Texte intégral
La Montagne : Il y a quelques jours, Valéry Giscard d’Estaing et François Michelin se sont élevés avec vigueur contre les 35 heures. Que leur répondez-vous ?
Laurent Fabius : L’évolution qui consiste à aller vers une réduction de la durée du travail est une évolution de portée historique. Il y a de cela quelques dizaines d’année, nos grands-parents et nos parents travaillaient 50, 60 heures par semaine. Actuellement, on travaille 39 heures. Il y a des progrès de productivité foudroyants, il est donc certain qu’on va aller vers une réduction de la durée du travail. C’est une donnée historique. Maintenant, l’important est que cela se fasse d’une manière bénéfique pour les salariés comme pour les entreprises. Il faut faire attention à deux choses : d’une part, que cette mesure soit appliquée avec beaucoup de souplesse et, d’autre part, que les discussions qui vont avoir lieu aient comme objectif principale de servir l’emploi. Si on respecte la souplesse et si on respecte l’objectif emploi, à ce moment-là cette évolution historique se fera sans grande difficulté.
Il y aura une loi cadre qui lancera les choses. Après, il faut qu’il y ait des discussions dans les entreprises, au plus près du terrain. Alors, en fonction des catégories diverses d’entreprises, il y aura une loi, a posteriori, qui viendra ratifier tout cela. J’insiste : il faut beaucoup de souplesse et ne jamais perdre de vue que l’objectif, c’est l’emploi.
La Montagne : Vous seriez partisan de l’abrogation pure et simple de la loi Debré ?
Laurent Fabius : Oh, c’est une vielle discussion ! Si on regarde le contenu des dispositions, il est nécessaire de trouver un équilibre entre deux préoccupations qui sont aussi importantes l’une que l’autre : d’une part, vis-à-vis de l’immigration irrégulière et de ceux qui organisent cette immigration clandestine. Il faut dire clairement, sans ambiguïté, que nous ne l’acceptons pas. De temps en temps, j’entends des discours un peu alambiqués, non ! L’immigration clandestine, ceux qui organisent les filières, les passeurs, les trafiquants, pas question d’accepter ça, il faut être sévère et même beaucoup plus sévère qu’aujourd’hui.
Inversement, les travailleurs étrangers, qui sont régulièrement sur notre sol, ont des droits et des devoirs comme nous. Il faut les respecter et ne pas avoir une stratégie du soupçon qui a trop longtemps existé dans le passé. A partir du moment où les nouvelles lois permettent de respecter ces deux aspects, on arrivera à sortir cette législation d’une espèce de ping-pong idéologique où malheureusement, depuis des années et des années, elle se traîne.
La Montagne : La mise en liberté de Maurice Papon vous paraît-elle choquante ?
Laurent Fabius : C’était la décision des autorités de justice et je pense que chaque spectateur et téléspectateur est très bien placé pour en juger. Ce qui me paraît important maintenant, puisque ce procès a lieu, c’est que la justice passe. M. Papon est poursuivi pour crimes contre l’Humanité. Il appartient à la cour d’assises de dire si, oui ou non, il est coupable et d’en tirer toutes les conséquences judiciaires. Je crois qu’on ne comprendrait pas que la justice ne passe pas : elle doit passer jusqu’au bout, en toute impartialité, comme elle a commencé à le faire. Un pays se grandit toujours à affronter comme il faut la vérité et la mémoire.
La Montagne : A Saverne, dans le cadre des assises de l’Association des petites communes de France, vous vous êtes prononcé pour la limitation du cumul des mandats. Qu’entendez-vous précisément par limitation ?
Laurent Fabius : Je suis pour une limitation qui soit à la fois nette et en même temps raisonnable. Cela veut dire que les mêmes personnes ne peuvent pas exercer toutes les responsabilités. Il faut donc qu’on trouve un point d’équilibre pour qu’on puisse se consacrer à sa tâche. En même temps, il faut éviter les conflits d’intérêt – conflits de position – et faire de telle sorte que les élus soient proches de leurs concitoyens.
Je trouve qu’il serait normal qu’un ministre ne puisse pas en même temps présider une région parce qu’il ne s’en sortira pas du point de vue du temps. Je trouverais également normal qu’un parlementaire français ne puisse pas être en même temps parlementaire européen, qu’un député ne puisse en même temps diriger la ville de Paris, de Lyon ou de Marseille. Au-delà, il faut être raisonnable dans les choix qu’on va faire parce qu’il s’agit que nos élus restent près des citoyens et ne soient pas des apparatchiks. J’y suis d’autant plus sensible qu’en 1985, lorsque je dirigeais le Gouvernement, j’avais pris une première loi qui limitait le cumul à deux mandats. Je pense qu’il faut maintenant aller plus loin.