Texte intégral
S. Paoli : La question des sureffectifs dans la fonction publique va-t-elle relancer le débat sur les emplois-jeunes ? Une note interne de l'inspection des finances, rédigée par l'ancien directeur du budget, J. Choussat, publiée par le Canard Enchaîné, fait état d'un sureffectif de 500 000 fonctionnaires. L’auteur de la note fait remarquer que, par ailleurs, le gouvernement s'apprête à annoncer la mise en œuvre des trois cents 350 000 nouveaux emplois publics et que cela laisse perplexe - que cite ses propres mots. La publication de cette note a donné lieu hier à l'Assemblée à de vives critiques de l'opposition, sur le mode : le gouvernement engraisse le mammouth. C'est donc dans ce contexte que vont s'ouvrir la semaine prochaine les négociations dans la fonction publique et que vont être présentés les premiers emplois-jeunes. Le ministre de l'Intérieur, à l'occasion d'un colloque intitulé « Des villes sûres pour des citoyens libres » demain à Villepinte, annoncera la mise en œuvre des premiers emplois liés à la sécurité dans les zones sensibles, auxquels d'ailleurs la majorité des maires d’Île-de-France sont favorables.
Voilà donc une polémique sur le nombre des fonctionnaires, au moment où vous apprêtez la mise en œuvre des premiers emplois-jeunes ?
Jean-Pierre Chevènement : Non, je ne vais pas polémiquer avec l'ancien directeur du budget dont le métier est de supprimer des postes. Cela n'a pas de sens. Donc, il est sur sa ligne mais le gouvernement aborde le problème par un autre bout. Il faut donner aux jeunes des perspectives. Il faut qu'ils puissent se rendre utiles. Plutôt que de rouiller au pied des tours, il vaut mieux les insérer dans des circuits professionnels et les mettre là où ils seront utiles.
S. Paoli : Personne ne doute de ça. D'ailleurs, vous avez bien vu que, y compris dans l'opposition, certains étaient favorables à la mise en œuvre de ces emplois-jeunes. Néanmoins, Monsieur Perben, qui est l'ancien ministre de la fonction publique fait remarquer que ces emplois-jeunes risquent d'être, dans cinq ans, des bombes à retardement. Car, qu’allez-vous en faire de ces jeunes ? Vont-ils devenir des fonctionnaires ?
Jean-Pierre Chevènement : Justement, pour prendre l'exemple de la sécurité, nous allons recruter cette année 8 250 adjoints de sécurité pour cinq ans mais qui pourront passer les concours de la police nationale. Or, il se trouve que, pour des raisons démographiques, il y aura chaque année entre 5 000 et 7 000 départ dans la police nationale. Donc, les concours seront largement ouverts à ceux qui souhaiteront s'inscrire dans une perspective professionnalisante. Il y a ceux qui pourront être embauchés dans les police municipales ou les sociétés de gardiennage ou bien qui épouseront la fille du boulanger et qui feront du pain. Mais il est quand même plus intelligent de mettre le pied à l’étrier à ces jeunes que de les laisser en jachère. Voilà la démarche du gouvernement et, s’agissant du secteur de la sécurité où il y a des besoins nouveaux, où il y a des formes nouvelles de police à mettre en avant, je pense en particulier à tout ce qui touche la police de proximité. Et ce seront des thèmes de ce grand colloque que j'organise demain et après-demain, qui sera conclu par le Premier ministre mais auquel participeront tous les grands ministres compétents dans ce domaine : le ministre de l'Éducation Nationale à cause de l'éducation civique, le ministre de la Défense à cause de la gendarmerie, le ministre du Logement, le ministre des Affaires sociales, Madame Aubry et le ministre de la Justice parce qu'on ne peut rien faire sans une meilleure coopération entre la police et la justice. Vous savez qu'il y a 80 % de classements sans suite. Eh bien, nous allons empoigner ce problème de la sécurité d'une manière tout à fait originale.
S. Paoli : Qu'est-ce que vous attendez de ces emplois-jeunes ? Sont-ce les jeunes que vous allez envoyer dans les quartiers difficiles, peut-être d'ailleurs en prenant des risques parce qu'il y a des quartiers qui sont vraiment des quartiers très difficiles ?
Jean-Pierre Chevènement : Comme vous l'avez vu, ce n'est pas l'essentiel. Vous le savez très bien, c'est une conception d'ensemble que je résume en trois mots : citoyenneté, proximité et coopération. Citoyenneté : on ne peut pas mettre un policier derrière chaque Français. Il faut restaurer quelques petits codes moraux. C'est le rôle des parents. C'est le rôle de l'école. C'est le rôle des élus locaux, des associations. Et puis deuxièmement, proximité - la police de proximité implique beaucoup de qualités et particulièrement une bonne connaissance des quartiers, du discernement et ça ne peut pas être le seul fait des jeunes adjoints de sécurité ou des agents locaux de médiation qui sont recrutés avec les collectivités locales. Il faudra les encadrer avec, je dirais, des policiers solides, avec des gens qui ont de l'expérience. Il faudra des redéploiements, il faudra faire en sorte que ces problèmes soient pris en s'appuyant sur une bonne connaissance du quartier mais aussi des recherches, de la psychologie, une connaissance des milieux sociologiques. Toutes choses fort importantes.
S. Paoli : Dans ces quartiers difficiles, nombre de parents sont des parents sans emploi depuis de nombreuses années et qui, aux yeux de leurs propres enfants, ont perdu une grande partie de leur autorité. Comment reconstruire tout ça ? Parce qu’en effet, il y a tout un protocole à remettre en place.
Jean-Pierre Chevènement : Qu'est-ce qui empêche l'école d'avoir une action vis-à-vis des parents et n'est-ce pas la tâche de toute la politique sociale de faire revenir à la surface des choses cette petite idée que, quand on met un enfant au monde, et bien on a des responsabilités à son égard et à l'égard de la société, que la citoyenneté c'est des droits mais c'est aussi des devoirs ? Et je crois qu'il faut aller dans ce sens. Je vais publier un guide du citoyen qui sera adressé à tout nouvel électeur de 18 ans, puisque vous savez que j'ai fait voter à l'unanimité à l'Assemblée nationale un projet de loi prévoyant l'inscription d'office des jeunes. J'ai confié au professeur Nicolet, qui est quand même un des grands historiens de la citoyenneté, la rédaction d'un petit opuscule. À 750 000 exemplaires par an, il sera adressé à chaque jeune. Il faut relever cette idée de la citoyenneté. Cela fait partie de cette politique qu’a défini L. Jospin, le Pacte républicain, le retour de la République, parce qu'il faut que les gens comprennent que nous vivons dans une société où naturellement chacun a des droits, en tant que citoyen, mais aussi quelques petits devoirs.
S. Paoli : Est-ce que le retour de la citoyenneté ne passe pas aussi par l'emploi et donc par la nécessité de faire revenir de l'emploi dans les zones où il n'y en a plus, et pour des raisons de sécurité notamment ?
Jean-Pierre Chevènement : Mais vous avez tout à fait raison, c'est la raison pour laquelle Madame Aubry participera à ce colloque ; et, au-delà, il y a la politique économique. Il y a la croissance que l'euro ne doit pas brider mais favoriser - je l'ai dit au passage. Et puis naturellement, il y a une politique pratique qui est de ma compétence, qui est, en matière de sécurité, la mise sur pied de contrats locaux de sécurité entre le préfet, le maire, le procureur de la République, tous les services concernés, les associations. Des contrats locaux qui devront se faire, de préférence, à l'échelle de l'agglomération, comporter des diagnostics précis en matière d'insécurité, car on ne peut pas accepter qu’il y ait des quartiers qui deviennent des zones de non-droit. Je vois des quartiers ou des centaines de voitures avaient été brûlées, quand je suis arrivé et quand j'ai pris mes fonctions. C'est une des choses qui m'ont frappé. On me disait : dans tel département, il y a eu 800 voitures brûlées depuis le 1er janvier. Et c'était le 1er juin. On ne peut pas accepter cette dérive. Il faut revenir à un peu d'ordre mais un peu d'ordre républicain, mettre aussi de la culture.
S. Paoli : Ni cette dérive ni les autres : considérez-vous que les hommes en tenue noire avec un 357 Magnum à la ceinture, c'est une police municipale comme une autre et notamment à Vitrolles ?
Jean-Pierre Chevènement : Évidemment non. Il y a des dérives qui sont limitées à une dizaine de villes bien identifiées. Il est temps d'y mettre un terme.
S. Paoli : On avait beaucoup dit que la question des milices était posée : elle ne semble toujours pas résolue.
Jean-Pierre Chevènement : Elle va l’être. Un projet de loi a été préparé dans mes services. Il faut que les uniformes soient distincts. Vous savez que les attributions de ces polices municipales sont limitées à l'application des arrêtés des maires, à la police des marchés et à quelques éléments de la police de la circulation. Ils ne peuvent pas faire du flagrant délit. Cela leur est absolument interdit et ils seront armés d'armes de 6e catégorie, c'est-à-dire de bombes lacrymogènes ou bien de matraques. Mais on ne verra plus de 357 Magnum. Je crois que cela ne va pas. La sécurité est la responsabilité de l'État et il faut que la sécurité soit égale sur tout le territoire. La sûreté est un des droits proclamés par la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.