Préface de M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale, à la plaquette de l'exposition "Les présidents de la République élus à Versailles de 1879 à 1953", intitulée "Le suffrage de l'aile du midi", sur l'élection des Présidents de la République et l'évolution des pouvoirs présidentiels et législatifs de 1879 à 1953, à l'Assemblée nationale le 7 octobre 1997.

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Circonstance : Exposition "Les présidents de la République élus à Versailles de 1879 à 1953", Musée "Les grandes heures du Parlement" le 7 octobre 1997

Texte intégral

L’Assemblée nationale incarne à la fois l’instant, celui de la décision et du choix, et le temps long, celui des équilibres, des projets et de la mémoire. C’est dans cette perspective que s’inscrit cette exposition qui, parcourant l’Histoire de nos vies et de nos institutions, trace les portraits des Présidents de la République élus, de 1879 à 1953, par les parlementaires réunis en Congrès à Versailles.

Enracinés dans un souvenir collectif d’où certains s’estompent lentement, alors que d’autres n’ont jamais disparu du firmament, on retrouvera, de salle en salle, les noms de Grevy, Carnot, Casimir-Perier, Faure, Loubet, Fallières, Poincaré, Deschanel, Millerand, Doumergue, Doumer, Lebrun, Auriol, Coty. Pour le meilleur et quelque fois pour le moins bon, en près d’un siècle, ils rythmèrent l’activité politique de leurs septennats successifs, même si c’est souvent à d’autres titres qu’ils rencontrèrent la gloire ou l’opprobre. Chacun le sait, sous la IIIe et la IVe République, l’institution était effacée par le double jeu de la maladresse originelle de ses détenteurs et d’une constitution qui leur laissait peu d’espace et guère d’espoir d’en conquérir. Il n’empêche. Le chef de l’Etat désigné par les Assemblées, l’exercice était rétrospectivement curieux ! Le législatif s’en allant dans le palais des Rois, siégeant dans l’hémicycle de l’aide du midi, pour élire l’exécutif, voilà une conception de la séparation des pouvoirs que l’on qualifiera, par euphémisme, d’étrange et qui, probablement, n’aurait que fort peu satisfait le Sieur de Montesquieu. Pourtant, Versailles face à Paris, l’ombre de la monarchie sur la République naissante, autant d’antagonismes qui ont été surmontés ou dépassés. Félix Faure pouvait bien rétorquer « On me reproche de ne pas agir. Que voulez-vous ? Je suis la Reine d’Angleterre ». L’époque n’était pas au coup d’éclat permanent.

Paradoxalement, ces pouvoirs – qui nous paraissent si faibles comparés à ceux dont dispose le Président de la Ve République – constituèrent le ciment fondateur du nouveau régime, le pont salutairement brisé devant un retour de la royauté, mais ils furent aussi, très rapidement, perçus comme une menace pour la représentation nationale. L’homme fait la fonction et la fonction fait le régime. Mac Mahon et Boulanger étaient passés par là. L’ironie du sort veut que ce soit Jules Grévy lui-même qui ait dénoncé, à la tribune de l’Assemblée de 1848, les dangers inhérents à la fonction élyséenne : « Un semblable pouvoir, conféré à un seul, est un pouvoir monarchique. Il est vrai que ce pouvoir, au lieu d’être héréditaire, sera temporaire et électif ; mais il n’en sera que plus dangereux pour la liberté ». Dès lors, à défaut d’élire les meilleurs, le Congrès ne détesta pas adouber les moins bons. Clemenceau en sut quelque chose ! Président d’apparat contre République parlementaire, le combat, dans ces conditions, alors cessa faute d’envoyer rue du Faubourg Saint-Honoré des adeptes du pugilat constitutionnel. Ce conflit de tribunes est désormais révolu. Toutefois, l’équilibre institutionnel n’en est pas pour autant pleinement atteint.

Si l’élection du Président de la République au suffrage universel est devenue aujourd’hui un acquis auquel les Français sont légitimement attachés, dans la voie du progrès démocratique on peut toujours cheminer. Aussi ce scrutin pourrait-il connaître d’opportunes évolutions et la durée du mandat présidentiel, fruit d’un hasard, aller raisonnablement – c’est une conviction personnelle – vers ces cinq années qui sont partout en Europe le rythme normal et constaté du pouvoir exécutif. Il s’agit là d’une piste, parmi d’autres, qu’il faut suivre, mais qui ne peut à elle seule suffire. Car face à l’exécutif, il faut aussi, il faut d’abord, revaloriser le rôle du Parlement. Initiative, contrôle, ouverture : voilà les trois mots clefs. La représentation nationale doit redevenir le premier atelier du progrès, le premier rempart de la liberté. Ce n’est pas seulement une espérance, c’est une nécessité.

En ce sens, cette exposition présentée en marge des « Grandes Heures du Parlement mêlant portraits officiels et caricatures, anecdotes et gestes sublimes, objets symboliques et témoignages intimes, alternant d’une vitrine l’autre – le souvenir du patriotisme lyrique d’un Deschanel et l’émouvante simplicité de Paul Doumer portant le deuil de ses quatre fils, doit moins nous pousser à la nostalgie que nous inciter davantage à la réflexion. Le parlement de l’An 2000, s’il est aussi un lieu de mémoire pour la République, doit avant tout tourner son regard vers la modernité.