Déclaration de M. Michel Rocard, ministre de l'agriculture, sur la situation de l'agriculture, Paris le 10 janvier 1985.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Semaine de l'agriculture

Texte intégral

Il y a décidément quelque chose d'ambigu dans le métier de ministre de l'agriculture. Souvent, en effet, je suis confronté aux organisations professionnelles et syndicales agricoles dans des négociations ardues, tenaces, et j'ai alors la charge de faire valoir le point de vue de l'Etat, de l'intérêt général, face à des revendications dont je ne méconnais pas pour autant la légitimité. En revanche, je suis souvent conduit à défendre l'agriculture et les agriculteurs dans les marathons européens, dans les discussions budgétaires nationales, et quelquefois aussi face à l'opinion publique de notre pays.

Avocat ou arbitre ? Le choix est complexe et l'on attend trop souvent d'un ministre de l'agriculture qu'il soit l'un et l'autre et parfois même l'un et l'autre ensemble.

Alors, ne nous méprenons pas : en organisant cette « semaine de l'agriculture », je n'ai pas voulu jouer au « super dirigeant professionnel agricole », je n'ai pas prétendu me placer au premier rang du syndicalisme paysan. Je suis trop respectueux de l'indépendance de mes partenaires et j'ai trop de souci que l'Etat puisse négocier avec des interlocuteurs forts et respectés pour me risquer à quelque confusion des genres que ce soit.

Mais j'ai la conviction que le ministre de l'agriculture, ministère à part dans l'organisation administrative française puisqu'il concerne une population dans toutes ses dimensions et non au regard d'une seule activité, est pleinement dans son rôle en mettant le pays face à des choix qui sont des choix de société.

Montrer le rôle et la place de l'agriculture dans l'économie française aujourd'hui, c'est permettre à la société française de faire des choix quant à son propre avenir. En termes de partage de revenu, d'aides à l'investissement, d'équilibre social, d'aménagement du territoire, le monde agricole et rural reçoit-il tout ce qu'il mérite au regard de la place qu'il occupe et du rôle qu'il joue pour l'ensemble de nos compatriotes ? Dans une période ou l'intolérance à l'impôt et à l'intervention de l'Etat vont grandissant, les réponses ne sont pas évidentes.

Mais ce sont des réponses qu'il faut faire. Il faut le faire, non pas tant pour les agriculteurs et le monde rural, mais pour la société française elle-même. Et quelles qu'elles soient, elles auront un prix : un prix en termes de priorités budgétaires, et de solidarité dans l'une des hypothèses, un prix en terme d'indépendance économique et un prix en terme d'aménagement et d'entretien de notre territoire rural, dans l'autre hypothèse.

L'organisation de cette « semaine de l'agriculture » n'a pas d'autre ambition que de permettre à nos compatriotes, en connaissant mieux cette société rurale ou plongent – plus ou moins loin - nos racines personnelles et ou restent – pour une part - les clés de notre avenir, de répondre en connaissance de cause à ces questions.

En tout cas, si elle permet à chaque citoyen d'être mieux armé pour se trouver de temps à autre, comme moi, avocat ou arbitre, arbitre ou avocat, elle aura rempli son but.

C'est dans cet esprit, pour que chacun connaisse mieux le monde où il vit et sur lequel il agit que j'évoquerai successivement :

- ce qu'est désormais l'agriculture dans un pays comme le notre ;
- la nature des problèmes auxquels elle est aujourd'hui confrontée ;
- et enfin, dans quelles perspectives doivent se conjuguer l'action des agriculteurs et des agricultrices, celle des organisations qu'ils se sont donnés et celle des pouvoirs publics pour trouver les réponses aux difficultés actuelles.


I – Qu'est-ce que l'agriculture française aujourd'hui ? C'est-à-dire quels enjeux son existence, son développement, représentent-ils pour notre pays.

Si les français ont tous présent à l'esprit une image de ce qu'est pour eux un agriculteur, image encore parfois mythique ou caricaturale comme l'a montré le travail du CEFPIA, bien peu connaissent ce qu'est aujourd'hui la dimension complète de cette activité économique.

1.1. Comme l'a souligné tout à l'heure Henri Guillaume l'agriculture est d'abord un grand secteur économique.

- en terme d'emplois et en terme de contribution à la production nationale, elle occupe directement 8 % des actifs et, fournissant environ 5 % de la production nationale, elle constitue la base d'une filière industrielle et commerciale représentant aujourd'hui plus de 15 % de l'activité nationale.

- cette agriculture réussit, en dépit des aléas climatiques qui ont été si marquants ces dernières années, (inondations puis sécheresse en 1983, conditions très favorables aux céréales en 1984) à fournir aux français un approvisionnement alimentaire régulier en accompagnant en quantité et en diversité les besoins des consommateurs. Il s'agit là d'un acquis ancien, puisque nos dernières difficultés d'approvisionnement datent de la fin des années 40, et donc désormais d'une grand banalité. Mais il faut souligner encore aujourd'hui l'importance de cet acquis dans un pays ou le poids des habitudes alimentaires est si lourd et ou l'opinion s'emballe donc si facilement lorsqu'apparaît le moindre risque de pénurie. Ainsi, il y a 10 ans, le ministre de l'économie a du brandir la loi sur les « affameurs » promulguée pendant l'occupation pour enrayer les réactions de panique qui avaient suivi une perturbation passagère du marché du sucre. De plus, cette rigidité des comportements alimentaires s'ajoutant à une structure des coûts salariaux caractérisés par un effectif élevé dans les tranches les moins favorisées rend notre économie toute entière et plus spécialement les entreprises industrielles très sensibles aux hausses des prix alimentaires.

J'ajoute enfin qu'après avoir assuré l'autosuffisance, nos exploitations agricoles ont poursuivi leur progression pour faire de leurs productions des points forts de notre équilibre commercial extérieur.

1.2. L'agriculture est par ailleurs le lieu d'enjeux politique et sociaux majeurs :

- enjeux planétaires dans les relations nord-sud en raison du caractère vital du problème alimentaire pour certaines populations dont l'actualité nous renvoie actuellement les images, en raison aussi du caractère stratégique dans les équilibres du monde, des liens qui s'établissent à l'occasion des exportations alimentaires vers les pays en développement. Apparaît sur ce thème une distance, pour ne pas dire davantage, entre les conceptions américaines et celles qui devraient devenir celle de l'Europe et de la France. Il s'agit là d'un des aspects des problèmes examinés mardi dernier et dont nous a rendu compte tout, à l'heure dans sa synthèse monsieur Michel Jacquot.

- la politique agricole constitue, on le savait bien, un enjeu majeur de la construction européenne. Elle est de loin la plus significative des politiques ou s'exprime, en dépit des divergences, une volonté commune. Elle n'est qu'une petite partie de ce que devrait être une communauté politique mais cette communauté ne se bâtira pas sur les débris de ses éléments déjà établis.

- de plus, et surtout, l'agriculture peut constituer par bien des côtés pour notre société individualiste et frileuse une référence.

L'agriculture a connu une formidable évolution technique et économique depuis 25 ans mais ce changement n'a été possible que parce qu'elle avait été précédée ou accompagnée par des évolutions sociales plus profondes et parfois plus anciennes.

Les agriculteurs et les agricultrices qui vivaient dans des conditions et sur des modèles techniques et culturels particuliers, et dont les relations avec le reste du corps social passaient souvent par des intermédiaires nonagriculteurs – les notables ruraux – ont su en quelques décennies :

- dégager parmi eux leurs propres représentants et des organisations qui soient réellement les leurs, et le chemin parcouru est long depuis la création du premier syndicat agricole dont nous fêtions le centenaire il y a quelques mois dans cette salle.
- inventer ou adapter des formes d'organisations collectives qui leur ont permis de maîtriser de façon solidaire les changements dans les domaines des approvisionnements et de la transformation - coopération, organisation économique), de la diffusion des résultats de la recherche (CETA, groupement de vulgarisation), de l'utilisation d'outils modernes (CUMA) ou de l'organisation et de la transmission des exploitations (SAFER, GAEC) organisations ou structures que d'autres secteurs envient et dont ils cherchent à s'inspirer.
- définir les voies et moyens de leur propre modernisation et faire adopter leur projet par les pouvoirs publics.
- et enfin, réussir sur ces bases, à la fois un mouvement de modernisation et de restructuration sans précédent et un rapprochement très important vis à vis des autres catégories sociales (conditions de vie, niveaux de formation, pratiques culturelles…).

Mais cet acquit reste fragile ; devant les difficultés de la période les agriculteurs ont le sentiment de ne pas être « payés de retour » pour leurs efforts, en particulier depuis qu'en 1974 s'est produit le retournement dans l'évolution des revenus agricoles. Il est légitime qu'ils prennent leur part de l'effort de rigueur. Mais il serait lourd de conséquences que le fossé se creuse à nouveau, et les évolutions moins défavorables que connaissent leurs revenus depuis 4 ans ne suffisent pas à compenser les reculs des années précédentes.

1.3. Enfin, l'agriculture et l'ensemble des activités agro-alimentaires constitue, en dépit de leur image de tradition, un secteur d'application privilégié des technologies d'aujourd'hui et demain. Les biotechnologies qui font là une des journaux quand elles sont utilisées par la médecine trouvent déjà aujourd'hui et trouveront plus encore demain leurs applications de masse dans l'agriculture et la transformation des produits agricoles et ces transformations ne seront pas toutes alimentaires.

En effet, des débouchés non alimentaires s'offrent à l'agriculture aujourd'hui : chimie du sucre et des amylacées, production d'éthanol carburant. Cela n'est bien sur pas acquis d'avance et implique de profondes mutations : mutations des réglementations communautaires qui n'ont pas été conçues pour répondre à ce type de problème, mutations technologiques pour acquérir ou parfaire la maîtrise des procédés industriels. Cette tâche, je sais que l'agriculture française peut l'assurer.

Les biotechnologies constituent un saut technologique qu'il faut bien mesurer. Disciplines à caractère transversal, elles ne peuvent être réduites à une approche de filière : mais je revendique pour le complexe agro-industriel, d'être le premier secteur utilisateur des biotechnologies pour le présent et le moyen terme. Cela concerne aussi bien les industries de l'amont de l'agriculture comme les semences, les phytosanitaires et la génétique animale, que la transformation des produits agricoles. Toutes ces activités devraient faire l'effort de maîtriser les biotechnologies de deuxième et troisième générations pour maintenir leur compétitivité dans la concurrence mondiale.


II – Mais notre agriculture est aujourd'hui confrontée à des difficultés graves.

L'ampleur, et les caractéristiques particulières, des problèmes qu'elle connaît découlent du fait que les conséquences de la crise économique générale s'ajoutent, pour elle, aux problèmes qu'auraient posés, en tout état de cause, la saturation de son débouché protégé et le niveau élevé de capitalisation par actif.

- les conséquences de la crise, c'est d'abord le freinage de la demande alimentaire, non pas tant dans nos pays d'Europe où il est encore difficile de distinguer ce qu'il faut imputer à la stagnation des pouvoirs d'achats de ce qu'aurait produit de toute façon la saturation de la consommation par tête combinée avec la stagnation démographique ; mais la crise économique, c'est aussi la crise financière que connaissent certains pays traditionnellement importateurs et les perturbations des marchés mondiaux qui en découlent.

- la deuxième conséquence de la crise, c'est l'inflation qui, surtout à la fin de la dernière décennie, à dégradé les conditions auxquelles s'approvisionne l'agriculture et qui a surtout entraîne des perturbations de parties monétaires catastrophiques pour notre agriculture.

- troisième conséquence de la crise, les difficultés budgétaires nationales et communautaires qui limitent les moyens financiers dont on dispose pour faire face à la situation.

Sur ce paysage déjà gris qui caractérise son environnement économique s'ajoute pour l'agriculture la saturation du débouché communautaire déjà évoquée à plusieurs reprises ici par monsieur Jacquot et monsieur Delaunoy en particulier ; cette saturation remet elle-même en cause la politique agricole commune dont les règlements n'avaient pas été conçus pour une situation d'excédents structurels.

Enfin, la prodigieuse augmentation de la productivité du travail qu'a connu notre agriculture a été rendu possible, et en même temps s'est traduite, par une très importante substitution de capital au travail. Le capital par actif atteint désormais des niveaux très élevés dans les exploitations les plus intensives. Jointe au phénomène très spécifique à l'agriculture qu'est le coût du patrimoine foncier, cette évolution a créé progressivement un problème de plus en plus difficile de financement de la transmission du capital. Il s'agit là d'un problème économique classique qui n'est pas propre à l'agriculture, le problème de transmission des entreprises se pose aussi dans les IAA et les autres activités mais il devient de plus en plus lourd et comme l'a évoqué monsieur Bloch-laine, les obstacles juridico-financiers sont peut-être en agriculture plus durs à franchir qu'ailleurs.

La conjonction de ces trois éléments : crise économique, saturation des débouchés privilégiés, transmission de plus en plus difficile des entreprises, à de nombreuses conséquences que l'on peut je crois regrouper autour de deux données essentielles :

- fragilisation de la PAC qui reste un compromis entre des visions très différentes de ce que doit être la politique agricole, visions qui renvoient elles-mêmes à des situations et à des traditions nationales contrastées.

- fragilisation des entreprises et du secteur agricole qui sous l'impact de la crise ont été soumis à un double prélèvement financier : celui qu'entraînent les transferts de patrimoine à chaque génération et celui qui découle de la dégradation des prix relatifs. Jusqu'en 1974, ils ne subissaient que le premier, soumis depuis aux 2, ils ont désormais du mal à maintenir leur progression.


III – Les perspectives et les axes d'action

L'agriculture affronte donc une situation difficile, dans laquelle les principaux éléments régulateurs de son développement passé sont remis en cause.

Les difficultés dureront autant que la crise ; elles ne pourraient être réduites vraiment que par une reprise de la croissance et des échanges internationaux : la politique agricole n'a pas de prise directe sur ces éléments, ce qui peut expliquer le désarroi que connaît parfois aujourd'hui le monde agricole et son souhait que lui soient indiquées des orientations porteuses d'espoir, que lui soient proposés des projets mobilisateurs.

Mais, si la situation est difficile, elle n'est pas pour autant catastrophique. Les débouchés ne sont plus en croissance rapide mais, à la différence de ce que l'on constate pour certaines industries, ils restent globalement au moins, assez stables :

- d'abord sur le marché intérieur communautaire ou la France n'occupe pas encore la place correspondant à ses potentialités ;
- ensuite, sur les marchés des principaux pays industrialisés de l'OCDE, notamment pour les produits transformés ;
- enfin, sur le marché international en dépit des fluctuations de court terme inévitables sur des marchés de produits de base non organisés.

Il faut bien voir, simplement, que cette situation appelle une révision profonde des habitudes prises en matières de politique agricole. Dans ce nouveau contexte, les possibilités de croissance ne sont plus assurées à priori par la protection tarifaire d'un marché déficitaire, elles doivent se gagner par la compétitivité : il faut produire ce que l'on peut vendre mieux que les concurrents.

Cela concerne nos entreprises agricoles, cela concerne aussi, et elles le savent déjà, nos entreprises agro-alimentaires. Elles sont confrontées aujourd'hui à concurrence avivée et qui s'internationalise : ce secteur suit en cela l'évolution de la plupart des activités industrielles. La France dispose toute fois d'un incontestable atout dans son image liée à la gastronomie et connue au niveau mondiale. La conquête du marché européen et de celui de l'Amérique du nord puis à terme sans doute des pays industrialisés du sud-est asiatique, sont les objectifs que doit se donner notre industrie agroalimentaire. Je sais que déjà nombreuses sont les entreprises qui ont su relever ce défi.

3.1. Le premier objectif, c'est donc de préserver le cadre économique générale et notamment le marché commun agricole, en évitant qu'il ne soit remis en cause par la montée des protectionnismes.

La PAC est en effet essentiel puisqu'elle détermine à la fois les conditions de fonctionnement du marché intérieur, et les conditions d'accès aux marchés extérieurs.

Il nous faut donc préserver la libre circulation des produits sur le marché intérieur, en égalisant les conditions de concurrence.

Le gouvernement a déjà obtenu en ce domaine des résultats significatifs grâce en particulier aux premiers succès de la politique de maîtrise de l'inflation qui a ramené à des niveaux qu'on avait oublié, l'écart entre notre pays et ses partenaires européens. En outre l'unicité du marché agricole européen a été rétablie par le démantèlement des montants compensatoires monétaires obtenus lors de la négociation agricole du 31 mars dernier : aujourd'hui l'écart monétaire lié au MCM n'est plus entre la France et l'Allemagne que de 3,6 % il s'agit du niveau le plus bas depuis 1969 date de mise en place de ce mécanisme dont on n'avait pas à l'époque totalement apprécié le caractère pervers.

Il nous faut ensuite renforcer les possibilités d'accès offertes aux produits européens sur les marchés extérieurs sans céder aux pressions des principaux concurrents.

Enfin la PAC devra, dans le cadre de la nouvelle convention de Lome proposer une nouvelle relation de développement aux pays du tiers monde. Les pays de la communauté et leurs agriculteurs on su créer en Europe une zone d'autosuffisance alimentaire. Pourquoi ne proposeraient-ils pas leur assistance technique à leur partenaire du tiers monde pour les aider à y créer de nouvelles zones d'autosuffisances et de sécurité alimentaire.

La préservation de la PAC inévitablement par une adaptation des mécanismes de garantie. Conçus pour une Europe déficitaire, ils auraient du, en tout état de cause, être revus dès lors que l'autosuffisance était atteinte (indépendamment des contraintes budgétaires, qui aggravent le problème, mais ne le créent pas).

Cela pourrait et peut passer par la baisse des prix. Il s'agit là de la réponse libérale classique au problème, sa mise en oeuvre a été tentée, quelques fois insidieusement, ou proposée franchement par certains de nos partenaires. C'est celle que préconisent parfois chez nous les doctrinaires du libéralisme ou ceux qui ne connaissent pas la réalité agricole. C'était de fait la voie prise par la communauté depuis la crise, avec les conséquences que l'on connaît sur les prix relatifs et les revenus des producteurs. Si l'on ne veut pas poursuivre dans cette voie, il n'en reste guère d'autre que la maîtrise des quantités produites. C'est ce qui existe depuis longtemps dans le secteur du sucre c'est ce qui se met en place dans le secteur laitier aujourd'hui et dans celui des vins de table. Cette maîtrise de la production doit s'effectuer selon des modalités très différentes selon les secteurs et aussi selon la place qu'acceptent de prendre les producteurs dans l'établissement de ces politiques, il n'empêche que, lorsque le déséquilibre durable impose la réforme en profondeur d'une organisation démarchés, il y a peu de cas ou la maîtrise ne soit pas préférable à l'ajustement par les prix toujours aveugle et trop brutal.

3.2. La PAC préservée et rénovée, il restera à renforcer l'efficacité de nos entreprises agricoles et agro-alimentaires.

Nos exploitations doivent produire plus dans les secteurs où nous sommes déficitaires et là où nous ne valorisons pas encore suffisamment nos atouts agronomiques, technologiques ou humains. De plus, dans ces secteurs comme dans ceux que la production doit être stabilisée, il nous faut chaque fois produire mieux. C'est-à-dire en prenant encore en compte les changements qui interviennent de façon continue à cause du progrès scientifique ou de la plus ou moins grande rareté relative de certains facteurs de production et donc de leurs coûts.

C'est la un des enjeux majeurs des réformes en cours dans le domaine de l'enseignement agricole ou en préparation dans le domaine de la diffusion du progrès technique, ce que nous appelons le développement agricole. Notre pays a là un retard à combler, les changements institutionnels que je viens d'évoquer combinés avec la volonté de tous les acteurs concernés contribueront à nous en donner les moyens.

Je ne développe pas davantage les deux autres axes selon lesquels il faut déployer nos efforts conjoints parce que le commissaire au plan, monsieur Henri Guillaume, et le président Bloch-laine ont tous deux souligné de façon claire et convaincante, pour l'un, la nécessité de moderniser notre appareil productif agricole en particulier par une politique raisonnée et dynamique d'investissements collectifs et pour l'autre l'urgence qu'il y a à moderniser également le cadre juridique dans lequel les agriculteurs exercent leur activité.

C'est donc autour de ces trois thèmes qu'il nous faut tous unir nos efforts : pouvoirs publics et organisations agricoles bien sûr mais aussi les agriculteurs et les agricultrices sans lesquels rien ne se fera assez vite dans cette réforme du statut de l'exploitation qu'a proposée le rapport Gouzes. Doivent désormais se joindre à eux du fait de leurs responsabilités nouvelles en matière d'investissement les régions et les départements mais les uns et les autres ont déjà montré, à l'occasion des contrats de plan ou par leurs engagements en matière de remembrement, leur volonté de ne pas se dérober. Enfin, tous les enseignants des établissements d'enseignement ou de formation professionnelle agricole et les techniciens qui, dans les laboratoires, ou les exploitations, informent ou assistent les agriculteurs dans leurs choix techniques ont aussi un rôle à jouer pour que s'accroissent chaque jour le nombre des exploitants qui maîtrisent leurs choix techniques et leurs orientations économiques.

Car ce choix d'excellence des hommes et de modernisation des entreprises n'implique en rien que le nombre d'agriculteurs doivent connaître dans l'immédiat une accélération de son déclin.

Certes ces évolutions s'accompagneront inévitablement d'une diminution du nombre d'exploitations et du nombre d'actifs agricoles. D'abord parce que la démographie du secteur l'impose mais aussi parce que l'amélioration des conditions dans lesquelles les exploitants âgés cesseront leurs activités, y contribuera enfin parce que beaucoup des exploitations que libèrent les aînés ne pourront constituer ni un cadre de vie, ni un outil de travail satisfaisant pour un jeune, pour un de ceux qui seront les agriculteurs des prochaines décennies.

Mais ces évolutions n'imposent en rien de faire subir au monde agricole une nouvelle « saignée ». D'abord parce que les perspectives de progrès techniques n'annoncent pas globalement de bouleversement majeurs des rapports capital-travail ; ensuite, parce que la situation économique générale n'autorise pas à faire partir massivement des actifs en renvoyant à d'autres secteurs le coût de leur prise en charge.

Notre objectif reste donc de maintenir dans l'agriculture et dans son environnement un maximum de vrais emplois c'est-à-dire d'obtenir un nombre aussi élevé que possible d'installations durables sur des exploitations viables.

Mais ces installations ne peuvent être des opérations isolées d'entrepreneurs hyper-compétitifs ne comptant que sur eux-mêmes pour assurer le succès de leurs projets. En même temps, que se développent, selon les 3 axes que j'évoquais tout à l'heure, notre politique de modernisation de l'agriculture, il faut à la fois renforcer les solidarités entre l'agriculture et le reste de notre société et renforcer les solidarités au sein du monde agricole.

La solidarité du reste du pays s'est largement manifestée vis à vis de l'agriculture, et continue à lui être assurée (maintien du niveau de dépenses publiques, efforts faits pour les cessations d'activité laitière…), elle doit se développer encore avec l'harmonisation des conditions de protection sociale au bénéfice des aînés ou des agricultrices.

Mais la condition de cette solidarité est que les autres catégories de français aient le sentiment que les agriculteurs participent à l'effort collectif dans la mesure de leurs capacités contributives : c'est le sens de la réforme de la fiscalité et de l'aménagement progressif des cotisations sociales, cela suppose aussi que les agriculteurs prennent une vision réaliste de la situation générale, et n'exagèrent pas leurs demandes.

Il reste à développer les solidarités internes en retrouvant, face aux problèmes de la période, l'inspiration coopérative et mutualiste dans laquelle l'agriculture a toujours pris ses forces en période difficile. Cela vaut pour la plupart des problèmes, mais plus spécialement aujourd'hui au niveau des exploitations. L'agriculture de groupe constitue déjà une des réponses les plus adaptées aux problèmes d'aujourd'hui et cette réponse est cohérente avec les orientations qui doivent soutenir le développement de notre agriculture dans les prochaines années :

Structure solidaire par nature, l'agriculture de groupe rend plus facile la formation et l'accès aux progrès techniques, elle permet cette modernisation maîtrisée et moins coûteuse à laquelle concourent également les investissements collectifs. Enfin, elle bénéficie déjà d'un statut juridique qui rend moins difficile la distinction entre entreprise et ménage et qui peut faciliter le remplacement sans heurt d'un aîné par un jeune.

Par là, on peut dire que l'agriculture de groupe, structure imaginée par des agriculteurs et dont le développement a été rendu possible grâce à l'appui des pouvoirs publics, préfigure ce vers quoi nous devons orienter nos efforts communs.

Je le disais en commençant ce propos, l'organisation de cette manifestation a eu pour but de mieux faire connaître l'agriculture et son rapport global à la société française dans une période de crise, donc de rigueur économique ou l'intolérance à l'intervention de l'état va grandissant.

A nos concitoyens, je dis donc : notre agriculture et ceux qui y travaillent méritent considération et soutien pour les efforts considérables qu'ils ont faits dans le domaine de l'exportation, de la productivité, de la modernisation des exploitations et de la filière agro-alimentaire. Et ce soutien passe par une solidarité mieux reconnue, qu'il s'agisse des revenus ou de la protection sociale puisque les agriculteurs restent aujourd'hui la seule catégorie de français à ne pas bénéficier de la retraite à 60 ans.

Aux agriculteurs, je dirais en revanche : ne cédez pas à la tentation du corporatisme, du repli sur vous-mêmes, de la « spécificité agricole » comme par avant de trop d'inégalités et de trop de particularismes.

Vos revendications et vos intérêts sont légitimes dès lors qu'ils rejoignent ceux de la France. Ils cessent de l'être s'ils deviennent ceux d'une partie de la France contre elle-même.

Aux uns et aux autres, l'avocat et l'arbitre sont ici prêts à tenir le même discours : celui de la vérité, de la justice, et de l'effort.

J'aime ce métier, au service d'une population fière et libre, elle-même attachée à son travail et à ses valeurs. La France doit déjà beaucoup à son agriculture. Elle peut en attendre encore davantage demain si elle sait en apprécier les enjeux et prendre les orientations nécessaires pour abolir les fossés du corporatisme et traiter l'agriculture comme le secteur économique de premier rang qu'elle est aujourd'hui.

Je l'ai souvent dit à mes collègues du gouvernement, je le redis aujourd'hui : que l'on ne mette jamais le ministre de l'agriculture – quel qu'il soit - dans le cas d'avoir à expliquer à la profession qu'elle ne bénéficie pas de telle situation ou de tel avantage au motif de je ne sais quel retard hérité du passé…

Faire en sorte que l'agriculture et les agriculteurs soient traités sans ostracisme, comme des français à part entière et non pas comme des français entièrement à part était un des objectifs de ces journées.

Churchill disait des pilotes de la RAF : « Jamais le sort d'autant d'hommes n'aura dépendu de si peu d'individus ». Notre pays a depuis trop longtemps oublié ce que signifiait la dépendance alimentaire pour savoir ce que 80 % des français doivent à 8 % d'agriculteurs.

Mieux le comprendre, mieux nous comprendre : je remercie sincèrement toutes celles et tous ceux d'entre vous qui nous ont aidés à atteindre cet objectif et c'est sous ces auspices que je souhaite une bonne année à l'agriculture française.