auprès de tous les professionnels de santé. C'est ensemble que nous relèverons les défis qui nous font face.
J'aurai le plaisir de vous entendre toute la journée en suivant vos travaux et de revenir mercredi pour le compte-rendu des travaux en commission et la clôture de la Conférence.
Discours du Mercredi 2 juillet 1997
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Je voudrais tout d'abord vous remercier de vos travaux, de leur contenu et de leur qualité. Je sais que c'est l'usage, mais mon propos est plus direct. J'ai pu, en assistant à vos travaux toute la journée de lundi, apprécier la qualité de vos réflexions et les contributions des membres de la Conférence Nationale de Santé.
J'ai pu également juger de l'excellente ambiance qui se dégageait de ces confrontations, de la nature des rapports personnels, même si, par ailleurs, les positions peuvent être plus conflictuelles.
Toute cette démarche conforte notre ambition de Martine AUBRY et de moi-même d'avancer vers la mise en œuvre d'une véritable politique de santé publique dans notre pays. Elle confirme également une exigence : celle de sortir des difficultés par le haut, par la qualité de la réflexion et la hauteur des préoccupations.
Et, je vous en remercie, comme je remercie et félicite pour son talent, son acharnement et sa réussite le Pr Joël MEYNARD.
Les chiffres entendus montrent la disproportion entre le préventif et le curatif, comme si la machine à soigner avait besoin de pathologies, comme si elle s'en nourrissait. Ici, nous frôlons ce que Michel CROZIER nomme le dysfonctionnement administratif.
Que de questions. Plusieurs intervenants tout au long de ces journées, ont rappelé la complexité des problèmes qui nous attendent. Complexité dont j'ai conscience, mais qu'il nous faut surmonter, en transférant des moyens de l'inutile sur l'utile -comme l'a dit le Président de la CNAM.
Je parle trop hâtivement des "conclusions" de vos travaux, en réalité seule la première partie du travail de la Conférence Nationale de Santé s'achève et j'attends avec impatience le rapport que vous me remettrez au courant du mois de juillet.
Je voudrais cependant tenter de tirer avec vous certains enseignements de vos réflexions.
Quelques remarques donc préliminaires aux débats futurs avec le pays :
1) vous avez particulièrement insisté sur la dimension régionale en vous appuyant sur les rapports des Conférences Régionales de Santé. Vous avez souligné les inégalités en matière de santé mais aussi en matière d'offre de soins. C'est un constat que je partage. Je retiens particulièrement une des questions que vous avez posé. Certes, les économistes de la santé raisonnent en terme d'offre de soins et de demande de soins, cette dernière ne semblant pas avoir de limite à la différence de l'offre.
Mais ce que vous avez développé ici est une autre nature, plus pertinente à nos yeux : vous avez évoqué les besoins de santé. De quoi, en terme quantitatif et qualitatif avons-nous besoin pour améliorer la santé de nos concitoyens ? C'est à partir de cette question que doivent se déterminer nos priorités. Au niveau national, comme sur le plan local.
Ce sont les réponses à cette question qui doivent nous permettre de rééquilibrer les actions en matière de prévention par rapport aux soins, et plus globalement, les autres démarches à mener sur le plan social, éducatif, familial. Souvent, si nous sommes malades, c'est que la société ne va pas bien.
Or, dans beaucoup de cas, la réorganisation des structures sanitaires et sociales ne peut être réalisée avec finesse qu'au plan local. La région est un bon niveau d'action, c'est, on le voit bien ici, un des éléments positifs à mettre au compte des Conférences Régionales de Santé.
C'est dans cette direction qu'il nous faut avancer. Avec hardiesse, en considérant que si l'État doit garantir l'accueil et les mêmes soins pour tous, la qualification des personnels, la qualité identique des prestations, bref, je le répète, l'égalité d'accès et de suivi, pourquoi la région n'aurait-elle pas réfléchir, à se concerter peut-être un jour -y compris en termes financiers- sur les structures qu'elle entendrait maintenir en place, ou perfectionner ? Je sais la nécessité d'équilibrer alors les régions pauvres et les régions plus favorisées. Je sais aussi que l'hôpital est un lieu d'emploi et un élément de l'aménagement du territoire.
La concertation entre les différents acteurs, professionnels de santé, hospitalisation (Agences Régionales d'Hospitalisation : ARH), le monde associatif, les autres administrations, les élus ..., peuvent au niveau de la région aplanir les difficultés concrètes, dégager des actions à mener, sélectionner des indicateurs pertinents (en mobilisant par exemple les Observatoires Régionaux de la Santé : ORS). Et puis, bien sûr, évaluer les actions conduites.
Je sais plus généralement, que la multiplicité des organismes n'est souvent pas autre chose qu'une fuite en avant.
Je reviens à la région, il faut se donner les moyens, l'organisation qui peut permettre d'arriver à nos fins.
De façon très pragmatique il est nécessaire de faire vivre les Conférences Régionales tout au long de l'année, afin que la ou les journées des Conférences nationales aient été en amont ben instruites. Et que les parlementaires puissent en bénéficier, dans les trois mois qui précèdent le débat, comme vôtre Président, M. MEYNARD, l'a proposé.
La concertation, l'échange entre les différents partenaires doit être préparé par un bureau, ou un secrétariat permanent. Plusieurs régions se sont déjà doté de telles structures, c'est dans cette direction qu'il faut poursuivre.
Deuxième constat :
Vous avez dégagé les grandes priorités en matière de santé, je n'en citerai que deux :
1) Les "fléaux sociaux" traditionnels : l'alcool, le tabac, les toxicomanies qui sont responsables d'une grande partie de la morbidité et de la mortalité évitable,
2) la santé mentale, en particuliers celle des jeunes, avec notamment le rapport du Haut Comité de la Santé Publique qui a quantifié les graves troubles auxquels est confronté notre jeunesse.
Le Haut Comité a quantifié la surmortalité inquiétante des 15/24 ans, en particulier des garçons, due aux accidents ou à des actes de violence. Vous nous avez montré que le suicide des adolescents est pratiquement le double de l'incidence constatée au Royaume-Uni, mais aussi que les troubles dépressifs concerneraient près d'un adolescent sur deux !
Un rapport de Pierre JOLY consacré à la prévention et aux soins des maladies mentales, hier au Conseil Économique et Social, publiait des chiffres aussi alarmants.
Que constate-t-on ? Notre système de soins est, très largement inadapté à la prise en charge de ces problèmes. Nous ne pouvons que souligner le décalage flagrant, à partir de ces deux seuls exemples, entre les besoins de santé et l'organisation des soins.
Concernant la santé mentale des adolescents que proposer ?
Tout d'abord, bien évidemment une politique active de prévention, et plus précisément de "dépistage des troubles du mal être". Celle-ci doit être organisée avec les acteurs du monde éducatif et social.
Dans les écoles, comme il a été dit lundi dernier, les médecins scolaires, les infirmières doivent passer plus de temps à l'écoute, alors qu'ils sont souvent absorbés par des tâches d'examens systématiques.
Deuxièmement, il importe que le dispositif de soins soit cohérent. Vous avez rappelé que 40 % des suicidants récidivaient dans l'année qui suivait leur tentative de suicide. Oui, nous avons de grands efforts à faire pour organiser un suivi en la matière.
Très souvent, c'est l'hôpital général qui reçoit le suicidant. Pour autant est-ce la structure adaptée à tous les cas, est-il en mesure d'assurer un suivi cohérent ? Ce n'est pas forcément le cas.
Oui, l'hôpital est bien souvent une structure de "première ligne" au détour d'un suicide, mais on remarque dans l'étude du Haut Comité de la Santé Publique que bien souvent un médecin généraliste a été consulté dans la semaine qui a précédé la tentative de suicide et qui suit le jeune suicidant après sa tentative.
C'est d'ailleurs ce type de débat aussi pointu, concrètement traduits en terme d'action et d'organisation qu'il faut conduire au niveau local, au niveau de la région.
Que de réformes à tenter dans ce domaine de la psychiatrie, pour l'ouvrir, là encore sur la vie.
II faudrait faire un effort sur la recherche en santé mentale, la connaissance épidémiologique. Réaffirmer les droits du malade, mettre en place une période d'observation avant toute hospitalisation sans consentement, achever et compléter le processus de sectorisation, faire du secteur, le centre du dispositif de prévention et de soins des maladies mentales, mieux accueillir le malade, développer les alternatives à l'hospitalisation, assurer les liaisons avec les réseaux, rendre obligatoire la réponse à l'urgence psychiatrique, renforcer les personnels.
Donner enfin un statut stable aux infirmiers psychiatriques et surtout faire des maladies mentales des maladies comme les autres. Car ce sont des maladies comme les autres, qui hélas peuvent également tuer.
Aussi, il nous faut construire un dispositif, plus facilement accessible aux jeunes (pour certains en terme financier), ou à leurs familles dans lequel le suivi est réellement assuré.
L'hôpital est un maillon, certes important et il faut y développer l'accueil, les compétences spécifiques mais aussi les capacités d'orientation et de suivi. Ce qui veut dire clairement ouverture sur la ville, sur les libéraux, sur la vie et dans les deux sens.
Nous parlons d'accréditation, de qualité de soins, notamment pour les services d'accueil et d'urgence (SAU) de nos hôpitaux. Un des critères pourrait être, non seulement, la qualité de la prise en charge hospitalière, mais aussi, et je dirais surtout, de la qualité du suivi (médecins généralistes, associations, réseaux...) qui aura été articulé avec le service d'urgence. Voilà une piste de travail concrète, qui je l'espère permettra une diminution réelle des suicides des adolescents qui, en France, atteignent à un niveau inacceptable.
Ce travail, en amont, c'est le véritable enjeu d'une politique concertée, régionalisée, porteuse de résultats, de qualité de vie.
Celle-ci doit répondre à une double préoccupation : la réduction des risques et la rénovation des modes d'exercice professionnels.
Première priorité, la réduction des risques
Nous avons trop longtemps, trop exclusivement privilégié une politique des soins au détriment d'une politique de santé.
Notre confiance dans le progrès médical, dans l'art du médecin nous conduisait à construire plus d'hôpitaux, à consommer plus de médicaments, à consulter plus de médecins. Illusion de l'efficacité - économique certes, mais aussi sociale et psychologique- d'un système réparateur qui a relégué la prévention et la sécurité au rang des disciplines poussiéreuses. Cette santé publique a longtemps été méprisée ou pis bafouée.
Pourtant, on le sait, le dernier progrès de la chirurgie cardiaque ou de la greffe est de moins d'effet sur la santé de nos concitoyens que les campagnes de vaccination ou la sélection rigoureuse des donneurs de sang. Redonner à la santé publique la place qui lui revient, c'est accorder la priorité à la réduction des risques :
- réduction des risques liés au tabac et à l'alcool - la loi Évin non seulement ne sera pas révisée à la baisse comme l'envisageait le Gouvernement précédent mais celle-ci sera renforcée au vu de sa prochaine évaluation. On le sait, nous serons particulièrement ferme sur la coupe du monde de football,
- réduction des risques par le développement d'actions/préventions ciblées : suicide des jeunes, cancer du sein, colon...,
Nous avons la volonté de transformer Je Réseau National de Santé Publique en un véritable centre de veille épidémiologique afin de conduire ces actions avec une meilleure connaissance de l'état de santé des populations,
- réduction des risques iatrogènes avec l'ambitieuse politique de sécurité sanitaire. L'agence de sécurité sanitaire sera mise en place avant la fin de l'année, je l'espère par transformation et l'élargissement de l'agence du médicament, ainsi que le Premier Ministre en a disposé dans sa déclaration de politique générale.
Seront ainsi mis en place également des dispositifs d'évaluation et de contrôle permettant d'apprécier le rapport bénéfices/risques des produits de santé mais aussi de surveiller les risques liés aux autres produits destinés à l'homme, à commencer par l'alimentation et l'environnement.
Réduction des risques des toxicomanies légales ou illégales, y compris médicamenteuses.
À ce titre, c'est la santé physique, mentale et sociale qui doit être le moteur de notre action. Ceci n'a rien à voir avec du laxisme, bien au contraire, mais je voudrais, avec force devant vous, rappeler que l'on sait bien où mène la répression aveugle, qui s'enferme dans sa propre logique, et qui conduit à l'exclusion.
Oui, à la répression des trafics, au démantèlement de mafias, et des filières de blanchissement de l'argent sale, mais pas au détriment de l'accompagnement de l'individu. Le toxicomane, l'usager de drogues est un fils, une fille, parfois même un père ou une mère qu'il nous faut soutenir. C'est une personnalité qu'il faut aider à construire ou à reconstruire et ce n'est pas en prison que l'on peut le faire. En prison, on poursuit trop souvent l'intoxication.
Donc, plus que jamais, en matière de toxicomanie, réduction des risques, poursuites des actions entamées lors de notre premier passage au ministère, substitution, accueil, soutien.
Deuxième priorité, une approche diversifiée des modes d'exercice
Le deuxième axe d'une politique de santé doit, à mes yeux, reposer sur une approche diversifiée des modes d'exercices.
Notre système de santé souffre de cloisonnements excessifs. Cloisonnement entre l'hôpital et la médecine de ville. Cloisonnement entre l'hôpital de soins aigus et les établissements de longs et moyens séjours et les établissements médico-sociaux. Cloisonnement entre généralistes et spécialistes, quand il ne s'agit pas de frontières entre les spécialités. Et même d'hostilité.
Nos schémas datent de la médecine conquérante de l'après-guerre. Ils reposent sur des murs, des institutions, des clivages. Une division taylorienne des soins alors que nos concitoyens expriment une demande de santé beaucoup plus globale. Ils veulent une écoute, pour leurs problèmes médicaux mais également pour leur mal de vivre ou d'être.
Le médecin, l'infirmière, le kinésithérapeute, les autres peuvent et doivent répondre à cette attente.
Ce lien nouveau ne peut connaître de frontière, s'arrêter à la porte de l'hôpital ou de la maison de retraite ou du centre méthadone ou du Centre d'Aide par le Travail. Le professionnel de santé doit en plus de ses compétences plus ou moins spécialisées être ce conseiller personnel, celui qui aide à avancer lorsque la vie paraît se figer.
Il n'est souhaitable, ni pour les médecins, ni pour les patients, que des praticiens formés exclusivement à l'hôpital basculent, pratiquement sans transition, dans un exercice de leur profession, purement individuel, dans leur cabinet, avec parfois la presse médicale comme seul lien avec le reste du monde médical. Il n'est pas plus acceptable que l'hôpital demeure une tour d'ivoire.
Disant cela, je ne voudrais pas mésestimer le frémissement qui a permis au cours des dernières années, de faire tomber certains murs.
Des expériences de réseau ville hôpital ont donné d'excellents résultats. Notre système de santé a su s'organiser face à des pathologies émergentes comme le SIDA, pour rompre avec certaines habitudes et s'adapter aux besoins des patients qui nécessitaient, sans qu'il y ait de hiatus dans la prise en charge, un suivi tantôt à l'hôpital, tantôt en ville.
Nous mettrons en place pour les antirétroviraux, un circuit de double dispensation, à l'hôpital et en officine, permettant aux patients de concilier la proximité pour la délivrance de leur traitement et de suivi auprès d'un établissement hospitalier, au gré de leurs besoins.
À cet égard, le SIDA fournit l'exemple de la capacité du système de santé à s'organiser autour et à partir des besoins des patients. Et soulignons à ce niveau le rôle pionnier, le rôle positif joué par les associations de malades, dont le monde médical se défit encore trop. Peut-être pouvons-nous en tirer certains enseignements pour d'autres pathologies, d'autres catégories de patients, car il me semble exemplaire pour l'implication des associations de patients avec lequel les médecins ont su dialoguer.
Il serait impossible de citer ici toute les expériences qui ont été conduites, à l'initiative de professionnels désireux de dépasser les clivages traditionnels, pour permettre une meilleure prise en charge des patients. Mais, je souhaite, au moment où l'on doit repenser notre système de santé, que l'on s'appuie sur elles.
On gouverne mal la santé par décret. En tous cas, incomplètement.
Il y a aujourd'hui une discordance entre les initiatives locales, pas suffisamment valorisées, et des mesures uniformes prises comme si le Ministre de la santé était à la tête d'une armée de fantassins, qui aurait à obéir à ordres et contrordres, pour le plus grand bien supposé des malades.
J'ai trop de respect pour les pratiques médicales pour que cela soit ma conception du rôle du Ministre de la santé.
Je sais, d'expérience, que si le dialogue avec les institutions est indispensable -et je le maintiens- la rencontre avec les praticiens dans leur environnement libéral ou hospitalier est également riche d'enseignement. Les médecins, un par un, se montrent souvent inventifs, riches, chaleureux. Je poursuivrais mes visites inopinées, la nuit et le jour, d'établissement divers sur tout le territoire.
Je souhaite que l'on parte des expériences multiples de ce corps médical, que l'on évalue leur intérêt, que l'on s'efforce de les aider, que l'on puisse les valoriser et contribuer à leur extension, à leur diffusion.
Sans prétendre imposer un modèle unique, je souhaite également que l'on puisse proposer à chaque médecin une meilleure insertion dans le système de santé.
Chaque membre du corps médical devrait, à côté de son mode d'exercice principal, pouvoir consacrer une partie de son temps professionnel à une autre activité. Prévention, éducation sanitaire, sont trop souvent négligées.
Il faut multiplier les occasions dans lesquelles le médecin peut aller à la rencontre des patients, et pas seulement attendre que le patient vienne à lui. Et ouvrir l'hôpital, le diversifier, je le répète.
Ceci me paraît un enjeu particulièrement important à une époque où le patient reçoit, par la télévision, de multiples messages sur les perspectives de progrès médical, qu'il n'est pas toujours en mesure d'assimiler.
Que de carcans à desserrer, que d'habitudes à briser. La noblesse des professions de santé est pourtant dans cette transformation culturelle et sociale.
Il faut remettre en cause le clivage entre le secteur sanitaire et le secteur social.
Il faut développer les réseaux d'accueil et de prise en charge globale.
Il faut associer hôpital et médecine de ville dans une même communauté médicale.
Il faut régionaliser le système, sa réflexion comme son ordonnancement, voir éventuellement après large et long débat, son financement dans le cadre de péréquations nationales.
Il faut créer des passerelles entre les professions, rapprocher les circuits d'information et de formation.
Nos concitoyens l'attendent et l'expriment de plus en plus par une défiance dans une médecine d'un autre âge.
Aux professionnels de relever le défi de cette modernité.