Interview de M. José Rossi, président du groupe parlementaire Démocratie libérale et Indépendants à l'Assemblée nationale et président de l'Assemblée de Corse, à RTL le 21 mai 1999, sur les déclarations du préfet Bonnet, le rétablissement de l'Etat de droit en Corse, l'incendie des paillotes, l'autonomie et la nécessaire réintégration de la Corse dans la République.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • José Rossi - Président du groupe parlementaire Démocratie libérale et Indépendants à l'Assemblée nationale et pré ;
  • Olivier Mazerolle - Journaliste

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

O. Mazerolle
Dans sa lettre au Midi-Libre, le préfet Bonnet promet du « sport national » lors de son audition de cet après-midi. D'après son avocat, il se déclarerait prêt à vous mettre en cause. Vous redoutez des déballages ?

J. Rossi
- « Non. Vous savez, M. Bonnet est un spécialiste de l'action psychologique. Après avoir créé les conditions d'une mise à feu, B. Bonnet essaye aujourd'hui de jeter un écran de fumée sur ses responsabilités. Il bénéficie de surcroît du concours d'un avocat de talent, un vieux briscard compagnon de route de F. Mitterrand, qui connait toutes les ruses de la mitterrandie. Et je ne doute pas que l'objectif soit d'obscurcir le débat et de camoufler ses propres responsabilités. »

O. Mazerolle
Il dit qu'il s'est heurté il un environnement politique hostile, et que les élus locaux protestaient contre le rétablissement de l'Etat de droit.

J. Rossi
- « C'est faux, totalement faux! B. Bonnet, dès qu'il est arrivé en Corse, a mitraillé l'ensemble des élus par ses paroles, ses actions, aussi bien ceux de droite que ceux de gauche, et il a ostracisé l'ensemble des interlocuteurs républicains. Son action, au cours de la dernière année, a eu un résultat très concret : faire gagner les indépendantistes aux dernières élections régionales. »

O. Mazerolle
Vous avez expliqué hier, qu'il était normal lorsque vous aviez protesté contre la destruction des paillotes, que les élus locaux représentent le sentiment de ceux qui les avaient élus. Mais était-il normal que des élus locaux - dont vous qui êtes président de l'Assemblée territoriale corse - s'insurgent contré l'application de la loi qui avait une forte valeur symbolique dans ce contexte ?

J. Rossi
- « Nous ne souhaitons pas empêcher l'application de la loi, nous voulons simplement qu'elle soit appliquée sereinement, tranquillement, sans démarche ostentatoire et provocante. Et M. Bonnet, par le déploiement de force qu'il avait organisé sur le site des paillotes - le jour même où l'Assemblée de Corse délibérait dans la sérénité - a créé une provocation qui avait pour objectif d'humilier l'ensemble des élus. Tout ce que nous avons demandé, c'est qu'on laisse à des personnes installées sur le domaine public de l'Etat - que l'Etat avait laissé s'installer sur son propre domaine - la possibilité de démolir eux-mêmes après un délai raisonnable qui était de trois ou quatre mois, c'est-à-dire à la fin de la saison touristique. Ce principe même avait été accepté par B. Bonnet quelques mois plus tôt ; il est revenu sur sa parole, sur ses décisions, dans ce souci de provocation permanente. Je crois que le sentiment de tous les Corses c'est qu'il a dérapé. Tout le monde le voit et personne ne le conteste aujourd'hui. Aujourd'hui, que voit-on par ailleurs ? C'est que le Gouvernement, qui est le vrai responsable du choix de M. Bonnet et de la politique qu'il a mise en place, essaye de camoufler ses responsabilités. Il allume des contre-feux, on évoque les politiques des MM. Pasqua et Debré, on essaye d'associer le Président de la République au choix du préfet. On dénonce les élus corses qui - comme vous venez de le dire - ne souhaiteraient pas appliquer la loi. On me reproche d'être devenu un des alliés des indépendantistes. Tout cela ce sont des actions de diversion organisées avec une liche argumentaire savamment orchestrée par Matignon et par les services de communication du Premier ministre. Il s'agit, je le répète, de faire diversion pour éviter d'aller à l'essentiel : la responsabilité politique du Gouvernement. »

O. Mazerolle
Etes-vous d'accord avec Mme Guigou quand elle dit que les paillotes seront détruites comme convenu, fin octobre ?

J. Rossi
- « Tout à fait, mais je demande plus loin, car la paillote qui a été incendiée de manière criminelle par les hommes ou préfet Bonnet, a été reconstruite au cours des dernières semaines. Aucun élu n'est intervenu pour demander qu'elle soit reconstruite. Elle a été reconstruite à partir d'une autorisation donnée illégalement par les services de la Direction de l'Equipement, sous les ordres du préfet Bonnet qui, craignant de voir sa responsabilité mise en cause, et craignant de se voir découvert, a voulu couvrir le forfait qui a été commis, par une autorisation donnée à celui dont la paillote a été brûlée. Le grotesque a été atteint ! »

O. Mazerolle
Sur le fond, est-ce qu'il n'y à pas une lassitude des élus nationaux ? Par exemple, N. Sarkozy qui est un de vos amis, est venu la semaine à Ajaccio. Il vous a dit : « j'en ai assez de voir défiler dans les rues d’Ajaccio, sous couvert de revendications politiques, des gens qui sont des délinquants de droit commun et qui, pour certains d'entre eux, ont même du sang sur les mains. »

J. Rossi
- « N. Sarkozy a raison, et nous devons avoir un véritable débat sur la Corse pour les prochaines années ; d'abord à l'intérieur de la majorité régionale qui, en Corse, est dans l'opposition nationale. L'avenir de la Corse doit se poser, aujourd'hui, en termes vrais. Nous avons échoué tous, les uns et les autres, depuis une trentaine d'années : le RPR comme l'UDF, le Parti socialiste comme le Parti communiste. Qu'allons-nous faire de la Corse ? - après les élections européennes ! Car les élections européennes tendent un peu le débat, et je ne suis pas sur qu'on aille au fond du problème pendant cette période. Mais après, il faut que la Corse prenne en main ses responsabilités, et qu'en Corse il y ait une véritable volonté politique pour dire au gouvernement, qu'il soit de gauche aujourd'hui, ou dans deux ans et demi de droite, si l'alternance se produit : « voilà ce que nous voulons ; voilà comment nous voulons nous organiser, et voilà comment on rétablit la confiance entre Paris et la Corse ! » Aujourd'hui, nous sommes dans un climat de méfiance qui ne permet rien et qui, au contraire, creuse l'écart, une véritable fracture entre la communauté nationale et la Corse. Ce qui va à l'inverse de l'objectif affiché par les uns et les autres : c'est-à-dire - et je souscris à cette démarche - réintégrer la Corse dans la République »

O. Mazerolle
Est-ce que vous n'alimentez pas vous-même ce fossé, quand vous confiez la présidence d'une des commissions de l'Assemblée territoriale à un nationaliste qui est plutôt un radical J.-G. Talamoni ?

J. Rossi
- « Vous reprenez là, un argument de la liche argumentaire du Gouvernement ! Les nationalistes n'ont pas voté pour moi, la présidence de l'Assemblée, pas plus que sur le plan de l'exécutif, M. Baggioni. Ils n'ont pas voté le budget de l'Assemblée de Corse, qui est actuellement réglé par le préfet d'ailleurs. Par contre, l'Assemblée de Corse a un statut particulier qui est distinct de l'exécutif. L'Assemblée ne gère pas au quotidien la Corse, et les commissions ont non seulement un rôle d'orientation du débat, mais un rôle de contrôle sur l'exécutif. Et que l'opposition soit associée au contrôle... il y a deux oppositions essentielles dans cette Assemblée : l'opposition de la gauche plurielle et l'opposition nationaliste. Il se trouve que les nationalistes sont les plus nombreux dans l'opposition ; ils jouent leur rôle d'opposant et ils ont obtenu - grâce au préfet Bonnet, d'ailleurs - 17 % des suffrages. J'aurais préféré qu'ils obtiennent beaucoup moins. Ils ne sont pas du tout associés à la gestion, je le dis très clairement. »

O. Mazerolle
Quand vous parlez d'autonomie, est-ce que vous n'alimentez pas le ressentiment des continentaux qui disent : « on en a marre de payer pour ces Corses dont on ne sait pas ce qu'ils veulent » ?

J. Rossi
- « Vous allez être étonné, mais je suis assez ce raisonnement. Je comprends qu'on veuille sortir de l'intervention publique et d'une société d'assistance où l'on demande beaucoup au contribuable national. Je suis pour que les moyens publics affectés à la Corse progressivement se réduisent, et qu'on sorte d'une société d'intervention publique et d'assistance pour aller vers une société de responsabilité et de dignité avec le développement économique. Je suis d'accord avec l'idée affichée avec les uns et les autres que la priorité des priorités c'est de créer des activités nouvelles, des richesses nouvelles en Corse et des activités de production qui créent des emplois en nombre. Et dans les semaines et les mois qui viennent ce sera notre action commune. »

O. Mazerolle
Cela passe par l'autonomie ?

J. Rossi
- « Cela passe par la prise en considération de l'insularité de la Corse. C'est la seule île-région de la métropole, et il est clair que pour le développement de la Corse, dans une île qui a 1 000 km de côte - autant que le littoral méditerranéen de l'Espagne à l'Italie -, il faut des adaptations législatives réglementaires qui libèrent les énergies, qui permettent aux entreprises et à l'initiative de se libérer. Car on ne peut pas à la fois mettre la Corse sous un corset, sous des contraintes législatives et réglementaires uniformes sur l'ensemble du territoire national qui ne peuvent s'appliquer telles quelles à la Corse. C'est là qu'il faut trouver les souplesses nécessaires dans le respect de la démocratie. Et si les corses veulent adapter quelques-unes des réglementations pour se développer ct ne plus avoir besoin de faire appel au contribuable national, et s'ils ont besoin demain de moins de solidarité nationale, cela sera mieux pour tout le monde, et nous serons ainsi mieux acceptés dans la République et dans la communauté nationale. Car, aujourd'hui, on voit bien à travers le courrier que l'on reçoit, à travers les réactions des uns et des autres, que se développe un sentiment d'ostracisme, de racisme larvé à l'égard de la Corse qui est tout à fait incompatible avec l'objectif de participation pleine et entière des Corses aux activités de la République. Je me demande aujourd'hui si cette position de discrimination ne peut pas avoir des conséquences très graves. Est-ce qu'on nommera demain, en Corse, ou dans telle ou telle administration sensible, un fonctionnaire corse dans des responsabilités que pourrait exercer un fonctionnaire continental ? Je commence à douter, et à partir du moment où l'on peut parler de discrimination à l'égard d'une communauté comme les Corses qui, de tout temps ont participé à l'administration, à l'armée, qui ont laissé beaucoup de morts pour la France aux quatre coins du monde, eh bien, cela est extrêmement grave. Et je pense que la politique gouvernementale des derniers mois porte une très large responsabilité dans cette affaire. »