Texte intégral
Conférence de presse conjointe avec le ministre égyptien des Affaires étrangères, M. Amr MOUSSA (Le Caire, 26 novembre 1997)
Je remercie mon ami Monsieur le ministre Amr Moussa pour ses propos très amicaux. J'ai été longuement et chaleureusement reçu par le président Moubarak. J'ai eu également un entretien avec le Premier ministre. Et nous avons déjà commencé à parler longuement de tous les sujets qui nous intéressent. Les choses entre nous sont très simples car il y a une entente tout à fait exceptionnelle, je crois pouvoir le dire, entre la France et l’Égypte. Sur le plan bilatéral, nous n'avons pas de problème, seulement le désir de développer et d'intensifier les relations. Par contre, sur d'autres plans nous avons des soucis, à commencer naturellement par la phase très difficile que traverse le processus de paix. Donc nous avons refait le point ensemble de ce qui peut être fait par tous ceux qui pensent que la situation actuelle est lourde de dangers, afin de réunir les efforts et d'essayer de relancer ce processus. C'est une de nos principales préoccupations de ce matin. Nous avons également abordé beaucoup d'autres sujets. En tous cas, nous avons confirmé que la France et l’Égypte continueraient à travailler plus étroitement que jamais ensemble sur ces plans.
Q. : Monsieur le Ministre, vous avez fait des déclarations que nous avons entendues sur Europe 1 sur la nécessité de définir les conditions claires qui pourraient permettre à l'Irak de sortir de l'impasse dans laquelle il se trouve actuellement et de dire clairement dans quels délais, au lieu de faire durer pendant des années les négociations comme cela a été le cas de la part des États-Unis ? Pouvez-vous nous dire quelles sont très spécifiquement ces conditions et ce qui peut redonner confiance à Saddam Hussein dans les mesures internationales. Qu'est-ce qui peut être fait ?
R. : La position de la France au sein du Conseil de sécurité est d'abord d'agir constamment pour préserver l'unité. D'autre part, en ce qui concerne l'Irak, nous disons que le Conseil de sécurité doit être capable d'être aussi clair dans les deux hypothèses : dans l'hypothèse où l'Irak ne coopère pas à la mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité qui le concernent, le Conseil doit dire à l'Irak à quoi il s'expose dans ce cas. Dans l'autre hypothèse, si l'Irak coopère réellement à la mise en œuvre des résolutions, nous pensons que le Conseil de sécurité doit être aussi clair et redire qu'il n'y a pas de double langage et que quand l’Irak aura rempli ses obligations en ce qui concerne les programmes d'armement de destruction massive, l'embargo sera levé comme le prévoient les résolutions. C'est la politique constante de la France : toutes les résolutions, rien que les résolutions. Nous considérons qu'il ne faut pas agir ou parler comme s'il y avait en plus des résolutions cachées. C'est notre position, mais nous souhaiterions que ce soit d'une façon plus claire la position de l’ensemble des membres du Conseil de sécurité. Nous serons donc amenés dans la période qui vient, comme avant, à redire cela avec beaucoup de clarté.
Q. : Les États-Unis insistent sur la nécessité d'inspecter des sites sensibles pour les Irakiens. Quelle est la position de la France à cet égard ?
R. : La France a souhaité que M. Butler puisse revenir sur place, ce qui a été décidé et ce qui est une bonne chose pour reprendre avec les Irakiens l'ensemble de cette question des inspections. Nous espérons qu'il arrivera à une bonne solution.
Q. : L'Union européenne a un rôle économique important à jouer. Pourquoi n'utilise-t-elle pas ce rôle économique comme un levier pour infléchir la position israélienne et pour faire pression dans le bon sens ?
R. : Israël a des relations économiques avec le monde entier. Je ne vois donc pas pourquoi vous posez la question de façon particulière en ce qui concerne l'Union européenne. L'Union européenne a une action économique importante par rapport aux Palestiniens à qui elle apporte une aide substantielle. Elle a d'autre part sur le plan politico-diplomatique un envoyé dans la région, M. Moratinos, qui effectue, avec beaucoup de patience, un travail remarquable. D’autre part, l'Union européenne, représentant les 15 pays membres, s'est exprimée avec beaucoup de netteté en ce qui concerne son soutien à un véritable processus de paix. Les principaux pays membres de l'Union européenne, la France naturellement, mais aussi la Grande-Bretagne et certains autres, ont exprimé ces derniers temps, à plusieurs reprises, leur très vive inquiétude, justement devant le quasi-enlisement du processus de paix qui ne pourrait être relancé que par des mesures substantielles. Si je suis venu au Caire ce matin, c'est une fois de plus pour voir avec nos amis égyptiens comment nous pourrons agir ensemble pour exercer l'influence la plus efficace et la plus utile possible sur ce point.
Q. : Monsieur le Ministre, vous êtes venu en visite dans la région une trentaine de fois et vous y avez de bonnes relations. Pensez-vous qu'Israël peut céder à une pression française, une pression américaine, une pression arabe pour revenir au processus de paix ? Quels sont les moyens de peser sur ce pays pour le ramener au processus de paix ?
R. : Une trentaine de fois si on additionne les voyages dans les différents pays. Je n'ai pas été trente fois dans chacun. J'aimerais être allé trente fois en Égypte. Sur le fond, ce que je peux vous dire simplement c'est que nous souhaitons très vivement que les dirigeants israéliens comprennent l'extrême inquiétude exprimée en ce qui concerne le processus de paix par les Égyptiens, par les Jordaniens, par les Européens, de plus en plus aussi par les Américains et par une partie de l'opinion israélienne elle-même, sans parler bien sûr des Palestiniens. Nous souhaitons qu'ils comprennent que cette inquiétude est fondée sur la conviction que la situation actuelle est dangereuse et que seul un processus de paix, qui suppose évidemment des concessions substantielles à partir des engagements pris, pourra conduire à une solution politique équitable permettant de répondre aux aspirations légitimes des uns et des autres et d'assurer ainsi la sécurité pour tous. C'est cette conviction qui anime les différents pays du groupe dont j'ai parlé. L'important c'est qu'ils agissent ensemble et qu'ils acquièrent le pouvoir de convaincre.
Q. : Monsieur le Ministre, le Conseil de sécurité se montre très dur, très sévère : en ce qui concerne les résolutions du Conseil qui ne sont pas appliquées par l’Irak. Il semble impuissant en ce qui concerne les résolutions violées par Israël. Quelle est votre réaction vis-à-vis de cela ? Par ailleurs, quel est votre commentaire sur le fait que certains pays européens accueillent des terroristes qui menacent la sécurité d'autres pays, de la région notamment ?
R. : Sur le premier point, l'efficacité du Conseil de sécurité sur tel ou tel point est en fonction de son unité. Donc il est plus en état d'être efficace quand les cinq membres permanents sont d'accord entre eux que quand ils ne sont pas d'accord entre eux. C'est une réalité géopolitique.
Sur le second point, nous pensons que le terrorisme doit être évidemment constamment combattu sans relâche. Ce qui suppose uni ! coopération sincère et efficace entre les gouvernements et puis, d'autre part, des politiques capables d'en faire disparaître les racines et les causes. La France est un pays qui a été éprouvé à plusieurs reprises, ce n'est donc pas, pour elle, une question abstraite.
Q. : Pour ce qui est du code de conduite proposé par l'Union européenne. Pensez-vous qu'Israël respectera ce code de conduite alors qu'il n'a pas respecté des résolutions et des décisions internationales du Conseil de sécurité notamment ? Jusqu'à quand la France acceptera-t-elle le renforcement des sanctions imposées à certains pays arabes, étant entendu que ces peuples arabes souffrent de ces sanctions qui sont rendues plus sévères ?
R. : Sur le code de conduite, je dirais que cela mérite d'être tenté. Cette initiative européenne, je n'en méconnais pas les difficultés. Nous ne disons pas que c'est une idée qui va tout résoudre, mais dans la situation très difficile où se trouve le Proche-Orient et le processus de paix en ce moment, c'est une initiative qui si elle aboutit, ne peut qu'améliorer les choses.
En ce qui concerne les sanctions, il n'y a jamais eu de sanctions décidées parce qu'il fallait frapper une population arabe. Cela n'existe pas. Il est arrivé que des sanctions soient décidées, par rapport à tel ou tel gouvernement, d'un pays qui se trouvait par ailleurs, être un pays arabe, mais ce n'était pas la cause. Je pense que vous pensez à l'Irak, en particulier quand vous pensez aux populations. Mon pays est particulièrement conscient du fait que des populations civiles Irakiennes, notamment des enfants, souffrent extrêmement de cette situation. Mon pays a été parmi les pays occidentaux à la pointe de ceux qui ont poussé à la mise en place du système dit « pétrole contre nourriture », qui a précisément pour première fonction d'apaiser les souffrances des populations civiles. Dans la phase actuelle, nous sommes extrêmement favorables à un élargissement conséquent de ce dispositif.
Q. : Il y a eu récemment une rencontre internationale de chefs d’État à Strasbourg où il a été question d'établir une consultation bilatérale entre la France, l’Allemagne et la Russie. De quoi s'agit-il exactement ?
R. : Ce dont vous parlez, c'est simplement une initiative informelle à travers laquelle le président français, le président russe et le chancelier allemand qui se rencontrent fréquemment deux par deux ont décidé de se rencontrer par exemple une fois par an à trois. C'est une des très nombreuses formules de rencontres à géométrie variable qui se font en Europe. Ce n'est pas un système d'alliance, ce n'est pas une nouvelle institution, cela n'enlève rien à aucune autre rencontre. Quant au désir de l'Europe de s'affirmer, c'est naturellement contenu dans toute la démarche de l'Union européenne qui veut s'affirmer et faire valoir ses propres thèses et ses propres contributions aux problèmes du monde, dans l'amitié avec ses grands partenaires bien sûr, les États-Unis, la Russie et ses amis du Sud. Ce n'est pas une démarche antagoniste.
Entretien accordé au quotidien égyptien « Al-Ahram » et l’hebdomadaire « Al-Ahram international » (Le Caire, 26 novembre 1997)
Q. : La tournée que vous effectuez actuellement est votre première visite au Proche-Orient depuis que vous assumez les fonctions de ministre des Affaires étrangères. Dans quel état d'esprit entreprenez-vous ce voyage ?
R. : Le Proche-Orient est une région que je connais bien. J'ai déjà effectué, à titre aussi bien professionnel que privé, une trentaine de visites dans cette région. Je me suis rendu en Égypte six ou sept fois. Je viens maintenant au Proche-Orient comme ministre pour des raisons évidentes. Cette région, historiquement, politiquement, culturellement et même sentimentalement, revêt une très grande importance pour la France, et cela depuis très longtemps.
C'est vrai de la région en général. C'est vrai de l’Égypte en particulier. Tout le monde connaît la densité et l'ancienneté des relations entre la France et l’Égypte. J'ajoute qu'il existe depuis une quinzaine d'années, des relations très étroites au sommet entre les présidents Mitterrand, puis Chirac et le président Moubarak. Pour ma part, j'ai déjà rencontré souvent le président Moubarak et à plusieurs reprises le ministre Amr Moussa.
Les relations bilatérales franco-égyptiennes sont très bonnes, même si on peut toujours les améliorer, notamment sur le plan économique. Mais, à chaque fois qu'il y a un contact entre la France et l’Égypte, c'est évidemment une occasion de parler Afrique, Méditerranée et, bien sûr, processus de paix. Celui-ci est dans une très mauvaise passe. Nous allons voir ce que nous pouvons faire ensemble pour le relancer.
Q. : Quelle place occupe l’Égypte, à vos yeux, dans le contexte Proche-Orient ?
R. : L’Égypte est dans une situation centrale. C'est une sorte de pivot entre le Proche et le Moyen-Orient, l'Afrique, la Méditerranée. C'est donc pour la politique française un partenaire de premier plan.
Q. : Vous serez reçu, aujourd'hui par le président Moubarak, l'avez-vous déjà rencontré en tête-à-tête ?
R. : En tête-à-tête, non. Mais j'ai bien dû participer à plus d'une vingtaine de rencontres ou de déjeuners entre les présidents Moubarak et Mitterrand, puis avec le président Chirac. Les relations franco-égyptiennes comptent beaucoup pour moi.
Q. : Le processus de paix au Proche-Orient est actuellement en panne. Quel est votre diagnostic ? Est-ce que vous estimez que ce processus est mort ou qu'il peut être ressuscité ? Et quels sont les moyens de le faire ?
R. : Il ne faut jamais baisser les bras. Que le processus de paix soit en panne, c'est une évidence. Il faut mobiliser tous les moyens, toutes les bonnes volontés pour lui redonner consistance. Il faut rappeler, que si un processus de paix avait été lancé après une longue période de tensions et d'affrontement, c'est parce que les adversaires étaient arrivés, de part et d'autre, à la conviction qu’un processus de paix fondé sur la reconnaissance mutuelle et le dialogue et aboutissant à une solution politique équitable et donc stable était la seule façon de répondre aux aspirations légitimes des Israéliens et des Palestiniens, et la meilleure façon de garantir la sécurité des uns et des autres. Le processus de paix n'a pas surgi comme cela. Ce n'était pas une simple « initiative politique » mais le résultat d'une prise de conscience progressive, courageuse et d'esprit lucide dans les deux camps. Mais cela demeurait très fragile. Aujourd'hui, la France, comme les autres partenaires européens, s'inquiète de ce blocage.
Q. : A votre avis, quels sont les moyens de le débloquer ? Est-ce le dialogue ou est-il nécessaire d'exercer des pressions sur une partie ou sur les deux ? Et quel est le rôle que la France peut jouer dans ce domaine ?
R. : Le lancement du processus de paix n'avait pas été le résultat de pressions, mais d'une maturation, et d'une réflexion politique interne. Donc dans l'état actuel des choses, je crois qu'il faut encore privilégier le dialogue, l'explication et la persuasion. C'est le sens de mon voyage au Proche-Orient. J'y vais pour écouter, j'y vais pour mieux comprendre sur place. Ce n'est pas la même chose de voir les protagonistes à Paris ou à New York ou ailleurs, au cours des sommets. L'étape du Caire est, à cet égard, très importante pour moi.
Nous ne posons pas, a priori, la question de savoir quel « rôle » nous pouvons jouer, mais quel rôle utile. Il faut agir sans esprit de concurrence ou de compétition. Il faut agir parce que le blocage du processus est une menace pour l'ensemble de la région.
Q. : Vous avez qualifié, il n'y a pas longtemps la politique de M. Netanyahou de « catastrophique », est-ce que vous maintenez ce qualificatif ?
R. : En réponse à des parlementaires socialistes qui critiquaient la politique du Premier ministre israélien, j'ai exprimé notre vive inquiétude envers une série de décisions prises par le gouvernement israélien depuis le mois de mars et jusqu'au mois de septembre 1997 et qui contribuaient toutes au blocage du processus.
Je voulais dire qu'en France, tous ceux qui, du fond du cœur, souhaitent ardemment qu'une solution durable soit trouvée, étaient gagnés par un sentiment d'incompréhension et de tristesse profonde.
Q. : Cette interpellation est toujours valable puisque la situation reste toujours bloquée.
R. : L'interpellation est toujours valable. Cela dit, il ne faut jamais insulter l'avenir.
Q. : Peut-on s'attendre à une initiative française ou franco-égyptienne à l'occasion de votre visite actuelle ?
R. : Il peut y avoir des « initiatives ». Cela dit, les efforts pour relancer le processus de paix ne doivent pas cesser, même, entre deux initiatives. Et la concertation entre Américains, Européens, Russes, Arabes, non plus. En Israël même, il y a un débat. C'est une société très démocratique. Toutes ces questions y sont débattues en permanence.
Q. : Le blocage du processus vient essentiellement du fait que les Accords d'Oslo ne sont pas appliqués par le gouvernement israélien. Pensez-vous qu'il faut rouvrir le dossier et renégocier les Accords d'Oslo, ou bien le but est-il de mettre en application ces Accords ?
R. : Nous pensons qu'il faut appliquer les Accords d'Oslo qui ont été signés, avec tout ce que cela comporte notamment sur les redéploiements. Mais on a affaire à un gouvernement israélien qui ne veut pas les appliquer ou, en tout cas, pas tels quels.
Je ne suis ni négociateur, ni protagoniste dans cette affaire, mais je suppose que si le gouvernement israélien demande des amendements mineurs, les Palestiniens accepteraient certainement de les considérer. Mais dès lors que le désaccord porte sur le principe même du processus, la situation sera plus difficile. Mais il ne faut pas baisser les bras pour autant.
Q. : Vous trouvez le rôle des États-Unis très important ?
R. : Il est très important.
Q. : Certains dans le monde arabe pensent que les États-Unis ne devraient pas avoir le monopole du partenariat au processus de paix, et que la France est le pays le plus à même de faire contrepoids surtout que les États-Unis n'adoptent pas actuellement une attitude tout à fait objective dans le processus de paix. Dans quelle mesure la France peut-elle jouer ce rôle ?
R. : La réalité du monde actuel, en 1997, je ne parle pas du Proche-Orient, c'est que les États-Unis ont une influence majeure partout, notamment au Moyen-Orient. Donc, c'est un fait qu'on le veuille ou non, pour tout le monde, Israéliens, Palestiniens, Égyptiens ou Français.
C'est pourquoi l'engagement américain est indispensable. Mais il n'est pas suffisant. Il y a d'autres pays qui, pour des raisons historiques, de voisinage du fait des idées qu'ils peuvent apporter comme la France, peuvent jouer un rôle utile. C'est bien ce qu'a fait la France du général de Gaulle jusqu'à Jacques Chirac en passant par François Mitterrand. Le dialogue avec les partenaires européens de la France, sur ce sujet, n'a jamais été aussi étroit, ni les conceptions aussi proches. Quant aux convergences entre la France et l’Égypte, elles ne sont pas seulement fondées sur l'amitié, mais sur une vraie convergence intellectuelle et politique qui a été depuis des années très fécondes et qui le sera encore à l'avenir.
Cela dit, personne ne paraît en mesure d'imposer une solution miracle. Ce qu'il faut, c'est faire converger toutes les bonnes volontés et continuer de parler avec le gouvernement que les Israéliens se sont donné.
Q. : Est-ce que vous jugez que la France a une présence suffisante dans la région du Proche-Orient ?
R. : Je ne sais pas comment vous mesurez notre présence. Mais ce que je peux vous dire c'est que la France a, à la fois, sur le Proche-Orient des sentiments très profonds, des principes généraux, des idées, une vision de l'avenir. Nous avons toujours pensé qu'une solution politique véritable et durable ouvrirait la voie à un nouveau dynamisme et une coopération pour l'ensemble de la région du Proche-Orient.
Chacun voit bien que la France fait tout ce qu'elle peut. La France n'a pas, pas plus que n'importe quel autre ni même les États-Unis un pouvoir magique. Elle ne peut pas inventer à elle seule une solution. Mais elle sera toujours active.
Le problème n'est pas de mesurer les influences des uns et des autres mais de les faire s'exercer dans la bonne direction.
Q. : Vous avez évoqué brièvement les relations bilatérales entre la France et l’Égypte. Pourriez-vous nous dire comment vous envisagez ces relations ?
R. : Depuis les très bonnes relations qui se sont établies, entre le président Mitterrand et le président Moubarak, et puis entre le président Chirac et le président Moubarak, une concertation franco-égyptienne se poursuit sur tous les grands sujets. Ces relations sont remarquables par leur qualité, par leur densité, par leur chaleur.
Q. : Nous allons fêter bientôt 200 ans de relations culturelles entre la France et l’Égypte. Cette commémoration a suscité de violentes critiques en Égypte parce qu'on avait dit au début qu'il s'agissait de la « Commémoration de la campagne de Bonaparte » et qu'il était inacceptable de commémorer une invasion. Aujourd'hui, on semble commémorer le début des relations culturelles sous le titre d'horizons partagés.
R. : Donc, on a trouvé la bonne solution. Je m'en réjouis. Cela permettra de célébrer une très longue période d'intérêt mutuel, de curiosité, d'amitié et disons même, de passion. Depuis longtemps, il n'y a pas d'année « normale » sans événement culturel franco-égyptien.
Déclaration à l’issue de son entretien avec le président de la République arabe d’Égypte, M. Hosni MOUBARAK (Le Caire, 26 novembre 1997)
Mesdames et Messieurs,
Comme vient de le dire M. Amr Moussa, j'ai été reçu par le président Moubarak qui m'a accueilli très chaleureusement, ce qui n'étonnera personne compte tenu de la qualité véritablement exceptionnelle des relations franco-égyptiennes. Nos préoccupations sont à peu près identiques en ce qui concerne la crise très sérieuse que traverse le processus de paix. Nous avons une fois de plus fait l'inventaire des options qui pourraient être tentées pour essayer de le relancer. Cette question sera au centre des discussions que je vais avoir maintenant avec mon homologue M. Amr Moussa. Il est certain que le processus de paix ne pourra pas être relancé de façon substantielle sans des mesures significatives. Nous allons également parler des autres problèmes qui se posent dans la région.
Q. : L'Union européenne prépare actuellement une tentative pour débloquer la situation au Moyen-Orient. Quel est l'état d'avancement de cette initiative ? Existe-t-il une coopération entre l’Égypte et la France pour sauver la paix ?
R. : A l'heure actuelle, la préoccupation dont j'ai parlé en ce qui concerne le processus de paix est très sensible en Égypte comme en France. Elle est de plus en plus nette également dans les autres pays européens. Elle commence à être perceptible aux États-Unis mêmes et également dans une partie d'Israël. C'est dire que tous ceux qui pensent que seul un processus de paix conduisant à une solution politique équitable à partir des engagements pris serait de nature à satisfaire les aspirations légitimes des uns et des autres et à assurer la sécurité pour tous, sont, non seulement extrêmement inquiets, mais animés aujourd'hui par l'idée d'agir ensemble. Il n'y a pas de concurrence entre les initiatives des uns et des autres, mais complémentarité. A l'intérieur de cet effort, la concertation permanente entre la France et l’Égypte est appelée à jouer un rôle de plus en plus grand.
Entretien avec la chaîne égyptienne internationale « Nile TV » (Le Caire, 26 novembre 1997)
Q. : Après votre rencontre avec le Président palestinien Yasser Arafat, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, votre homologue israélien David Levy et le chef du Likoud, David Barak, pensez-vous que la politique de Benyamin Netanyahou soit toujours catastrophique comme elle a été qualifiée en septembre ?
R. : Je suis venu au Proche-Orient pour rencontrer les dirigeants israéliens, palestiniens, égyptiens et pour me faire une idée plus directe par moi-même et sur place de la façon dont on analyse une situation qui, de France, est jugée très préoccupante, c'est à dire l'arrêt, le quasi-enlisement du processus de paix. J'ai écouté attentivement les uns et les autres. Je dois dire que je reste préoccupé car, même si les dirigeants israéliens m'ont expliqué que le processus de paix demeurait un de leurs axes politiques, même s'ils m'ont expliqué qu'il y avait beaucoup d'entraves et beaucoup d'obstacles qu'ils voudraient surmonter à leur façon, même s'ils m'ont dit qu'ils allaient prendre des initiatives, tenter de relancer les choses, je n'ai malheureusement pas le sentiment que les positions soient encore suffisamment proches pour qu'il y ait une vraie relance. Or, pour qu'il y ait une vraie relance du processus de paix, il faut des concessions substantielles, il faut respecter les accords signés, il faut procéder à des redéploiements significatifs, il faudrait geler les mesures unilatérales de toutes sortes qui pèsent sur le climat psychologique, et ces conditions-là ne me semblent pas encore réunies. J'en ai reparlé ici au Caire avec les Égyptiens qui sont des amis très proches de la France et avec qui nous agissons en parfaite entente sur toutes ces questions. Notre conclusion pour le moment, c'est qu'il ne faut pas baisser les bras et qu'il faut persévérer inlassablement.
Q. : La France a joué un rôle assez ferme en faveur de la question irakienne et ce, en appelant au dialogue diplomatique au lieu d'avoir recours à la force. Qu'est-ce qu'elle compte faire de concret pour le processus de paix au Proche-Orient ?
R. : La position de la France sur l'Irak consiste à convaincre l'Irak de respecter pleinement les résolutions du Conseil de sécurité de façon à ce que l'on puisse, au bout du compte, loyalement lever l'embargo, comme c'est prévu dans les résolutions, quand toutes leurs obligations auront été remplies. Nous n'avons pas de double langage. Si les résolutions sont respectées, si les obligations sont remplies, il faudra lever l'embargo. C'est cela que nous avons dit aux Irakiens comme nous le disons à nos partenaires du Conseil de sécurité.
En ce qui concerne le processus de paix, nous œuvrons inlassablement par notre dialogue politique avec les responsables israéliens, auxquels nous parlons amicalement mais franchement sans dissimuler nos interrogations, nos critiques, nos réserves ou nos suggestions. Nous avons une coopération étroite avec les Palestiniens que nous aidons dans la mesure de nos moyens, comme le fait l'Europe avec beaucoup d'engagement et maintenant de plus en plus de moyens. Nous faisons en sorte d'agir en étroite liaison avec nos amis égyptiens, avec les autres Européens, au sein desquels un consensus est en train de se forger sur ces questions, et d'autre part avec les États-Unis. Voilà ce que nous faisons.
Entretien avec Radio France, RTL et Europe 1 (Le Caire, 26 novembre 1997)
Q. : Monsieur le ministre, dix jours après le massacre de Louxor et les accusations de M. Moubarak vis-à-vis des pays européens qui abritent des islamistes, avez-vous abordé cette question avec le chef de l’État égyptien ?
R. : Je n'ai pas entendu qu'il ait lancé des accusations par rapport aux pays européens en général et notamment je n'ai pas remarqué qu'il y ait quoi que soit sur la France. A cet égard, nous avons réagi à cet événement avec sérieux. Naturellement, il faut le prendre au sérieux, mais, au même temps, nous voulons aider nos amis égyptiens à faire en sorte que cela n'entraîne pas pour eux des conséquences graves, parce que sinon ce serait entrer dans le jeu de ceux qui ont inspiré cette action. Nous avons donc abordé cette question, puis j'ai exprimé au président Moubarak, au Premier ministre, comme au ministre naturellement, la sympathie et la solidarité des Français face a cet événement.
Q. : Vous a-t-on demandé de faire pression sur la Grande-Bretagne ?
R. : Non, j'ai simplement indiqué que nous étions favorables naturellement à un renforcement de toutes les coopérations entre gouvernements et entre responsables contre le terrorisme, puisque le terrorisme n'est pas un phénomène cantonné ou canalisé dans un seul pays ou une seule région.
Q. : Monsieur le ministre, vous avez entendu les points de vue des Israéliens, des Palestiniens, maintenant des Égyptiens. Pensez-vous toujours que la politique israélienne est catastrophique ?
R. : Je pense que le processus de paix est toujours dans une mauvaise passe. Je continue à penser que c'est grave et que ses conséquences pour la suite seront sérieuses. Je continue à penser que c'est vraiment dans l’intérêt d’Israël, dans l'intérêt des Palestiniens et de la région qu'il soit relancé de façon à aboutir un jour à une solution politique sérieuse et équitable, qui satisfasse les aspirations légitimes des uns et des autres. Ce qui apportera la sécurité à laquelle tous aspirent dans la région. Je continue donc à penser profondément que cette inquiétude est très partagée par les Égyptiens, par les autres peuples de la région, par les Européens de façon de plus en plus nette, par les Américains, plus qu'avant. Donc, il y a là une sorte de convergence d'analyses. Nous espérons trouver dans cette convergence le pouvoir de convaincre. Il faut une relance. Il faut que la relance soit substantielle, ce qui ne peut pas ne pas comporter des redéploiements significatifs. Ceci devrait être accompagné, même si ce n'est pas la lettre exacte des accords, par un gel ou une suspension des mesures unilatérales qui détruisent la confiance. Ce processus est un processus qui comporte beaucoup d'aspects.
Q. : Pensez-vous justement que les dernières propositions israéliennes sur le redéploiement sont significatives ?
R. : Je ne pense pas qu'elles soient de nature à réenclencher et la confiance et l'ensemble de ce processus. Personnellement, je retire de ces trois journées de discussions et d'entretiens au Proche-Orient, avec les responsables israéliens, palestiniens et égyptiens, la conviction que de toutes les façons, quelles que soient les situations et quoi que nous en pensions, il ne faut pas se décourager. Il faut que tous ceux qui sont à la recherche de la paix, et qui sont de bonne volonté, joignent leurs efforts sans aucun esprit de compétition, ce qui serait absurde, mais en faisant converger leurs actions.