Interviews de M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale de la recherche et de la technologie, dans "Le Monde" du 15 et "Paris-Match" du 25 septembre 1997, sur l'objectif du "zéro défaut" pour l'enseignement, ses relations avec les enseignants et les syndicats, la diminution des effectifs de l'administration centrale, la création d'emplois-jeunes, et la revalorisation de l'apprentissage de la lecture autour de la personnalité l'élève.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde - Paris Match

Texte intégral

Date : 15 septembre 1997
Source : Le Monde

Le Monde : Vos déclarations sur l’absentéisme et les congés-formation ont suscité l’indignation des syndicats. Était-il judicieux de les provoquer, surtout le jour de la rentrée ?

Claude Allègre : Je ne cherche pas à m’opposer aux syndicats. Au contraire, je veux mobiliser les enseignants. Il fallait donner un signe fort aux parents pour faire comprendre que l’enfant est au centre du système éducatif. Tout le monde est d’accord sur le principe, mais personne n’en tire les conséquences. Cela change totalement la perspective et c’est une véritable révolution.

Il faut agir vite pour que l’objectif du zéro défaut dans l’éducation, avec un professeur dans chaque classe, soit atteint pour la prochaine rentrée. Or, je sais que les discussions avec les syndicats sur cette nouvelle organisation vont durer plusieurs mois. Je le répète : je pense sincèrement qu’une grande majorité des enseignants fait un boulot formidable, mais 1 % d’erreurs pénalise 130 000 à 140 000 élèves. Ce n’est pas acceptable.

Le Monde : Malgré leurs protestations, les syndicats ont répondu favorablement à votre proposition d’une table ronde. Est-ce le début d’une nouvelle ère de relations ?

Claude Allègre : Je les respecte, sans les contraindre. Je ne prends pas de décision sans recueillir leur avis. À ce jour, je n’ai rédigé ni circulaire ni décret et je n’ai pas proposé de nouvelle loi. Prenez l’exemple des emplois-jeunes. Les syndicats étaient divisés, mais ils ont participé à leur définition ainsi qu’à leur mise en place. Et aujourd’hui, tout le monde constate que la formule est bonne. La modification des rythmes ? Personne ne voulait en entendre parler mais, depuis, les syndicats se sont rendu compte que les parents réclamaient de ne pas interrompre les expériences. Je crois que la base avance et que les organisations suivront. En ce qui concerne la formation continue, il n’est évidemment pas question de la diminuer. Bien au contraire. Mais elle ne doit pas être développée au détriment des élèves.

Le Monde : Est-ce la contrepartie que vous demandez après la revalorisation adoptée par Lionel Jospin en 1989 qui n’a pas été menée jusqu’au bout ?

Claude Allègre : Lionel Jospin a opéré avec clarté et générosité. Il a réalisé des avancées historiques, et on ne lui a pas rendu justice. Je crois qu’il faut bouger très fortement si l’on veut obtenir une amélioration quantitative. Cela dit, une des raisons de la mauvaise humeur des enseignants provient, depuis 1993, du coup de frein décidé par la droite. J’ai commencé à rétablir progressivement le passage du statut des instituteurs à celui des professeurs d’école. L’an prochain, j’ai bien l’intention de l’accélérer.

Le Monde : N’y a-t-il pas d’autres dysfonctionnements plus importants que l’absentéisme et la formation continue des enseignants ?

Claude Allègre : Les parents ne supportent pas que l’école donne l’impression d’abandonner les enfants. Avoir un professeur en face de chaque classe, c’est le moins que l’on puisse exiger. Et ce n’est pas uniquement une question d’administration et de gestion des remplacements. Notre priorité est de rendre l’école accueillante pour tous et tout le temps. Ouvrir l’école maternelle aux enfants de deux ans est très populaire, mais surtout important sur le plan pédagogique. Avec Ségolène Royal, nous considérons qu’il s’agit d’une nécessité pour développer le vocabulaire avant l’apprentissage de la lecture. Or, je veux que tous les enfants sachent lire. Nous voulons éradiquer l’illettrisme. La lecture doit redevenir la priorité et nous nous apprêtons à rédiger une circulaire pour que les enseignants y consacrent la moitié du temps au cours préparatoire, sous diverses formes.

Le Monde : Vous avez indiqué que l’amélioration du système éducatif passe par la réforme de l’administration. Comment comptez-vous « dégraisser le mammouth » ?

Claude Allègre : La réforme que j’ai promise va se mettre en place dans les prochains jours. L’actuelle administration compte dix-neuf directions et délégations. C’est une organisation illisible. Il n’y aura donc plus que dix directions, dont les responsables tiendront des réunions communes avec le cabinet. Cette nouvelle structure est destinée à diminuer encore. Une direction sera chargée de la gestion des personnels enseignants, de la maternelle au supérieur, tandis qu’une autre s’occupera des personnels administratifs, techniques et d’encadrement. Lorsque la déconcentration sera achevée, ces deux directions ne feront qu’une. Une direction de l’administration sera chargée de mettre en œuvre la déconcentration. C’est celle-là, notamment, qui va avoir à rendre les administrations centrales plus sveltes.
Les directions que je qualifierais d’« opérationnelles », par rapport aux directions fonctionnelles, regroupent une entité pour les écoles, les collèges et les lycées, une direction de l’enseignement supérieur, une pour la recherche, une pour la technologie. Enfin, une direction « horizontale » s’occupera de la programmation, du développement et de l’aménagement. Elle comprend l’ancienne direction de l’évaluation et de la prospective, mais aussi le pilotage du plan universitaire, la suite d’Université 2000, ainsi que la gestion déconcentrée des équipements de recherche. Enfin, il y aura une direction juridique légère d’une trentaine de personnes et une délégation internationale.

L’objectif est de parvenir à une gestion plus proche du terrain et d’assurer l’égalité républicaine entre les académies. Le paradoxe, c’est qu’avec une gestion centralisée une inégalité épouvantable règne entre les régions. On ne gère pas le personnel avec des ordinateurs.

Le Monde : Cette restructuration s’accompagne-t-elle de changements de personnes ?

Claude Allègre : Parmi les dix directeurs, sans doute y aura-t-il un mélange d’anciens et de nouveaux. Je souhaite que quatre femmes soient nommées à cette fonction, ce qui est une révolution dans cette maison puisqu’il n’y en avait aucune précédemment. L’objectif, à terme, est de diminuer l’effectif des « centrales », c’est-à-dire de passer de 3 200 à 2 000 ou 2 500 personnes. Ces départs vers les régions, les universités ou les établissements se feront sur la base du volontariat. Je veux inciter sans contraindre.

Le Monde : Quel sentiment vous inspire l’afflux massif de candidats pour les emplois-jeunes dans l’éducation nationale ?

Claude Allègre : Je suis content d’avoir commencé très vite car, on le voit aujourd’hui, il existe une attente fabuleuse. Je suis aussi surpris par l’afflux des candidats. Dans l’académie d’Aix-Marseille, où quelque deux mille emplois-jeunes seront affectés, on attend quinze mille candidats et certains d’entre eux sont bourrés de diplômes. Le malaise de l’emploi des jeunes est plus profond que ce que les statistiques nous disent.

Le Monde : Bon nombre de candidats semblent vouloir, à terme, rester dans l’éducation nationale…

Claude Allègre : Il faut d’abord voir comment ces jeunes prendront leur place dans les établissements. À partir de janvier, un système de formation pour les emplois-jeunes sera prévu. J’ai bien l’intention de faire en sorte que ceux qui sortiront dans cinq ans aient un métier, mais pas forcément dans l’éducation nationale. Les directeurs d’IUFM devront assurer une formation continue pour les personnes qui souhaiteront devenir enseignants. Mais nous travaillons aussi avec le ministère de la culture, de la jeunesse et des sports, etc.

J’ai une chance très grande, car 44 000 postes seront disponibles, de la maternelle au supérieur, essentiellement par le biais des départs à la retraite. Et ce nombre va croître. On a donc la potentialité d’absorber dans l’avenir beaucoup de jeunes s’ils en sont capables, car le métier d’enseignant est difficile et demande beaucoup de qualités.


Date : 25 septembre 1997
Source : Paris-Match

Paris-Match : Comment doit-on comprendre vos coups de gueule depuis votre arrivée à l’Éducation nationale ? Dans un livre, « Questions de France » (éd. Fayard), vous disiez qu’il « faut modifier, faire évoluer, adapter l’Éducation nationale, mais ne rien casser. Réformons donc en douceur ». Or, si l’on écoute vos propos iconoclastes, il semblerait que vous ayez adopté une tactique de casse…

Claude Allègre : Pas du tout. Contrairement à beaucoup de mes prédécesseurs, je ne prévois pas de faire une énième loi et je n’ai pas envoyé la moindre circulaire contraignante. Tout cela prouve que cette maison ne s’est pas habituée à ce qui est quand même l’essence de tout, c’est-à-dire au débat d’idées. Je prends un exemple. Je dis : « Je me méfie de la semaine de quatre jours. » Je n’y suis personnellement pas favorable mais c’est un point de vue personnel qui n’implique pas le point de vue du gouvernement. On en discutera. Je donne même deux raisons pour expliquer ma position. Je ne suis pas un fanatique de la semaine de quatre jours parce que, premièrement, je ne veux pas d’un allongement de la journée des enfants, que je trouve déjà trop longue ; deuxièmement, parce que je veux un moment, une plage dans la semaine, pour établir le contact enseignants-parents. Je ne suis pas braqué sur trois, quatre ou cinq jours. Je donne ces deux raisons et je laisse débattre. Après le débat, on décidera collectivement avec voix prépondérante du Premier ministre. Quelques jours plus tard, je découvre, stupéfait, dans un magazine : « Claude Allègre veut faire… ».

Paris-Match : En somme, « on » ne vous comprend pas ?

Claude Allègre : Voyez le problème des absences. Je vais vous donner un chiffre : tous les jours, entre 50 000 et 80 000 enfants sont sans professeur dans l’enseignement secondaire. Est-ce normal ? Il y a là un vrai problème. Il faut le traiter. Le résultat – ce que personne n’avait obtenu – du bruit que j’ai bien involontairement suscité, c’est qu’une table ronde va être organisée sur ce sujet avec, je crois, une volonté unanime – syndicats, parents, administration – de réussir le zéro défaut dans l’intérêt des enfants. Là aussi, je n’ai pas envoyé la moindre circulaire. Malgré cela, j’ai eu un résultat : des tas de professeurs qui avaient prévu de partir maintenant huit ou quinze jours en formation ont remis leur départ. Cela me revient de partout, sans que personne ne leur dise quoi que ce soit. Moi, je trouve que laisser les enfants tout seuls, ce n’est pas bien. Ce n’est pas du tout parce que je veux diminuer le temps de formation des enseignants, au contraire, je veux en faire davantage, mais je pose le problème de laisser les enfants tout seuls. L’école, pour moi, doit être en priorité un lieu où l’on accueille.

Paris-Match : Vous dites que vous voulez mettre « l’enfant au cœur, au centre du système éducatif »…

Claude Allègre : Mais oui. Je ne lance aucun ordre contraignant : je veux simplement lancer un débat. On dirait qu’on a peur d’avoir un vrai débat ! Si bien que l’Éducation nationale – avec ses syndicats, ses confédérations, etc. – s’est trop isolée du reste du pays. Or, je souhaite que l’Éducation nationale soit un grand sujet central dans la politique française. Pourquoi ? Pour une raison très simple : l’Éducation nationale forme les citoyens. Aujourd’hui, elle n’a plus vocation seulement d’apprendre. Elle est le lieu où se forment l’esprit, la personnalité, et où l’on prépare les citoyens. Il faut former des citoyens qui soient capables de former le monde actuel, mais également de le changer, de le faire changer. Sinon, ils ne seront que de simples spectateurs. L’innovation pour tous est le maître mot. C’est donc extrêmement important d’adapter l’Éducation nationale au monde, tel qu’il est, avec ses besoins de changement.

Ensuite, il faut intégrer à ce constat les résultats de la biologie moderne. On sait maintenant, en gros, que tous les cerveaux qui naissent sont à peu près faits pareil. Ce qui les différencie, c’est l’apprentissage. Plus l’apprentissage se fait tôt, mieux cela vaut. D’où l’importance capitale de l’école maternelle – on va d’ailleurs, avec Ségolène Royal, faire un effort considérable sur l’école maternelle puisqu’elle accueillera les enfants à 2 ans, elle lancera l’apprentissage de la lecture, mais aussi, probablement, celui des langues étrangères. La deuxième chose que nous apprend la science moderne, c’est que cette acquisition, ce développement du cerveau, se font très différemment selon les enfants. Il y a des enfants qui sont capables d’acquérir les mécanises fondamentaux très tôt et d’autres plus tard. Mais ceux qui les acquièrent plus tôt ne sont pas forcément les plus intelligents arrivés à l’âge adulte. Le deuxième problème, capital, est donc de ne pas faire de sélection précoce. Or, on fait une sélection précoce. L’enfant qui arrive de maternelle est stressé, d’entrée de jeu, alors qu’on ne devrait pas le stresser mais lui faire faire un apprentissage, lentement, et lui donner confiance en lui. Troisième conséquence importante : la génétique nous apprend que nous sommes tous différents. De la même manière qu’il n’y a pas de race, il n’y a pas de type unique. La troisième conséquence, pour nous, c’est donc la diversité. Cela veut dire qu’il n’y a pas de sciences nobles et de sciences secondaires, il n’y a pas de disciplines meilleures que d’autres. Un enfant qui a des dons pour la musique doit être respecté et encouragé autant qu’un enfant qui a des dons pour les mathématiques (le calcul dans les petites classes) ou un autre qui a des dons pour la poterie ou le sport. Là aussi, il faut faire entrer la diversité à l’école et mettre l’enfant au cœur de l’enseignement.

Paris-Match : Ce n’est pas le cas aujourd’hui ?

Claude Allègre : Non, bien sûr que non. Je vais vous en donner une preuve. Quand je parle de 12 % d’absentéisme, cela englobe les congés formation, mais, pour l’enfant, ces 12 % sont bien réels : 10 %, cela représente 1,4 million d’enfants ! À l’Éducation nationale, on ne peut donc pas raisonner en pourcentage d’enseignants, mais en nombre absolu d’enfants qui n’ont pas d’enseignants face à eux. Donc, je dis : « J’ouvre une table ronde. Je veux zéro défaut. » Et j’obtiendrai zéro défaut ! Je peux vous le dire. Comment ? On va le voir. Mais j’obtiendrai qu’il n’y ait pas (ou presque pas) d’enfants sans classe.

Paris-Match : Mais il y a aussi le problème du remplacement des professeurs !

Claude Allègre : Dans le secondaire, on flanque des remplaçants qui restent chez eux et attendent qu’on leur téléphone. Vous croyez qu’ils remplacent facilement ? Non. Exemple : vous êtes agrégé de philosophie, on va vous dire d’aller remplacer un professeur d’histoire-géographie à Bobigny. « Mais je suis professeur de philo… » « Oui, mais vous devez bien savoir un petit quelque chose… » On discute un moment et, finalement, il n’y va pas. Cela ne peut pas marcher comme ça. Autrefois, il y avait des pions. Ils étaient en quelque sorte des aides enseignants puisqu’ils faisaient des études pour devenir professeurs. Quand le prof de français était absent, c’était le pion de français qui venait. Je ne dis pas que c’était parfait, mais l’élève n’était pas balloté, laissé à lui-même.

Paris-Match : Vous voulez donc réhabiliter les pions dans les lycées et les écoles ?

Claude Allègre : Bien sûr qu’il faut remettre des pions. Dans les IUFM, les élèves de dernière année font un stage dans les lycées ou les écoles. Ils sont « en responsabilité », autrement dit, ils doivent faire classe sans le tuteur. Pourquoi ne pas prendre cette période-là pour que le tuteur aille faire sa formation ? C’est un principe assez simple, non ? Et qui ne lèse personne.

Paris-Match : Les syndicats vous ont à l’œil. Leur avez-vous expliqué ce que vous nous dites là ?

Claude Allègre : Tout le monde se plaint que l’Éducation nationale ne soit pas réformée… Mais on ne peut pas la réformer en étant immobile. Je n’arriverai pas à la réformer en disant que tout va bien, que c’est formidable. Je pense que les bons enseignants, qui sont la majorité, se rendent compte qu’il s’agit d’une nécessité. On le voit par le courrier.

Paris-Match : Qu’est-ce qu’un « bon enseignant » selon vous ?

Claude Allègre : Je ne sais pas exactement le définir. Je pense qu’il y a un problème relationnel dans l’enseignement. Moi, j’ai eu des professeurs qui étaient très savants et ça ne collait pas avec les élèves, et d’autres qui étaient des communicateurs formidables et à qui je dois tout. Ce n’était pas forcément les plus diplômés. C’est difficile de parler de bons et de mauvais enseignants. La plupart sont bons et, de plus, il faut bien dire que le niveau monte terriblement à cause du chômage.

Paris-Match : Allez-vous moderniser les examens ?
Claude Allègre : Je veux, entre autres, utiliser les nouvelles technologies, rénover l’enseignement des sciences comme Georges Charpak le fait mais aussi revenir aux valeurs républicaines. Je vais vous donner un exemple de cette synthèse : les sujets du bac vont être nationaux. Il n’y aura donc plus de sujets différents dans les académies et, en même temps, je fais une économie financière considérable, car une des grandes dépenses du bac, c’est de préparer les sujets. Ainsi, on rétablira l’égalité républicaine : celui qui sera à Lille ou à Marseille passera le même baccalauréat. Deuxièmement, on fait des économies et troisièmement, on utilise les nouvelles technologies pour transmettre les sujets partout en même temps. C’est un peu un symbole de ce que l’on cherchera à faire.

Paris-Match : Pour le bac, vous avez laissé entendre qu’il y aurait des contrôles continus sur certaines matières ?

Claude Allègre : Non, non, je ne sais pas qui a inventé cela. Je ne veux pas toucher au bac. C’est un symbole et, d’autre part, si vous voulez, le contrôle continu soulèverait des problèmes, tels que la sécurité et la violence. Tant que la sécurité n’est pas rétablie dans les établissements, le contrôle continu n’est pas possible, sinon des enseignants risqueraient de se voir menacés. Je ne vais pas les mettre sous tension alors qu’on va prendre des mesures très dures pour la protection des enseignants face à la violence.

Paris-Match : C’est-à-dire ?

Claude Allègre : Tout élève qui s’attaquera à un enseignant fera l’objet de sanctions très dures. Je veux cesser de voir des enseignants menacés. Ce n’est plus possible. Je ne le tolérerai pas.

Paris-Match : Vous ne voulez pas laisser des enfants sur le bord de la route ?

Claude Allègre : Je pense que les talents sont beaucoup plus nombreux et divers que ce qu’on veut bien dire. Mon souci, c’est que tous les talents réussissent, qu’une seconde chance soit donnée aux jeunes et aux moins jeunes. C’est cela, mon grand projet de formation diplômante. Enfin, qu’aucun ne passe à travers l’écumoire. C’est un point important. Vous voyez des gens qui créent des entreprises et qui vous disent qu’ils n’ont pas réussi à avoir leur bac ! Il y a quelque chose qui ne va pas. Ces gens-là sont extrêmement intelligents. Il y a quelque chose qui les a découragés.

Paris-Match : Vous vous attaquez aussi aux sacro-saintes vacances des profs…

Claude Allègre : Je n’attaque pas « les vacances » en tant que telles. Je pense que les professeurs ont besoin de recharger leurs accus. J’ai dit simplement que la formation pouvait avoir lieu le mercredi ou pendant les vacances, pas au détriment des enfants. Mais ce ne sont pas les vacances en elles-mêmes que j’incrimine. J’aurais même tendance à trouver que les grandes vacances des enseignants sont une nécessité absolue. Le métier d’enseignant est un métier stressant et je le connais bien. Je trouve aussi que les « petites vacances » sont trop longues et beaucoup de parents ont du mal à caser leurs enfants pendant ces petites vacances. Si on me donnait le choix, je préférerais allonger les grandes vacances et raccourcir les petites ! Simplement les raccourcir !

Paris-Match : La révolution Allègre est en marche !

Claude Allègre : Je ne sais pas si c’est la révolution, je pense que c’est le bon moment pour agir et l’on a une chance formidable…

Paris-Match : Vos parents, votre femme, votre frère, votre fille, qui sont tous enseignants, vous encouragent-ils ?

Claude Allègre : Oui, parce que ce sont tous des gens qui font leur métier avec une énorme passion. Ma femme a fait ses deux enfants sans prendre un seul jour de congé de maternité, parce qu’elle considère que c’était se mettre dans une position d’infériorité vis-à-vis des hommes ! Ma mère n’a jamais été absente, mon frère non plus. J’ai fait des cours avec 40 ° de fièvre ! Ceux qui m’entourent considèrent comme moi que le métier d’enseignant est le plus beau métier du monde et que ce n’est pas assez reconnu. Les miens sont ainsi. Ils sont contents qu’on essaie de faire bouger l’Éducation nationale, cela veut dire qu’on aime l’enseignement, qu’on a une passion…

Paris-Match : Avez-vous le soutien total de Lionel Jospin ?

Claude Allègre : Ce n’est pas une question ! Il me connaît plus que quiconque. Si Lionel Jospin m’a mis là, c’est pour faire bouger les choses. Qu’il soit d’accord à 100 % avec ma manière… Il a un style un peu différent du mien. Lionel Jospin sait bien que pour que l’Éducation nationale bouge, il faut faire certaines choses… Je m’y emploie.