Texte intégral
Avec l'euro, le débat sur l'harmonisation fiscale européenne est bel et bien lancé. Il paraît quelque peu confus. Aussi peut-il être utile de proposer quelques théorèmes simples pour le cadrer. Premier théorème : les hommes deviennent aussi mobiles que les biens et services, qui deviennent aussi mobiles que les capitaux (reformulation du théorème de A. Sauvy). Cette mobilité généralisée est le résultat conjugué de l'introduction de l'euro, de l'évolution des technologies et des changements de comportement.
Deuxième théorème : les capitaux et les hommes se déplacent des zones de haute pression fiscale et sociale vers les zones de basse pression. Et d'autant plus vite que l'écart se creuse entre les pressions respectives. Or la France apparaît comme une zone de haute - voire de très haute pression. Cela est d'autant plus vrai si l'on considère le cumul des impositions, particulièrement sensible en matière d'épargne et de patrimoine, et non seulement les taux moyens mais également les taux marginaux.
Troisième théorème : rien ne sert d'harmoniser impôts, taxes, cotisations et autres contributions ou prélèvements si les niveaux de dépenses publiques et sociales restent très différents, à niveau de déficit contraint. Quand on compare le niveau des dépenses publiques françaises par rapport aux dix autres pays de la zone euro, on trouve un écart de 450 milliards de francs. Oui à l'harmonisation fiscale, s'il y a harmonisation de la dépense vers les niveaux de ceux qui ont su maîtriser leur budget.
Quatrième théorème : ceux qui parlent le plus d'harmonisation fiscale sont ceux dont les niveaux de prélèvement sont les plus élevés, et les niveaux de dépenses les plus forts. La démonstration de ce théorème est empirique. Il suffit de comparer la position de la France eu égard à celle de la Grande-Bretagne, de dresser la liste des pays qui parlent de « dumping fiscal » et de regarder leur niveau de prélèvement.
Cinquième théorème : la réduction des déficits est la meilleure manière de développer l'épargne productive, donc l'investissement, donc l'emploi en moyenne période pour un pays donné ou pour une région. L'épargne est égale à l'investissement. Un pays peut s'endetter pour compléter une épargne nationale insuffisante, mais le remboursement à terme de cet endettement sera bel et bien de l'épargne. En moyenne période, on investit ce qu'on épargne, on épargne ce qu'on investit. Aussi tout ce qui encourage l'investissement encourage l'épargne et réciproquement. Tout ce qui peut être mis en oeuvre pour créer un environnement favorable à l'investissement productif est souhaitable, d'où l'importance de promouvoir des entreprises solides, rentables et compétitives. Délocaliser l'épargne, c'est à terme délocaliser l'investissement et vice versa.
Sixième théorème : mobiliser, attirer, conserver les flux d'épargne et les stocks de patrimoine est primordial. Non seulement il faut se soucier des sorties d'épargne et des délocalisations de patrimoines, mais il convient en outre de s'assurer que l'on attire des capitaux et des patrimoines étrangers. Parvenir à assécher les flux de sortie et enclencher des flux d'entrée requièrent quatre conditions : des taux d'imposition faibles, des règles fiscales stables et simples, une application « fair » de ces mêmes règles.
Septième théorème : plus l'épargne est longue et orientée vers les investissements à risque, plus elle est efficace. Aussi faut-il que la fiscalité soit conçue de façon à privilégier les engagements de long terme. Dès lors, c'est bien l'engagement contractuel qu'il convient de récompenser par une fiscalité incitative ; et la collectivité ayant intérêt à ce que les investissements productifs soient privilégiés, ce sont les placements en actions qu'il faut encourager. En France, on ne dispose toujours pas d'une fiscalité attractive pour inciter la préparation financière de la retraite ; on privilégie le placement en obligations plutôt qu'en actions, et l'épargne pour laquelle n'existe aucun engagement contractuel de détention (Livret A).
Huitième théorème : les ménages comme les entreprises pratiquent l'optimisation fiscale, cherchant à alléger au maximum les prélèvements dont leurs efforts d'épargne font l'objet. La fiscalité de l'épargne doit être replacée dans le cadre plus général de la totalité des prélèvements sur les revenus, la consommation, la transmission, la détention patrimoniale, etc. il y a unité du contribuable, qu'il soit entreprise ou ménage, qui voit l'ensemble de ses activités soumises à ponction. Alléger la fiscalité de l'épargne ne suffit pas si, dans le même temps, les autres prélèvements s'alourdissent ou même ne l'allègent pas.
Conclusion : il s'agit de créer un environnement dans lequel les acteurs économiques productifs se sentent bien pour entreprendre, investir, créer, accumuler, embaucher, consommer, transmettre, bref un environnement propice à la croissance durable et au retour du plein emploi. L'enjeu du débat fiscal en cours va donc bien au-delà de la simple recherche d'une harmonisation des taux : il s'agit de définir une véritable politique de mobilisation des ressources nécessaires au développement de notre nation, ou de notre région européenne.