Interview de Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports, à France-Inter le 12 juillet 1999, sur le bilan de la coupe du monde de football et les changements de mentalité dans le cyclisme.

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Média : France Inter

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Q - Un an après, que reste-t-il des deux images que la France a mondialisées ? Sa victoire en finale de la Coupe du monde de football, plus de 3 milliards de téléspectateurs, l'événement le plus regardé de toute l'histoire de l'humanité, le triomphe d'une équipe solidaire, modèle d'intégration : black, blanc, beur était son slogan. Deuxième image : celle de la mise en cause du Tour de France 1998, l'aveu du dopage, entre les mensonges et les révélations. La prise en compte de la capacité à réussir grâce à la Coupe du monde de football. La volonté de moralisation et l'exigence de vérité provoquées par le Tour de France l'an passé produisent-elles aujourd'hui un changement mesurable ? Ces deux images sont-elles à vos yeux complémentaires ou contradictoires ?

- « Elles sont complémentaires. Ce sont les deux facettes du sport : à la fois, un sport porteur de valeurs, d'enthousiasme, de passion et puis un sport touché par les dérives comme celles du dopage. Il faut regarder les deux avec lucidité et agir contre les dérives pour préserver la beauté du sport. »

Q - Ce serait plutôt un élément positif ce qui s'est passé, cette mise en valeur de ce que le sport peut porter de magnifique, et de navrant aussi.

 - « La victoire de l'équipe de France a donné un enthousiasme vers le sport tout à fait positif. Beaucoup de garçons et de filles se sont inscrits dans des clubs de foot. Il y a 15 % d'augmentation de licenciés, ce qui est quelque chose d'assez extraordinaire. Maintenant d'ailleurs, il faut suivre, il faut donner les équipements et encadrements nécessaires. »

Q - Vous avez du mal à suivre ?

- « Ça demande beaucoup de moyens, notamment au niveau de l'encadrement. C'est ce qui nous manque le plus en ce moment : les hommes et les femmes suffisamment qualifiés pour encadrer tous ces jeunes qui arrivent sur les terrains. »

Q - Les bénéfices financiers de la Coupe du monde ne pourraient-ils pas participer directement à cette organisation ?

- « Cet après-midi, le Premier ministre va signer avec le président de la Fédération française de foot, M. Simonet, une convention qui va nous permettre d'utiliser les bénéfices de la Coupe du monde pour le développement du sport accessible à tous. »

Q - Y a-t-il du lien social dans le produit de la Coupe du monde de football ?

- « Il ne faut pas trop en demander au sport. Certes, le sport peut contribuer au lien social, à ce que des jeunes acquièrent le respect des règles, accèdent à des responsabilités, mais on voit bien que la violence des cités peut aussi pénétrer sur les stades et dans les gymnases. Le sport ne peut pas résoudre tous les problèmes de société. Il peut contribuer à donner peut-être plus de solidarité. Ne lui en demandons pas trop. »

Q - En lisant la presse de ce matin, on voit toute sorte d'analyses et de réflexions y compris dans le champ des sociologues ou des intellectuels qui se demandent même si cette Coupe du monde de football n'a pas durablement et sensiblement modifié l'espace politique français. Certains se demandent même si la baisse d'adhésion au Front National n'est pas le résultat de la Coupe du monde de football et peut-être de cette image de l'intégration à la française.

- « C'est vrai que les jours qu'on a vécus autour de la victoire de l'équipe de France ont interpellé beaucoup de personnes. Je me rappelle des discussions que j'ai eue avec des jeunes qui avaient parfois des réactions de rejet de l'autre parce qu'ils n'étaient pas de la même origine ou du même quartier. L'idée que cette équipe rassemblant des hommes dans leur diversité pouvait gagner parce que, justement, ils formaient une équipe, qu'ils agissaient ensemble, a fait beaucoup réfléchir. Mais, on le voit bien, ça n'a pas effacé la réalité des discriminations, des rejets qu'on sent dans certains quartiers. Donc, il ne faut pas non plus créer d'illusions. Si on veut répondre à tout cela, il faut d'abord donner des emplois aux jeunes, il faut faire en sorte qu'un jeune ne se sente pas rejeté parce qu'il est originaire de tel quartier ou parce qu'il a telle couleur de peau. »

Q - L'un des résultats les plus inattendus - il n'est pas chez nous mais aux États-Unis - vous y étiez il y a quelques jours, je crois ?

- « Oui, j'étais à Los Angeles pour d'abord intervenir sur le rôle des gouvernements pour développer le sport féminin puisque la Fédération internationale de foot veut développer le foot au féminin. Et puis, j'ai assisté à la finale de la Coupe du monde de football féminin et c'était un enthousiasme extraordinaire. Il s'est passé aux États-Unis ce qui s'est passé chez nous pour la Coupe du monde masculine. J'espère que le foot féminin va se développer également en France. Ce serait une bonne chose. »

Q - Là, il y a eu une victoire de l'équipe féminine américaine contre la Chine et ce dans un délire total ?

- « Oui, dans une très bonne ambiance. »

Q - Le Tour. Vous n'êtes pas un peu surprise par les vitesses du Tour ? Entre Laval et Blois l'autre jour, plus de 50 km/heure de moyenne sur 200 km. Même avec un vent favorable.

- « Faisons attention : il y avait du vent, c'était plat. Il y a aussi le progrès des techniques au niveau des vélos. Il faut faire attention à toutes les rumeurs qui courent sur le Tour. Il y a des contrôles et la lutte contre le dopage n'est pas terminée mais elle ne se réduit pas au cyclisme ni au Tour de France. Il faut la mener, ce sera long, ce sera dur mais on a un beau Tour. Ce qui se passe avec Armstrong, c'est quand même quelque chose d'assez... »

Q - C'est miraculeux ? Je n'ai pas de malice dans ma question. Voilà un homme qui était frappé par le cancer, qui a repris l'entraînement en mars 1998 et qui écrase le contre-la-montre d'hier.

- « C'est un parcours humain assez remarquable, assez extraordinaire. Il va être papa en plus. »

Q - C'est magnifique mais en même temps, vous le savez bien, tout le monde doute.

- « Oui, tout le monde doute mais, justement, il faut que la lutte contre le dopage permette de supprimer la suspicion. Ceux qui sont coupable ont la sanction sportive. La nouvelle loi permet également de s'attaquer encore plus fortement aux pourvoyeurs. Mais, il faut admettre que tous les champions, toutes les championnes ne sont pas dopés, que beaucoup d'hommes et de femmes dans le sport obtiennent des résultats grâce à leur entraînement, à leurs efforts personnels. Il faut faire le tri et la lutte contre le dopage va le permettre. »

Q - Quel est l'espace de la nouvelle loi ? Le doyen du Tour de France dans les pages de Libération, ce matin, T. Bourguignon, s'indigne contre le fait qu'il y a une loi italienne, une loi française, une loi anglaise.

- « Non, il n'y a pas encore de loi italienne. Elle va se mettre en place ; elle va être d'ailleurs très proche de la loi française. Il est vrai qu'on a un problème d'harmonisation des sanctions, des procédures. Ça ne dépend pas que des États mais du mouvement sportif international. C'était le but de la réunion de Lausanne organisée par le CIO. On devrait mettre en place rapidement une agence internationale pour le dopage. Les 15 pays de l'Union européenne ont fait une proposition précise de composition et d'objectifs de cette agence. Maintenant, la balle est dans le camp du Comité international olympique. Se donne-t-il les moyens de mettre en place cette agence internationale de lutte contre le dopage ? Je crois que ce serait nécessaire, si on veut être crédible, avant les Jeux olympiques de Sidney et ce serait son rôle d'harmoniser les procédures de lutte contre le dopage au plan international. »

Q - Et les intérêts financiers ou les enjeux de personnes ne pèseront pas trop lourd ?

- « On ne pourra pas lutter efficacement contre le dopage si on n'agit pas en effet sur le problème des pressions financières. Il faut que le sport maîtrise l'argent qui arrive chez lui. Si l'argent qui arrive dans le sport exige toujours plus de compétition, toujours moins de repos etc, on n'arrivera pas à lutter. »

Q - C'est un peu le cas aujourd'hui, quand même ?

- « Oui, mais c'est pour cela qu'il faut également agir sur une maîtrise de l'argent qui arrive dans le sport. C'est ce à quoi nous travaillons au niveau de l'Union européenne. »

Q - Et l'image que la France a pu garder un an plus tard après le Mondial et après cette mise en cause du Tour peut la servir dans un débat international sur les enjeux du sport ?

- « J'ai l'impression qu'au niveau de l'Union européenne, la parole de la France a été très écoutée tous ces derniers mois puisque c'est sur proposition française que nous avons obtenu par exemple la reconnaissance de la spécificité du sport par rapport à la loi du marché, à la loi de la libre-concurrence. C'est sur proposition française que nous avons obtenu que soit examinée la possibilité de la protection des mineurs au plan de l'Union européenne. Je crois que la lutte de la France pour l'éthique du sport, la victoire de l'équipe de France nous ont permis d'avancer sur une certaine conception du sport au plan de l'Union européenne. »

Q - Vous êtes assez libre de parole. De temps en temps, vous piquez des petits coups de gueule. Vous êtes bien accompagnée, vous êtes bien suivie ?

- « Sur les questions que nous avons abordées ce matin, le Gouvernement tout entier agit dans ce sens. »