Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF et de Force démocrate, dans "Le Figaro" du 7 juin 1999, sur la stratégie de l'UDF dans la campagne pour les élections européennes et sur la construction d'une Europe fédéraliste.

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Le Figaro : Jamais campagne électorale n’a aussi peu intéressé les Français. N’est-ce pas une condamnation de tous ceux qui, comme vous, ont installé le débat politique autour de l’Europe ?

François Bayrou : On verra la dernière semaine que les électeurs veulent entendre parler du sujet. C’est d’ailleurs la seule attitude qui soit respectueuse des citoyens et de la démocratie. De plus, l’Europe n’est pas une question abstraite, intellectuelle ; elle est la question majeure de l’avenir de la France. Pour ma part, je continuerai à respecter les électeurs et la gravité du sujet en présentant un projet européen, clair et argumenté.

Le Figaro : Nicolas Sarkozy vous accuse d’avoir exhumé un débat poussiéreux, dépassé, sur le fédéralisme, pour justifier votre refus d’une liste unique de l’opposition.

François Bayrou : Ce genre de propos de politique intérieure est dérisoire. Les réactions des Français, même les plus favorables à l’Europe, sont empreintes d’inquiétude et de réserve. Pourquoi ? Parce que la construction européenne n’a pas fait sa place aux citoyens. La complexité des traités, l’impossibilité de comprendre les règles du jeu, l’absence de dirigeants démocratiquement responsables, tout cela nuit à l’idée européenne. Mon projet est donc de donner aux citoyens des peuples d’Europe une prise sur la construction européenne.

Le Figaro : La méfiance vis-à-vis des peuples et de la démocratie n’est-elle pas inscrite dans la logique même de la construction européenne ?

François Bayrou : C’était peut-être le défaut inévitable des premières décennies de la construction européenne. Mais je suis sûr que l’Europe échouera si elle ne devient pas une démocratie. Il faut bien comprendre que notre système commun de valeurs, celui qui est commun à tous les peuples d’Europe, est menacé par une vague sans précédent de matérialisme à peine coloré de droits de l’homme. Or, une des caractéristiques de notre système de valeurs est qu’il donne au peuple non seulement la possibilité de choisir ses dirigeants, mais aussi de dessiner lui-même son avenir. Si on veut continuer à pouvoir dessiner notre avenir comme nous l’entendons, il nous faut nous doter de la puissance que nos États-Nations ont perdue. C’est pourquoi le projet européen est au cœur de notre aventure historique. Et c’est pourquoi il nous faut remettre de la démocratie dans ce système. Or, la démocratie, depuis la Grèce antique, c’est faire passer des projets par des visages. Tant que nous n’aurons pas de dirigeants identifiés de l’Europe, il y aura un rejet de l’Europe. Tant que nous n’aurons pas de démocratie, régnera la technocratie.

Le Figaro : Peut-il y avoir une démocratie européenne alors qu’il n’y a pas de peuple européen ?

François Bayrou : Croire que les peuples européens n’ont rien de commun, c’est faire injure à la vérité et à quinze siècles d’histoire. Depuis les grands mouvements religieux du Moyen-Âge jusqu’aux Lumières et aux drames du XXe siècle, nous pouvons suivre l’histoire commune des peuples européens. Il est vrai qu’il y a dans cette communauté des peuples européens plusieurs langues, plusieurs modes de vie. Il n’y aura donc pas de vie démocratique unique, mais des problèmes communs traités en commun : économie, environnement, défense, etc. Quand on sait que les États-Unis consacrent pour leurs dépenses de recherche d’armement davantage que la France pour l’ensemble de ses dépenses militaires, on s’aperçoit du décalage immense qui se creuse jour après jour entre la puissance américaine et les impuissances européennes.

Le Figaro : La France seule imagine l’Europe comme un contrepoids à la domination américaine. Les autres s’en satisfont très bien.

François Bayrou : C’est la blague que servent depuis des années les adversaires de l’Europe. Mais il n’y a pas seulement la puissance américaine que l’Europe doit contrebalancer. Il y a aussi les marchés financiers ou les mafias. Dans un temps de mondialisation, il faut construire l’Europe pour compter.

Le Figaro : Entre l’Europe fédérale que vous préconisez et les régions que vous voulez plus puissantes, que reste-t-il à la Nation ?

François Bayrou : La Nation restera le lieu de la vie politique nationale. Elle aura pour tâche essentielle de préserver l’identité du pays et d’assurer l’égalité de ses citoyens : école, formation, mais aussi sécurité des biens et des personnes, etc. L’Europe doit s’interdire de traiter tous les sujets que la Nation est capable de traiter toute seule. L’Europe n’enlève rien aux Nations, elle leur apporte le plus qui leur manque pour exister comme puissance.

Le Figaro : Vos adversaires de la liste RPR-DL vous accusent d’avoir fait liste autonome pour préparer d’éventuels renversements d’alliance ?

François Bayrou : La seule garantie pour les socialistes de rester au pouvoir est que la droite ne tienne plus que des discours eurosceptiques et ultralibéraux.

Le Figaro : « L’Alliance » RPR-UDF-DL est morte. Faut-il la remplacer ? Et par quoi ?

François Bayrou : Il y aura nécessairement après le scrutin du 13 juin une nouvelle organisation de l’opposition. Je souhaite que ce soit une organisation équilibrée, respectueuse des trois grandes sensibilités qui la forment : nationale, conservatrice et ultralibérale, européenne et sociale. En son sein, chacun sera à égalité de droits et de devoirs.

Le Figaro : En clair, le RPR ne doit plus prétendre à la direction de cette opposition ?

François Bayrou : En effet, nous n’accepterons plus qu’il y ait ceux qui commandent et ceux qui obéissent.

Le Figaro : Pourtant la gauche se trouve très bien de posséder avec le PS un parti dominant de la coalition. Le problème de la droite n’est-il pas au contraire que le RPR ne soit plus en mesure de jouer ce rôle ?

François Bayrou : On a besoin aujourd’hui que s’épanouissent une nouvelle génération, de nouvelles manières d’être, de nouveaux visages, de nouvelles idées. On verra le jour venu qui arrivera premier, et qui sera second. Ma conviction est que, refondée, retrouvant son authenticité, l’UDF jouera un rôle majeur.

Le Figaro : Si vous obtenez, le 13 juin, un score inférieur à 10 %, une partie de l’UDF se révoltera contre vous ?

François Bayrou : Le bon score, c’est le plus haut possible. Moi qui suis un paysan, je sais qu’il faut labourer et semer avant de récolter. Il y a un moment où le blé est en herbe, et quelques semaines après il est en épis.