Texte intégral
Alors que les membres du Conseil économique et social (CES) vont être renouvelés d’ici quelque temps, il n’est peut-être pas sans intérêt de faire le point sur l’utilité et l’efficacité d’une assemblée que nous considérons, à juste titre, comme l’une des composantes de l’exercice de démocratie sociale en France.
Placé en bonne hiérarchie au niveau protocolaire, le CES a pour fonction de recueillir l’avis de femmes et d’hommes ayant une certaine expérience des choses économiques et sociales, et représentant les forces vives. Ce ne sont pas tant des experts que des praticiens dont l’expérience permet de garantir une certaine pondération (dans le sens esprit critique) dans les positions. Ainsi, parmi ses membres, on a pu voir Léon Jouhaux, Emile Roche, Gabriel Ventejol et, actuellement, Jean Mattéoli. Censé être le conseil du Gouvernement, son caractère consultatif correspondait à la tradition syndicale française : les forces vives de la nation s’expriment à titre consultatif sans décider et être engagées dans les décisions, évitant ainsi de se substituer aux élus dont le pouvoir découle de la consultation démocratique du scrutin universel. Enfin, libre de pratiquer l’auto-saisine, le Conseil économique et social peut ainsi se faire entendre, même si le Gouvernement feint de l’ignorer ou le néglige. Ajoutons qu’il est le lieu de rassemblement de responsables ou d’ex-responsables qui, sans cette assemblée et ses nombreuses occasions de discussions, parfois s’ignoreraient. L’exemple le plus commun étant les syndicats et le patronat qui peuvent ainsi « causer », y compris lorsqu’il y a des conflits sociaux ouverts. Donc cette institution peut prétendre à la justification de bon sens : si elle n’existait pas il faudrait l’inventer.
Monsieur le Président en exercice, ancien député et ministre, ancien président des Charbonnages de France, désigné au titre des Français de l’étranger, de l’épargne et du logement, a porté une candidature d’entente à différentes reprises, René Teulade ayant notamment été son concurrent malheureux. A l’époque, si la candidature de Jean Mattéoli a rencontré du succès, c’est qu’elle sous-entendait l’indépendance du CES, sa protection vis-à-vis des élus et des avatars de la politique politicienne, la candidature Teulade n’étant pas critiquée sur le personnage, homme respectable et compétent, mais sur son appartenance active au Parti socialiste. Il ne fallait pas que publiquement cette instance puisse apparaître comme tombée dans la corbeille de la gauche.
Or l’histoire étant toujours au rendez-vous, les choses sont présentées de manière quasi identique pour septembre prochain, au nom des mêmes principes : ne pas politiser le cénacle, mais au bénéfice de l’opposition, comme si le fait d’être de l’opposition était une garantie de « non-politisation ».
Compte tenu de son âge, et je ne veux pas manquer non seulement de respect mais d’amitié pour Jean Mattéoli, il eût été normal que sa succession fût ouverte. Il vient de faire savoir qu’il n’en serait rien. Il revendique un nouveau mandat qu’il ne conduirait peut-être pas à son terme au bénéfice d’un professionnel engagé dans l’opposition.
Est-ce bien sage ? Soyons clairs, il s’agit bien d’analyser les pratiques et l’impact, voire les effets d’une présidence à moyen terme pour le CES et ceux qu’il représente. Il n’y a pas de règlement personnel en la matière.
Mais au moment où les consultations sont de plus en plus nécessaires, où les relations sociales sont de plus en plus difficiles, voire inexistantes ou encadrées (35 heures), où de nombreux problèmes de mutations agricoles et industrielles se posent, où l’Europe a provoqué la mise en place par le Gouvernement d’un comité consultatif du dialogue social pour les questions européennes et internationales, n’y a-t-il pas lieu de sortir le CES de sa tranchée ?
N’est-ce pas l’occasion, dans le cadre de la mondialisation de l’économie et de ses conséquences, de l’évolution de notre pays vers des pratiques de gestion de mode anglo-saxon, d’une mutation globale qui nous interpelle sur le rôle et la fonction du travail dans la société, d’utiliser ce Conseil économique et social à des fins de réflexion et, au besoin, afin qu’il informe non seulement les décideurs mais aussi l’opinion publique des évolutions nécessaires à une société moderne ?
Pour son rôle et sa composition, le CES a vocation à être un lieu essentiel de dialogue, de proposition, de réaction. Il participe ce faisant à ce que l’on peut appeler la démocratie sociale, ce qui, par les temps qui courent, mérite d’être souligné. Ce n’est, par exemple, plus le cas avec le Commissariat au plan depuis l’abandon de la planification.
Redynamiser le CES participe aussi de la volonté de conserver au niveau national un rôle réel et important sans s’en remettre aux niveaux local et européen. La pertinence du niveau national est aussi un enjeu républicain dans un monde où la libération, si elle efface les frontières financières, tend de plus en plus à placer les individus dans des ghettos au nom du réalisme ou du communautarisme.
Historiquement, le mouvement syndical a su donner au CES, par sa création et son développement, ses lettres de noblesse, en faire un exemple de démocratie. IL est aujourd’hui nécessaire de confirmer ce choix originel en prenant l’initiative de le dynamiser pour en faire une assemblée consultative prête à aborder le XXIe siècle en n’hésitant pas à être plus fréquemment un aiguillon et un défricheur d’idées. En ce sens, Force ouvrière souhaite que le prochain président de cette assemblée soit issu du monde socioprofessionnel et plus particulièrement du mouvement syndical.