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Le Monde
Quelle analyse faites-vous, au terme de la réunion des ministres de la santé de l'Union européenne organisée le mardi 8 juin à Luxembourg, de la crise de la dioxine ?
Bernard Kouchner
- « La santé publique dans l'Europe des Quinze passe enfin au premier plan. Le conseil des ministres vient de le prouver. Il s'agit là d'une avancée majeure. En effet la crise de la dioxine est, avant toute chose, une crise européenne tout comme l'a été celle de la « vache folle » et comme le seront peut-être demain les conséquences sanitaires de l'utilisation des organismes génétiquement modifiés.
Nous devons arrêter de jouer à la guerre alimentaire, cesser les dissimulations et le nationalisme de la fourchette. On ne nourrit pas des animaux herbivores avec de la viande, pas plus qu'on ne peut raisonnablement nourrir les poulets avec de l'huile de vidange !
Tous les enfants peuvent le comprendre. Il nous faut impérativement interdire au plus vite, en Europe, les farines animales de viande et d'os pour les porcs comme pour les poulets ou pour les zones d'élevage. Et ce, de manière définitive. Nous ne voulons pas d'une Europe où le libéralisme sauvage, le profit à courte vue feront courir des dangers sanitaires aux Européens. Nous constatons malheureusement encore aujourd'hui une absence totale d'harmonisation de la réglementation, une triste et constante tendance au nivellement par le bas. Il manque à l’Union européenne une politique harmonisée de contrôle, de veille scientifique, de prévention, d'analyse prospective des risques, de confrontation d'experts. Les procédures a priori standardisées de veille et d'échange d'informations ne fonctionnent pas comme il conviendrait. Ne l'oublions jamais dans cette affaire de dioxine : la Commission européenne n'a été informée que par la presse des éléments sanitaires du dossier belge. »
Le Monde
Certains spécialistes estiment aujourd’hui que l’interdiction de l'utilisation de toute forme de farine animales dans les circuits de l'alimentation animale aurait des conséquences néfastes sur l'environnement et conduirait à certains déséquilibres commerciaux dans les importations faites par l'Union européenne, de produits oléagineux…
Bernard Kouchner
- « Je ne sous-estime nullement les problèmes techniques de stockage, de destruction des résidus et des boues et d'impact sur l'environnement que soulèvera l'interdiction de l'usage de ces farines animales. Mais examinons ces problèmes ! Ce ne sont que des difficultés techniques et qui, à ce titre, pourront être réglées. Je sais également qu'il faudra remplacer dans l'Union européenne ces farines par des productions végétales d'autres provenances. Une telle entreprise ne sera ni rapide, ni aisée. Mais cet objectif m’apparaît d'ores et déjà inéluctable du strict point de vue de la santé publique. N'oublions pas que l'on recense toujours des cas de « vache folle » ! »
Le Monde
Quel remède, autre que l'arrêt de l'utilisation de ces farines animales, jugez-vous indispensable pour prévenir au sein des pays de l'Union européenne la répétition de crises sanitaires dans le champ de l'alimentaire ?
Bernard Kouchner
- « Dorénavant, nous devons impérativement assurer aux citoyens européens la sécurité alimentaire de la ferme à l'assiette : une traçabilité pour tout et pour tous. Il nous faut pour cela obtenir un suivi parfait des filières alimentaires ; disposer d'une identification des produits ; connaître leur origine et leur composition, y compris pour les matières premières.
L'harmonisation de la réglementation européenne, avec un nivellement par le haut, sera la seule garantie que nous pourrons fournir quant à la sécurité du consommateur. Les ministres de la santé de l'Union européenne viennent d'aborder ces questions fondamentales, lors de la réunion organisée à Luxembourg. Pour ma part, j'ai proposé à cette occasion, au nom du Gouvernement français, la création rapide d'une agence de sécurité sanitaire européenne. Au sein de cette future structure, pourront être abordés les trois autres sujets de préoccupation essentiels de notre temps : les antibiotiques incorporés dans l'alimentation animale, l'usage des hormones anabolisantes chez les bovins et la diffusion planétaire des organismes génétiquement modifiés. »
Le Monde
Est-ce dire que le Gouvernement français postule que le mode actuel de fonctionnement de la Commission, qui dispose de nombreuses collaborations et comités scientifiques, ne fournit pas toutes les garanties sanitaires ?
Bernard Kouchner
- « A l'heure où nous mettons en place le Comité national de sécurité sanitaire, nous pouvons préciser que la France présente dans ce domaine les meilleures garanties. Mais, à l'échelon de l'Union, où tout circule, il nous faut beaucoup plus d'expertise, beaucoup plus de circulation d'informations scientifiques et médicales ainsi que beaucoup plus, le cas échéant, de contrôles. Le principal obstacle à la création d'une telle agence de sécurité européenne, à laquelle sont favorables d'ores et déjà certains des États membres de l'Union européenne, tient au fait que la majorité des pays ne souhaitent nullement s’ouvrir à des contrôles dans le champ de la sécurité sanitaire. Il nous faudra pourtant tous accepter, au plus vite, le possible contrôle par les autres. C'est, pour l'Union européenne, la seule manière de progresser en matière de sécurité, tout comme nous avons réussi, ces dernières années, à tout faire avec la création de l'Agence européenne du médicament. »