Interview de M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget, dans "Le Journal des finances" du 27 septembre 1997, sur l'alourdissement de la fiscalité de l'épargne dans le projet de budget pour 1998, et notamment sur les contrats d'assurance vie.

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Circonstance : Présentation en conseil des ministres du projet de loi de finances pour 1998 le 24 septembre 1997

Média : Le Journal des Finances

Texte intégral

Le Journal des Finances : Les mesures d’alourdissement de la fiscalité de l’épargne prévues pour 1998 frappent les contrats d’assurance vie, produit vedette des quinze dernières années promues par les différents gouvernements qui se sont succédé. Comment le justifiez-vous ?

Christian Sautter, secrétaire d’État au budget : Une et une seule mesure, dans la loi de finances 1998, concerne ces produits. Elle porte sur les revenus (les intérêts des placements) tirés à échéance du contrat d’assurance vie. Ces revenus bénéficieront d’un abattement de 30 000 francs annuel pour un célibataire et de 60 000 francs pour un couple. Au-delà de ce seuil, ils seront soumis à un prélèvement libératoire, non pas de 15 % comme habituellement, mais de la moitié (7,5 %). En revanche, cette mesure n’est, en aucun cas, rétroactive, et j’insiste énormément sur ce point. Seuls les nouveaux contrats sont concernés, c’est-à-dire ceux souscrits à compter du 15 septembre 1997. Vous avez remarqué aussi que nous n’avons pas limité l’utilisation de l’assurance vie pour les successions. Je vous rappellerai que la majoration de quatre points (si possible) de la CSG servira à remplacer les cotisations des salariés à l’assurance maladie. En dépit de cet alourdissement, le placement en contrats d’assurance vie reste tout à fait attractif pour les épargnants français.
Je tiens également à souligner que le Gouvernement est très attaché au capital-risque pour favoriser le développement des entreprises de technologie, créatrices d’emplois. Si les contrats d’assurance vie sont majoritairement investis dans des sociétés non cotées, cette fraction plus risquée sera exonérée du prélèvement obligatoire de 7,5 %.

Le Journal des Finances : Le Gouvernement souhaite transférer du pouvoir d’achat en faveur des salariés. Alourdir la fiscalité sur les produits de l’épargne ne conduira-t-il pas au contraire à réduire le pouvoir d’achat de ces mêmes salariés ?

Christian Sautter : En moyenne, les Français épargnent 18 % de leurs revenus. Certains moins – les jeunes notamment. Et la propension à épargner a tendance à croître avec l’âge. Fréquemment, les retraités consomment le produit de l’épargne qu’ils ont accumulée pendant leur période active. Pour la plupart des salariés y compris ceux qui préparent leur retraite, la progression estimée d’un peu plus de 2 % du pouvoir d’achat en 1998 après impôts est le signe que les mesures fiscales ou de financement de la Sécurité sociale ne vont pas entamer sérieusement le pouvoir d’achat des salariés. Il est clair que la fiscalité de l’épargne un peu plus lourde handicapera les grands épargnants. Mais ce n’est pas le cas de la moyenne de l’ensemble des Français.

Le Journal des Finances : Comment qualifier les souscripteurs d’assurance vie de personnes aisées alors qu’ils représentent la moitié des ménages français ?

Christian Sautter : Je ne cherche pas à faire des qualifications. Tous les Français épargnent peu ou prou. Même si l’État ponctionne, au terme de huit ans, quelques milliards sur l’assurance vie, qui représente un encours de 2 000 milliards de francs, on ne peut pas dire que le pouvoir d’achat en sera grandement affecté.
Nous allons transférer du pouvoir d’achat vers les salariés. Or, ces derniers ont une propension à consommer, supérieure à la moyenne, surtout si leurs salaires sont modestes. C’est donc une mesure de justice et, en même temps, de soutien à la consommation.
Mais tout dépend de ce que l’on fait avec l’épargne. Si celle-ci finance des investissements productifs, c’est une très bonne chose.
Si elle est thésaurisée ou est investie à l’étranger, elle n’apporte pas à l’emploi français une contribution massive.

Le Journal des Finances : Tous les contrats d’assurance vie vont devoir supporter l’augmentation de la contribution sociale généralisée (CSG), qui passera de 3,4 % à 7,1 %…

Christian Sautter : Même avec ces trois ou quatre points de CSG, les contrats d’assurance vie seront, et c’est heureux parce que nous souhaitons encourager l’épargne longue, beaucoup moins taxés que la retraite par exemple, soumise à l’impôt sur le revenu et à la CSG. Le rendement des contrats d’assurance vie à celui des obligations d’État. Prenons un exemple, si vous achetez une obligation d’État à 5,5 %, que vous retirez les 7,5 % de prélèvement libératoire, auxquels s’ajoutent 8 ou 9 points de CSG, vous arriverez à une ponction de 15 %. Vous obtenez encore plus de 4,5 % de revenu après impôts, à comparer à une inflation de 1 à 1,5 %. Cela fait quand même une belle rémunération après impôt.

Le Journal des Finances : Le régime fiscal de l’assurance vie se rapproche de plus en plus d’un régime de droit de commun. Quelles solutions de rechange prévoyez-vous pour les Français qui désirent préparer leur retraite ? Allez-vous préserver la loi sur les fonds de pension votée par le Gouvernement précédent ?

Christian Sautter : Dominique Strauss-Kahn a indiqué mercredi qu’il y aurait une réflexion d’ensemble à ce sujet l’an prochain. Par ailleurs, je pense que les contrats d’assurance vie, même les nouveaux, garderont une rémunération avantageuse pour préparer la retraite. Une rémunération réelle (après inflation et impôts) de 3 % représente un placement très compétitif et très sûr.

Le Journal des Finances : Quelles sont les recettes globales attendues de l’alourdissement de la fiscalité de l’épargne ?

Christian Sautter : Pratiquement aucune sur l’assurance vie, puisque c’est une mesure de justice qui n’aura aucun effet en 1998. L’augmentation de 4 points de la CSG opérera un transfert de 18 à 20 milliards de francs des revenus de l’épargne vers ceux du travail.

Le Journal des Finances : Certaines des mesures d’alourdissement de la fiscalité de l’épargne sont très pénalisantes pour les ménages (en particulier la fiscalité sur les plus-values, qui passerait de 20,9 % à 25 %, et la quasi-suppression de l’avoir fiscal). Ces mesures ne risquent-elles pas de porter préjudice aux prochaines privatisations (France Télécom et bientôt Thomson) ?

Christian Sautter : L’avoir fiscal ne sera supprimé que pour les contribuables non imposables au-dessus d’un seuil.
J’ai la conviction que la vente des 20 % de France Télécom sera un très grand succès. J’en fais le pari avec vous.
Et je pense que c’est un très bon placement. Cela n’a rien à voir avec la fiscalité de l’épargne.

Le Journal des Finances : Pourtant, ces opérations vont inciter les Français à épargner et non pas à consommer…

Christian Sautter : Personne ne cherche à punir l’épargne française. Ce que nous préconisons, c’est une taxation plus juste des revenus de l’épargne.

Le Journal des Finances : La loi de finances 1998 prévoit des recettes de près de 28 milliards de francs pour le compte d’affectations spéciales. Dans ce montant, quelle sera la contribution des privatisations et de la mise sur le marché de France Télécom ?

Christian Sautter : Le produit de la vente des actions France Télécom, dont je ne peux pas vous dire le montant, sera imputé en 1997 sur un compte d’affectations spéciales, qui permettra à l’État de recapitaliser certaines entreprises publiques. En 1998, ce compte sera nourri par d’autres ventes de participations minoritaires.

Le Journal des Finances : Les ménages les plus aisés ne vont-ils pas être tentés – pour ceux qui ne l’ont pas encore fait – de « délocaliser » leur épargne à l’étranger ?

Christian Sautter : Certains n’ont pas attendu le mois de septembre 1997 pour se poser cette question. Mais la plupart des épargnants recherchent la sécurité et le rendement. Or, l’argent est en sécurité chez nous. Et je vous l’ai dit tout à l’heure, l’épargne est bien rémunérée en France. D’autant que la délocalisation de l’épargne coûte très cher en frais d’intermédiaires.

Le Journal des Finances : Les créateurs d’entreprises qui gagnent de l’argent ne sont pas vraiment favorisés par la loi de finances 1998…

Christian Sautter : Au contraire, ils vont bénéficier des bons de souscription avec un régime fiscal favorable et du report de la taxation des plus-values lorsqu’ils vendent leur entreprise pour investir dans une nouvelle société. Non seulement nous aimons les PME, mais nous agissons pour elles dans la pratique, ce qui peut-être une différence avec certaines mesures prises par le Gouvernement précédent, qui avait taxé les stock-options.

Le Journal des Finances : Quel sera le montant global de la contribution demandée aux entreprises ?

Christian Sautter : La surtaxe de 1997 rapportera environ 18 milliards de francs tandis que les mesures fiscales nouvelles généreront en 1998 9 milliards de francs, dont 2 milliards proviendront de la hausse des carburants. C’est une ponction qui sera supportable. La contribution 1997 était un investissement pour l’euro ; la ponction 1998, c’est l’élimination de quelques avantages indus des entreprises.
Ce qu’il faut retenir, c’est que dans le budget 1998 les mesures fiscales sont peu importantes puisque les prélèvements de l’État diminuent en pourcentage de la richesse nationale. C’est une rupture de tendance par rapport aux années 1993-1996.